Quantcast
Channel: idées liquides & solides
Viewing all 1105 articles
Browse latest View live

La mort de Vinisud ?

$
0
0

Je ne vais plus dans les salons pinardiers, ou presque. Ce n'est pas par snobisme, simplement, ça m'ennuie. Pour goûter, il n'y a pas pire, et puis, il y a cette cohue. Va savoir, je deviens peut-être agoraphobe. Ou misanthrope.
Enfin, pour ce qui est de l'allergie à la foule, mes différents envoyés spéciaux m'ont rapporté qu'il y avait au moins un de ces évènements de début d'année où j'aurais pu me rendre sans craindre une poussée de fièvre, c'est Vinisud. "Vide"* me disait encore tout à l'heure la plus neutre de mes informatrices en train d'enchaîner la plupart des salons montpelliérains ou marseillais qui se télescopaient ces derniers jours. Ce télescopage, et cet éclatement géographique entre Hérault et Bouches-du-Rhône, dus à une immense crétinerie politicarde, ont bien évidemment fait des dégâts. Pas pour tout le monde d'ailleurs puisqu'on notait une belle affluence au Millésime Bio de Marseille, un beau succès d'estime pour le Biotop des environs du Stade Vélodrome et que Le Vins de mes Amis, voisin de Vinisud, annonçait même avoir battu son record de fréquentation. J'ai d'ailleurs ri de ce bon mot du caviste Benjamin Chassaing**, "c'est désormais Vinisud qui est le OFF du Vin de mes Amis"…


Tout cela évidemment relève davantage du comptage de manifs façon CGT (ou préfecture de police), nous sommes dans le ressenti. J'ai d'ailleurs, pour tenter de corroborer ou démentir ces impressions, essayé d'examiner, comme on le fait désormais pour les pré-soirées électorales, la présence médiatique des différents salons sur les réseaux sociaux. Et là encore, Vinisud (qui pourtant a mis des moyens sur ce compartiment du jeu***) m'a semblé être le grand perdant. Malgré quelques porte-voix subventionnés à l'enthousiasme quelque peu forcé, laborieux, on sentait bien que le cœur n'y était pas vraiment. Je vous épargne d'ailleurs les pathétiques directs sur Facebook de conférenciers, micro en main, Powerpoint en tapisserie, devant des chaises de jardin en plastique vides durant lesquels, à défaut de faire vendre du vin, on fourgue des concepts  marketing qui coûtent au moins aussi cher que des grands crus glacés.


Ne tombons pas pour autant dans la caricature: Vinisud existe encore. Nul doute qu'on y a fait des affaires, ou, en tout cas, qu'on y a confirmé des affaires existantes****. Mais ce salon qui fut un symbole du renouveau languedocien dans les années quatre-vingt-dix, a place to be dans le Mondovino s'est considérablement ringardisé pour devenir le rendez-vous du vin de pousse-caddie, du vin de citerne. Loin, très loin de ceux "qui font la tendance". 
Aucune acrimonie dans ce que j'écris, je fais partie de ceux qui ont tenté de secouer le cocotier, d'en finir avec ce look de banlieue commerciale, de rendre le tout un peu plus rock n' roll. Nous sommes si nombreux, depuis longtemps, à penser qu'il y avait une autre image à donner que d'hideuses moquettes jetables bleues ou rouges, des photos de producteurs pur néon garanti derrière des crachoirs en plastique, qu'il était urgent d'inverser le mouvement.
Les politiciens et les événementiers qui prêchent plus pour leur propre paroisse qu'ils ne travaillent pour le succès des vignerons ont tranquillement poursuivi leur chemin. Nul doute qu'à l'issue du salon, les communiqués de Presse triomphants rempliront les colonnes de ceux qui savent pondre de bons articles. Je vois mal en revanche comment tout ce petit monde pourrait faire l'économie d'une sérieuse introspection. 




* Le nombre ne fait pas tout d'ailleurs, ne l'oublions pas. Et il est normal par exemple qu'un salon uniquement professionnel ait une audience moindre qu'un salon où peuvent entrer des amateurs.
**  La Cave de la Capillaà Montpellier.
*** Avec notamment des tutoriels destinés aux exposant, à l'image de celui que l'on peut voir ci-dessous mais qui, si l'on en juge par le score qu'affichent les compteurs de Facebook, n'ont guère été regardées.
**** En attendant d'aller travailler vraiment à ProWein le rendez-vous européen du business.


Les images de Vinisud 2017 utilisées ci-dessus proviennent directement de l'organisation du salon. 
© Alain Reynaud.



Vinisud: le pire contre-attaque.

$
0
0

Allez, sans se hausser du col, on va voir ça comme un droit de réponse. Droit de réponse à cette chronique douce-amère sur les temps qui changent, les époques qui meurent, sur ces salons pinardiers qui vieillissent infiniment moins bien que les vins qu'à l'époque, ils ont contribué à faire connaître. C'est donc de Vinisud dont il est question. On m'envoie ce publi-reportage (vous connaissez la règle, "sujet-verbe-compliment") qui répond, donc, point par point à ce que j'ai écrit avant-hier, alerté par des vignerons et des acheteurs un peu dépités de leur visite au Parc des Expositions de Montpellier. Rien ne manque, l'Américain de service, l'Asiatique légèrement pris de boisson, le vendeur de mousseux catalan répondant comme un commerçant, la femme couronnée "Homme de l'Année", et le président ravi. Dégustez, c'est du velours. Un régal…


Voilà donc la preuve, le cadavre bouge encore. Est-ce que ce effort (tarifé) de communication évitera les nécessaires remises en question? Rien n'est moins sûr.

Quand l'Anglais est grand.

$
0
0

L'Anglais*, on le déteste. Mieux, on aime le détester. Ce n'est pas de Guerre de Cent Ans, de Jeanne d'Arc, de Trafalgar , de Mers-el-Kébir ou de Brexit qu'il est question. Parce que, franchement, malgré son immense courtoisie, cette délicieuse éducation, la qualité de ses blazers, au rugby, excusez-moi, c'est un gros enculé. Pour résumer la situation, tout les coups sont permis, la petitesse n'est pas exclue, le réalisme peut confiner à la médiocrité. Mais bon, à quelques heures d'un match qui me met la boule au ventre, on ne va pas parler de ballon ovale.
Pourtant, oui, il arrive que l'Anglais soit grand. Superbe, à l'opposé de ses comportements de petit comptable rugbystique. J'éprouve alors pour lui un amour sans bornes. Je le trouve beau, intelligent, ses femmes sublimes**, sa nourriture délicieuse. Sans compter que j'adore Londres et la bière tiède-amère.


Mais, présentement, c'est de vin qu'il s'agit. Peut-être la bouteille de la semaine. Peut-être le plus beau corbières que je n'ai jamais bu, un corbières qui ne roulait pas les R, subtil, distingué comme les apéritifs dans la langue de Shakespeare de ma pauvre tante Betty, géniale demoiselle qui m'apprenait, adolescent, à fumer des Player's Navy Cut et à boire du whisky écossais (en alternance avec le rasteau de sa vieille cave de Lourmarin).


Du cinsault beaucoup, en majorité, rehaussé d'un grenache qui ne brûle pas. Finesse et profondeur, à l'image de la parcelle maîtresse qui lui a donné le jour sur les hauteurs de Villesèque****, à l'aplomb de la Berre. Oh, ce n'est pas une découverte, je vous en ai parlé ici, il y a longtemps. Quand je buvais ce vin, dans les années deux-mille, la plupart des experts locaux se foutaient de moi. "Pas assez ci, pas assez ça…" Ben oui, je me répète, il était distingué. Comprendre ça n'est apparemment pas à la portée de tous.
Le 2010 de ce corbières d'Anglais était superbe, j'avais donc décidé d'en garder quelques bouteilles loin des yeux loin du cœur (et du tire-bouchon surtout), au frais. Grand bien m'a pris, il y a quelque chose de reynaudien dans ce vin intense mais avec ce qu'il faut d'évanescence. Aussi sexy je crois que cette brune de Cambridge (décidément**…). La bonne nouvelle, c'est qu'il en reste deux ou trois unités. Si ce soir le XV de France sont aussi saignants que je le souhaite secrètement, je crois bien que j'en ouvrirai une. J'espère.




* Notez que quand on parle rugby, on le met au singulier. Il n'a rien à voir avec "les Anglais".
** Même si je n'oublierai jamais le plus beau râteau de ma vie à Cambridge, alors que j'avais match gagné.
*** Là, je vous promets que je ne moque pas, souvenez-vous de ce que j'avais écrit ici.
**** Village étonnant dont la triste coopé (pléonasme?) produisait des vins ignobles mais où l'on trouve deux domaines étonnants, ce Clos perdus (une partie en tout cas) et l'excellent Rémi Jalliet, évoqué dans cette chronique. Pour ce qui est du Domaine "des Anglais", il a changé de morphologie puisque Hugo Stewart, le Britannique, et Paul Old, l'Australien ont décidé de faire chemin à part. C'est Paul, l'Aussie qui est désormais seul aux commandes, ce que j'ai goûté de lui me convient parfaitement.


Salades, bites en chocolat & trou-du-culs.

$
0
0

Les Anglais* vivent actuellement un drame fascinant. En tout cas, ceux qui ont décidé de pousser un caddie et de vénérer la malbouffe**. Depuis quelques jours, leurs dealers préférés ont commencé de les rationner. Ce n'est pas de jelly ou de porridge, ni même de pizza surgelée qu'il s'agit mais de salades et de choux. "Deux laitues et trois brocolis par client, rapporte Le Figaro sur les traces de la BBC, cette consigne n'a pas été passée au Venezuela ou dans un pays en guerre mais ...en Grande Bretagne! Face à la pénurie de légumes qui frappe le pays, plusieurs enseignes de grande distribution ont décidé de rationner leurs client. Tesco, le numéro un britannique, impose depuis cette semaine à ses clients de ne pas acheter plus de trois laitues Iceberg par personne, a indiqué un porte-parole du groupe. «Nous rencontrons des problèmes de stocks du fait du mauvais temps en Espagne», a expliqué ce porte-parole, précisant que la totalité des enseignes du groupe au Royaume-Uni est concernée. De nombreux supermarchés ont ainsi placé des messages au-dessus notamment de leurs présentoirs à salades."


Tesco n'est pas la seule chaîne concernée par le drame, Morrisons par exemple, le numéro quatre a pris des mesures de rationnement encore plus drastiques. Sur Twitter est apparu un hashtag, #lettucecrisis, où chacun peut ainsi raconter sa vision de la catastrophe qui touche le royaume presque encore uni. Au milieu de prières et de commentaires alarmistes, certains ont l'impudence de rappeler quelques fondamentaux. À l'image de ce loueur de gîtes ruraux du très agricole Somerset, The Middlewick, qui montre son luxuriant potager où ne manque ni salade ni verdure.
Je rassure d'ailleurs nos amis pousseurs de caddie britanniques (moutons mais indépendants au point de voter le Brexit), il n'y a pas non plus de pénurie en Espagne, en tout cas pour ceux qui s'approvisionnent dans des circuits normaux. Seuls sont concernés les empoisonneurs industriels, ceux-là même qui me font m'interroger quand je lis des campagnes sanitaires recommandant d'ingérer cinq fruits et légumes par jour (oui, mais lesquels?!?). Quant à la fameuse laitue Iceberg, j'en ai acheté une un soir par accident à un Paki, je pourrai, crise ou pas, passer le reste de ma vie sans y remettre le nez.


Désolé de cette désastreuse association d'idées, mais, afin de détendre les sphincters (et les zygomatiques) de nos chers amis britons qui se font mettre concomitamment par la grande distribution et les industriels espagnols de la verdura, cap sur une des possessions anglaises en France, la Dordogne. Alors qu'approche une des grandes fêtes annuelles de la société de consommation, la pâtisserie Lemoine de Sarlat va nous ressortir ses bites, pardon, ses Zizis en chocolat qui ne pourront qu'ajouter au charme de la Saint-Valentin 2017.
Sud-Ouestnous apprend que le commerçant périgordin avait reçu la visite des gendarmes après avoir présenté, à l'époque, ses créations en vitrine. Les olisbos cacaotés ont donc du se faire plus discrets mais poursuivent leur brillante carrière. En vertu des règles du ying et du yang, et pour la plus grande joie des amoureux, on n'oubliera pas de leur assortir cette autre douceur que j'évoquais à l'occasion de la Saint-Valentin 2015. Et de songer à la dilatation anale des mangeurs de laitue anglais***.




* Je sais que certains vont voir dans cette chronique une basse vengeance après le match d'hier, je vous promets qu'il n'en est rien, même si…
** Charmante exposition récemment en marge du MACBA de Barcelone sur la société de consommation et la malbouffe.
*** Soyons honnêtes, grâce à la Pieuvre française, qui n'a rien à envier à sa concurrente britannique, les consommateurs français se font mettre avec la même allégresse, et la même dextérité dans les pousse-caddies français.



Un Montagnard chez les Girondins.

$
0
0

– A-t-on encore un avenir aujourd'hui dans le vin haut-de-gamme sans passer par la case bio? 
– Bien sûr que oui! Au contraire ! clament en chœur les supporters de Donald Trump et de ses clones. Le bio, comme le réchauffement climatique, est une invention chinoise pour ruiner la viticulture américaine* (française, espagnole, italienne, etc, rayez la mention inutile). Regardez d'ailleurs le site de la winery de Monsieur Fils, à aucun moment il n'est question de ces âneries terroiristes, le sol, en s'en tape!
– Évidemment que non! rétorquent, sûrs de leur fait, les défenseurs, neufs ou anciens, de l'agriculture biologique. Hors du label, no future!
Même si la grosse masse des grands crus bourguignons ou bordelais fait de la résistance, les faits semblent donner raison aux tenants du bio, ces derniers mois encore, plusieurs grosses pointures du Mondovino ont montré l'exemple, à l'image de la famille Frey et de sa célébrissime Chapelle dont le millésime 2015 sortira orné de la petite feuille verte. Idem avec La Lagune, ou ses voisins médoquins Palmer ou Montrose, eux aussi convertis.
Reste le cas de ceux que l'on va appeler les "compagnons de route", les "sans-papiers" du bio qui adhèrent aux principes du mouvement, les précèdent même parfois, sans toutefois aller au bout de la démarche, administrative notamment. Parmi eux, de grands noms, Reynaud, Chave, Allemand, Selosse, Vaillé**…


Celui dont nous poussons la porte en cette matinée gelée fait, qu'il le veuille ou non, partie des "compagnons de route" du bio.
L'église, sur le mamelon d'en face, c'est celle de Montagne. Puissante et romane, qui confère à l'ensemble un aspect plus guyennais que gascon. Relique d'une munificence passée***, la maison sommeille comme un gros chat, l'agitation touristique de Saint-&-Millions semble si loin malgré son extrême proximité. Le village de Montagne est d'ailleurs mitoyen d'une demi-douzaine d'appellations différentes, dont Saint-Émilion, Pomerol et Lalande.


Pierre Bernault n'est pas peu fier de ce terroir pauvre mais si riche en calcaire, posé tel un balcon sur ce que la rive droite de la Gironde possède de plus chic, de plus cher en matière vinicole. Un rien revanchards, les gens du coin aiment raconter que "le bas des marches de l'église de Montagne correspond au sommet du clocher de Saint-Émilion". Ce qui est vrai, c'est qu'ici le regard porte loin, des "sommets" de l'Entre-Deux-Mers au tertre de Fronsac. Après deux ou trois verres de montagne, on croit même apercevoir l'Océan…
Pourtant, quand on parle de labellisation à cet amoureux scientifique des sols, il voit rouge. Pourquoi?
"Parce que, explique-t-il, le bio est devenu un système mercantile et que je suis avant tout rebelle et que je tiens trop à ma liberté de choix, d'action et d'évolution.
Pour ne pas intégrer un mouvement qui se présente chaque fois qu'il peut comme étant la panacée en matière de respect de la Nature et de la santé humaine.
Parce que le bio n'est en aucun cas un critère de qualité. Parce que les produits de traitement bio peuvent être des poisons violents pour la Nature comme pour l'homme mais que les affiliés continuent à faire croire le contraire, par défaut. Parce que le bio permet d'aller jusqu'à la production industrielle (y compris hors-sol) de fruits et légumes dégueulasses dûment labellisés.
Parce que le bio prétend répondre à des besoins généraux et qu'il n'est pas approprié de faire la même viticulture, par exemple en Languedoc et en Bordelais. Les risques et pressions sanitaires n'ont rien en commun entre ces deux régions. Parce que le bio a opté pour le grand mal français du principe de précaution et se montre fermé à l'utilisation de produits modernes, performants et moins polluants que les produits que mon grand-père utilisait au début du siècle dernier… et qui l'ont tué!
Parce que je suis persuadé, et c'est mon quotidien, qu'il y a mieux à faire pour protéger la Nature et l'homme que de simplement suivre les préceptes d'une organisation qui n'est finalement qu'une organisation commerciale.
Parce que les bios entretiennent la posture mensongère qui consiste à laisser le consommateur (un sur deux en France) dans l'ignorance de la réalité : le bio utilise des pesticides, et certains sont des poisons mortels. Les bios utilisent  plus de gazole que n'importe quelle autre méthode de conduite de vignoble. En Gironde en 2016 : entre seize et dix-sept traitements en moyenne chez les viticulteurs bio, huit chez les autres.
Parce que les bios opposent systématiquement leur label au reste du monde : eux sont propres et ne polluent pas, tous les autres sont des assassins à la solde de Monsanto-Bayer.  Il faut guerroyer sec contre les thuriféraires de cette marque commerciale pour qu'à regret, du bout des lèvres, et faute de compétence car ils ne chaussent bien souvent que des mocassins, ils finissent par accepter de reconnaître qu'il n'y a peut-être pas que le bio comme solution.
Et enfin, on n'entend qu'eux, alors qu'ils ne représentent que 6% du marché français du vin. Et que j'ai hâte de voir les preuves tangibles de l'absence de pollution soit-disant inhérente à ce label.
À part tout ça, je reconnais bien volontiers qu'il y a chez les non-Bio de véritables saligauds qui n'ont aucune conscience du massacre de la nature qu'ils perpétuent. Malgré les efforts faits un peu partout pour lister les produits que le Gouvernement autorise toujours et encore à la vente et qui seraient à interdire en urgence. Seul moyen à mon avis de commencer à protéger la Nature et l'Homme malgré l'existence perpétuelle des saligauds."


Voilà pour le discours, quasi intenable, inaudible, aujourd'hui dans le Mondovino. J'entends déjà d'ici les noms d'oiseaux, les procès pour "dérapage", les bûchers que l'on dresse.
Pourtant, en contrebas de la terrasse du château, les vignes de Pierre Bernault parlent pour lui, de son engagement, surtout, pour une agriculture plus raisonnable, "raisonnée" comme on a dit à une époque avant que ce label ne disparaisse. Ignorante du Round-Up, comme profonde malgré le peu d'épaisseur qui la séparent du souvenir des étoiles de mer****, l'argile vit.
Et que dire du verre? J'ai bu, rapportée de chez lui, une bouteille absolument remarquable, émouvante. Beauséjour 2007, cuvée 1901*****, l'âge des ceps de la parcelle évidemment. Étoffe et finesse, extrême longueur, tout ce que l'on demande à un (très) grand bordeaux; un fruit éclatant, tempéré par ce qu'il faut d'austérité, sans la moindre tentation de sucrerie, bien élevé ma non troppo, formidablement long. Oui, un 2007, vous avez bien lu, ce millésime qu'on considère souvent avec dédain en Gironde et qui là, sans nœud-papillon, juste descendu de son tracteur, hobereau distingué, nous raconte des histoires sinon de "grands crus" (concept ô combien dévoyé) mais de vins de terroir et d'auteur.


Inutile de vous faire un dessin, Pierre Bernault est un cabochard. Un cabochard méthodique, un peu anar sur les bords, comme un baba cool auquel les cheveux n'auraient pas poussé. En discutant avec lui, on se rend compte qu'il ne sera pas facile de l'enrégimenter. L'animal se cabre, regimbe. Il m'a glissé qu'il avait du sang ariégeois, je le crois volontiers.  
La limite de son discours, c'est la généralisation. Vous le mettez dans la bouche d'un coopérateur productiviste des Corbières ou de La Mancha, et c'est l'horreur. À ce moment-là, sous couvert de "mais je n'en utilise que quelques gouttes", la terre des vignes va rapidement ressembler au sol d'Hiroshima, le 6 août 1945 au soir. En ce sens, il n'est pas un exemple, plus une merveilleuse exception.


C'est pour ça d'ailleurs qu'on a inventé les labels, pour rassurer le consommateur bien sûr, mais aussi comme garde-fou, pour encadrer des types à la précision plus aléatoire que le seigneur de Beauséjour, pour simplifier, ceux qu'il appelle "les saligauds". Afin de les contrôler (plus ou moins bien selon les certificateurs), de leur infliger des analyses de vins******, de sols qui permettent de voir si les actes sont en accord avec les paroles (ce qui à Montagne ne fait aucun doute).
Restent les irréductibles, les marginaux, forts-en-gueule à l'image de ce Montagnard girondin qui vous rappelle qu'avoir des convictions n'oblige pas à éteindre son cerveau. Hommes et vins de caractère, insoumis de la bouteille, libertaires.



* Qui heureusement n'est pas aussi crétine que son président élu. Le bio se développe à grande vitesse aux États-Unis, avec une croissance de l'ordre de 20% par an. Le pays est actuellement au sixième rang mondial en terme de surfaces derrière l'Espagne, l'Italie, la France, l'Allemagne et l'Autriche (source Agence Bio).
** Pour ne citer que ceux-ci compilés par Sylvie Augereau dans cet article de La Revue du Vin de France consacré à ces "sans-papiers" du bio.
*** Racheté en 2005 par Pierre Bernault, venu faire ici son retour à la terre après avoir brillé dans l'informatique, Château Beauséjour, un immense hameau viticole en fait, raconte la fortune passée d'une grande famille girondine de propriétaires-négociants, les Laporte.
**** Nous sommes, sur ces cimes du Saint-Émilionnais, sur une dalle de calcaire "à astéries", reconnaissable à ses milliards de souvenirs marins fossilisés, enchevêtrés, dont les bras d'étoiles de mer. C'est avec cette pierre, doucement dorée à la lumière du soir, qu'a été édifiée Bordeaux.
***** J'ai beaucoup aimé aussi son "générique", Château Beauséjour, notamment ce 2011 déjà aimable quoiqu'en devenir. Le type fabrique d'ailleurs plutôt des vins de garde, je ne le sens pas encore prêt pour se lancer dans le bordonouvo qui fera bientôt fureur chez les buveurs de carbos…
****** Le thème des analyses de vins finis est un de ces sujets qui immanquablement suscitent chez moi de profonds doutes. Je l'avais évoqué dans cette chronique, en terme d'obligation de résultats plus que de bonnes intentions. À chaque fois qu'il est évoqué ressurgit la frontière entre les paroles et les actes.


S'engager dans la Marine ?

$
0
0

Comme disent sobrement les politiciens à la sortie du tribunal, "ne commentons pas les décisions de Justice". En plus, je vous rassure, ici, il n'est pas question de millions d'euros d'argent public détourné pour enjoliver le train de vie pré-révolutionnaire de quelque baronnet franchouillard, amoureux de vestes forestières* et de bolides vintage. De Droite ou de Gauche d'ailleurs. Simplement de gens qui essayent de faire (sur)vivre des façons de faire qui font que les sus-cités, les vampires, puissent se régaler, eux, et leur cohorte d'affidés.
Mais là, sortant ce table, un peu ivre, j'ai juste envie de vous dire à quel point je vomis une France fonctionnariale qui détruit la France. Je veux vous dire à quel point je suis condamné, à quel point je me sens au moins aussi délinquant que mon mon ami Romain Dupuy (ci-dessous). Ce criminel de l'étang de Thau vient de passer à la toise, il a pris trois mois (avec sursis). Lisez pourquoi, je ne vais pas raconter, tout est écrit ici.


Romain, donc, est condamné. Trois mois. Il n'ira pas à la gamelle, même si sa (sublime) maman est consternée. On a juste contribué à briser, un peu, juste un peu, sa formidable énergie, à écorner, comme on sait si bien le faire en France, cette volonté de servir autre chose que des produits de pousse-caddie. Les normes, ces énormes normes qu'on applique à la lettre, édictées par les industriels qui préfèrent vous empoisonner à petit feu.


Je pense aux juges. À Sète aussi. À Brassens évidemment sans qu'aucun gorille n'interfère. À cette façon qu'on a de construire (ou pas) un avenir. Aux choses qui sont derrières les choses. Derrière chacune de nos décisions. Ivre, comme je l'ai dit plus haut, bêtement, j'ai envie d'extrémisme, de lessive, d'en finir avec ça. De commenter cette décision de Justice à la façon de tous les populistes qui telles des métastases rongent le débat politique. Dommage que le Midi-Libre n'en parle pas parce qu'en plus j'aurais pu en rajouter sur les merdias et les journalopes.


Alors oui, je sais, je reconnais que Romain est coupable. Coupable d'avoir voulu faire vivre autrement ce pays de prolos, coupable de faire d'un camping le Palace, coupable de ne pas se résigner à la glacière de Métro. Je suis complice. Avec une immense fierté. Comme tous mes frères de fête et de Lumière, qui, malgré la colère, une colère immense, jamais ne s'engageront dans la Marine.





* Une pointe de jalousie, je l'avoue. J'en ai presque touché une, à la vraie époque, celle des Grumbach, avant Berlutti. Mais quand tu es trop pauvre…




Bobo, oui, comme Bonay.

$
0
0

Je vous promets, on ne va pas réouvrir le fastidieux débat sur AirBnB et l'ubérisation du monde occidental (ou de ce qu'il en reste…). Pourtant quitte à me répéter, quand on n'est ni rentier, ni golden boy, ni même homme politique français, donc qu'on a des moyens financiers ordinaires, l'hôtel, c'est le plus souvent moche. Non pas que les chambre d'hôtes* et autres logements alternatifs soient tous des merveilles intégrales, mais il me semble quand même, que malgré l'Ikéaïsme rampant, on arrive à y échapper plus facilement, et sans se ruiner, à la laideur conventionnelle, standardisée.


Je suis un sale bobo, et ce que j'écris n'est pas nécessairement très agréable pour pas mal de petits commerçants qui, "comme toute le monde", sont allés se meubler "là où il faut aller" et ont très normalement fait de leurs établissements des sous-Novotel, ou des sous-Ibis, tristes comme des maisons de retraite de régions défavorisées. On ne leur demande pas d'ailleurs de faire dans la déco, c'est même souvent ce qu'il y a de pire, l'envie, l'intention de déco: la croûte qui craint, l'œuvre d'art stéréotypée, le bouquet qu'on croirait volé dans un cimetière. 
Je suis difficile, je sais, mais ce qui est chiant avec le beau, c'est qu'on s'y habitue*, et moi, comme beaucoup de bobos de mon genre, j'ai du mal à m'habituer aux piaules moches.


Heureusement, ici et là, plutôt dans des métropoles, apparaissent des hôtels qui échappent à la misère visuelle consubstantielle de cette activité. Barcelone, avec sa croissance touristique annuelle à deux chiffres, n'échappe pas à la règle. Ouvrent ici et là des endroits qui dénovotellisent le genre, à l'image de l'élégante Casa Bonay.


Cette demeure néo-classique du XIXe siècle à la façade chargée de symbolisme se trouve sur la Gran Via, très légèrement excentrée (à moins de cinq euros de taxi du centre-ville!), près de la place de Tetuán, souvenir du passé colonial espagnol, et même catalan. Elle fut construite en 1869 par le célèbre architecte Francisco Battle y Felip pour la famille Bonay, de riches importateurs de bois exotiques. Une descendante de la famille se mariera d'ailleurs au début du XXe siècle avec un des plus proches collaborateurs de Gaudi qui travaillait alors sur la Sagrada Familia toute proche.


La Casa Bonay comporte soixante-sept chambres de catégorie quatre étoiles. Des chambres sobres, modernes, où l'on a su en revanche préserver quelques beaux éléments architecturaux, à l'image des carreaux de ciment anciens qui signent les belles demeures XIXe de la ville, mélangés avec du mobilier contemporain. 
La surprise vient du prix puisque les tarifs commencent à un peu moins de quatre-vingt-dix euros, ce qui pour le standing du lieu, et Barcelone n'est pas cher du tout.


Parce qu'au-delà des chambres, la Casa Bonay (et c'est ce que j'ai adoré), c'est un vrai lieu de vie, avec des boutiques et un grand bar/lobby où, selon les heures, on vient lire, travailler (Mac recommandé, c'est l'étiquette…), discuter, boire un cocktail, traîner. 
Bon, le restaurant, je n'y ai pas fait un repas inoubliable, un truc vietnamien marrant sans plus, mais mention spéciale pour le bar et surtout la cafétéria, un vieille connaissance dont je vous ai parlé ici, le Satan's installé au centre, dans le Gótico et qui a donc une succursale à Casa Bonay. Voilà donc enfin un hôtel où l'on peut prendre un petit déjeuner correct! Entre bobos…




* Je vous avais d'ailleurs laissé une bonne adresse, à Londres, pur Airbnb.
** Parce qu'il faut quand même reconnaître que dans l'univers de la restauration, finie la déco de mémère, on a fait de gros efforts. Même si parfois, comme ici, ça ne remplit pas l'assiette.
*** Il y a aussi dans le genre l'Hostal Grau, un peu plus central.


La trahison de l'image.

$
0
0

Non, désolé pour les associateurs* d'idées, cette pipe célébrissime n'est pas là pour rappeler aux bons catholiques que c'est au lendemain de la Saint-Valentin que l'on fête saint Claude. Ce tableau est furieusement actuel pourtant. Pas au sens de l'actualité boutiquière fébrilement suivie par les desesperate housewifes les plus névrosées**, mais de ce monde qui mélange allègrement publicité et information, marketing et politique, fiction et réalité***.
Pour rester léger, au niveau de ce qui se mange et se boit, La trahison des images de Magritte est un peu la prémonition de l'Instagram d'un plat devant lequel vont innocemment se pâmer les followers, oubliant que "ceci n'est pas de la nourriture" mais juste une photo, sa représentation, sur l'écran d'un iPhone. Le concept fonctionne tout aussi bien, vous vous en doutez, en remplaçant les foodistas par les winistas, le plat du restaurant de l'attachée de Presse à la mode par l'étiquette en vogue que l'on boira par réseau interposé, numériquement. 


"Ceci n'est pas un vin." Peu importe! Comme à la Saint-Valentin, c'est la marque que l'on célèbre, son opportunisme, l'argent qu'on a dépensé. Après le monde Mickey, bien venu dans celui de Donald (Trump). Celui des influenceurs****, donc des tricheurs, de ceux qui sucent et avalent consciencieusement, ce qui nous ramène à la fête sus-citée. Que voulez-vous, l'amour du vin est aussi une marchandise dont les sentiments se likent et se monnayent. Valentin fait le tapin.


Un peu par hasard, pourtant, dans la nuit qui mène d'une fête à l'autre, nous avons ouvert la bouteille des amoureux. Attrapée à l'aveugle ou presque dans la cave, et prestement jetée dans une carafe, le temps d'admirer le verre joliment chemisé (signe de bon temps).
Du cabernet-franc, bien mûr mais tellement équilibré, avec ce qu'il faut de retenue et aussi d'envie de s'offrir bientôt. Voilà typiquement le genre de jus charmant que l'on instagramme pas*****, dont les midinettes (mâles ou femelles) de la fringue liquide ne feront jamais cas, lui préférant des griffes, des signes de reconnaissance, plus voyants, plus clinquants, plus militants. Le monde de Donald, on y revient.


Pourtant, ceci, ce que j'ai ingéré, pas sa photo, cela, donc, est un vin. Le fruit d'un sérieux travail vigneron, d'un professionnalisme, d'une ambition. Je sais, ces vertus, ces valeurs sont vieillottes, aussi vieilles que les vignes des Grézeaux profondément ancrées sur leurs graves du pied de coteau de Cravant. 
"So boring !" vont vociférer les shampouineuses en me balançant à la figure Voici, Cosmo ou Elle. On veut des news, des alternative facts. De l'image, quoi. Je préfère le vin. À l'image de celui-là, factuel, du genre qui ne trahit pas.




* Qui forcément, comme le veut la tradition théologique, coranique notamment, sont des païens…
** À tel point qu'on se demande parfois si cette fête commerciale n'est pas un peu celle des filles mal dans leur peau, souvent victimes d'elles-mêmes, qui conjuguent à l'indispensable dépression de fin d'hiver leurs nécessaires déboires amoureux. La Saint-Valentin devient du coup le jour rêvé pour geindre et se plaindre.
*** Je sais que vous êtes nombreux, chers lecteurs, à ne pas fréquenter Facebook et autres "réseaux sociaux", nous en parlons généralement autour d'un verre, mais j'ai posté hier cette fabuleuse histoire d'un journal algérien qui a avalé tout cru un canular du Gorafi sur madame Le Pen et ses murs. Le post est au bout de ce lien, sinon, regardez l'image ci-dessous. De fait, à l'époque actuelle, le second degré est vraiment devenu trop dangereux…
**** J'avais consacré une chroniqueà ce gibier d'agence de com' qui, à son échelle, contribue à trahir l'image et à déformer la réalité.
***** Il existe heureusement encore des exceptions, aidons-les à devenir des règles.





Le Nouvo Dico du Vin.

$
0
0

Le vin n'a longtemps été qu'une poésie. Ses mots en tout cas, célébrant l'ivresse, laquelle aidait à s'inventer des dieux qui retombaient brutalement sur Terre le lendemain matin. Cela obligeait à trouver d'autres mots, d'autres sources, à découvrir l'amour, ce concept qu'on veut croire éternel, alors qu'en tant que tel, dans sa version courtoise, humaniste, il n'est qu'une miraculeuse parenthèse (encore ouverte on l'espère) dans le parcours d'Homo sapiens.
Cette poésie, bien sûr, camouflait un commerce, un beau commerce. Avec ses trucs et ses mensonges, mais porteur de civilisation. Sur les traces du Géorgien, de l'Arménien, du Perse, le Grec, le Romain colonisaient, plantaient ou disciplinaient la vigne, troquaient le vin, vecteur d'un ensemble de valeurs qui n'étaient pas que sonnantes et trébuchantes. Le vin donc est aussi devenu un objet politique.
Vous l'avez compris, j'ai un faible pour son petit matin, celui des mages et des magiciens, mystique sans religion, païen et poétique. Celui d'avant les marchands et les politiciens, d'avant le slogans et les mots d'ordre. Celui du désordre sans maux, de Pan, de Protogonos, qui ne savait pas encore qu'on nommerait à Dionysos.


Entre télé-irréalité et panurgisme, l'époque n'est malheureusement guère à la poésie. Sur de leur (non) fait, les crétins vocifèrent et se déplacent en meute, l'originalité est redevenue un vice, une dissidence. Le Monde, et donc forcément le vin se regardent par le tout petit bout de la lorgnette. 
Tenez, hier soir, les astronomes nous font rêver de planètes nouvelles, nous inventent des terres et des horizons indicibles. Le micro-trottoir, au populisme forcément poissard, compte ses sous, pleure le "gaspillage", éructe sur les "délires" de la Science; les Thénardier, ces misérables au ventre plein et à la tête molle, n'ont plus honte désormais de sortir du bois pour nous infliger leur "bon sens". Imaginez la même avec Fouquet et Quentin, le bar de Tigreville se transmuterait en fusée interstellaire, on irait taquiner la Trappiste, secouer la Gueuze, caresser la Lambic. Moi-même, je serais à deux doigts d'avaler une gorgée de Cantillon, c'est dire!


Laissons la bière et les étoiles, revenons-en aux mots contemporains du vin, aux Thénardier et aux moutons de Panurge. Pas question pour eux de laisser le vin aux poètes, ça pourrait nuire au petit commerce. Le vocabulaire se doit donc d'être sévèrement encadré, et limité. Pour décrire un pinard d'aujourd'hui, une dizaines de mots doivent suffire. L'ambition, la belle ambition de l'ouvrage dont il est question aujourd'hui, Le Nouvo Dico du Vin, est de les rassembler de façon exhaustive.
Par exemple, il y a ce terme dont je me moquais l'autre jour dans la bouche d'un sommelier à l'air compassé: "ça, attention, c'est très droit!" Genre, le type à la manœuvre, nous a fait un exploit, pour une fois, il n'a pas sorti un truc tordu. Oui, "tordu", c'est l'antonyme de "droit". En même temps, un vin "tordu", est-ce encore un vin?
On est loin évidemment, avec ce dictionnaire branché de la dégustation, de l'épais ouvrage du pauvre Émile Peynaud, ou de ceux du brave Jules Chauvet. Merde, quoi! On n'est pas là pour expliquer, il faut vendre! La bible, les savants d'aujourd'hui te la pondent en douze pages couverture et déclaration d'intentions incluses. On n'a pas que ça à foutre, c'est du boulot, une cave-à-manger! 
Vous rigoles, mais ce genre de mini-livres fonctionne d'ailleurs tellement bien qu'on songe l'adapter à d'autres activités commerciales, la vente de blue-jeans, la coiffure, le négoce de bagnoles. Certaines versions auront d'ailleurs, à la place du texte (toujours un peu fastidieux à déchiffrer) des pages à colorier.


Dans l'édition de 2017 du Nouvo Dico du Vin, il paraît qu'ils ont ôté "minéralité" et "tension", décidément trop usés, et "racinaire" aussi qui n'a jamais vraiment pris malgré sa belle allure. "Vibrant", en revanche, progresse. Oui, vibrant: qui vous fait vibrer ou friser les poils du nez, c'est-à-dire piqué, en route pour le vinaigre; vous voulez des détails? Tout était dans cette chronique. "Frais" n'a pas perdu de sa superbe: ne pas confondre avec vibrant (synonyme piqué), il s'agit là de verdeur, de raisin naturellement pas mûr. 
Le "fruit" conserve toute son actualité; dans son acception moderne, branchée, il signifie surtout que nous sommes là face à un jus dépourvu de tanin, et éventuellement enrobé de ce qu'il faut de sucre résiduel. Exemple (on est dans un dictionnaire ou pas?): "le caviste l'avait dit, c'est un super glouglou, une tuerie, qui pète le fruit. Je l'ai goûté, c'est vrai, il y avait du fruit, énormément, mais juste un: de la pomme. Blette."
Même si l'on reste très d'jeune (c'est-à-dire qu'on continue de porter des T-shirts), la dernière édition nous indique qu'il reste possible, sans déclencher l'hilarité générale, d'utiliser le terme "grand vin", qu'on assorti généralement à "profondeur". Exemple: "On m'a servi un très très grand vin, d'une profondeur inouïe. La seule profondeur que j'ai trouvée à cette pipe-à-Pinocchio, c'est l'évaluation de celle des racines du merrain centenaire qu'on avait du tronçonner pour enterrer le souvenir de ce vin dans un cercueil en chêne massif."
Reste la "salinité", et l'épithète "salin". Mis à toutes les sauces, il n'en demeurent pas moins de puissants exhausteurs d'absence de goût. Ils ont donc toute leur place dans le dictionnaire 2017, ainsi que dans la plupart des vins dont on aura voulu dire que leur finale était moins douce que le Nutella ou la Caca-Cola.
Ça me fait d'ailleurs penser qu'hier (et là, je suis vraiment sérieux), j'ai bu un vin incroyablement salin. On me dira que ça provient peut-être de son origine, la région galicienne des Rías Baixas, rongée par l'Océan atlantique. C'est un effervescent, produit à base d'albariño par le Laura Montero et son mari, le Français Dominique Roujou de Boubée.
C'est superbement frais, droit, plein de tension, minéral, bref, j'ai bu la bouteille…






Et maintenant le canard espagnol…

$
0
0

En ces temps où le Canard, les canards font l'actualité, c'est une sale nouvelle qui nous arrive ce soir d'Espagne: près de sept-mille trois cents canards ont été sacrifiés* dans les régions de Gérone et de Barcelone. C'est la Generalitat de Catalunya (l'équivalent local du conseil régional) qui a demandé cet abattage massif à la suite de la découverte d'un cas de grippe aviaire dans une exploitation de la banlieue de Gérone. Étaient concernés les animaux de sept autres centres d'engraissage qui avait été, ou éventuellement été en contact avec le foyer d'infection. La présence du virus H5N8 avait officiellement été confirmé mercredi. 


Les Français le savent peu mais la Catalogne est devenue un important producteur de foie gras. Plus en termes de volume qu'en terme de qualité. Car, bien sûr, comme à chaque fois que l'on parle de viande, ou même d'agriculture, ce sont les méthodes industrielles qui sont à l'honneur ici. On est très loin des petites fermes artisanales que nous connaissons dans le Tarn, le Gers ou les Landes, et qui, malheureusement sont les premières victimes d'un élevage intensif, massif, dont les sales pratiques ont conduit à cette épidémie. Voilà en tout cas l'occasion de rappeler que ce sont eux qu'il faudra défendre en premier, car ce sont eux, référentiels du goût, défenseurs de notre patrimoine gastronomique, qui, après leurs canards, risquent d'être sacrifiés sur l'autel de la sécurité industrielle, de cet univers perverti par le moins cher que moins cher et ses cercles vicieux, sans oublier la gastronomie créative qui va avec.




 * 7297 exactement. Lire ici l'article de La Vanguardia.

Emmanuel Macron est plutôt rouge.

$
0
0

Finis les abstèmes ! 
Dans la lignée de Georges, cet amoureux du cahors, de Mitterrand le gastronome ou de Chirac le ripailleur, les présidents français, et ceux qui l'aspirent à l'être se remettent à parler de vin comme il est normal d'en parler dans ce pays, avec respect (c'est bien le moins) et même amour. On avait vu Jean-Luc Mélenchon* slalomer entre les coopés héraultaises et le vin nature, c'est maintenant Emmanuel Macron qui y va de sa tournée avec une longue interview liquide à Terre de Vins et Sud-Ouest où le candidat centriste rappelle quelques vertus sanitaires (cet "antioxydant"), économiques et culturelles du vin. "Un repas sans vin, dit-il, c'est un peu triste. Le vin, ça participe pour moi vraiment de notre culture, de notre civilisation, de notre façon d'être ensemble". Même si on est en campagne, ça fait plaisir d'entendre ça au pays de la loi Évin-Cahuzac. Emmanuel Macron, qui, contre toute attente, révèle (pour voler des voix à Benoît Hamon?) qu'il est plutôt rouge. Enfin, rouge de Bordeaux. 
À noter aussi ce moment étonnant dans cette interview, le candidat a accepté (contrairement à de trop nombreux soi-disant professionnels…) de se livrer à une "dégustation à l'aveugle" où il dévoile ses goûts, forcément un peu "main street", mais encore une fois, face à un politicien français qui boit du vin, ne boudons pas notre plaisir.
* Jean-Luc Mélenchon qui a même fait un détour par le Jura où l'on trouve deux de ses cuvées de soutien.


Le droit (de la Femme) à servir le vin.

$
0
0

Quand ma femme* a débuté dans le vin, dans les années quatre-vingt-dix, être sommelière était encore un peu "étrange". Heureusement, elle avait eu la bonne idée de cacher sa féminité sous des cheveux courts de garçonne. 
Ça se passe à Londres, Londres des fortunes incommensurables, de l'argent dont le flot ininterrompu fait passer la Tamise pour un ruisseau. Nous sommes dans les casinos privés, le Ritz, Les Ambassadeurs, l'Aspinall's. Elle m'a raconté une soirée où un client lui a laissé en guise de pourboire un jeton de dix-mille livres, comme nous aurions laissé cinq ou dix euros. Au restaurant, et au bar, les étiquettes sont forcément prestigieuses, c'est tout juste si parfois, entre un vieux Pétrus et un Yquem hors d'âge, quelques pauvres acceptent de tremper leurs riches lèvres dans un verre de Montus ou de Château Musar, sortes de corbières ou de beaujolais des lieux.


L'anecdote que j'ai envie de vous raconter à l'occasion de cette Journée internationale des droits des femmes se déroule en mille-neuf-cent-quatre-vingt-seize, au bar des Ambassadeurs. Isabelle est à la manœuvre, épaulée par une jeune australienne. À une table, un "arabe" (ils sont nombreux dans les casinos privés), elle vient le saluer et lui proposer quelque chose à boire. Le type, visiblement en colère, est à deux doigts de lui balancer la wine listà la figure. Non pas qu'elle ait insulté sa foi en lui proposant une boisson alcoolisée (ce qu'on aurait pu à la limite comprendre), les musulmans fortunés qui fréquentent ce type de lieux ne se privent pas d'en boire, simplement, ce porc ne veut pas être "servi par une femme".


Entendons-nous bien, même si la condition de la Femme est une horreur, une honte absolue dans la plupart des pays musulmans, même si en la matière l'Islam a besoin d'un aggiornamento (dont on se demande bien quand il se produira), il n'est pas nécessaire pour un homme de pratiquer cette religion pour se comporter comme un porc. À travers le Monde, et parfois tout près de chez nous, des chrétiens, des juifs, des bouddhistes, des animistes ou même des athées le font avec beaucoup de talent. Cette anecdote, finalement dérisoire au regard des outrages subis quotidiennement par le sexe dit faible, nous montre également que la maltraitance, le mépris, la connerie ne sont pas l'apanage des classes défavorisées; ceux dont on aurait pu espérer que l'argent leur offre l'éducation et le savoir-vivre n'en sont pas à l'abri et savent parfaitement se comporter comme des gros beaufs**. 
Quand nous n'en serons plus, sur le long chemin vers l'égalité des droits, qu'à nous battre pour celui, dérisoire encore une fois, de servir du vin (de le faire ou de le goûter***), l'Humanité aura gagné ou presque. Pensons-y tout de même.




* Si jamais vous ne la connaissez pas, c'est ici.
** Tenez, hier encore dans l'actualité, ce politicien français, Baupin, prétendu écologistes et authentique gros porc.
*** Là, en revanche, ironie du sort, l'inégalité est inverse, ce sont les femmes qui ont la main comme je l'écrivais ici.


Albi, France moche, #fakenews ?

$
0
0

Même ma maman que j'aime m'a envoyé un email. Il faut signer une pétition, Albi, cette ville que nous chérissons est en danger. Le Figaro lui aussi s'est emparé de l'affaire, par la plume guerrière d'Eugénie Bastié, je l'ai lue à sa Une numérique. On ne parle pas de rien, la préfecture du Tarn part en couille, et c'est même marqué en gros dans le New-York Times.


Je vous résume l'affaire? Adam Nossiter (ce patronyme ne vous dit rien?*) à l'intérieur de l'important organe de Presse sus-cité nous explique que "dans un pays comme la France, qui foisonne de beauté et dont les traditions semblent immuables, il n’est pas aisé de prendre la mesure des changements, voire de la décomposition en cours. Elle saute pourtant aux yeux, à Albi comme dans des centaines d’autres communes. La France perd, une à une, ses villes de province de taille moyenne — ces pôles de vie denses et raffinés, profondément ancrés dans le milieu rural, où les juges rendaient justice, où Balzac situait ses romans, où les préfets émettaient des ordres et où les citoyens pouvaient acheter une cinquantaine de fromages différents."
Le mot n'est pas prononcé, écrit, mais évidemment, il saute aux lèvres: décadence. Ou en tout cas "déclin" comme il est plus poli de le dire en titre d'un journal respectable.


Alors, oui, nous avons vu dans cette ville, "comme dans des centaines d’autres communes", la France, celle qui fait rêver, écrire, chanter. Oui, nous l'avons vécue, jouée, mangée, bue, baisée, pleurée, hurlée. À même ses rues, ses belles rues, ses recoins, ses cloîtres, ses palais inconnus. Adam, je ne te connais pas (accepte cependant ce tutoiement confraternel), Adam, je partage, et j'ai devancé ton agacement. Cette France se perd. Cette France que j'ai il y a longtemps qualifiée de France du pousse-caddie**, cette "France moche". Cette France des "villes moyennes" comme disent les technocrates, charmante, aussi délicieuse que les femmes de ses notaires, de ses bijoutiers. Cette France qui a vendu son âme à quelques parkings de banlieues sordides qu'elle s'est inventées pour se donner de grands airs qui n'étaient que viciés. Oui, Adam, Albi n'échappe pas à la règle: pour pénétrer sa beauté médiévale, il faut se farcir un immonde rempart, des "zones", ce paroxysme de la laideur, là où l'homme, patiemment, précisément, méthodiquement va chercher ce qui peut l'éloigner de l'humain. Moi même, je me suis agacé quand on a envoyé des architectes, reîtres policés, normaliser le marché couvert***, là où l'on allait voler les poireaux de vignes aux vieilles. On a modernisé, on a merdé. Pas parce que c'était mieux avant, juste parce qu'on n'avait pas eu le nez, qu'on été brutal, irrespectueux.


Là, en revanche, où je te déteste, Adam, et là où tu me fais penser à ton frère quand il se gaufre dans Mondovino avec le pseudo-sauveur Guibert de la Vaissière, c'est en utilisant l'exemple d'Albi pour étayer ton propos que, dans ses grandes lignes, je partage pleinement. Par esprit de lucre, radinerie et laisser-aller, la France a bradé ses villes moyennes à la mafia du soi-disant "moins cher que moins cher", c'est malheureusement exact.
À Albi, certes, les dégâts sont importants, je n'ai pourtant pas l'impression qu'ils soient plus considérables que dans des dizaines de préfectures ou sous-préfectures. Au contraire. Ce fait, tu l'effleure d'ailleurs au cœur de l'article ("certaines plus durement touchées qu’Albi"), presque comme si tu te disais que tu aurais du aller faire ton reportage ailleurs. Regarde, même chez moi à Barcelone, ville gouvernée par les néo-communistes de Podemos, la mairesse n'a rien trouvé de mieux que d'autoriser une hideuse supérette à cinq mètres de l'ajuntament, sur la très symbolique plaça Sant Jaume.


Adam, je ne t'accuse pas, d'une façon trumpienne (désolé de remuer le couteau dans la plaie), de balancer des #fakenews, j'affirme juste que tu noircis le tableau****. Que tu utilises cette cité comme une illustration plaquée sur l'excellent thème de ton papier. Et, excuse-moi, mais je crois, peut-être égaré par un "lanceur d'alerte" un rien égocentrique dans sa lecture du problème, que tu t'es trompé d'illustration. J'en profite au passage pour te signaler que si tu veux, à Albi, acheter "une cinquantaine de fromage différents" (je ne sais pas si on en trouvait autant à l'époque de Balzac…), et de grande qualité, tu n'as qu'à aller en plein centre, en face du marché couvert, à la Fromagerie cathare, chez Marilyn (ci-dessous), tu te rendras compte que ça aussi c'était une bêtise. Pense à lui prendre du cantal, c'est peut-être le meilleur que j'ai goûté de ma vie. Et du Phébus aussi, d'Ariège. Sublime!


Profite-en pour faire le marché, d'ailleurs. En plus d'y aller saluer mon pote immigré, tu iras le samedi, au milieu de producteurs locaux à l'image de la dame dont je parle ici ou ; je te souhaite juste de ne pas être agoraphobe, parce qu'évidemment, en toutes saisons, c'est bondé…


D'une certaine façon (pour détendre l'atmosphère), tu me fais penser à un copain biterrois (tu en veux un centre-ville sinistré?) qui, sur Facebook, chaque fois qu'un acteur, un chanteur meurt, fait exprès de poster la photo d'un autre acteur ou chanteur de la même génération, accompagnés de l'inévitableRIP. Bref, en un mot comme en cent, tu as tapé à côté, au karaoké journalistique, tu as collé les mauvaises paroles sur la bonne musique. Ou l'inverse.


En revanche (désolé chère maman), même si le cœur y est, je ne signerai pas la pétition que tu m'as envoyée, laquelle prétend laver l'honneur souillé de la cité épiscopale.
D'abord parce que je ne crois pas que ça ça serve à grand chose.
Surtout parce que c'est dans l'action qu'on pourra réparer ce qui doit l'être, faire que les 7,3% de taux de vacance des commerces albigeois (taux inférieur à la moyenne nationale qui est de l'ordre de 10%) baisse encore davantage, et arrête surtout d'augmenter. Que l'on contraigne aussi les horreurs de banlieues à camoufler leurs parkings, leurs enseignes, leur laideur, que pour entrer dans Albi, on n'ait pas, comme dans toutes les villes de France, à franchir une haie de déshonneur. Qu'ici on donne l'exemple (comme avec cette belle histoire d'auto-suffisance alimentaire*****) d'une ville qui a décidé à son échelle d'en finir avec la France défigurée.



* Adam, le frère de Jonathan Nossiter, l'homme de Mondovino, avec lequel on ne se parle plus depuis cet article. Celui-là déjà l'avait un peu agacé.
** J'ai bien du écrire une centaine de chroniques sur la Pieuvre française, sur la mafia de la grande distribution, si grande qu'elle rend les gens petits. Lis juste, si le cœur t'en dit, celui-ci et celui-là.
*** À propos du marché-couvert d'Albi, lire cet article qui avait localement fait débat.
**** Le coup de "la ville abandonnée" le dimanche soir, franchement… On aurait pu l'écrire il y a trente ans, je te promets.
***** Lire ici.


Parlez moins, buvez plus !

$
0
0

L'Espagne sent le vin. Enfin, c'est l'idée que s'en fait le touriste, l'étranger, qui passe la frontière, à Hendaye ou au Perthus. Je l'ai longtemps cru moi-même. Avant d'y vivre. Avant de me rendre compte que finalement l'étranger, ici, c'est le vin lui-même.
Ne voyez aucune provocation dans ces quelques mots. Juste un constat, empreint de froideur et de lucidité. Parce que d'abord, il y a les chiffres. De Séville à Barcelona, de Madrid à Bilbao, on ne boit plus de vin. Plus guère en tout cas. Dans les vingt-et-un litres par personne et par an, alors même que l'on ne tient pas compte de l'immense afflux touristique dans ce calcul théorique* ! C'est très peu, deux fois moins qu'en Italie, au Portugal ou en France, pour prendre les principaux pays producteurs voisins. Moins également que la Belgique, l'Allemagne, l'Australie, l'Autriche, la Suisse, l'Uruguay, la Grèce ou encore la Slovénie et la Roumanie. Premier en terme de surfaces viticoles, l'Espagne pointe au trente-troisième rang mondial pour ce qui est de la consommation !

Au vin, ici, on préfère la bière, et les sodas ultra-sucrés, au premier rang desquels le Coca-Cola, ce poison dont l'Espagnol est devenu un des premiers addicts européens (sans atteindre heureusement le niveau de contamination des « champions du Monde », les Mexicains). Il est amusant d'ailleurs de noter que dans une nation où les revendications régionalistes vont bon train, où l'on évoque à tout bout de champ son « identité », on se soumette à ce point au rouleau-compresseur, au destructeur de culture qu'est le Coca-Cola…  (la suite ici)

-:-:-:- 

Cette chronique a été écrite pour le blog de Vila Viniteca, le plus important marchand de vin de la péninsule ibérique. On peut également la lire en espagnol et en catalan

Dão / Macao / Chicago / Porto.

$
0
0

L'autre jour débarque à la maison ce monument du vin portugais, le seigneur Tavares de Pina (ci-dessous en compagnie d'une admiratrice scandinave), avec Luisa, sa femme. Hobereau naturiste, il se bat pied à pied pour faire vivre un domaine noyé dans la nature au parfum celte des anciennes "terras de Tavares"*, au cœur des montagnes du Dão. 


Et avant que nous passions aux fourneaux (car pour faire bouillir la marmite, il est aussi cuistot intermittent à Porto), il sort un livre de son sac de voyage. Ce sont des copains à lui qui l'ont écrit, restaurateurs à Chicago, à l'enseigne du Fat Rice, le "riz gras", le riz-au-gras comme on dirait dans le Sud-Ouest, ce qui ma foi n'est pas un nom pour me déplaire. 


Rassurez-vous, je ne vais pas me lancer dans une chronique gastronomico-littéraire, paresseuse et bouche-trou, voleuse des mots des autres. De plus, comme les bouquins pinardiers, les livres de bouffe m'ennuient souvent. Soit que l'on use abondamment de la photocopilleuse, soit qu'à la façon foodiste on joue les béni-oui-oui de telle ou telle mode plus ou moins ridicule (pardon pour le pléonasme).


Mais, c'est sa première particularité, le livre que vient de m'offrir João est attrayant, sexy, rock n' roll. Ça rebondit, ça vibre, ça donne envie de manger et de boire. Photos et comics se mêlent au texte dans un foutoir soigneusement organisé, à l'opposé du style permanenté à la Côté Sud qui prévaut si souvent en France. Fat Rice, grâce à Abraham Gonlon, Adrienne Lo, Hugh Amano, sans oublier le photographe Dan Goldberg et la dessinatrice Sarah Becan, met les coudes sur la table. On est là pour manger, non de Dieu! Pas pour se tirer sur la nouille devant trois infimes merdouilles artistiquement posées au fond d'une assiette ornée d'une giclée de sperme coloré dont la finalité n'est pas de nous régaler mais d'être photographiée, instagrammée, réseausocialisée.


Et puis, bien sûr, il y a le fond. D'abord une célébration. Celle de la cuisine de Macao. Celle en fait de la cuisine de fusion née de la rencontre entre l'Asie et l'Europe durant les quatre cents années où ce bout de Chine fut comptoir portugais, jusqu'à en être l'ultime en 1999. Autant la fusion-food bricolée dans les laboratoires des chimistes des années quatre-vingt-dix m'emmerde, autant je suis enthousiasmé par la sincérité des plats que l'on nous donne à manger ici. Des viandes simples, des abats**, le geste technique, la précision des épices… 
En ça, ce livre est un voyage. Loin, très loin du Macao factice des casinos et du vice organisé lequel, comme la cuisine, aime sa part d'improvisation. Plus proche de ce mot magnifique, "la ville de l'indulgence".


Pour tout vous dire, j'ai tellement kiffé ce bouquin que j'ai pris le risque de bousculer un menu d'anniversaire prévu le lendemain soir pour un marchand de vin parisien et dilettante*** à cause d'une recette géniale devant laquelle je suis tombé en arrêt. J'y ai mis mon grain de sel, bien sûr, et sans filet, j'ai préparé la salade d'oreilles de cochon de la page deux-cent-seize. Une recette de génie populaire, délicate, fraîche et soucieuse des textures. En attendant de me lancer dans l'estufado de queue de bœuf au vin portugais aux oignons frais, au bok choy, au piment et à la badiane. Que j'arroserai évidemment de rouge de Dão.




* Je racontais dans cette chronique qui me plaît (j'aime la relire…) l'univers de João Tavares de Pina.
** Manger les animaux de la tête aux pieds, y revenir, toujours!
*** Ce mot est magnifique, les professeurs dans les conseils de classe l'ont sali, plus encore, mille fois plus encore que les putes de Macao ont perverti l'amour. Concernant le dilettante en question (même si à côté il a un vrai métier), il exerce, en compagnie de Catherine Leconte des Floris dans le cadre de Territoires Bio, qui distribue pas mal de beaux canons dont les précieux nouveaux bourgognes de Chandon de Briailles évoqués ici avec tendresse.



La déco de femme de chef.

$
0
0

Quitte à me répéter, je suis persuadé qu'aujourd'hui la gueule d'un restaurant, ou d'un bistrot, compte davantage dans la décision de s'y rendre ou même (pour certains) dans le plaisir qu'on y prend que ce qu'il offre vraiment à nos gueules. L'apparence règne, avec son cortège de superficialités et de faux-semblants, l'époque est à la "déco", les vendeurs de soupe nous en fourguent partout, dans la boîte-à-cons, au pousse-caddie, dans les canards qui n'ont rien à dire…
Cette manie de la "déco" qui, malheureusement, est souvent à l'architecture ce que le maquillage est aux vieilles peaux sévit depuis des années dans la restauration. De plus en plus, on confie cette mission à des professionnels (qui parfois se révèlent ne pas en être) mais pendant longtemps, en province notamment, c'était la chasse gardée de la femme du chef.


Ne revenons pas sur cette funeste époque très rose-pétasse, ou rose-Barbie, ou rose-princesse comme vous préférez. On en venait presque à souhaiter, dans un violent élan de machisme, que lesdites épouses retournent en cuisine, aux côtés de leurs chers et tendres pour nous épargner tant de souffrances visuelles. Même à la plonge, elles auraient fait moins de dégâts…
N'y revenons pas, d'autant qu'ici, plus que de cette maudite décoration qui suscite tant de malencontreuses (et désormais ikéaesques) vocations, c'est d'architecture qu'il est question. D'un petit bar de Barcelone particulièrement bien fichu. Pensé.


Le Morro Fi, situé dans une partie pas très marrante de l'Eixample (bien qu'à l'orée du Gaixample*) oppose justement à toute idée de déco, la notion architecturale d'efficacité. Minuscule, installé dans un immeuble d'angle style années soixante-dix dont le charme ne saute pas aux yeux, il a été créé il y a quelques années par un groupe de copains passionnés par la vie des bars barcelonais. À l'origine, ils tenaient d'ailleurs un blog intéressant qui recensait les lieux les plus authentiques de la capitale catalane; il n'est plus alimenté, mais son riche fantôme numérique hante ce recoin du Web.
Leur porte-parole s'appelle Marcel Fernández Gasull. Nul doute que sa formation de dessinateur industriel a contribué à l'allure du Morro Fi, créé à l'image de ce qu'ils avaient envie de trouver dans un bar…celonais.


Au Morro Fi, on joue sur la simplicité et la lisibilité. Univers noir et blanc, épuré mais chaleureux, "transparent", dont la décoration la plus visible est la présence (nombreuse) de ses clients. Le fil conducteur, c'est bien sûr le vermut maison**, avec son cortège de chips, boquerones, olives, moules, piments… tous excellents et estampillés Morro Fi, avec beaucoup d'élégance.
Au final, voilà un lieu qui réussit à marier le populaire et le branché.


Preuve de son succès, et dons de son efficacité, la formule a d'ailleurs été déclinée dans plusieurs quartiers de Barcelone où l'on trouve désormais quatre établissements du genre. Les propriétaires proposent même de louer leur concept en une sorte de buvette ambulante, pour des évènements, des cérémonies publiques ou privées. Bref, c'est un joli triomphe de l'esthétique, de la cohérence, de l'intelligence, loin, très loin de la déco de femme de chef…



* Une sorte de Marais barcelonais, plus branché que la majeure partie de ce quartier orthogonal un peu terne, bruyant comme une autoroute, intensément pollué. De nombreux commerces y sont sont chics et ouvertement gays.
** L'Espagne, et singulièrement la région catalane font, depuis des lustres, partie des grands producteurs et consommateurs de vermut. Une façon idéale de passerdes vins pas toujours évidents à boire, et de les rendre attrayants, festifs. J'en avais notamment parlé ici. Je me suis d'ailleurs toujours demandé, face à l'énorme succès de ce produit, et à son formidable retour en grâce (y compris dans des clientèles internationales et branchées) pourquoi on y pensait pas dans des zones comme le Languedoc-Roussillon afin d'écouler des stocks un peu pesants.




Un costard sinon rien.

$
0
0

Les gens sont cruels. Les Français notamment qui se sont gaussés des Vestes forestières® au parfum de manioc du pauvre* Fillon, personnage (malheureux) de théâtre, quelque part entre Harpagon, Trissotin et monsieur Jourdain, pour n'en rester qu'à Molière dont tant d'illettrés défendent la Clause. Moi, je suis juste jaloux, cette veste, inventée pour Le Corbusier sur le modèle de celle des garde-chasses solognots, m'a longtemps fait rêver, mais, faute d'avoir dans mon carnet d'adresse de prévenants rois nègres, je n'ai jamais pu la porter. Tout juste en ai-je frôlé une, à ma taille, chez un soldeur américain. J'entretiens d'ailleurs avec cette merveilleuse maison qu'était Arnys une histoire pleine d'accrocs, puisque j'avais hérité d'un ex-beau-père (qui avait forci) un manteau tweed-cachemire griffé du tailleur de la rue de Sèvres. Malheureusement, c'était du 44 ou du 46, et en veste, je porte du 48. Décidément…


Et voilà qu'après s'être moqué du forcené de la Sarthe, c'est l'honnête camarade Moscovici qui fait les frais de l'ire populaire. À cause de cette même maison Arnys dont, dans un ultime assaut de snobisme, on regrettera qu'elle ait plus ou moins perdu sinon son âme au moins son nom en passant sous le contrôle de LVMH via Berluti. En plus, on flirte avec le pot-de-vin, puisque la Presse déchaînée nous apprend que les costards de l'exilé bruxellois (il ne l'était pas encore du temps des cadeaux) lui ont été offert par l'ex-négociant de Nuits-Saint-Georges, Laurent Max.
Pour sa défense, évidemment, le commissaire européen va nous expliquer qu'à l'époque, ce n'était pas formellement illégal. Alors, bon, on ne va pas l'embêter en lui demandant si en revanche c'était vraiment moral. 
Quoi qu'il en soit, je voudrais modestement apporter ma pierre à la reconstruction de l'édifice de la formidable intégrité (cousine par alliance de celle des montres de Julien Dray) de Pierre Moscovici. Parce que je sais que les mêmes mauvaises langues qui s'en prennent au pauvre Fillon, à la pauvre Le Pen (au moins, elle, on ne peut pas l'accuser de dépenser l'argent de ses rapines présumées en fringues**…) vont d'autant plus lui charger la barque que l'ami négociant est bourguignon, et qu'aujourd'hui, le bourgogne, c'est le vin des riches.


Premier argument de cette défense, Laurent Max, au travers de sa maison Louis Max, est devenu un fervent partisan du bio. Donc, c'est de la corruption, pardon, de l'amitié parfaitement écologique. Et ça, vraiment, c'est mieux que le manioc importé d'Afrique, dont on ne connaît guère les méthodes culturales. Ce pourrait même être l'occasion d'un rapprochement avec Mélenchon devenu chantre de la viticulture bio. Par parenthèse, même si je souscrit à ce nouvel engagement du candidat néo-communiste ou néo-chaviste, comme vous voulez, ingénument, il m'étonne qu'il n'ait pas tenu ce même discours en allant serrer des louches dans le kolkhoze héraultais (dont on peut pas dire qu'il goûte ce genre d'orientations agronomiques). 
Second argument (qui fera plaisir au versant Midi rouge de Mélenchon), Louis Max, n'était pas seulement négociant chez les rupins, en Côtes de Nuits. Le Bourguignon a investi depuis les années quatre-vingt-dix chez les pauvres, chez les prolétaires du vin, en Corbières. Avec le Château de Caraguilhes (magnifiquement restauré soit dit en passant) puis avec Pech-Latt (ci-dessous) qui de surcroît a été un temps dirigé par un héros des luttes viticoles, Jean Vialade.
Voilà, camarade, sois tranquille, tu n'as rien fait d'illégal, en plus tu as un bon dossier. Cours, le vieux monde est derrière toi…



* Vues les sommes amassées (ou dilapidées peu importe), on pourrait croire que ce "pauvre" recèle une parcelle d'ironie. Que nenni! N'y voyez que compassion.
** J'y pensais notamment au cours de ce débat des élections présidentielles sur TF1, la voyant vieillie, et surtout sapée comme l'as de pique, tendance poissonnière en goguette. Ne pourrait-elle pas faire un effort avec tout l'argent que les médisants soupçonnent sa famille de détourner de génération en génération?




Les femmes à la cuisine !

$
0
0

Aimer le vin, ça complique la vie. Au restaurant notamment. Je veux dire quand on choisit un restaurant. Combien de fois vous retrouvez-vous face à un endroit où vous savez que la cuisine est superbe mais que la cave est calamiteuse? À ce moment-là, la tentation de faire l'impasse est énorme. Inversement, il arrive qu'on abaisse sa tolérance solide dans des établissements où la carte liquide nous attire. Et je ne vous parle pas de ces lieux où pour l'amour du goulot on finit en train de se taper un grand canon sur une "planche" de charcutailles. Je ne sais pas si je vous ai déjà parlé de mon aversion totale pour le mariage (divorce?) rouge-jambon? Peu importe, je me répète, trouver le solide et le liquide au même endroit, ça ne simplifie pas la donne. Et encore vais-je éviter de parler de l'ambiance, ou de "la déco de femme de chef" comme dans ma dernière chronique


À Monvínic, pour ce qui est de ce dernier point, "la déco de femme de chef", c'est réglé. Tout simplement parce que le chef est une femme. Le bar-à-vin-restaurant-centre-culturel barcelonais de la carrer de la Diputació a d'ailleurs un petit côté gynarchique, gynocratique, ce qui ne manque pas de sel au pays du macho ibérico. Mais ce n'est évidemment pas parce qu'elle est une femme, au nom de je ne sais quelle discrimination positive, qu'Ariadna Julian règne sur les fourneaux de Monvínic!


Je vous avais parlé d'elle il y a cinq ans alors qu'elle avait, en pleine crise économique, courageusement tenté d'imposer un bistrot gastronomique dans l'industrieuse banlieue de la capitale catalane, à Sabadell. Tentative à laquelle elle avait sagement mis un terme, peut-être n'était-ce ni le moment, ni le lieu. Déjà, à l'époque, je l'imaginais aux commandes d'un vaisseau-amiral. Car cette femme de courage (on y revient) ne s'est pas contentée de cuisiner a casa, à Barcelone et alentours. Son parcours, ses rencontres, à Paris notamment, le regretté Michel Del Burgo, le médiatique Yves Camdeborde, associés à son profond respect de l'identité gastronomique de sa région lui donnaient toutes les armes pour s'imposer (comme je l'écrivais à l'époque).


Et de fait, je viens de faire plusieurs repas d'exception à Monvínic. Des moments que je mets à égalité avec ceux passés chez les quelques chefs* qui, loin des mariconadas pour Anglais, pour Américains, expriment avec naturalité l'identité catalane d'aujourd'hui. Non pas que l'on mangeait nécessairement mal auparavant dans ce restaurant, mais on avait toujours l'impression que la cuisine se cherchait, indépendamment d'ailleurs du (réel) talent des uns et des autres. Sans vouloir dédouaner personne, je pense sincèrement que le lieu impressionne, et n'invite pas à "se lâcher" quand on est aux fourneaux. 


Pourtant, s'exprimer, conjurer la solennité, l'aspect hiératique de l'établissement, c'est ce que réussit désormais à faire cette femme con cojones (pour rester dans le registre du macho ibérico sus-cité). Ce qu'elle nous sert oscille sans trembler entre la "cuisine de palace en espadrilles", la bistronomie chère à son copain Camdeborde, et une "inventivité sans tromperie" où l'on sent comme un hommage au fantasque Del Burgo.
C'est un peu ce que nous avons ressenti en déjeunant sur le pouce vendredi dernier d'une bistrotière et rassérénante poulette truffée et d'un fantastique consommé d'oursins (ci-dessus) à l'infinie longueur. "Ça, ça vaut deux macarons" m'a immédiatement glissé à l'oreille mon pote Milou** qui s'y connait en liquides & solides. 


Mais, pour vous parler comme les moutons de la pub, "l'expérience" qui m'a frappé à Monvínic, c'est ce repas avec une merveilleuse bande de casse-couilles de la table au début de l'année. Un dîner plein de rythme, sans fleurettes ni produits d'usine à la Rocadrià, jonglant avec la saison, nous offrant tel des diamants, les premiers petits pois lacrimas*** rehaussés de tripes de morue et de truffe, une magnifique huître frite à la Villeroy, clin d'œil au classicisme français (que j'ai gobée avant de la photographier), du poulpe à la braise et, clou du spectacle, un gros chapon farci, au four, servi évidemment entier, pas en filets comme chez Flunch.


L'enthousiasme aidant, il manque un ou deux plats à cette liste, les desserts notamment, mais plus qu'une énumération, ce que je retiens de ce repas, c'est cette allégresse, et surtout cette envie de cuisiner, de se centrer sur le goût plutôt que la fioriture, cette envie de faire plaisir. Les militantes féministes vont hurler (c'est leur métier, surtout pour les futilités****), mais on retrouve ici ce qui manque trop souvent aux chefs masculins (je connais des contre-exemples), trop occupés pour la plupart à se mesurer la quéquette et à se regarder les biceps, ce don de soi féminin, cette volonté de nourrir. Avec aussi la bonne idée, dans cet univers un rien aseptisé, d'introduire les cuissons au four à bois qu'elle pratique depuis des années (elle avait déjà un Josper dans son restaurant de la Colònia Güell en 2002).
Tout cela se ressent en salle où l'on sent un personnel enfin fier d'apporter des plats à la hauteur de l'établissement. Le service, qui va maintenant jusqu'à la découpe au guéridon, s'en trouve du coup plus alerte, plus enjoué, moins coincé. Vivant, quoi, comme la cuisine d'Ariadna.


Paradoxalement, le seul bémol dans ce Monvínic qui semble enfin avoir trouvé son rythme de croisière en cuisine, c'est la cave à vin. Beaucoup, beaucoup de bouteilles, comme toujours, mais, pour l'amateur éclairé, d'énormes trous, en France notamment, et d'étonnantes impasses sur pas mal d'incontournables en Espagne comme en Italie (je ne comprends pas par exemple qu'on ne puisse pas boire du Rinaldi dans un lieu pareil!). En fait, je pense que la cave, victime aussi de son succès, est un peu handicapée actuellement par les bouteilles en provenance de Monvínic Store, la boutique de vente par correspondance montée en parallèle de la maison-mère et où l'on s'est adonné sans retenue à l'achat international d'étiquettes (pseudo?) branchées sans se soucier le moins du monde du vinaigre que contenaient les bouteilles*****.


Dans l'oreillette, on me dit que la situation est actuellement reprise en main par d'authentiques professionnels, que de belles et (surtout!) bonnes bouteilles sont en cours de livraison. C'est tant mieux, car ce temple du vin mérite mieux que de la piquette, fut-elle à la mode!
Ne noircissons pas le tableau pour autant, en fouillant bien dans des pays moins en vue (là où la "vinaigrerie"****** n'a pas frappé), on peut faire des découvertes géniales. Ne négligeons pas non plus la cave andalouse riche en grandes références débarquées des appellations oxydatives du sud du pays, de toute façon, il y a bien deux ou trois sommeliers dégourdis (le point fort de Monvínic) qui vont vous trouver de quoi boire.


Ce baisse de régime passagère mise à part, alors que j'étais parfois un peu sur la retenue quant à la partie restaurant, je vous conseille vraiment d'aller désormais faire un tour dans cette "république des femmes" qu'est devenu Monvínic. Si vous pouvez, réservez la table "en cuisine", ma préférée.
Sinon, au printemps, on peut encore, avant les grosses chaleurs, profiter de la terrasse verte, ce qui n'est pas si courant dans cette partie hautement bagnolesque de Barcelone. On peut même y laisser traîner le déjeuner ou le dîner en fumant un puroà table, pourquoi pas sur un vieux madère.






* Je pense en particulier à l'excellent Rafa Peña qui avec son Gresca Bar a lui aussi trouvé sa vitesse de croisière, à l'abri des étoiles frelatées décernées aux copains et aux coquins de la mafia michelinesque où la compromission et le conflit d'intérêt sont élevés au rang d'art majeur. Je sais que ça ne fait pas de parler de merde quand on est à table, mais vous voulez que je vous resserve Tickets, ou Disfrutar, entre ignobles symboles de cette ringarde cuisine chimique célébrée par le Guide des Pneus espagnol?
** Milou, de son vrai nom Émile Mahaux, on l'a bien connu à Saint-Émilion, avant que le village girondin ne devienne Saint-&-Millions. C'est à son époque qu'a explosé l'ex-mythique Envers du Décor, ce bar où l'on s'est mis à boire le vin différemment, de façon à la fois érudite et rock n' roll, ce bar où l'on osait parler de Nature bien avant l'heure.
*** Je le répète à chaque fois, le petit pois idéal (dont la saison va bientôt se terminer ici pour cause de chaleur), la Rolls, c'est ce petit pois en forme de larme (lacrima), minuscule, à la peau fine, pas ces gros trucs rond et grossiers qu'on dirait enveloppés de film plastique.
**** On les entend moins, malheurseusement, sur les sujets "qui dérangent", où la condition féminine est mise plus bas que terre, le voile islamique par exemple, l'excision, les salaires.
***** Je vois d'ici l'indignation surjouée des chèvres du vin nature (parce que pour le coup, c'est de ce type de bouteilles qu'il s'agit), hurlant au dérapage, à l'infamie, au crime contre l'Humanité. Parce qu'évidemment, en vertu de l'unanimiste règle nord-coréenne relatée ici dans un grand éclat de rire, le vin dès qu'il est revendiqué nature est, pour les militants, les marchands de fringues et les snobinards, forcément génial, sublime, etc, etc. Les francs buveurs qui eux ne s'intéressent qu'au contenu de leur verre savent évidemment qu'il n'en est rien, que parfois les slogans piquent un peu et sont aussi indigestes que les "pipes-à-Pinocchio" de la mode d'avant.
****** Surnom un peu acide, pas très aimable de Monvínic Store dans un certain mondovino espagnol.


Le protectionnisme intelligent l'est-il vraiment ?

$
0
0

Les vignerons, ou en tout cas les viticulteurs languedociens ont donné hier à Narbonne une image de la France pinardière qui nous ramène aux actualités télévisées des années soixante-dix. Je n'ai rien contre les couleurs fanées, les Renault 16 et le charme vintage des pattes d'éléphant, mais je me demande vraiment si ce genre de démonstrations n'est pas complètement hors-d'âge.
Pure question rhétorique, vous l'avez compris. Cette image est déplorable, catastrophique, c'est celle d'un Languedoc qu'on croyait, qu'on voulait révolu, celui de la piquette, du degré/hecto, des coopés. Resservir aujourd'hui, en costumes d'époque, le Midi rouge des luttes viticoles, c'est bousiller internationalement tout le travail, de communication notamment, fièrement réalisé depuis des décennies par les vignerons authentiques qui ont fait de cette région une terre où l'on peut boire bon, et sain.


Le Midi rouge, justement, celui de la légende dorée des "luttes viticoles", des cartes postales de 1907, des photo-reportages de 1976, des stèles et des reconstitutions historiques subventionnées, parlons-en. Il a bien changé depuis, sa paysannerie aussi qui, massivement, a viré de couleur, glissant du rouge au noir. Cette glissade, je l'ai vue de près, y compris dans des villages que la "crise viticole", cette antienne, avait totalement épargnés. Jusqu'à ces appels à manifester qui parfois ne viennent plus des "rouges", mais des "noirs".
Les penseurs et les exégètes assermentés de la politique viticole, une fois de plus, me riront au nez: "Anecdote! Épiphénomène!" Pourtant les éléments de langage que je lis dans les propositions du Front National (premier parti d'Occitanie au dernières élections régionales, et encore davantage du Languedoc), il me semble les avoir entendues ici et là dans la bouche de braves viticulteurs, désespérés de voir leur vieux monde leur échapper. Ces mêmes braves viticulteurs qui s'en vont sans honte pousser leur caddie au supermarché du coin, lequel n'a évidemment aucun rapport (ça va de soi) avec cette maudite grande distribution qui étrangle les paysans…


La cible, pas besoin de faire un dessin, c'est l'Espadre, l'Espingouin, ce presqu'Arabe (puisqu'au Sud), ce salaud qui vient ôter le pain de la bouche de nos honnêtes vignerons. Et peu importe si le sang ibère coule encore davantage que le pastis dans les veines de tant de viticulteurs du Languedoc. La source de leurs malheurs, ce sont ces camions-citernes aux plaques étrangères qui passent la frontière au Perthus, à cause de l'Europe, bien sûr, éternelle fautive des maux que nous ne voulons pas assumer.
De fait, les importations de vrac espagnol ont considérablement augmenté. Oh, en valeur, ça ne représente pas grand chose, mais en volume! En valeur, la France était d'ailleurs quasiment à l'équilibre avec l'Espagne, c'est une baisse de nos exportations qui a creusé un petit déficit ces deux dernières années. Plutôt sur les vins tranquilles, car de l'autre côté des Pyrénées on est toujours très très friands de bulles françaises, de champagne principalement qui représente près de la moitié du total tricolore importé en Espagne.
Du coup, dans l'Aude, où il manifestait hier, le secrétaire départemental du FN, conseiller régional et viticulteur Christophe Barthès prône "le patriotisme économique, la francisation des aides et le protectionnisme intelligent".


"Protectionnisme intelligent", j'imagine que le terme fait mouche. Surtout quand on n'a pas envie de regarder trop loin de chez soi. Parce que franchement, quand est vigneron, vigneron français de surcroît, quelle plaisanterie! Quel foutage de gueule!
Les chiffres officiels* se suffisent à eux-mêmes: pour six-cent-soixante douze millions d'euros de vins étrangers importés en deux-mille-quinze dans l'Hexagone, on en a exporté huit milliards deux-cent-soixante-dix millions d'euros. Une paille! Un très léger excédent! Vive le protectionnisme et son intelligence…


Au passage, on notera que les viticulteurs languedociens, quand ils vont faire leurs courses phytosanitaires de l'autre côté de la frontière, à Figueres (phénomène qui est tout sauf anecdotique), ne se soucient guère de ce fameux "protectionnisme intelligent". Pas plus, diront les mauvaises langues, au moment de faire le plein à La Jonquera…
Et puis, comme le suggère la Confédération paysanne, qui n'a pas voulu se joindre à la manifestation de Narbonne, "nombre de ceux qui appellent à cette manifestation font partie du sérail qui indépendamment du problème des importations qui concurrencent certains vins français, participent à la destruction des viticultures de nos régions. Ils râlent quand ils sont victimes du libéralisme, ils applaudissent quand ils en sont bénéficiaires".
Oui, parce que l'on dit moins lors de ces grand-messes du kolkhoze, c'est qu'une bonne partie du vin espagnol est importé par les groupes coopératifs** dont les actionnaires sont ceux qui ont manifesté, entre autres (mais principalement) contre ces importations. Tenez, comme un clin d'œil, un lecteur m'envoyait hier une photo d'un de ces camion-citernes ibères, perdu dans une zone industrielle des abords de Carcassonne, à côté de l'UCCOAR, un des groupes sus-cités…


Bref, au delà des vrais problèmes économiques, sociaux, humains qui se posent en Languedoc, peut-être serait-il temps de passer aux choses sérieuses. De sortir du discours syndicalo-politique des années soixante-dix, et agir pour réellement réformer ce vignoble qui a pour lui tant d'atouts, jouer la carte de la qualité, appuyer un vrai discours environnemental, aller de l'avant. Et, même si ça semble un peu utopique, donner l'amour du produit à de trop nombreux viticulteurs qui ne l'ont pas***.
Et pour oublier ce qu'on lira ici et là dans la presse internationale, et qui forcément ne fera pas de la pub aux vins languedociens****, au contraire, moi, j'en ouvrirai une bouteille à midi. Depuis Barcelone, depuis l'Espagne, du corbières en plus, appellation déshéritée s'il en est, du vrai bon corbières***** pour saluer ce qui se fait de bon dans cette région, et dont il faut être fier. Pour célébrer au passage les soixante ans du commencement d'une Europe qui nous a valu de connaître la plus longue période de paix entre ses pays membres.


* Source France Agrimer, émanation du ministère de l'Agriculture français.
** Groupes déjà évoqués ici notamment.
*** Sinon, comment expliqué ces hectolitres de vin déversés sur le bitume, ces cuves vidées (souvenez-vous cette affaire), ces bouteilles cassées?
**** Lire déjà ce qu'à écrit hier soir le journaliste franco-belge Hervé Lalau dans Les 5 du Vin. Il est difficile de lui donner tort.
***** Les clos perdus, j'en parlais ici.


Ces candidats qui veulent diaboliser nos bouteilles.

$
0
0

Et, comme je l'avais écrit à l'époque, je me suis intéressé à la proposition anti-vin que contenait ce questionnaire, à savoir l'obligation d'un étiquetage exhaustif, sur chaque bouteille, de ce qu'elle contient:
  1. - la quantité d’alcool pur (attention, ce n'est pas le titre)
  2. - l’apport calorique
  3. - sa composition avec notamment la teneur en sulfites (pas la mention contient sulfites, mais la dose)
  4. - sa teneur en résidus de pesticides et autres produits phytosanitaires (ce qui implique une analyse du produit fini, a posteriori, en recherchant des dizaines de molécules et en affichant leur taux)
  5. - une mention plus visible du risque pour les femmes enceintes.
Pour l'instant, parmi les grands candidats, seul Benoît Hamon et Emmanuel Macron* ont snobé le questionnaire des prohibitionnistes. En revanche, d'autres ont répondu**, avec plus ou moins de netteté. 


François Fillon***, d'abord, qui sur cette question précise préfère taper en touche, il ne se prononce pas. 


Jean-Luc Mélenchon est lui aussi assez ambigu. En évitant de cocher une case, le candidat néo-communiste répond implicitement oui à cette question de l'obligation d'un étiquetage exhaustif des bouteilles de vin qu'il "est en effet tout à fait nécessaire que les consommateurs soient correctement informés sur les boissons alcoolisées".


Avec Marine Le Pen, en revanche, aucune hésitation. L'héritière du Front National (pourtant peu avare de trémolos sur le patrimoine viticole français) répond "oui"à la question des prohibitionnistes et ajoute le commentaire suivant qui ne fait aucun doute sur ses intentions:
"Je  plaide  pour  une  pleine  information  des  Français  sur  les produits qu’ils consomment, cela inclut l’alcool. Pour des raisons  sanitaires  et  de transparence,  il  est  essentiel  que  les informations  que  vous  mentionnez  soient indiquées sur l’étiquette des produits." 


On notera que Marine Le Pen est rejointe sur ce point par plusieurs autres candidats des extrêmes, Nicolas Dupont-Aignan, Charlotte Marchandise ainsi que la trotskiste Nathalie Arthaud qui en profite au passage pour s'en prendre à la Loi Macron grâce à laquelle "le lobby viticole a remporté une victoire en 2015".
Quand on sait que cette proposition de l'ANPAA est sinon le cheval de Troie au moins un pas de plus sur le chemin d'une future transformation de la bouteille en paquet de cigarette neutre, repoussant, destiné à diaboliser le produit****, j'espère que les amis du vin sauront remercier ceux qui ont répondu oui.




* Le candidat centriste auquel j'avais consacré une autre chronique dans laquelle il était question de certaines de ses positions par rapport au vin et à sa commercialisation.
** Toutes les réponses sur le site de l'ANPAA.
*** Le candidat de Droite dont j'avais publié ici les positions en la matière de son programme des primaires qui on le sait a un peu évolué depuis.
**** Sujet que j'avais évoqué dans cette chronique de 2013.


Viewing all 1105 articles
Browse latest View live