Quantcast
Channel: idées liquides & solides
Viewing all 1105 articles
Browse latest View live

En finir avec les bouchons.

$
0
0

Il existe comme ça des archaïsmes, des ringardises dont beaucoup sont friands. En ces époques (européennes) de pollution atmosphérique, je pense par exemple à la bagnole en ville. Les amoureux du moteur à explosion ne sont jamais à court d'arguments, certains fallacieux, d'autres non. Pourtant, si l'on y réfléchit posément, scientifiquement, la voiture à essence, la voiture diesel n'ont plus rien à faire dans les rues de cités qui, de plus, n'ont pas été pensées pour ça. Nous économiserons des millions de morts environnementaux*, et chacun y gagnera en qualité de vie. À condition bien sûr que la transition se fasse dans l'intelligence, l'organisation et le volontarisme politique, en mettant en place, à côté des véhicules électriques et de vrais réseaux prioritaires de pistes cyclables**, des alternatives crédibles. Je pense notamment (ça concerne spécifiquement la France) à des transports en commun rénovés, nettoyés d'un syndicalisme aussi ringard que les prises de position bagnolistes et les refus trumpistes de voir la réalité en face***.


Je vous parle d'archaïsme, parce qu'un autre, heureusement moins lourd de conséquences mais prodigieusement agaçant, m'a encore sauté aux yeux le week-end dernier. C'est de bouchons qu'il est question. Oh, pas ceux que provoque l'afflux automobile en ville, juste les bouts de liège auxquels on continue de confier une mission souvent trop compliquée pour eux, l'obturation de nos précieuses bouteilles.
Une fois de plus, j'ai fait, et fait faire à nos invités, un petit test idiot. Chacun de vous peut y jouer chez lui, il suffit d'avoir deux flacons du même vin, du même millésime, conservés les deux au même endroit, dans des conditions identiques. Dimanche, c'était un joli riesling alsacien, le grand-cru-schlossberg 2010 du Domaine Albert Mann. Une bouteille dotée d'un bouchon de liège, l'autre d'une capsule à vis****, en provenance directe de la famille Barthelmé, gardées les deux dans la même cave de Barcelone. Servis  en préambule au déjeuner, à la même température, dans deux verres semblables*****, "à l'aveugle"évidemment.
Et que croyez-vous qu'il arriva?…


D'abord, plusieurs convives ont cru avoir affaire à deux vins différents. De fait, on notait un vrai fossé entre les deux. D'un côté un riesling vif, citronné, étincelant, tendu, plein de vie dont le nez et la bouche, en parfait accord, faisait resplendir ce précieux terroir granitique, un de ceux qui font la fierté du Haut-Rhin, et de ce domaine de grande renommée. De l'autre, un blanc au nez un peu brouillé, bien moins précis en tout cas, comme un peu fatigué, et à la bouche un peu plate, semblant plus lourde, pas plus vieille mais usée, dix fois moins sexy en tout cas que celle du premier. Les invités ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, la première bouteille a été bue en un clin d'œil (à l'exception d'un fond conservé afin de poursuivre l'expérience******), tandis que trois jours après, il me reste encore de la seconde.


Est-il besoin de préciser quelle bouteille avait une capsule à vis? La moins bonne était bien sûr celle équipée de liège. Une fois de plus. Car ce petit jeu, au delà de l'exemple de ce grand riesling d'Albert Mann, je m'y adonne aussi souvent que possible. Et invariablement, le résultat est le même. Particulièrement visible par tous sur les blancs et les rosés, mais les rouges ne sont pas en reste. Je me souviens d'ailleurs ainsi d'un autre test avec un ami vigneron. Nous avions ouvert un carton entier d'une de ses syrah de quinze ans; toutes les bouteilles, dont aucune n'était bouchonnée (au sens technique, au sens des bouchonnier, contaminée par les TCA*******), étaient toutes différentes. De gros écarts parfois. Comment les expliquer, sur un lot aussi homogène de la mise à la dégustation, une telle hétérogénéité? Difficile d'acquitter le bouchon, la qualité du liège, la régularité du bouchon.


Alors, je sais, les cousins de ceux qui défendent la bagnole en ville vont me ressortir le coup du charme du bouchon, son bruit, la tradition… Arrêtez les violons! Le charme du bruit du vin bouchonné qu'on balance à l'évier, c'est une tradition dont je me prive aisément!
D'autres défenseurs de l'immobilisme m'expliqueront qu'ils ont lu dans le journal que… Eh oui, les publi-reportages qui n'indiquent pas leur nature, pondus par des scribouillards serviles au terme de quelques jours de vacances, tous frais payés, dans ce magnifique pays qu'est le Portugal. Je pense que si on prenait les mêmes pseudo-journalistes et qu'on les envoyait en voyage de Presse sous le soleil arrosés par Renault ou Volkswagen nous expliquerait avec des trémolos dans la voix que la bagnole en ville est une tradition qui ne pollue pas et à laquelle il n'existe pas d'alternative.
Les prescripteurs du Mondovino, on sait trop souvent à quoi s'en tenir. Et évidemment derrière, cavistes et sommeliers, dans les pays latins en tout cas, prennent leurs patins, au nom de la terrible loi de l'emmerdement minimum. Il est évidemment bien plus simple, bien plus confortable de se conformer à des légendes commerciales bien établies, suivre les moutons, aller dans le sens du client sans chercher à l'informer. Lui expliquer aussi que la capsule, c'est une des façons d'automatiquement réduire les sulfites dans le vin.
Pendant ce temps, en ce domaine, les anglo-saxons s'habituent à la vis, à l'utiliser en tant que vignerons ou consommateurs. Prennent des longueurs d'avance, car on n'embouteille pas de la même façon qu'avec le liège. Et peut-être que, comme avec la bagnole de demain (regardez les Californiens et les Asiatiques), on finira par se faire baiser par nos archaïsmes. Non, pardon, par la tradition!




* On sait très bien que le moteur à explosion n'est pas le seul coupable de la pollution atmosphérique et des sept millions de décès qu'elle engendre chaque année dans le Monde. La mémère qui pousse le chauffage au-delà de 20°C y a bien contribué, l'usine pas propre, celui qui va au supermarché acheter de la malbouffe qui a fait des centaines de kilomètres en camion aussi, mais franchement, les bagnoles telles qu'elles existent, les bus tels qu'ils existent, les cyclomoteurs tels qu'ils existent n'ont plus rien à faire en ville.
** Ainsi que de vrais parkings à vélos…
*** Dernier exploit en date du nouveau super-héros qui va sauver l'Amérique, Donaldman, la nomination d'un climatosceptique à la tête de l'agence pour l'Environnement US. C'est ici.
**** Lire à ce propos, sur le site du domaine l'intéressant dossier consacré à la capsule à vis. Bravo!
***** Les terribles Royal Glassévoqués au bout de ce lien.
****** L'écart ne s'est pas résorbé dans les heures suivantes, au contraire.
******* Trichloroanisols, molécules qu'on dit responsables du fameux "goût de bouchon", et qui endommage bon nombre de nos bouteilles, à des pourcentages sans cesse discutés (de 2 à 10%), mais dont le niveau de défectuosité, même à son plancher (celui des communiqués de Presse et des articles qui les photocopient), ruinerait n'importe quelle industrie autre que le vin.




Le luxe à tout prix.

$
0
0

Finir en bière, y'a pas à dire, ça fait peuple. Tout cela est d'un épouvantable égalitarisme. Vulgaire! Tant qu'à être le plus riche du cimetière, autant que ça se voie. Pour une poignée (au sens littéral du terme) de privilégiés, on ne dira donc plus "mise en bière", mais "mise au champagne", grâce à Dom Pérignon. Pour les fêtes de fin d'année, la marque des rayons du haut de Moët & Chandon lance une série de cinq cercueils design que ne manqueront pas de s'arracher ceux pour lesquels le pinard est d'abord une histoire de fric.


Bon, vous l'avez compris, je l'espère, il s'agit de cinq caisses qui normalement ne sentent pas le sapin, et qui contiennent une rafale de fioles de Dom Pé'*, cette bulle qui me rappelle toujours les fins de troisièmes mi-temps bourrées avec tel ou tel pote pote président, en boîte, juste avant la bagarre avec les gitans. Avant d'en regoûter, plus tard, j'avais d'ailleurs toujours cru que naturellement ce vin para-industriel, produit par millions de cols**, avait un nez envahissant de parfum de pute, comme quoi les circonstances…


Histoire de faire s'envoler les tarifs, les cinq cercueils, pardon, les cinq caisses ont été mises aux enchères par la filiale de LVMH en association avec la maison en ligne Auctionata, à destination d'une riche clientèle internationale. Une seule a été vendue le week-end dernier, bien au-dessus de sa mise à prix de trente-six-mille euros, très exactement à cinquante-six-mille-deux-cents-cinquante euros, sans les frais. Dépêchez-vous, il en reste encore quatre à saisir avant Noël, à ce prix-là (bis), c'est pas du vin, c'est une affaire!


Tant qu'à être dans le noir cher, comment ne pas parler de caviar? À des années-lumière cependant de la bulle bling-bling évoquée plus haut même si pour débuter la célébration d'une soirée de prestige, un des invités, le plus fou des Lyonnais (les spécialistes le reconnaîtront ci-dessous) est arrivé avec une livre d'un délicieux caviar du Périgord, La Perle Noire, produit près des Eyzies, dans une réserve Natura 2000, ce qui n'est pas rien quand on connaît l'influence de l'environnement sur l'esturgeon.
Le caviar, nous avons eu l'occasion de le constater encore une fois, un met qui déchaîne les passions franchouillardes, symbole qu'il est resté de la nourriture des capitalistes et des fachos de Droite. Même si les camarades de la nomenklatura ont bien aider à le populariser en France du temps de l'Union Soviétique et des grandes amours communistes, et si son nom désormais se marie plus volontiers à la Gauche qu'à la Droite…


À propos de mariages, nous en avons fait un d'argent*** puisque c'est très classiquement, luxueusement, avec des champagnes que nous avons bus**** avec ces œufs d'esturgeon qui, passés par une saumure légère, avaient le délicieux avantage d'être peu salés, très équilibrés. Pas du Dom Pé' (il n'y avait que des femmes honnêtes avec nous…), mais nous avons quand même essayé une bouteille de grande marque qui, comme il se doit, s'est faite exploser par une de ces bulles de vignerons qui ont désormais la préférence des amateurs, en l'occurrence un blanc de blancs de Francis Boulard & fille, issu de raisins de 2011, 2010 et 2009: prêt à boire, il a été parfait. Il est vrai que Boulard, ça rime avec caviar…


Soirée de prestige, disais-je, parce qu'effectivement, après ce petit apéritif "iodé"***** comme disent les loufiats étoilés, venait le plat de résistance. Un plat d'un luxe qui transforme immédiatement les cercueils de Dom Pé' sinon en citrouille au moins en caisse de Kronenbourg. Comme je vous l'avais raconté ici, nous sommes allés écouter, en petit comité, en buvant un coup de rouge, Barbara Hendricks chanter le blues et le gospel. 


Je voudrais vous le raconter, mais franchement (peut-être parce qu'en matière de luxe, je n'ai pas le niveau), je ne trouve pas les mots. La diva (escortée de deux musiciens de haut vol******) nous a tous fait pleurer******* jusqu'à cette improvisation sur l'article premier de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme dont on s'apprêtait à fêter le soixante-huitième anniversaire. Merci, Madame. Et merci à tous ceux qui ont rendu ce moment de grâce possible, je pense notamment au fantasque Joan Anton Cararach (ci-dessous), le directeur artistique du festival de jazz de Barcelone. 


Loin du Dom Pé', dopés par le caviar, nous avons vu, et entendu un ange. Un privilège. Seule la munificence de la Nature, au lendemain matin d'une courte nuit, a pu me faire redescendre sur Terre: les toutes premières févettes de la saison, de l'année à venir. Une autre vision du luxe. 



* Vingt-trois bouteilles au total, de 2006 à 1969, dont on nous précise bien qu'il s'agit de vin vendangés à la main, ce qui est d'ailleurs obligatoire pour tous les champagnes, y compris ceux du rayon du bas.
** On se moque, on se moque, mais pas la peine d'en dégoûter les autres. N'oublions pas qu'il s'agit-là d'un monument du Commerce extérieur de la France qui rapporte au pays bien plus de devises que tant d'activités plus nobles aux yeux de ses dirigeants. Le chiffre est soigneusement tenu secret par LVMH, mais on estime de six à huit millions le nombre de bouteilles produites par an, dont beaucoup sont vendues à l'étranger, notamment chez les nouveaux riches.
*** Car, oui, franchement, au prix que vaut désormais le champagne, dont les tarifs augmentent deux fois par an, c'est bientôt le caviar qui va nous sembler bon marché! Par parenthèse, quand on voit la floraison dans la Presse d'articles, de dossiers et autres trucs de fin d'année sur le sujet, je suis étonné qu'aucun journaliste ne ce soit ému de cette inflation. Ah, pardon, j'ai dit une bêtise, c'est pas du journalisme?…
**** Je ne dis pas qu'on n'a pas essayé un ou deux trucs, de la manzanilla, un vieux blanc du Roussillon et même, pour certains zouaves, de la chartreuse de Tarragone (avec un poil de zeste de citron de jardin sur le caviar), mais franchement, rien ne valait la bulle. En revanche, il faut vraiment qu'on essaye à l'occasion d'autres accord à mon avis tout aussi satisfaisant avec des belles blanquettes, et de beaux crémants.
***** Une fois pour toute, l'iode n'a pas pas d'odeur, ni de goût. Les saveurs, les parfums "iodés", ça n'existe pas, arrêtons de répéter bêtement ces balivernes.
****** Mathias Algoston au piano, Ulf Enflund à la guitare.
******* Y compris backstage avec ce toast plein d'humanité, de simplicité, en cuisine, autour d'un porto d'une infinie jeunesse, presque aussi jeune qu'elle, en provenance, comme le caviar du vieux-Lyon.




Plus d'encore au dévers.

$
0
0

Le football, ça m'est aussi étranger que la dentelle de Calais. Et encore, la dentelle, noire, ça fait d'aimables soutien-gorges dont je parle la langue. Pourtant, ce soir, j'imagine le supporter du Barça auquel on annonce que Messi vient de signer au Real. 
Pour revenir à des contrées plus amicales, je me mets dans la peau de l'amateur gastronomie qui apprend que Passard a élaboré la recette du nouveau McDo (vous me direz qu'en Espagne*…). Que Michel Tolmer vient de dessiner l'affiche de la prochaine foire-aux-vins-foireux de Leclerc dont le catalogue sera d'ailleurs rédigé par Le rouge & le blanc. Ou, à Saint-&-Millions, que François des Ligneris a vendu L'envers du décorà un de ceux dont il moquait jadis l'amour de la vis Parker


– Allo? Quoi? Pardon? Vous pouvez répéter? Une voix anonyme, dans le combiné me dit que c'est vrai. Que ce n'est pas un mauvais rêve. Non, pas Messi au Real, Passard à McDo ou Tolmer et Le rouge & le blanc chez Leclerc, juste la dernière proposition. D'après cette même voix dont bizarrement le deepthroat ne me fais pas rêver, la célèbre auberge de la rue du Clocher aurait bel et bien été achetée par Gérard Perse (rien à voir avec Saint-John), actuel propriétaire de Château Pavie, récent Premier Grand Cru Classé A, ancien tenancier d'hypermarchés Carrefour. Également taulier de la toute proche Hostellerie de Plaisance, il aurait, selon le journaliste bordelais Yohan Castaing, l'intention d'en faire l'annexe de cette table qui doit sûrement figurer au Guide des Pneus


C'est donc désormais la coutume, les saint-&-millionnaires se transmutent en aubergistes, comme l'a également fait Hubert de Bouärd (ce "cousin Hub'" que François des Ligneris aimait tant railler) avec le Logis de la Cadène dont la terrasse et la nourriture familiale restera à jamais un souvenir. J'avoue quand même que pour L'envers du décor, j'accuse un peu le coup. Cet endroit-là était  comme une poche de résistance, où l'on se moquait des puissants, où le seigneur des lieux, drapé de ses quartiers de noblesse "voulus par Dieu", partait, tel un chevalier blanc, en croisade contre les manants et les reîtres qui menaçaient le pinard. 


Alors bien sûr, on avait eu des alertes, quelques histoires, en Corbières, en Entre-deux-Mers, s'étaient terminées en eau-de-boudin, de méchantes rumeurs nous étaient venues aux oreilles, des paroles qu'on espère déformées. Il y avait eu aussi ces histoires autour du départ de Milou, celui qui avait "fait"L'envers du décor. Récemment encore, on m'avait déconseillé d'aller y manger.
Oui, je sais, je vous embête avec mes histoires personnelles, que voulez-vous, un blog, ça sert aussi à ça. Mais je vous promets que ce soir, j'ai un peu de peine. J'ai essayé de joindre François, pas de nouvelles. J'espère que tout va bien, qu'il n'a pas de problèmes, en tout cas rien d'insurmontable.
J'ai un peu de peine, j'espère même que la voix anonyme au bout du fil m'a menti elle aussi, qu'elle se trompe en tout cas, que ce n'est qu'une vilaine rumeur de celles que le vin distille quand il se mélange trop à l'argent, quand L'envers du décor devient l'envers du discours.
J'espère, parce que vraiment, je me sentirais très proche du supporter du Barça dans de pareilles circonstances. Au point que je me demande si je n'irais pas aller sur les ramblas m'acheter un maillot de Messi. Franchement, je me sentirais cocu.




* Lire ici.




La carpe et le lapin.

$
0
0

Oui, je sais, ce n'est pas une carpe. Ni même une bonite d'ailleurs comme disent souvent les touristes qui hantent le rond des poissons de la Boqueria et traduisent brutalement le catalan. C'est un thon rouge de Méditerranée (Thunnus thynnus), atún, modèle réduit, deux kilos sur la balance, du genre de ceux qui remontent parfois "par erreur*" dans les filets des pêcheurs de Barcelone, Vilanova ou Castellon. Ce genre de bestiole ne coûte rien, dans les cinq euros le kilo au marché; les señoritos les boudent et les laissent aux pauvres, leur préférant les belles tranches dans le filet, celles qui posent son homme, et dont nous avons appris depuis quelques années à nous sevrer, en tout cas cas à consommer avec parcimonie et discernement. Parcimonie, car la ressource a été grandement menacée (même si ça semble aller mieux désormais), discernement car la pisciculture a fait ce qu'il convient d'appeler des "progrès": le thon d'élevage ou quasi, ça existe désormais. Sans parler des différents trafics à base de colorants rutilants auxquels s'adonnent quelques petits malins alléchés par les tarifs autrement conséquent du "steak de la mer" comme disait une publicité quand j'étais petit, du temps où la viande n'était pas encore un gros mot dans "les milieux autorisés".


Reste que ce petit thon, maintenant qu'il est pêché, il faut le préparer. Immédiatement, la poissonnière, qui a le couteau facile (comme toutes les poissonnières espagnoles), vous propose de le mettre en pièce détachées, en tout cas de lever les filets. C'est une option, et, franchement, si le poisson vous fait un peu peur (comme moi jadis avant que je ne vive avec la Méditerranée), ne vous embêtez, toute honte bue, acquiescez. 
Comme j'aime bien la difficulté, je lui ai demandé de ne rien faire et de ranger son tranchoir. Écaillé, escorté de quelques oignons de Toulouges émincés, d'une bonne giclée de vinaigre de jerez, d'un coup de blanc, d'huile d'olive de Siurana et d'un peu de piment doux, il a filé au four pour une vingtaine de minutes. Ensuite seulement, on lève les filets cuits "sur l'os", et on l'on finit le côté presque cru dans le jus du plat chaud.


Se pose évidemment sur cette viande saignante la question de l'accompagnement liquide. Immédiatement le blanc est écarté, ce n'est pas notre culture. Comme tous les poissons bleus, le thon aime le rouge, les épaules, les tanins. J'ajoute que son format (contrairement à ce que l'on pourrait croire) et cette cuisson accentuent son besoin de "virilité". 
Le vin arrive, solaire, presque méditerranéen, au point qu'au premier nez, le bois aidant, on pourrait se croire face à un grand grenache ou, plutôt, face à un grand cinsault. En fait, c'est un pinot noir, plutôt new style, et c'est la bouche, bizarrement aidée par la chair sombre du thon qui nous y conduit. Cette chair, elle agit comme un révélateur, arrondit les angles, efface gentiment l'élevage, donne un côté joyeux qui manquait légèrement à l'ensemble.


Eh oui, c'est un bourgogne! Pourquoi pas après tout, le succès aidant, les grands crus de Côte-d'Or se sont un poil "internationalisés" comme on dit de façon un rien péjorative. Comprenez qu'on a souligné en eux certains détails autrefois plus discrets afin qu'une clientèle nouvelle les comprenne plus rapidement. 
Un bourgogne "royal", corton-clos-du-roy de Montille, 2006. Plus Étienne qu'Hubert trouveront les puristes. En l'occurrence, sur le thon, il fait aussi peu de manières que le père, se sent des envies de poser les coudes sur la table, de blaguer et de regarder les filles comme au bistrot de Beaune. Comme si le poisson de pauvre lui avait donné des ailes.


Avec des ailes, évidemment, on s'envole, on rêve, on digresse. Et je pense à une bouteille de rêve que j'aurais bien voulu boire sur ce petit thon. Un vin dont les puristes penseraient peut-être qu'il en soi, intrinsèquement, le mariage de la carpe et du lapin. Pensez donc! Un assemblage de pinot! Pourtant, les tables de la Loi sont formelles, le pinot ne s'assemble jamais. Ou alors, pour les gorges ouvrières, roulières, de jadis avec un très roturier gamay.
Là, les épousailles, valaisannes, lumineuses comme des vers de Rilke, se font avec deux grands cépages méconnus, autochtones de ce sublime coin de Suisse, le cornalin et l'humagne rouge, lui-même fils (de mère inconnue) du cornalin.
Cette "composition autour du pinot noir", baptisée du nom d'une fleur des montagnes voisines, l'astrance, en forme de buisson étoilé, tient davantage de la rêverie (quasiment du délire) que du vin. Aux confins de l'agriculture, de l'alpinisme et de l'horlogerie de précision.  


C'est d'un délire à quatre mains qu'il s'agit. On prend les mêmes et on recommence, je vous avais parlé ici, à propos d'une autre cuvée incroyable, de ce drôle de tandem, Maurice Zufferey, le vigneron-esthète, et Jacques Perrin, le marchand-de-vin-philosophe. Quitte à jouer les journalistes paresseux, je vais photocopiller ce qu'ils écrivent eux-mêmes de leur bébé:
"Vendanges à la main des plus belles grappes en cagettes de huit kilos, pour éviter de tasser le raisin. Table de tri à la réception de la vendange avec dix personnes. Suppression des pédicelles. Égrappage partiel (à la main). Pour ces deux étapes (vendanges et table de tri), il faut compter cent heures de travail pour cinq-cents kilos de raisin. Vinification en raisin entier sans levurage. Très légers pigeages au pied, puis un élevage très précis [on veut bien le croire!…] de douze mois dans des fûts de chêne merrain à grain très fin produits par un petit tonnelier de Bourgogne."
Le résultat est sublime, aérien et consistant à la fois. On voudrait se faire voleur, et dérober l'intégralité des six-cents bouteilles qui sortent du chai**. Ne boire que ça, égoïstement, sur du thon, de la carpe et même du lapin. Ne plus boire que ça, lamper, lécher, siroter, sucer, laper… À s'en rendre malade comme les cerises dans l'arbre.




* Normalement, aussi petit, ça ne se pêche pas. Pas volontairement en tout cas.
** Pour ceux qui sont plus honnêtes, il se dit qu'on peut tenter d'en acheter une bouteille ici.


Le vin, c'est aussi un métier…

$
0
0

Vous vous souvenez de ce concept fumeux, "la fin de l'Histoire"? C'est un universitaire américain, Fukuyama qui, dans sa grande clairvoyance, nous l'avait vendu il y a vingt-cinq ans*, après la chute du Mur de Berlin. Un de ceux d'ailleurs qui nous expliquaient la nécessité d'aller foutre le souk au Moyen-Orient, de renverser Saddam Hussein, de violenter ce que l'on ne maîtrise pas. "La fin de l'Histoire", triomphe universel de la démocratie libérale, sorte de paix éternelle débarrassée de tous les conflits. Dans d'autres circonstances, ce serait à mourir de rire…
Dans le même registre, à peu près à la même époque, des énarques et des managers nous vendait aussi "la fin des métiers", genre on est polyvalent, flexible, etc. Et, de fait, le quincailler dans sa blouse bleu-gris, qui quand vous lui demandiez tel ou tel clou vous répondait d'abord par la question rituelle "pour quoi faire?" a été remplacé par le vendeur de Leroy-Merlin qui la semaine précédente travaillait au "rayon frais" de Leclerc, un mois plus tard fourguera des livres "chez"** Cultura. J'exagère? Pas tant que ça. Je pourrais, par exemple, vous parler du plâtrier, expert en stuc et gypses, remplacé par le "plaquiste" et son maudit Placo®, du cordonnier qui colle au lieu de coudre, du cuisinier troquant sa cuillère en bois contre une paire de ciseau et un micro-ondes.


Le Mondovino a évidemment connu la même glissade. Pour des "bonnes" raisons parfois, un côté fashion, dans les grandes villes en tout cas; il vaut mieux faire envie que pitié… La raison moins avouable, c'est que le vin qui ne coûtait rien il y a une trentaine d'années, quand on en buvait encore statistiquement beaucoup, est devenu un plaisir de riches. Je parle évidemment du vin qui brille, celui des magazines, de la télé, pas le honteux, le prolétaire, qui remplit les cubis des caddies à un euro le litron. A donc débarqué, tel Maître Renard par l'odeur alléché, une faune dont l'amour du produit est inversement proportionnel à l'appât du gain. 


On a ainsi vu l'ancien vendeur de pizzas, de fringues, l'ex-agent immobilier, le prof en disponibilité, le technico-commercial, inaugurer une cave-à-manger ostentatoirement ornée des quelques signes de reconnaissance (étiquettes, affiches, tics culinaires), soigneusement calculés, qui forcément lui ouvriront les portes du Fooding. Et rassureront le couillon de passage tout heureux de passer au terroir-caisse.
Dans le "vin 2.0", ce sont les élèves d'écoles de Commerce qui nous ont abreuvés de leur concepts en wine, winetruc, machinwine, dont le but plus que de vénérer Bacchus est évidemment de "lever" un ou deux millions à un gogo qui aurait mieux fait d'aller les dépenser au bistrot. Le tout noyé dans une logorrhée journalistico-publicitaire (le fameux "sujet-verbe-compliment") où cent fois la langue passe et repasse.


Éric Cuestas (ci-dessus), lui, n'est pas très flexible, ni très polyvalent. Multi-tâches éventuellement, mais ne lui demandez pas trop d'allumer un ordinateur, de jouer du clavier. Même son téléphone est un ennemi.  La seule technologie qu'il tolère, c'est le tire-bouchon.
Je l'ai d'ailleurs connu sommelier, dans ce qui fut au début des années quatre-vingt-dix, à l'époque de "la fin de l'Histoire", le meilleur restaurant de Toulouse, au Pastel, chez Gérard Garrigues***. Un drôle de mélange, une allure parfois renfrognée, un cœur d'or. Dans mon parcours du vin, il fait partie de ceux auxquels je dois beaucoup. Je ne suis pas le seul d'ailleurs. Avant le troisième millénaire, il a initié les Toulousains, amateurs ou professionnels, à ces vins naturels qui font désormais les délices bavards, clinquants, des petits commerçants déguisés en militants évoqués plus haut. 


Et c'est ainsi que, tout naturellement, en 2002, Éric Cuestas a ouvert Le Temps des Vendanges. Sur "l'autre" rive de Garonne, à Saint-Cyprien, sur cette place de l'Estrapade où sévissait encore un hussard bleu, dans ce quartier qui sans se forcer poussait encore sa corne d'Espagne. 
On y a mangé, bu, vécu, on s'y est cogné aux voûtes de l'escalier le plus casse-gueule du Monde (surtout après cinq bouteilles). Et vendredi dernier, avec mon docteur, on y est revenu. Comme pour échapper au Toulouse factice des faiseurs et des fourreurs, des diseurs de mauvaises aventures. Comme on revient aux sources. Et Éric a fait son métier, tout simplement, sans surjouer, sans gimmicks de garçon-coiffeur ou de vendeur de blue-jeans, sans se regarder pédaler sur Facebook, en nous nourrissant et en nous abreuvant. Avec l'humilité qui le caractérise.


Alors évidemment, si vous avez le complexe du petit Toulousain (les grands sont au-dessus de ça…), si vous voulez qu'à coup de fleurettes et autres mensonges, on vous la fasse comme à Paris, qu'on vous la joue "piche", passez votre chemin, Le Temps des Vendanges n'est pas fait pour vous! On y mange de la magnifique charcuterie, du tartare, de la blanquette, du canard, du fromage (demandez-lui du cantal, c'est l'amour de sa vie!). La cuisine n'y parle pas pointu et ne se prend pas pour une autre, à coup de noms imaginaires.
Pour les vins, c'est pareil. Bien sûr, on y trouve des marques à la mode, à la différence près qu'elles étaient là bien avant la mode. On y trouve de tout d'ailleurs, à condition que ça provienne d'une agriculture respectueuse de la Terre et de l'Homme. 
L'autre jour, on a lampé du gaillac (Plageoles mais pas que) et du bordeaux (Garonne est si proche…): au tirage au sort, c'est le gentil médoc un rien margalien des Closeries des Moussis qui a gagné contre l'excellent Tour-Haut-Caussan des amis Courrian**** qu'on boira la prochaine fois. 

Je vais vous dire, ce déjeuner, je l'ai trouvé reposant, rassérénant aussi. Éclairé de cette tranquille assurance des gens qui ne font pas semblant, qui ne posent pas, qui connaissent leur affaire sur le bout des doigts.
Alors, comme je l'ai écrit par ailleurs, il ne s'agit pas seulement d'opposer, à la façon d'Humphrey Bogart, les professionnels et les cons (c'est ce qu'il disait pour le cinéma). C'est pas grave de se tromper, il faut bien débuter un jour, apprendre*****, et on aime bien parfois ces tâtonnements. Il ne s'agit pas non plus d'allumer des guerres de religions, il y en a assez comme ça au vaste pays des cons. L'intérêt est davantage de saluer ceux qui ont du background, ceux qui ont de la bouteille donc et qui du coup vous donnent envie d'en boire, ceux qui n'ont pas le vin bling-bling, le vin "vendeur de bagnole", arrogant et vulgaire.
Éric Cuestas n'a pas besoin d'en faire des tonnes. Parce qu'à l'image du cabaretier de Nicolas de Larmessin qui ouvre cette chronique, il est au dessus de ça: le vin, c'est son métier.



* Francis Fukuyama avait d'abord publié un article en 1989, The End of History? puis ce livre, en 1992, La fin de l'Histoire et le dernier Homme.
** Ce "chez" mal à propos est évidemment utilisé à dessein. On ne va pas "chez"Leroy-Merlin, "chez"Leclerc ou "chez"Cultura, symboles de l'impersonnel, du standard, dévoreur d'Humanité. 
*** Gérard, ce cher Gérard que nous devons tous aller visiter dans le merveilleux village de Castelnau-de-Montmiral, au sommet du vignoble gaillacois, où il a ouvert Le Ménagier. Par parenthèse, avec lui évidemment, contrairement à l'exemple des monstres ci-dessus, on dit "chez" Gérard Garrigues!
**** Lisez justement cette chronique, intitulée comme par hasard Vigneron de métier
***** À condition bien sûr de vouloir apprendre, de ne pas croire qu'on a la science infuse, de réfuter aussi "la belle ignorance", celle que je raillais ici.



Du cassoulet au couscous.

$
0
0

On a longtemps connu Toulouse comme un gros bourg paysan, enserré dans ses boulevards, agrémenté de quelques faubourgs pleins d'accent(s), épicentre de campagnes à la richesse discrète, pas que financière. Sa nourriture était à l'image de ces pays de gras et de cocagne, enracinée dans la glaise, sincère et roborative. Pas de raison d'ailleurs d'en parler au passé, fut-il imparfait, cette nourriture existe toujours, malheureusement plus à usage familial que commercial, bien planquée derrière les façades roses.


Et puis, par les hasards de la guerre (la première), ont atterri les avions. Industrie d'appoint pendant longtemps. Les hobereaux radicaux en velours noir du Lauragais, de Gascogne, du Volvestre, de l'Albigeois, la mafia aveyronnaise, les cousins d'Ariège, ceux du Quercy, les Languedociens basanés continuaient de donner le la, Matra construisait le métro, mais Nougaro, le métèque plus toulousain que nature allait l'inaugurer, ses larmes dans nos yeux, dix ans plus tard.
Cette ville-là se cherchait encore une capitale. Oh, bien sûr, les élégantes à la chevelure noir de jais avaient choisi leur camp, il n'y avait de bon bec qu'à Paris, pour la fringue en tout cas. On achetait quelques bricoles "à Sonia"* mais le chic imposait de prendre la Caravelle puis l'A300 d'Air Inter pour l'avenue Montaigne. Dominique Baudis tenta de contrer ce complexe du provincial en regardant vers le Sud, en rêvant de ressusciter le mariage médiéval avec Barcelone**. Peine perdue, l'écart était trop important, la cité catalane était déjà partie dans d'autres dimensions.


Pour moi, ce sont bien ces années quatre-vingts qui changent tout à Toulouse. Dans l'hideuse lignée de la place Occitane, sublime échec urbanistique, sortent de terre, souvent à la place d'anciens champs, d'anciennes fermes, les résidences en parement de briquettes. "Pour faire authentique". On va y loger les nouveaux inspirateurs de la ville, les "ingénieurs d'Airbus", ceux qui vont supplanter les paysans et les radicaux-cassoulet.
Outre une architecture, on va leur inventer une nourriture dont les espagnolades, les gasconnades d'opérette (qui ne reculent devant aucune caricature) répondent idéalement aux briquettes. Plus que grandir, Toulouse va s'étaler, se répandre, devenir à quelques exceptions près la banlieue d'elle-même. Comme dirait les Bordelais, ces vilains voisins, en parlant de vin, elle manque du coup un peu de centre.


Qu'est Toulouse devenue? Une chronique ne suffirait évidemment pas pour répondre à cette vaste question. Il en reste des bouts, beaux et bons, flottant dans une sauce étrange, à l'origine et au goût aussi douteux que les briquettes de parement. Car même avec beaucoup d'amour, on a parfois un peu de mal avec cette ville qui hésite depuis quelques années entre un urbanisme stéphanois et un multiculturalisme marseillais. "Toulouse est-elle encore chez elle?" pourrait-on se demander tant, de glissade en glissade, la cité semble perdre de son accent. Et faire, d'une certaine façon, un chemin inverse de celui suivi par les Bordelais sus-cités.
Le complexe provincial, lui, n'est pas résolu. Au contraire. Pour en rester au rayon alimentaire, plus que jamais, on y singe Paris. Le XIe surtout, chez les midinettes du foodisme qui n'aiment rien tant que manger des photos; "les saveurs, le produit, on verra plus tard"… À cet égard, il est d'ailleurs assez symptomatique que l'association des restaurateurs branchés, Copains comme cochons***, ait embarqué avec elle, comme parrains, les deux gros distributeurs locaux de volailles et de cochonnailles, Samaran et Garcia, qui ne figurent pas pourtant en tête des plus délicats fantasmes gastronomiques toulousains.


À table, donc, Toulouse se cherche. Joue des rôles d'opérettes célébrés par les scribes locaux qui servent la soupe avec au moins autant de talent que le journal régional, à sa grande époque, celle, pravdavienne, où l'on découpait les photos. Toulouse se cherche, joue, et fait risette aux Parisiens qui lui rendent bien, épatés notamment par le fait qu'on puisse désormais en province servir des assiettes aux portions aussi congrues qu'au bord du canal Saint-Martin et boire autant de vins "minéraux"****…
L'ingénieur d'Airbus est ravi, il vit "au bord de la Méditerranée", "dans le Sud", mais il mange, boit "aussi bien" qu'à la capitale. L'ersatz fonctionne.


Tableau noir pour Ville rose? Heureusement non*****. Le poison a toujours son antidote. Ainsi cette table qui me semble être le lien parfait entre le Toulouse d'hier et le Toulouse d'aujourd'hui. Pour schématiser à l'extrême, le chaînon manquant entre le cassoulet et le couscous, entre le saupiquet et le tajine. La Pente douce est bien installée désormais, j'en avais essuyé (avec bonheur) les plâtres, il y a deux ans, nous voilà désormais dans une maison qui a trouvé son rythme de croisière.
Hamid Miss (photo d'ouverture) a compris le terroir et son époque. Il a assimilé ses cultures, les marie avec magie, réconcilie son Maroc et son Occitanie sans jamais tomber dans le bric-à-brac de la fusion, sans les caricatures. Les épices, chez lui, c'est une caresse, une douceur, pas une agression, d'autant que le produit est là qui n'a pas vraiment besoin qu'on le masque comme dans les étoilés ou les bistrots métronomiques. Pourquoi d'ailleurs le Guide des Pneus ne lui a-t-il pas encore décerné de macaron en chocolat?


Là, je veux juste vous raconter deux assiettes qui résument ce type.
D'abord mon entrée, les incontournables tripes au citron confit et au gingembre. Ces tripes, j'en veux au petit-déjeuner, qui confirment l'universalité de ce met. Je pense qu'on pourrait même en faire manger aux chichiteux, aux anorexiques, aux handicapés du goût. En début de repas, avec un joli coup de blanc (faites-moi penser à vous parler du sommelier, c'est important!), elles vous rafraichissent et vous mettent en situation d'accueillir le plat de résistance, comme une espèce de salade animale.


L'autre monument l'autre soir, c'était le colvert. Un vrai colvert, qui envoie! Pas la version Club Dorothée qui ressemble à un sous-Barbarie, c'est du gibier qui peut faire fuir les âmes sensibles. L'aiguillette, en sashimi, siffle coup d'envoi. Il n'y a que la truffe qui puisse calmer ça, l'aligot au lait cru aussi, et une gorgée d'irouléguy (le sommelier, il ne faut pas que j'oublie…), puis les filets, gorgés de sang, et les cuisses, rôties.
Nous voilà face à un parfait cocktail de puissance et de délicatesse. Un peu comme avec son agneau d'ailleurs qui ne sent pas la ville pour un sou.


Oui, le sommelier, donc (vous voyez, je n'ai pas oublié******…). Je l'adore! On s'était croisé à Gaillac, à Vignes en foule, il m'avait marqué; là, il a encore progressé. Car il est joueur, le type, il aime qu'on aime le vin, qu'on se foute des étiquettes et qu'on le boive pour ce qu'il est. Tout le contraire des fashion-victims incultes qu'on nous balance ici et là et dont on se dit souvent que c'est une grave perte pour l'industrie du blue-jeans de ne pas les trouver dans une boutique de fringues.
Il rigole, s'amuse et donne envie de déboucher. Tiens, nos voisins ont pris un magnum! Sages comme nous sommes, nous nous régalons d'un chardonnay né d'un des plus beaux terroirs calcaires de France (vous n'avez qu'à deviner, les filles, elles, on trouvé…*******) et de l'irouléguy 2015 de la famille Riouspeyrous. Ben oui, vous connaissez! Le Domaine Arretxea dont je vous parle sans arrêt, ici, par exemple quand j'avais envie de partir sur une île déserte.


Ah tiens, en regardant la photo, je me rends compte qu'il nous a aussi fait boire du sancerre de Fouassier, excellent, et un rouge d'Élodie Balme, l'élève de Richaud.
Bon, allez, on est au restaurant, on ne va pas parler de vin toute la soirée, revenons à cette table. À ce que je voulais surtout vous dire d'Hamid Miss, de ce qui m'impressionne le plus (et qui est pour moi la signature des grands). Ce type au look de rasta cuisine naturellement, sans effort (apparent), ça coule de source, un peu comme Vanel ou Garrigues pour invoquer les gloires d'ici. Et ça c'est inestimable, encore plus à Toulouse où trop souvent, désormais, le bling-bling triomphe.




* Célèbre boutique de prêt-à-porter de l'époque.
** Leitmotiv de la fin des années quatre-vingts à Toulouse, à l'image de ce qu'en disait le maire de Toulouse dans cette interview.
*** À ne pas confondre avec le basque de Copains comme cochons au marché Victor-Hugo, qui lui, comme Le cochon régaleur, vend une cochonnaille plus artisanale. C'est d'ailleurs ce charcutier qui nous a sauvé l'autre jour alors qu'aucune des halles de Toulouse n'était capable de nous vendre des pieds de cochon, un élément de base pourtant de la cuisine locale.
**** De préférence étrangers au Midi toulousain ou au Sud-Ouest, toujours le complexe du provincial qui veut péter plus haut que son cul. J'en parlais ici.
***** Regardez, ne serait-ce que cette adresse que je rappelais hier, Le temps des vendanges. Et d'autres, à venir.
****** En revanche, j'ai oublié de Typhaine, l'épouse d'Hamid, qui tient la baraque avec détermination.
******* Un chardonnay de cahors, tranchant comme un rasoir, signé Germain Croisille dont je vous avais parlé dans cette chronique.



Chablis sauvé du goudron !

$
0
0

C'est la bonne nouvelle d'avant-Noël, elle nous arrive ce matin sous la forme d'un communiqué conjoint de la Préfecture de l'Yonne et de la société Autoroutes-Paris-Rhin-Rhône: fini le projet de centrale de fabrication d'enrobés de Saint-Cyr-les-Colons. 
Vous vous souvenez sûrement de cette affaire révélée ici, et qui avait suscité une levée de boucliers chez les vignerons de Chablis et d'Irancy dont les vignes risquaient d'être gravement polluées par ce site de production installé au bord de l'A6. L'entreprise annonce qu''elle a pris en compte les craintes exprimées par les représentants des appellations concernées, et qu'avec l'aide des service de l'État, elle a trouvé une solution alternative qui consiste à renforcer un centre existant. Par conséquent, la demande est retirée, et Chablis est sauvé. 
Bravo aux vignerons, donc, et tout particulièrement à Alice et Olivier de Moor qui se sont battus comme des lions contre ce projet. Merci aussi à tous ceux qui les ont soutenus.



Cap sur le Nouvel An.

$
0
0

Alors, c'était bien, Noël? Bien mangé, bien bu? Nous, ça va pas mal, avec notamment un super produit* dont je voulais vous parler, les morilles de chez Plantin. Plantin, installée dans le Vaucluse à Puyméras entre Vaison-La-Romaine et Nyons, c'est une de ces maisons familiales (à l'image de Gaillardà Caussade) auprès desquels les meilleurs chefs, tel celui de L'Hôtel-de-Ville de Crissier, se fournissent en truffes noires. On connaît un peu moins leurs champignons secs, et pourtant… 
Ces grosses morilles, charnues, réhydratées au lait frais, j'en ai très classiquement fait une sauce à la crème, qui est au réveillon est venue accompagner la poularde rôtie, puis, le lendemain, pour le déjeuner de Noël, a simplement servi à napper des tranches de pain de campagne grillé. Divin!
Désolé en revanche pour le romantisme et notre côté locavore, ces merveilleuses morilles ont fait des kilomètres et des kilomètres avant d'arriver dans nos assiettes. "Provenance Pakistan" mentionne sobrement la facture. Eh oui, ce qu'on gagne en vérité, on le perd parfois en poésie…


Bon, c'est pas tout. On digère Noël, le temps de la Sant Esteve (le boxing day catalan), et on se remet en selle pour le Cap d'Any, la Nochevieja, bref, le réveillon de la Saint-Sylvestre. J'étais en train de finir d'écrire le menu, ce matin, en écoutant Too Funky de George Michael (oui, je sais, ça fait un peu coiffeuse d'East Croydon…), et je me suis posé une question technique: comment les restaurateurs font-ils pour proposer un mois à l'avance des menus qui font la part belle aux produits de la mer, et notamment aux gambas? D'habitude, nous, en Espagne, on les évite, les gambasà cette époque-là, elles coûtent le double et le triple, avec en plus aucune certitude d'avoir vraiment la qualité habituelle. Y compris chez les meilleurs fournisseurs, tout est congelé ou presque, parfois même d'origine douteuse, de Thaïlande en particulier. Et là, contrairement aux morilles, je peux vous dire qu'on les sent les kilomètres qu'elles ont dans les pattes! Mais bon, la fille de la Gitane blonde m'a promis qu'elle me trouverait un truc, parce que les Français qui débarquent ce soir-là, je ne peux pas ne pas leur faire plaisir. Qui vivra verra…




* J'aurais aussi pu vous parler de ce cuissot arrosé d'un miroir de vin rehaussé au bouillon de porc noir gascon…

Caricatures.

$
0
0

Je ne sais pas pourquoi (sûrement l'esprit mal placé), en voyant la photo ci-dessus, prise la veille de Noël autour du marché des Grands-Hommes*, j'ai pensé à Lucky Luke. Très précisément à la soixante-dixième aventure de "l'homme qui tire plus vite que son ombre", L'empereur Smith. Vous ne connaissez pas? Voici la notice qu'en fait Wikipedia:
"Dans la petite ville de Grass Town, Lucky Luke fait la rencontre de Dean Smith, un riche éleveur de la région qui a perdu la tête et s’imagine être l’empereur des États-Unis. Grâce à sa fortune, Smith a pu se permettre d’engager une petite armée, équipée de canons, et de se revêtir de tout un apparat. Amusés par ce personnage qu’ils jugent inoffensifs, les habitants de Grass Town se prêtent au jeu et font semblant de prendre Smith au sérieux."


En ces temps de StarsWarmania, on va appeler ça le côté sombre de la Force. Ce mélange de concupiscence, de nombrilisme et de pétage de plombs qui s'est emparé de certains acteurs du vin bordelais. Très loin d'ailleurs de la belle éducation qui fut longtemps l'apanage des Chartrons. Nous voilà exactement dans la caricature de ce qu'est réellement le vignoble girondin, un grotesque qui alimente à merveille ce "Bordeaux bashing" dont la première victime est le bordeaux lui-même.
Car il est évidemment facile de jeter le bébé avec l'eau du bain, de mettre dans le même sac, avec ce qu'il faut de populisme branché, tous les consultants, tous les vignerons, toute une région viticole. D'oublier avec dédain (et finalement avec cette même morgue que ceux que l'on dénonce opportunément) ce qu'il y a dans les bouteilles aujourd'hui. De rentrer à son tour dans la caricature et le grotesque, à l'image de ce reportage d'une journaliste engagey** tendance Ici Paris qui avait fait les délices du service public de la boîte-à-cons, lequel n'aime rien tant que de se cogner du vigneron, forcément un châtelain et un sale riche de Droite…


Car, franchement, il ne faut vraiment goûter que le papier des étiquettes, être organoleptiquement handicapé ou atteint de snobisme aigu, pour ne pas se rendre compte à quel point on peut boire bon aujourd'hui à Bordeaux! Et sans tomber dans le bling-bling tendance nouveaux Russes évoqué plus haut.
J'en veux pour preuve Tour-Perey 2014, ce petit bordeaux arrivé, grâce à un méchant œnologue (les œnologues sont tous des diables) dans une "caisse de Noël" qui n'a pas survécu à la Nativité. Voilà l'archétype du vin "juteux". Vous savez, ce nouveau mot-tiroir qui a supplanté dans les commentaires de dégustation français le minéral, le salin, le salivant (et le désopilant "sapide"). En fait une traduction littérale du fameux "juicy" qu'adorait en son temps Uncle Bob. Peu importe les adjectifs d'ailleurs, ce joli merlot**** planté à Saint-Sulpice-de-Faleyrens, en "Sables-Saint-Émilion", vendangé à la main, vinifié par Jean-Luc Marteau (le maître de chai de Rollan-de-By) et sa femme, est un concentré de fruit, charnu et croquant à la fois, une douce drogue. Tout ça pour une petite dizaine d'euros, un prix de corbières de coopé!


Puisqu'on parle du Médoc (Rollan-de-By…), comment ne pas aller chercher là-bas, sur cette presqu'île, toute la "fraîcheur" que les dégustateurs modernes s'acharnent à débusquer d'épaisses macération carboniques à la finale de Nutella? La "fraîcheur", quand le travail est bien fait, y demeure consubstantielle de ce terroir atlantique; on leur a suffisamment reproché aux médocs, fut un temps, alors que la mode était encore au body-building, de manquer de gonflette!
Cap sur Macau, au sud de Margaux, entre les bourgs de Macau et Arsac exactement, où le Château Mille Roses possède une bonne partie de ses vignes. Mais là, c'est le haut-médoc qu'on boit, bon et bio (n'en déplaise à Bernard Magrez…*****), un vin plein de "tension" auquel j'ai offert un risotto aux cèpes qui a mis en exergue sa grâce naturelle, quasi margalienne. Bu en moins d'une demi-heure, à l'opposé des caricatures à mobylette électrique.


Tant qu'à faire dans l'étiquette kitch-médoquine, allons-y gaiement! Par parenthèse, je pense que l'emballage n'est pas pour rien dans le regard que la branchouillerie pinardière porte sur le bordeaux en général. Sans conseiller aux Girondins de se lancer dans le jeu de mots à deux balles et de mettre des nanas à poil sur leurs étiquettes, ou même d'adopter l'esthétique néo-stalinienne chère aux alterno-mélanchonistes, il me semble qu'on pourrait un peu dépoussiérer tout ça. Ou pas…
Mais revenons-en au contenu, au sublime contenu du Château La Bécasse 2011. Un pauillac de rêve, parfaitement équilibré, d'une extrême profondeur, sans le côté pouët-pouët des cuvées américano-boisées. Je déteste cette locution, "grand vin", qui généralement chez les serveurs de soupe du Mondovino se traduit simplement par "vin coûteux", mais il me semble que là, on n'en est pas loin, sans, je le répète, les désagréments contemporains du "grand vin".
Bon, La Bécasse, c'est vrai, je ne suis pas pleinement objectif, c'est aussi pour moi un vin de souvenirs, le vin d'un Médoc intime goûteux comme un repas de chasseurs du pays de Bob Denard******. Mais qu'est-ce que c'était bon! "C'était", parce que ce cru, sous sa forme de l'époque, n'existe plus: à la suite d'une succession, les vignes ont été absorbées par Latour. Mais l'esprit de La Bécasse perdure, Roland Fonteneau continue à le faire vivre dans un projet que j'ai effleuré qu'il me tarde de goûter vraiment. À l'image du charmant listrac que nous avons lampé comme des boit-sans-soifs concomitamment avec La Bécasse, en hommage à une vignoble girondin qui mérite vraiment mieux que ses caricatures.




* À Bordeaux évidemment…
** Isabelle Saporta en l'occurrence, qui, sur France 2, avec ce qu'il faut de gros plans d'éprouvettes avait osé notamment dénoncer l'odieuse pratique de l'assemblage à Bordeaux (j'en ris encore…). Elle vient d'ailleurs, dans la même veine, d'expliquer doctement à ceux qui perdent encore leur temps à regarder autre chose que les matches de rugby et Arte deux fois par mois à la boîte-à-cons que le "tous pourris" n'était pas une spécialité bordelaise. Son dernier exploit a pour cadre le Centre-Loire où, forte d'une ignorance dont on a du mal à croire qu'elle ne soit pas feinte tant elle semble abyssale, elle nous explique qu'il n'y avait rien avant l'arrivée de la casquette de poulbot d'Alexandre Bain. Caricature, encore une fois, populisme, brutalité. Les moutons ont bien sûr adoré, ça n'empêchera pas les autres de continuer de vénérer, tout en aimant ou pas ce que produit Alexandre Bain (c'est un peu lourd, empâté à mon goût), les grandes bouteilles de Dagueneau, Vatan, Vacheron, Cotat et autres grands vignerons de Pouilly et Sancerre.
*** Ben oui, parce que c'est bien le minimum syndical qu'un vin, n'importe lequel soit "sapide", qu'il ait un goût. Après la question est de savoir quel goût…
**** 70% merlot, 30% cabernet-sauvignon.
***** À réécouter ici.
****** Le célèbre mercenaire qui était originaire de ce Bas-Médoc que je connais bien, de Grayan-et-L'Hôpital précisément.




Mort d'un immortel.

$
0
0

Comme certains savent jouer au piano, d'autres jongler avec les chiffres, d'autres encore découper la viande, Michel Déon avait un métier, mais un métier qui ne s'apprend pas: écrire. Très vite, comme un hommage à cet immortel (bien au delà de la Coupole) de la Littérature, j'ai attrapé sur le web un texte extrait d'un des romans qui lui survivront, Les gens de la nuit. Lisons.

"La courte nuit qui suivit fut presque tolérable. Comme un gisant, j’écoutai mourir en moi les échos de ces heures où je m’étais inconsciemment allégé de ma peine. L’alcool détendait mes nerfs. Les seins nus de la vendeuse de cigarettes, la voix rauque de Gisèle, le rire des Brésiliens, le refrain d’une mélodie sud-américaine que je cherchai longtemps, brisaient le cours de mes obsessions. Je ne fermai pas l’œil, mais n’eus plus peur. Ce n’était pas la guérison, ce n’en était même pas l’annonce, pourtant je ne doutais pas d’émerger un jour et de reprendre goût aux êtres et aux choses. Je respirais, je vivais. Dans la soirée, une fille murmurait encore qu’elle aimerait danser avec moi. Un rien, et cependant je ne pouvais me méprendre.
J’avais oublié de fermer les volets. Au petit matin, une grisaille triste envahit ma chambre. Ouvrant la fenêtre, je me trouvai devant un paysage inconnu : le boulevard Saint-Germain borné de poubelles, les platanes aux feuilles timides, les chaises entassées les unes sur les autres à la devanture des cafés, la chaussée déserte. Ma ville, ce décor tremblant parcouru de silhouettes furtives ? Comment ose-t-on regarder une femme qui s’éveille à cette heure indécise ? Une âme sensible se doit un instant de timidité au moment de découvrir un secret aussi bien caché. Le Paris de l’aube hésite entre le sordide et le glorieux. Il faut être son amant depuis longtemps pour n’en pas être déçu. Je décidai de le devenir.
Le soir, je trouvai Gisèle, assise à la terrasse du Flore. La beauté de ses mains osseuses, longues, tachées de petites cicatrices mauves qui pouvaient être des brûlures de cigarette m’avait échappé. Pour la première fois, je voyais son visage à la lumière du jour. Une expression lasse contredisait la jeunesse des traits, la délicatesse presque enfantine du nez, la bouche entrouverte sur des dents jolies et un peu désordonnées. Cette lassitude aurait pu paraître empruntée si la voix avait été moins rauque, mais dès les premiers mots je retrouvai l’accent de la veille. Elle ne marqua aucune surprise de mon arrivée et j’évitai de lui dire que j’avais déjà plongé dans cinq ou six bars avant de l’apercevoir. Je ne sus pas si elle m’attendait et dès cette minute je compris que Gisèle était de ces êtres dont il ne faut tirer de l’ombre qu’un seul visage. Je l’emmenai dîner comme si nous en étions convenus. Entre les services, elle me quitta pour téléphoner trois fois et revint aussi indifférente, reprenant la conversation où nous la laissions. Je me demandais si elle avait couché avec un des Brésiliens.
Frémont m’avait assuré qu’ils étaient très contents de leur sortie « parisienne », que l’affaire s’accrochait. Donc oui sans doute. Mais pas pour de l’argent, car au début du dîner elle m’avait emprunté cent francs pour acheter des jetons de téléphone. Son amie s’appelait Maggy et habitait un hôtel de la rue Saint-Benoît. Je lui dis que le visage de Maggy m’était très connu sans pourtant que je puisse le situer. Ce n’était pas étonnant : Maggy avait beaucoup posé pour les magazines de mode. Depuis deux ans, elle ne faisait rien. Et Gisèle elle-même avait posé pour des illustrés américains qui présentaient la mode française. Depuis deux ans, elle ne faisait rien non plus.
Nous ne sortîmes du restaurant que pour aller dans un club voisin de la place Furstenberg. On y descendait par un escalier étroit en grosse pierre, pour aboutir dans une haute cave, éclairée à la bougie. Des banquettes et des tables basses entouraient la piste dallée. Deux Noirs en gilet rouge servaient à boire et invitaient les femmes à danser. Elles étaient généralement en face de ces hommes si souples qu’ils semblaient modeler la musique avec leurs hanches et leurs jambes – d’une gaucherie pitoyable. Gisèle ne voulut pas danser, ni avec un Noir ni avec moi. Elle parlait – ou plutôt elle se parlait à elle-même – penchée sur son verre comme pour en scruter le fond. L’alcool ambré n’y restait pas longtemps. Je ne sais pas tout ce qu’elle disait, mais avec les bribes je reconstituai une histoire qui était, peut-être, la sienne. Cette histoire ne m’intéressait pas encore. Des garçons, des filles nous faisaient un signe amical en passant. Gisèle répondait à peine. Elle téléphona encore deux ou trois fois, probablement en vain. Ses mains tremblaient en allumant des cigarettes. La cave s’était remplie, mais on ne voyait bien que ceux qui dansaient, les autres, affalés sur les banquettes, serrés dans les coins disparaissaient derrière un rideau de fumée. Les bougies s’éteignaient. J’avoue avoir éprouvé une étrange sensation d’engourdissement à me trouver là, enterré, secoué malgré soi par les rythmes alternés de jazz noirs et d’orchestres brésiliens que diffusait un haut-parleur invisible. Je regardai trembler les mains de Gisèle et je caressai doucement sa nuque dégagée par les cheveux courts. Un moment, elle me parla de Maggy et me dit qu’elle l’aimait sans que je puisse saisir le sens véritable qu’elle donnait au verbe aimer.
— Changeons ! dit-elle. J’ai faim.
Un coup de vent frais nous cueillit dans la rue étroite. Gisèle chancela et s’appuya sur mon épaule. Je pris son menton pour la forcer à relever la tête : elle avait déjà les yeux vitreux. Nous marchâmes lentement vers la brasserie du Royal où la lumière au néon, les cuivres rouges nous aveuglèrent. Gisèle refusa de s’asseoir et commanda un sandwich au comptoir. Des Nord-Africains, des Noirs, des Américains, des voyous aux fesses moulées dans des pantalons obscènes, buvaient de la bière ou chipotaient dans des assiettes de frites dont l’odeur graisseuse sautait au nez. Dès que Gisèle eut mordu dans la mie épaisse, un sourire revint sur son visage qui, même aveuli, gardait son air enfantin.
— Ça va mieux, dit-elle. Tout à l’heure, je n’étais pas bien dans ma peau.
« Pas bien dans ma peau ! » je devais l’entendre souvent cette phrase, répétée par elle, par d’autres... Il semble qu’il y a eu toute une époque où les hommes et les femmes de moins de trente ans ne trouvaient pas dans leurs corps le personnage qu’ils désiraient. Les premières heures de la nuit accentuaient ce divorce bête, puis vers l’aube, à bout de fatigue, trop las pour courir après eux-mêmes, ils se reconnaissaient enfin. Je m’imaginais assez bien ce qu’ils signifiaient par ces mots en apparence absurdes, en réalité profondément vrais. Mais je ne les comprenais pas. Il y avait eu toute ma vie accord entre mes attitudes et mon ambition d’homme. Même entaillé, coupé de mes racines, je demeurais mon propre personnage. Je voulais vivre et refusais la caricature qu’un jour de haine elle avait dressée devant moi.
— C’est curieux, dit Gisèle, avec toi je me sens bien. Je ne peux t’expliquer comment. Je suis bien et j’ai envie de rester bien.
— Moi aussi, je suis bien avec toi.
— Nous n’allons pas nous quitter trop vite.
— Cette nuit ?

— Non, je parle en... en général... dans les jours qui vont venir.

Elle esquissa un geste très vague, pour mesurer le temps et cette série de nuits qui nous réuniraient ou nous sépareraient sans que, semble-t-il, notre volonté y fût pour quelque chose. Elle finit son sandwich et nous ressortîmes. L’église sonna deux heures. Une voiture de pompiers passa en rafale dans la rue de Rennes. De petits groupes discutaient sur le bord des trottoirs près de la station de taxis où les chauffeurs attendaient, dans leurs voitures illuminées, en lisant le journal. Gisèle habitait au bas de la rue Bonaparte. Nos pas s’accordèrent.
— Tu ne parles pas beaucoup, dit-elle.

— Je ne sais pas encore ce que je vais te raconter.
— Je comprends ça. Je voudrais, moi, te dire quelque chose, mais c’est difficile.

— Dis-le quand même.
Elle sembla faire un grand effort, mordit sa lèvre, hésita une bonne minute, puis lâcha, très bas :

— J’ai horreur de faire l’amour quand j’ai trop bu.
— Moi aussi.

— Tant mieux ! J’avais peur que tu sois fâché.
Nous arrivions devant sa porte. Elle tendit son visage. Je l’embrassai au coin des lèvres.

— Demain après-midi, j’aurai peut-être besoin de toi, dit-elle.

— Appelle-moi.

— Quel numéro ?

Comme je ne trouvais pas de papier sur moi pour le lui écrire, elle retroussa la manche de son chandail et tendit son bras nu. À même la chair, j’inscrivis à l’encre bleue les numéros de l’appartement et du bureau.
— À bientôt, dit-elle.
La porte se referma lourdement. Les pas décrurent dans le couloir. Quelques minutes après, la minuterie s’éteignit. Une brise fraîche venait de la Seine. J’avais les tempes serrées. Une amère fatigue s’incrusta soudain en moi, comme si un poids impitoyable attendait cette minute pour retomber sur mes épaules. Longtemps, je marchai au bord des quais, indifférent à l’eau moirée sur laquelle dormaient les péniches bariolées, à la mastoc silhouette de Notre-Dame. De lourds camions encadrés de rouges feux follets roulaient vers les Halles. La gare d’Austerlitz surgit de la nuit, tapie au bord du quai silencieux. Devant le hall du départ, des cônes de lumière jaune éclairaient la chaussée déserte. Un soir nous avions pris un de ces trains, en direction d’Irun. Elle portait un manteau de tweed vert.
Le petit jour se leva à la hauteur du Luxembourg. Encore une semaine et les marronniers se couvriraient de feuilles. À travers les grilles, on apercevait les larges allées ratissées, désertes, les murs noirs et les fenêtres muettes du Sénat. Je rentrai par Saint-Sulpice. Des agents en pèlerine, le mégot à la bouche, battaient la semelle devant le commissariat. Un paquet de séminaristes indochinois aux soutanes courtes traversa la place en courant et s’engouffra dans l’église.
Ma fatigue s’effaçait, mais je n’en pouvais plus de me parler d’elle. Quand donc cela finirait-il ? Une douche chassa les miasmes de la nuit. Mon corps acquérait une résistance infinie au froid, à l’épuisement. Puis, en descendant vers huit heures au bar-tabac du coin pour tremper distraitement un croissant dans un mauvais café, je me souvins avec plaisir de Gisèle qui ferait, peut-être, l’amour à jeun.
L’après-midi Gisèle ne téléphona pas et le soir elle demeura invisible. Incapable de m’ennuyer pour m’ennuyer, saisi d’angoisse à l’idée d’un retour de flamme de mon désarroi, je rentrai pour me bourrer d’un soporifique violent dont une seule pastille avait, paraît-il, pour vertu d’endormir un régiment. Au matin, j’émergeai du sommeil dans un état voisin du délire. Cependant, ce n’est pas à elle que j’avais rêvé. Des cauchemars barbouillés de couleurs traversaient ces nuits artificielles. Je m’en éveillais encore gluant, nauséeux, terrifié."





Un coup d'avance.

$
0
0

Histoire racontée hier à table par un copain bordelais (n'est-ce pas le summum de l'infréquentable que d'avoir des copains bordelais?). Ça se passe au cours d'une tournée à Paris pour promouvoir ses vins, excellents par ailleurs (infréquentable, on vous dit, on boit même du bordeaux à la maison…). Il a rendez-vous avec un triple-étoilé du Guide des Pneus. Le type, pardon, le Maître l'accueille, affable: "Bien sûr que nous (j'hésite à poser ici un "Nous" napoléonien…) connaissons vos vins, nous les aimons d'ailleurs. En revanche, comprenez-nous, ils ne sont pas assez chers pour l'établissement!"
Le Mondovino tel qu'il va ne peut que combler ce cuistot. Dépassée l'époque des "zinzins", ces investisseurs zinstitutionnels dont le débarquement dans le vignoble girondin à la fin des années quatre-vingts semblait à beaucoup une ridicule partie de Monopoly pinardier où beaucoup de ces groupes, parfois étatiques, allaient laisser des plumes. L'avalanche de pognon qui a recouvert depuis la partie visible de la filière aurait tendance à nous faire passer les pauvres zinzins de l'époque pour des gestionnaires tendance bons pères-de-famille…


Une fois n'est pas coutume, ce n'est pas une information, mais une rumeur qui m'amène à ces considérations. Une rumeur insistante (quoique démentie) qui agite, bouleverse le Pif 2.0 en ce début d'année*, la cession du fameux Clos Rougeard aux héritiers du groupe communico-bétonnieur Bouygues.
Alors bien sûr, on pourrait aussi parler de l'autre actualité du moment, la reprise du grand cru de la colline de Corton, Bonneau du Martray par le propriétaire du coûteux Screaming Eagle californien dont le prix est un formidable exhausteur de goût (et du club de foot d'Arsenal). Mais franchement, ça, en Bourgogne, c'est d'une banalité à laquelle on s'est déjà habitué.
Concernant le domaine des frères Foucault, on touche en revanche à un symbole peut-être bien plus éclatant. Car, un peu comme avec la vente des murs de la maison de la grand-mère de François des Ligneris à un magnat du saint-&-millionisme**, nous voilà face au rachat de quelque chose qui a longtemps incarné une viticulture alternative à celle qui faisaient les délices des riches de ce Monde. Je ne me souviens plus du prix auquel nous payions au début des années quatre-vingt-dix*** les bouteilles du Bourg avec lesquelles nous rigolions en ridiculisant de grands bordeaux, tant mieux d'ailleurs, toujours est-il qu'il s'agissait là de vins de francs buveurs, pas d'icônes qu'on range dans des coffre-forts, ou de placements financiers, des produits bancaires à la FICOFI****.
Et puis, autre symbole, Clos Rougeard, ce n'est pas Bordeaux ou la Bourgogne, ni même la Champagne ou le Rhône, c'est juste la Loire. Ce continent de vins paysans et sincères, si bon marché, dont nous aimons remplir nos caves et boire tout notre soûl. La Loire, au niveau du plaisir/prix, c'est le "Languedoc du Nord", le kokhoze en moins mais avec en prime un esprit vigneron, joueur et partageur, un amour de la descente de cave***** qui surpasse même la Bourgogne de jadis, celle d'avant les hélicoptères******.


Répétons-le, même annoncé par la très sérieuse RVF, le rachat du Clos Rougeard n'est en l'état qu'une rumeur. On sait que depuis la disparition de Charly Foucault, les problèmes de succession sont compliqués, on raconte même que Bernard Arnault et LVMH seraient actuellement en concurrence avec Martin Bouygues pour le rachat des dix précieux hectares de Chacé, bref, tout est encore possible. Il n'empêche, quel coup de pub pour la Loire! Dans le Monde entier depuis hier, les buveurs d'étiquettes sont en train de découvrir ce vignoble de pauvres, ce vignoble inconnu dont on parle même dans The Drinks Business. "Saumur? Where? What?" Vous imaginez si on avait raconté ça à des vignerons locaux il y a dix, vingt ou trente ans?


Face à cette nouvelle, en France, un des derniers pays communistes sur Terre, il est bien sûr de bon ton de se lamenter devant ce nouvel assaut du "Grrrrand Capitalll". Franchement, parmi tous ceux qui se lamentent qui lampait encore du Clos Rougeard midi et soir? Ça fait belle lurette que, compte tenu de l'explosion tarifaire et de la raréfaction, le saumur de chez Foucault avait déserté la table du commun des buveurs, et je ne parle pas des grandes cuvées! J'ajoute que le fait que de grandes fortunes se payent une vigne ne date pas d'hier. La Romanée-Conti, Lafite-Rothschild, ce ne sont pas et depuis longtemps des pinards de petits paysans en sabots crottés. Et même si on reste dans la Loire, à Saumur, prenons Clos Cristal: malgré ses sabots, le père Antoine était un riche industriel, ami des puissants. Son argent n'a pas ruiné ce terroir, il l'a révélé. C'est au contraire l'arrivée du kolkhoze qui risque bien de l'engloutir!
L'arrivée de capitaux extérieurs, effectivement, a parfois conduit à créer des vins plus "internationaux", plus boisés, plus facilement "compréhensibles" par la critique assermentée et une clientèle qui a moins de temps à perdre avec la complexité de cet artisanat agricole qui se voudrait un art (au sens en tout cas des ventes aux enchères). Mais pas tout le temps.
Se lamenter, de toute façon, face à de telles (éventuelles) acquisitions, ne sert à rien. Si on veut continuer à boire ce type d'étiquettes, la solution est simple: il suffit de faire fortune. Ou d'avoir des amis riches, ce qui est encore mieux, car quand on les paye, si on s'amuse à calculer leur rapport prix/plaisir, on est forcément déçu, sans pouvoir se l'avouer…
Surtout, ce genre de situation nous ramène à la base de l'amour du vin, à la curiosité, à la soif de découverte. Plus de Clos Rougeard*******, qu'à cela ne tienne! Goûtons, fouillons, creusons! Ayons un coup d'avance, fuyons les marques établies (sauf celles évidemment qui ont de la suite dans les idées), trouvons leurs successeurs, dans leur imperfection des débuts, donc, quelque part, leur humanité. À Saumur, à Bourgueil, à Chinon, et partout ailleurs, dans le Sud-Ouest, en Languedoc-Roussillon… Quitte à sembler aussi ridicules que nous l'étions il y a vingt-cinq ans en affirmant que le vin des frères Foucault était "grand". En tout cas qu'il nous plaisait au moins autant que certaines gloires de l'époque.




* Ce qui me fait penser qu'il faut, chers amis et lecteurs, que je vous que je vous présente de façon très officielle mes vœux pour l'année qui s'ouvre. Ce sera fait dès que les fêtes seront finies pour le pauvre petit Espagnol que je suis devenu, c'est-à-dire après ce munificent week-end des Reyes; Melchior, Gaspard et Balthazar débarquent tout à l'heure au port de Barcelone, les bras chargés de présents.
** C'était ici.
*** Merci encore à d'autres frères, les Guinaudeau, ces Tourangeaux qui nous ont ouvert les portes de la Loire.
**** Importante société spécialisée dans la vente d'étiquettes chères aux plus riches de ce Monde. Si vous aimez boire de l'argent, c'est ici.
***** Tiens, juste deux exemple, parmi tant d'autres, un à Chinon, l'autre juste de l'autre côté de la Loire, à Bourgueil.
****** Oui, Jean-Marc, je sais… (private joke)
******* Pour Bonneau du Martray, moi, je sais ce que je bois en remplacement, du pernand-vergelesses de Chandon de Briailles dont je parlais ici.



Sauvons Monsieur Jadis, marions-le !

$
0
0

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, le mariage est un sujet qui divise plus qu'il ne rassemble. Selon les nouveaux barbares du vin, il est tout sauf pour tous. Vieillot, fastidieux, nécessitant sinon une culture au moins un background du goulot qu'il est de bon ton de pourfendre*, histoire de faire jeune (surtout quand on ne l'est plus vraiment…). Pourtant, j'en suis la preuve vivante, le mariage (pinardier), ça marche**, même si de temps en temps le divorce pointe son nez***…
En fait, comme je l'avais raconté ici, dans une chronique cosmopolite, le mariage pour tous n'est pas qu'une question de sexe, de "genre" comme il convient de dire pour faire Parisien orthonormé. Il faut que les choses s'emboîtent, que chaque élément du couple complète l'autre afin qu'un plus un surpassent deux.


Ce phénomène, je l'ai testé**** hier soir encore, avec une bouteille oubliée du réveillon. Oh, soyons honnête, pas un cru que je vénère, un faugères de Léon Barral,  Jadis 2012. Autant j'ai adoré les vins de Didier Barral dans les années quatre-vingt-dix, et leur merveilleuse aptitude au vieillissement (Ah, Valinière 96 ou 97, je ne sais plus…), autant j'ai multiplié les déconvenues avec ceux des quinze dernières années, de bouteilles foireuses en vinaigre à salade. Oui, je sais, ça ne se dit pas, on est entre l'atteinte à la vache sacrée et la divulgation de secret de famille*****. Les experts indépendants de la pinarderie (en général pourvoyeurs de cette référence…) vont s'indigner et sévèrement me tancer pour cet inadmissible moment de liberté de parole. Never mind the bollocks!
Mais, avant même de vous avoir officiellement présenté mes vœux******, appliquons une des résolutions de l'an neuf, donnons à la paix une chance (c'est moins chouette en français, non?). Alors, ce Jadis 2012, j'ai voulu qu'il puisse dignement défendre le message de son concepteur, message qui n'est pas sans noblesse.


Le vin a donc été présenté à l'aveugle, ce qui en soit est une bizarrerie, puisqu'il s'agit davantage d'une étiquette qu'on exhibe, qu'on photographie, qu'on poste sur les réseaux sociaux avant de la boire. Barral est un marqueur social, comme la marinière de Jean-Paul Gaultier ou le T-shirt Chanelà une époque. Et évidemment, il s'agissait de trouver avec un plat qui gomme ses aspects que je trouve les moins agréables, notamment des tanins rustiques doublés d'une acidité volatile susceptible de s'envoler (au moins à la hauteur des collines du Priorat…) et d'une richesse alcoolique parfois un peu brûlante au regard de la structure de l'ensemble.


Ce plat, je l'avais sous la main, un nem du Poitou, tout simplement. Pour ceux qui ne connaissent pas ce délice fusion avec lequel je vous rebats les oreilles, suivez le guide. Les autres ont déjà compris l'effet recherché, l'aspect suave, enveloppant, délicatement graissant et gélatineux de l'andouillette de Bressuire est sensé enrober les tanins de ce faugères rugueux. Pour ce qui est de la volatile, on cuisine la pièce avec un vin blanc de cuisine espagnol, sec (peut-être même tartriqué), et quelques oignons grelots. Quant au côté alcooleux, il est géré en évitant l'emploi de sel, de poivre, aussi bien pour le plat que pour son accompagnement de charlottes du jardin, et en servant ce rouge à une température très basse, en dessous de dix degrés Celsius.
Eh bien, croyez-moi si vous voulez, mais ce mariage de raison (eh oui, il n'y a pas que l'amour, le cul, les poils dans la vie…) a été, quoique déroutant, un joli succès. Ce vin sur lequel beaucoup n'auraient peut-être pas misé un kopek hors de table s'est révélé (sans que l'on verse dans le grandiose) un agréable commensal du nem du Poitou. Comme quoi, le mariage pour tous…




* J'évoquais ce "culte de l'inculture" dans une chronique sise au bout de ce lien.
** Exemple avec ce Sud-Africain un rien revêche auquel une lubrification à la crème du Poitou a permis de revivre Le dernier tango à Paris
*** Oui, avouons-le, parfois, ça ne passe pas, ça casse, comme ici entre Teuton et cette catalane.
**** L'horrible mot emprunté aux Trip Adviseurs qui, du haut de leur patiente éducation du goût au Nutella, au Caca-Cola et au buuuurgeeer, ne vont plus casser la croûte au restaurant, mais tester tel ou tel chef…
***** Ce sont en général des récriminations que l'on chuchote, qu'il serait malséant d'exprimer en public. Un de mes lecteurs s'en ouvrait dans un message privé il y a une semaine encore: tout en saluant l'incontestable travail viticole, agricole des Barral, il m'expliquait un rien agacé qu'il avait déjà balancé à l'évier trois bouteilles de sa caisse de Jadis 2013. "Âpre" et "alcooleux" se plaignait-il.
****** Bientôt.

NB: le titre de cette chronique, on l'aura compris, est un hommage au merveilleux roman d'Antoine Blondin, Monsieur Jadis. J'étais parti à sa rencontre ici.


D'un soleil l'autre.

$
0
0

Dimanche huit janvier, quatorze heures. Un des nombreux repas du week-end des Reyes, ces Rois espagnols que le pays ne finit pas de fêter, nous aussi d'ailleurs. Après quelques menus munificents, rien de tel que de revenir sur terre avec un de ces plats qui ne se la racontent pas. Si loin de ces menus récitatifs, parrot-like, dont on me montrait hier soir encore un exemplaire, ces menus où des cuistots sans imagination ni culture cochent, besogneux, les cases des produits qu'on doit servir pour faire XIe*. Enfin, XIe d'il y a un an ou deux, mais là, c'est juste le menu d'un Toulousain qui singe le Parisien. Betterave-couteaux**-espuma-burrata-butternut-etc. Espérons que la carte des vins ait un peu plus de rognons…


Mais revenons-en au bonheur: la tête de veau. Directement du producteur au consommateur, roulée à la ferme, de la même veine parthenaise que celle que j'évoquais ici, trimballée en glacière depuis le Poitou. Cuite classiquement dans un court-bouillon de légumes du jardin et d'un verdejo castillan au moins aussi végétal que les queues de poireaux qui y baignent. Et accompagnée de sa traditionnelle sauce à la one again, un cocktail de gribiche et de ravigote, moutarde, câpres, cornichons, persil, cerfeuil (quand il y en a), ciboulette, échalotes, huile d'arachide, vinaigre de jerez, poivre, œufs durs et sûrement un truc que j'oublie.


Le beurre et l'agent du beurre, c'est tout simplement de manger ce plat éternel, un huit janvier, en T-shirt, et en terrasse. Avec vue sur la Costa del Garraf puisque nous sommes un tout petit peu au sud de Barcelone. Quant au sourire de la crémière, c'est d'arroser tout ça de belles et bonnes bouteilles qui finissent de nous persuader que ce gentil veau du Poitou, enfant de parthenaise, n'est pas mort pour rien.


D'abord, un qui pinote plus qu'il ne gamète (pardon! Almanach Vermot, sors de ce corps!), un jus de fruit issu de nobles vignes, qui coûte dans les sept euros le bout et qu'on est content de ne pas avoir à la maison parce que c'est un truc à faire monter horriblement les Gamay GT (re-pardon…). 
Rien de bourguignon ni de beaujolais là-dedans pourtant, nous sommes en Espagne, en Galice, à Monterrei, chez ce cher Jose Luis Mateo***. Son petit vin, issu du millésime 2014 qu'il jugea trop compliqué pour faire du grand vin, a pourtant tout d'un grand. C'est un pot-pourri de cépages locaux, notamment de la mencia et du bastardo, c'est-à-dire du trousseau, ce qui nous fait naviguer de la Bourgogne et du Beaujolais au Jura. Délicieux!


Pour aimer, il faut souffrir un peu, c'est que nous enseigne fort à propos la bouteille suivante, jurassienne pur jus, qui elle en revanche n'aura pas l'honneur de côtoyer le veau de Vausseroux. Piquée et horriblement oxydée****, je dirais juste que le moins pire dans ce produit, c'était sa couleur d'urine de diabétique oubliée soixante-douze heures dans un flacon d'analyse…


Heureusement débarque Tissot qui sauve l'honneur de la Franche-Comté. Nous voilà dans l'esprit "infusion de raisin" de l'excellent rouge qu'avait sorti Houillon en 2011*****, juste un peu moins "lumineux", et un plus court. Moins étoffé aussi que le sublime trousseau d'amphore de ces mêmes Bénédicte et Stéphane Tissot dont nous nous étions régalés ici. Toujours est-il que le bébé de la vache, moins bégueule que moi, en mugit de plaisir******!


Mais franchement, la bouteille de référence sur cette tête de veau en terrasse, avec son côté spumante, c'est le très conventionnel morgon de Lapierre******* (oui, je sais, ça fait papy continuer à boire ça, mes copains wine-geeks vont encore me faire la gueule…). Je ne suis pas toujours fan de la production de ce domaine qu'on ne présente plus, il n'empêche que le soleil beaujolesque de deux-mille-quinze répond merveilleusement à celui du Garraf. Et nous disent que les beaux jours approchent…




* Arrondissement.
** Il faudra un jour que je vous dise tout le mal des odieux couteaux d'élevage qu'on sert dans les restaurants français. Je ne sais pas dans quel pousse-caddie les cuistots vont acheter cette merde, mais vraiment, mieux vaut directement manger du surimi de Lidl!
*** Lire ici et .
**** Malheureusement pas la première de cette cuvée qui m'arrive dans cet état qui n'a plus grand chose à voir avec le vin.
***** Vous savez à quel point j'ai aimé ce rouge presque pas rouge que je n'arrête pas de citer en référence, telle une espèce de madeleine (jurassienne) de Proust. Regardez, ici, ici ou encore ici. Un soir de soif, il nous est arrivé d'en boire cinq bouteilles à deux.
****** Et plus encore les mirabelles en bocal du dessert avec lesquelles le fond de ce poulsard établira un dialogue intéressant, leurs finales se mêlant avec grâce.
******* Version normale, avec SO2. L'autre, nature, n'est pratiquement pas distribuée en Espagne, à part je crois par Benoît Valée à L'Ànima del Vi.


Que passe la paix…

$
0
0

Parmi, les bonnes résolutions de la nouvelle année, il en est qu'on ne tiendra jamais. Par exemple celle-ci que de bonnes âmes me conseillent souvent: mettre de l'eau dans mon vin. Pour ce qui est en revanche de "céder à la facilité", pari tenu, je m'y suis mis dès le quatre janvier. Finie la cuisine sophistiquée, "bourgeoise"*! Avec les restes des post-réveillons, place à la tambouille moderne, sans effort. La dernière des premières truffes de l'année**? Juste un coup de rabot, une livre de beurre de montagne, une pincée de sel, et zou! 


Autre résolution tenue (et fermement!), reboire du bordeaux. Pas les grands crus classés pour Chinois et Américains en chêne massif, mais cette immense masse de rouges amicaux, fruités et généreux, formidables compagnons de table, pour ceux qui mangent encore en tout cas, ne testent ni ne dégustent. Ce qui me fait plaisir, c'est qu'en plus je ne vais pas être le seul à appliquer cette bonne résolution, voilà que Antonin Iommi-Amunategui et son barnum néo-maoïste de Rue 89 investissent non pas les Chartrons, mais Bacalan. L'organisateur de happenings parisien lance Sous les pavés la vigne, le salon des vins actuels (sic) et naturels en version girondine. Belle initiative! Espérons quand même qu'on ne va pas du coup se retrouver avec des bordeaux délavés, vendangés verts et en vinifiés en macération carbonique, avec ce qu'il faut de sucre résiduels pour les palais éduqués au Caca-Cola et au Nutella***
Pour ce qui est de ma résolution, joignons l'image à la parole. Tenez, rien qu'hier soir, afin de célébrer encore un peu plus les Rois, sur une entrecôte trop maigre réveillée par le beurre de truffes de la première résolution, un magnum, apporté par Balthazar, Melchior et Gaspard! Et bim! 
– Mais il truffe, ce pomerol. Délicieux!
– Tais-toi et bois à grosses gorgées, c'est un fronsac****…


Les résolutions, c'est chouette, mais il y a aussi les vœux. C'était d'ailleurs l'intention première de cette chronique décousue. Alors bien sûr, je pourrais vous, nous souhaiter tout un tas de trucs hyper-importants qui vous changeraient la vie. 
Que les sommeliers arrêtent de nous dire "bonne dégustation" au restaurant (itou pour les cavistes) et de poser la bouteille à cent bornes de la table quand on se sent le gosier baptisé à la queue de morue.
Que vos interlocuteurs arrêtent de massacrer la langue française à coup de "ceci-dit" et de "et bien" intempestifs, quand bien même ce massacre serait aujourd'hui hexagonalement institutionnalisé*****. 
Que l'on interdise les flashes sur les iPhones et les photos merdiques qui vont avec.
Que les obsédés sexuels de Facebook arrêtent d'emmerder le monde avec des histoires de bites, de nichons et de chattes, ça n'a jamais tué personne.


Que l'on vire la carte de Presse à ceux qui recopient les communiqués du même tonneau.
Que les moutons arrêtent de nous bassiner avec les mêmes vins, les mêmes aliments et les mêmes restaurants au même moment, la ficelle est grosse, on la voit.
Que les amateurs de pinard arrêtent de ressembler à de grossières caricatures de Mimi, Fifi & Glouglou (surtout à Toulouse où on se croit carrément dans le prêt-à-porter).
Que les vignerons arrêtent de nous mentir et de nous vendre des soi-disant magnums qui ne contiennent en fait que trente-sept centilitres et demi (par parenthèse, merci, les jeunes, même si certains ont bu ça comme des trous dans des Pigalle de Louboutin de douze centimètres de talon, moi, j'en conserve un souvenir ému de ce Chaillot 2005). Ça vaut pour celui-ci mais aussi l'autre bordelais précédemment photographié; faut pas nous prendre pour des cons!


Que les vegans et autres souffreteux continue de s'anémier entre eux mais surtout, surtout, arrêtent de nous les briser menus parce que sinon on finira par les manger en pâté.
Que les touristes arrêtent de me demander où manger des tapas à Barcelone, parce que vraiment ça fait trop touriste et que c'est comme vouloir commander un cassoulet à Strasbourg******.
Qu'il soit obligatoire, dans tous les restaurants, cantines y compris, de servir des tripes et des abats au minimum deux fois par semaine. Que ceux qui n'aiment pas ça aillent manger avec les chevaux de bois.


Qu'on m'interdise de tenir un blog, parce qu'en ce début d'année, il ne faut pas non plus oublier les vendeurs de soupe, les empoisonneurs, les aigris, les bande-mous, les jaloux, les attachées de Presse, les coiffeuses, les vendeurs de fringues et même les cocus.
Que les foodistes continuent d'ignorer les grouses (c'est trop fort…) et leur préfèrent des lièvres à la royale surchargés d'ingrédients jusqu'à masquer le goût du gibier. Et qu'en prime on les arrose toujours, en un sublime accord anglo-saxon, de romanée-conti australienne.


Que les cuistots comprennent enfin que la saison du melon ne dure pas toute l'année, qu'il sont simplement là, d'abord là pour nous nourrir.
Que les menteurs professionnels comprennent que ça ne sert à rien de se fatiguer à me raconter qu'on ne trouve pas que de la merde au pousse-caddie, peine perdue.
Que les malpolis qui se prennent pour Amerloques arrêtent de nous souhaiter la bonne année avant qu'elle ne soit là.
Qu'Iggy tienne bon en 2017, et Tom Waits et les autres aussi, parce que vraiment, au niveau du rock, en 2016, on a donné. Cher.


Qu'on interdise, à table, de boire sa bière à la bouteille, ça fait vraiment beauf footballistique.
Qu'on arrête une fois pour toute les fleurs dans les assiettes et les espumas. Là, je crois que c'est mort, mais il y a encore quelques attardés qui traînent la patte.
Que le vin redevienne une boisson avant un objet politique. La politique on va suffisamment en bouffer dans les mois à venir.
Qu'on ait le droit d'apprécier ou pas la finesse d'une bulle de vin effervescent. Moi, j'aime pas les grosses, façon Pschitt Orange, c'est comme ça, je préfère par exemple, celles, exquises, de ce crémant-de-limoux.


Trêves de bons vœux, on pourrait ainsi en ajouter des dizaines, sérieux ou loufoques, qui pour la plupart resteront lettre morte. En revanche, après vous avoir, à chacune et chacun, souhaité santé, bonheur, prospérité, amour, ébriété et satiété, je voudrais juste en guise de conclusion, à ce pénible exercice des vœux de janvier, vous amener faire une petite balade dans les rues sans voitures de mon quartier.
Nous sommes à Barcelone donc, au cœur de la vieille ville, dans le fameux Barrio Gótico qui collé aux Ramblas et au marché de la Boqueria glisse de la vilaine place de Catalogne au vieux port, via Santa Maria del Pi, la mairie et la Plaça Reial.


Mais quittons les spots à touristes (avez-vous déjà remarqué comme le touriste est moutonnier?), glissons par delà la place Orwell où Penelope et Scarlett, négligeant les effluves de coke bon marché, allaient chez la Chinoise acheter leurs fruits et légumes, et engageons-nous, direction la mer, dans ces ruelles que la gentrification n'a pas encore lavées, entre odeur de pisse et linge bariolé aux balcons.


Ici, on parle au moins autant le pendjabi et l'ourdou que le catalan. Et puis l'anglais de bazar aussi, cette nouvelle langue véhiculaire barcelonaise. Je crois que tout ça, Pepe Carvalho (qui avait son bureau à deux pas, rambla de Santa Mònica) le connaissait déjà; savez-vous d'ailleurs, c'est tout nouveau, le héros de Vázquez Montalbán va reprendre du service*******?


Dirigeons nos pas vers un passage secret. Sous le regard courroucé des deux trois enturbannées qui hantent encore le coin et que repousse peu à peu l'incroyable regain de spéculation immobilière que connaît le quartier, une clientèle différente vient ici bruncher, se fringuer ou chiner. Plutôt de jolies filles, sapées comme des Parisiennes, qui se donnent rendez-vous au café qui fait angle avec la carrer de Sils, en face de la Fondation d'architecture Enric Miralles et l'étonnante sculpture qui orne son hall.


Mais si je vous amène dans ce coin tranquille, ce n'est pas pour draguer des gamines ou faire les boutiques, ni même pour aller voir une expo. Je veux juste, en ce début d'année périlleuse, dans un monde assiégé par les idées ringarde, puantes comme de vieilles chaussettes en acryliques des populistes de tout poil, vous souhaiter, nous souhaiter le trésor que commémore l'endroit.
Nous sommes (dans une jolie faute d'orthographe******** qui, comme un symbole, mixe le castillan et le catalan au "Pasage de la Paz". Passage de la Paix.




* Il est grand temps d'ailleurs d'arrêter la cuisine bourgeoise, les cassoulets, les daubes, le lièvre en miroir de vin. Camille Labro dans Le Monde m'a récemment appris qu'elle revenait à la mode. Revisitée, actualisée, les cuistots branchés vont rapidement nous en dégoûter, Métro, Davigel, Brake vont sauter sur le bon filon, les faussaires vont nous l'enseigner, bref…
** Débarquées de chez Jean-Luc Clamens, de la Maison Gaillard via les Horlogers d'Auvillar (amoureux de la grouse), la filière tarn-et-garonnaise donc, celle qui ne déçoit jamais et qui ne vend pas la truffe au tarif parisien, sans jamais mégoter sur la qualité, et la maturité.
*** "Pousson, salaud, le Peuple aura ta peau !"
**** On précisera pour ceux qui s'intéressent encore au vin autrement qu'à travers de la marque ou du jeux de mot façon Almanach Vermot de l'étiquette que ce 91 a une particularité, il n'a pas gelé. On en a vu pas mal dans ce cas également du côté des Côtes de Bourg sur ce millésime où le quart sud-ouest de la France a sévèrement chargé lors de ce coup de grisou tardif. Magnifique bouteille en tout cas que ce Moulin Pey-Labrie 91, le genre de magnum qui se torche comme une fillette!
***** Lisez, si ce n'est déjà fait ce consternant papier de Télérama. Toujours abaisser le niveau sous prétexte d'égalitarisme et donc au bout du compte achever de casser l'ascenseur social que devait être une Éducation nationale devenue fantoche.
****** Sinon, pour les restaurants à Barcelone, reportez-vous directement au mini-guide.
******* Le contrat est signé aux éditions Planeta, c'est l'écrivain catalan Carlos Zanón qui va continuer, sous une forme inconnue, les aventures de Pepe Carvalho. On ne s'en rend pas toujours compte, mais, grâce au Sam Spade barcelonais, Manuel Vázquez Montalbán est devenu le dixième écrivain espagnol le plus traduit dans le Monde après des géants comme Cervantes, García Márquez ou Vargas Llosa?
********* C'est moderne, non, la faute d'aurtograf ?


Résistons !

$
0
0

Il est des anecdotes qui racontent une époque. Hier matin, je poste sur Facebook une remarquable série d'images. Un authentique reportage qui remonte à la fin du siècle dernier. Le photographe tarn-et-garonnais Jacques Laporte y raconte dans un style naturaliste non dépourvu d'esthétique les tue-cochons, les pela-porcs du Sud-Ouest. Peu importe d'ailleurs le Sud-Ouest, ces clichés ont une force, une valeur universelle, on y raconte la vie des campagnes avant que la crise et surtout l'odieuse influence polymorphe de la grande distribution ne la cabossent. Reportage ethnolographique ai-je envie d'écrire.


Immédiatement, c'est l'engouement, des centaines de personnes se ruent sur ces images, chacune d'entre elles racontant son petit bout de tue-cochon, le souvenir du papet, de la mamie, l'odeur du boudin, le cri de la coche, l'allure du saigneur. Je l'ai déjà écrit, je pense que ce spectacle violent mais structuré, fondateur d'une culture, porteur d'un patrimoine, devrait figurer au programme des écoles. Car dans cette tuerie, le respect de l'animal est présent, cet animal dans lequel "tout est bon", et dont on ne jette rien, dont la mort fera vivre des mois durant une ou des familles. Les gamins sauront que la viande, c'est précieux, ça vient de quelque part, d'un coup de couteau et d'un cri, ça ne se gaspille pas.


J'ai moi-même activement participé à ce rite, tenu le cochon, vérifié la température de l'eau, pelé, charcuté… J'ai aussi commandé, à l'époque, à mon copain le talentueux Ulrich Lebeuf, un reportage du style de celui que j'ai relayé hier sur Facebook, magnifique travail (dont j'aimerais bien d'ailleurs retrouver la publication, dans L'Esprit du Sud-Ouest). J'ai aussi le souvenir d'une série de photos que j'avais réalisées, un jour de blizzard, dans la campagne des environs de Castres, les gouttes de sang dans la neige, les boîtiers embués dans la grange…


Énormément de commentaires, donc, autour de cette publication. Beaucoup dans le registre nostalgique auquel je ne goûte pas forcément, "c'était mieux avant". Car oui, la tue-cochon est plus rare aujourd'hui, traquée en France par les normes idiotes, cousines de celles que je dénonçais ici, qui font la joie de contrôleurs vétilleux, tyranniques, soucieux d'éradiquer tout poil qui dépasse, d'aseptiser tout ce qui peut ressembler à la vie. Pourtant, elle existe toujours, et, plutôt que de geindre, de nous lamenter, il ne tient qu'à nous de faire perdurer cette coutume. Résistons!
hypocrisie la plus absolue, la plus vulgaire.


De l'empathie, un vrai élan dans le fil de discussion qui se crée autour de ces images, une quasi unanimité si l'on excepte un fonctionnaire émigré à Paris qui nous raconte les nombreuses morts dues au manque d'hygiène vétérinaire des tue-cochons et l'anémiée, pardon la vegan de service, spécialiste des photos de chatons, qui vient cracher sa haine et son malheur, ses désirs castrateurs, puritains, au milieu du bonheur des autres: "Des photos ignobles d une belle tuerie en groupe. Tellement convivial d égorger et d entendre hurler une bête. Un bel art de vivre! Bonne (sic) appétit!"


Et puis, à l'instigation ou pas de cette clique de dégénérés (qui se déplace généralement en meute comme les rats) tombe la censure. Un voile pudique vient recouvrir ces images, "masquées parce que (selon Facebook) elles montrent du contenu pour adultes, par exemple de la violence explicite". Évidemment, on y voit, deux quartiers de cochon, une tête de porc, des andouilles de couennes…
La censure représente rarement un signe, une expression  d'intelligence, mais que dire devant l'épaisse vulgarité, les monceaux d'hypocrisie, la brutale imbécilité de cette décision-là? Que dire devant la part de misère intellectuelle, de cauchemar climatisé qu'elle recèle? Décision obscène imposée qui plus est par les tenants de la culture barbare du hamburger et du poisson carré capable d'interdire aussi L'origine du Monde ou Francis Bacon.
Que dire? Encore une fois, résistons.





On n'a pas vu la vierge…

$
0
0

Je crois que le plus horripilant pour un client de restaurant (en plus de mal boire et mal manger) c'est d'être traité comme un supplétif. C'est particulièrement sensible dans les bouclards qui se la jouent un peu "show-biz", reconnaissables à leur déco branchée de galerie marchande. Le taulier, les loufiats, le cuistot n'ont d'yeux que pour leur "carré VIP" (fut-il provincial) et ne calculent même pas ce couple "d'anonymes" (comme on dit dans la boîte-à-cons) qui se contentera de ce qu'il y a et quand on aura le temps de lui servir… 
Ce genre de mésaventure, imparable signature d'un parfait amateurisme, on me la racontait encore hier soir, récemment survenue à un couple justement, de Toulouse, dans un bistrot à vin de quartier. Une assiette moyenne, avec inévitablement trois merdes tièdes isolées dans un coin surmontées d'un camouflage végétal, un service du vin absent* et la désagréable sensation de n'être qu'une carte bleue sur pattes, alors que pour les tables voisines on avait mis les petits plats dans les grands.


Si je pense à ça, c'est au parce qu'au contraire j'ai adoré l'accueil dans un établissement bien moins prétentieux de la Ville rose. Pour le coup, j'y arrivais anonyme, puisque, fidèle à ma vieille habitude, j'y avais réservé sous un nom d'emprunt; rien n'avait donc été prémédité. Un établissement nouvelle manière, Foodingable (ce sont les étiquettes de pif qui décident) mais dont la formule me semblait une bénédiction: il ne s'agit ni plus ni moins que de recréer le petit bistrot à l'ancienne: tables serrées, rue populaire**, menu de midi*** bon marché, une espèce en voie de disparition.


Pour dire vrai, mon anonymat n'a pas tenu bien longtemps. L'équipe compte un transfuge de Barcelone (débarqué du Brutal, le bar à pijos naturistes d'El Born). Mais à l'inverse de la vilaine histoire du début, il ne m'a pas été difficile de me rendre compte que le service et les assiettes étaient les mêmes pour tous les clients, connus ou pas. Et l'un comme l'autre étaient de qualité, ce qui n'est plus si courant dans cette ville qui se la joue si souvent désormais "à la parigote".


Qu'on s'entende bien, Le Rocher de la Vierge n'est pas le nouveau spot gastronomique occitan. Mais on y déjeune agréablement, rustiquement, sans forfanterie, on y boit correctement (mais si on aimerait bien s'y sentir davantage dans le Sud-Ouest) et, en prime, il arrive même que les filles y soient belles, très belles.
Tenez, l'autre jour, avec mon docteur, sa femme avec laquelle il vit dans le péché, et un caviste toulousain qui relevait de blessure, on a brunché d'une andouillette, de jambonneau au maquereau et de jurançon sec, puis de tendrons de veau. Bref une nourriture normale, aimablement cuisinée, ce qui dans la patrie de la métronomie et de congelé industriel est (malheureusement) en passe de devenir une rareté.


Rien de plus, rien de moins, on est lucide, on n'a pas vu la Vierge. Juste donc une petite adresse sympa qu'il fait bon avoir dans se poche, parce que franchement, on n'a pas une tronche à aller bouffer un sandwich debout, comme des Anglais. Et pas non plus à aller traîner dans des restos de marchands de fringues…



* Coup de chance, ils sont sauvés, à leur initiative, par un cahors de leur connaissance, un vin du Causse calcaire dont j'avais parlé ici.
** À l'orée d'Arnaud-Bernard, la Casbah toulousaine.
*** L'établissement est également ouvert le soir, mais franchement son positionnement au déjeuner me semble idéal. Il rejoint donc dans mes tablettes des adresses comme Le Temps des VendangesLe Tire-Bouchon, Le Bon-Vivre, ou encore cet étonnant restaurant privé de l'avenue de la Gloire, L'Underground de Marie D. Sanchez.


Naturistes, hygiénistes, même combat ?

$
0
0

N'étant pas aussi clairvoyant qu'un sondeur ou un analyste politique de la télé, je ne sais pas trop ce qui sortira des prochaines élections françaises. J'ai une idée en revanche de ce que je crains dans ce Monde dangereux où l'inquiétude ne fait généralement qu'ajouter du danger au danger. Ce qui est certain, c'est que la France moche fera entendre sa voix, brutale comme le haut parleur du pousse-caddie.

En attendant, c'est la France triste (sœur jumelle de la France moche) qui donne du coffre, celle qui veut aseptiser, contrôler, éteindre. À l'approche des présidentielles, les fonctionnaires subventionnés de l'Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie indique la voie à suivre aux candidats pour rendre ce pays encore plus déprimant qu'il n'est. S'ensuit donc un inventaire à la Prévert (la poésie en moins, la poésie, c'est mal, c'est une drogue!) des mesures qui permettront notamment d'engager davantage la nation du vin sur le sentier très peu lumineux de la Prohibition. Le tout présenté sous forme d'interrogatoire aux différents candidats.


Il est ainsi question d'imposer un prix minimum aux boissons alcoolisées. Un système imaginé par des hygiénistes Anglo-Saxons mais très peu appliqué actuellement. Assez complexe aussi, genre usine-à-gaz (ça permettra d'embaucher quelques gratte-papiers et contrôleurs de plus, on en manque en France…), le produit est taxé en fonction du nombre d'unités d'alcool qu'il contient. En théorie, donc, cela pénalise les boissons les plus fortes, et les buveurs les plus assidus.
Mais, la mesure qui m'a frappé, qui vise exclusivement le vin (et mise en avant ici par Vitisphère), c'est la demande d'un étiquetage exhaustif, sur chaque bouteille, de ce qu'elle contient.
  1. - la quantité d’alcool pur (attention, ce n'est pas le titre)
  2. - l’apport calorique
  3. - sa composition avec notamment la teneur en sulfites (pas la mention contient sulfites, mais la dose)
  4. - sa teneur en résidus de pesticides et autres produits phytosanitaires (ce qui implique une analyse du produit fini, a posteriori, en recherchant des dizaines de molécules et en affichant leur taux)
  5. - une mention plus visible du risque pour les femmes enceintes.


Il est évident que, sauf dans l'esprit des fonctionnaires de l'ANPAA (qui ont du en fumer de la bonne…*), faire tenir tout cela, de façon lisible sans microscope (principalement l'analyse), sur l'étiquette d'une bouteille de vin est impossible. La seule solution est de renvoyer à une page web via un lien de type QR Code, comme je l'expliquais dans cette chronique qui montrait qu'effectivement il est possible d'indiquer ce que contient (ou pas) le produit en matière de résidus de pesticides.
Reste que se réalise là une de mes vieilles prédictions**, la jonction d'un certain marketing naturiste et des incantations hygiéno-prohibitionnistes, au nom de la Santé publique. L'ANPAA, qui ne déçoit jamais***, prend d'ailleurs avec aisance les patins du message distillé depuis quelques années dans les médias français, "vignerons-empoisonneurs-pollueurs!", et se lance dans une campagne anti-SO2 digne d'un néo-sommelier du XIe arrondissement.
La boucle est bouclée. Peut-être serait-il temps de recommencer à vendre du vin autrement qu'en lui crachant dessus?




* Ils préconisent d'ailleurs, implicitement, la légalisation du cannabis. 
** Lisez, lisez, c'est ici, et ça date de 2012. En voici un extrait, le texte s'adressait à Antonin Iommi-Amunategui, à l'époque blogueur et désormais organisateur de salons vinicoles:
"Pour de nombreuses raisons, en tête desquelles mon amour immodéré du vin, je ne suis évidemment pas partisan d'un matraquage des jus, ni au SO2 ni à rien d'autres. Je n'ai pas spécialement envie non plus de me faire l'avocat du soufre, je veux bien lutter contre les idées reçues mais la perspective du martyre de saint Sébastien ne m'enchante guère, pas plus que celle de débats scientifiques à l'iranienne avec des détenteurs de bacs littéraires. Je veux juste répéter ici ce que je disais ce matin à Antonin Iommi-Amunategui. Il me semble que si l'on réduit le vin à ses possibles effets nocifs sur la santé, le boomerang va vite nous revenir dans la figure. Au delà de cette histoire de soufre, d'une certaine façon sanitairement assez anecdotique, est-ce le rôle des amoureux du vin que d'apporter de l'eau au moulin du Pr Got et sa clique hygiéniste? Ne vont-ils pas sauter sur l'occasion pour nous expliquer à quel point le vin est un poison? Le tout sur l'air de "on vous l'avait bien dit ma pôv' dame…" Mais, eux, il ne vont pas jouer à touche-pipi avec quelques milligrammes de sulfites, on va parler de grammes, de grammes toxiques, de l'alcool contenu dans chaque bouteille et du nombre de décès annuels qui en découle. "Regardez, ajouteront-ils, perfides, ces cirrhoses et ces cancers du foie, jusque chez les vignerons!" Car effectivement, il n'auront pas tort, avant que dans le vin nous absorbions des doses létales de soufre, l'alcool nous aura tué depuis longtemps!
Donc, oui, j'en suis convaincu, Antonin, vendre le vin ou une catégorie de vins en faisant cause commune avec l'hygiénisme est une pente savonneuse. Ne nous trompons pas de combat."
*** Vous vous souvenez de ça, en matière d'outrances, ça valait mille?



Subjectivité & négationnisme.

$
0
0

Il y a plein de façons d'aimer le vin, il y a aussi beaucoup de façons de ne pas aimer un vin. Trop lourd, trop boisé, trop démonstratif, trop levuré, trop mat, trop court, trop acide, trop oxydé, trop thecno, trop austère, trop amylique, trop dilué, etc. Il y a même des façons instinctives, sur lesquelles on ne peut (ou l'on n'a pas envie de) poser des mots, un peu comme l'animal se détournera d'une flaque pour aller boire dans une autre. Le même vin d'ailleurs, selon son humeur (par pitié, ne nous ressortez pas le coup des jours racine, fruit & Cie*) et selon la nôtre, nous donnera des raisons de l'aimer, ou pas. 
Bref, de subjectivité, cette boisson n'en manque pas, en tout cas dans l'approche que peut en avoir le buveur. C'est bien pour ça que les buveurs d'étiquettes sont une malédiction. Amis des marques et des modes, ennemis du libre-arbitre, ils rétrécissent le champ des possibles. Peu importe à ces fashionistas du pinard, selon l'espace-temps, qu'on leur inflige une pipe-à-Pinocchio, un jus de banane, un vinaigre avarié, si le sigle, le logo, l'emblème du produit concerné correspond au statut social qu'il souhaitent afficher; comme dit un vigneron de mes amis, "on pourrait leur servir de la pisse, le résultat serait le même". Pour eux, comme dans certains défilés, le ridicule ne tue plus.


La subjectivité, pourtant, a ses limites. En tout cas pour des individus dotés d'un odorat et d'un goût normaux. Et ces limites ne sont pas toutes subjectives. Autant certaines sensations organoleptiques, pourtant pénibles (le sur-boisage par exemple) sont difficilement mesurables, autant d'autres sont aisément quantifiables. Il en va ainsi de l'acidité volatile, pour simplifier, le fait de savoir si un vin est encore un vin ou s'il est devenu autre chose, plus proche du vinaigre.
Attention, loin de moi l'idée ici de jouer au dégustateur professionnel, vous savez le type qui a le vin triste, et qui ne cherche que des défauts là où il y a du plaisir! L'acidité volatile, d'ailleurs on le sait, peut doper certains vins, leur donner un côté sinon aérien en tout cas plus éthéré. On en trouve même des doses effrayantes dans certaines bouteilles de légende**. Mais comme toujours, tout est question d'équilibre, d'harmonie. Là où elle servira de coquetterie chez une diva, elle achèvera de détruire un gringalet débile.


Si je vous parle de ça, c'est parce que, récemment, je me suis carrément fait foutre de ma gueule par des fashionistas du picrate parce que j'avais osé suggérer qu'un odieux liquide qu'on avait tenté de me faire ingérer était plus proche du vinaigre que du jaja. En fait, ce gamay du Lot (pas de nom, soyons charitables***…), vendu en VdF, nous avait à l'époque offert une formidable crise de fou-rire. Réellement, il était piqué à point qui vous faisait "friser les poils du nez" quand un verre vous passait à moins d'un mètre. En y repensant, il m'avait en fait évoqué deux souvenirs drôlatiques, un Clos Mogador des années quatre-vingt-dix plus brûlant que le vinaigre d'alcool avec lequel les vieilles nettoyaient jadis les vitres (j'avais d'ailleurs eu un peu peur pour le siphon de l'évier…) et, plus ancien, la piquette**** fleurie avec laquelle mon ami L'Amiral***** égayait ses dimanches d'hiver à Noé, arme de destruction massive de la tuyauterie humaine produite à l'époque par le kolkhoze haut-garonnais de Jean-Baptiste Doumeng (ci-dessus), le fameux "milliardaire rouge".

Un peu agacé par les quolibets des vendeuses de colifichets qui voyaient dans mon avis une déviance, voire une dégénérescence, de mes facultés gustatives, j'ai donc décidé d'en appeler au juge de paix, l'analyse du gamay concerné. Un échantillon a donc été soumis à une petite merveille de la technologie danoise, l'OenoFoss. Cette machine réputée, permet de mesurer jusqu'à dix paramètres sans passer par un laboratoire œnologique, ce qui est pratique notamment en période de vinification pour des domaines éloignés de tout. C'est donc l'acidité volatile (indicateur du vinaigre potentiel) qui a été recherchée. Voici ce que le Foss a trouvé, ce sont les trois lignes du haut.


Trois lignes, pourquoi?
Parce qu'à la première tentative d'analyse, la machine s'est mise en position erreur, "-999,00". Cela signifie tout simplement que pour elle, le produit qui lui a été soumis ne peut être mesuré en tant que vin, puisque son acidité volatile dépasse les 1,20 grammes au dessus desquels un vin de table (VdF) n'est plus "légal et marchand", ce taux étant inférieur pour les vins d'appellation protégée.
Afin de pouvoir quand même pratiquer une analyse, l'œnologue a utilisé un truc: l'échantillon a été coupé à cinquante pour cent d'eau distillée. Le Foss a délivré son verdict (répété deux fois), entre 0,63 et 0,65g d'acidité volatile par litre, résultat qu'il convient de multiplier par deux pour connaître le taux de volatile de ce produit que nous pouvons donc plus appeler du vin mais déjà un vinaigre: entre 1,26 et 1,30g de volatile par litre.
J'ajoute que pour couronner le tout, il s'agit d'un vin chétif, avec peu de matière, et un titre alcoométrique volumique faible, de 11,6%, un vin dont la verdeur est accrue par la suspicion (ah, le Foss…) qu'il n'ait pas fait sa fermentation malo-lactique.
Je repense à ce massif marchand de vin d'un autre temps (un des précurseurs du vin nature à Paris), plongeant ses gros doigts dans un verre de rouge qui venait de lui dévaster la trachée et répondant à ceux qui lui demandaient ce qu'il fabriquait: "j'ai trouvé le vinaigre, je cherche les cornichons!"


Comme le bougnat sus-cité, j'aime, j'adore le vinaigre, je les collectionne et en fabrique même. Mais j'évite de les boire, je les réserve plutôt à la cuisine. Cette chronique d'ailleurs, n'est absolument pas là pour stigmatiser tel ou tel vin, telle ou telle catégorie de vin. Elle n'est pas là non plus pour tenter de faire changer d'avis qui que ce soit, chacun boit ce qu'il veut, ce qui lui semble correspondre au statut qu'il recherche. Comme l'écrivait récemment l'écrivain pinardier britannique Jamie Goode (à propos du calendrier évoqué plus haut), "quand nous modifions nos croyances, c'est rarement sur la base des faits qui les contredisent". Non, le propos est uniquement  de décontracter les buveurs normaux, les clients lambda. Si on vous sert un "vin" qui vous pique, qui vous brûle, qui vous "fait friser les poils du nez", même si on vous prend pour un plouc, pour quelqu'un de démodé, vous avez parfaitement le droit de le dire. Et même, face à cet espèce de négationnisme, de suggérer qu'il s'agisse de vinaigre.



* Pour ceux qui ne l'ont pas encore lu, lire cette destruction scientifique du fameux calendrier biodynamique de dégustation des vins. Plusieurs chercheurs ont démontré qu'il s'agissait d'une foutaise, ce à quoi l'empirisme des franc-buveurs avait conclu depuis belle lurette.
** J'avais notamment évoqué ça ici
*** Pour éviter tout quiproquo, je précise bien qu'il ne s'agit pas de la splendeur vigneronne évoquée ici, propre à guérir les abstèmes.
**** "Piquette" au sens populaire, pas au sens technique que je développais dans la chronique qui se trouve au bout de ce lien hypertexte.
***** L'Amiral, de son vrai nom Nicolas Fichot, ancien grand-reporter au Parisien à l'agence Reuter est parti réaliser son rêve en buvant du cidre en Bretagne (certains vins des héritiers spirituels de Doumeng n'en étaient pas loin…). Et il a inventé ce magazine, Le Radier, consacré à son pays d'amour et de bateaux. Je lui dois un article depuis trop longtemps.



Jusqu'à la lie.

$
0
0

J'étais gamin quand j'ai vu ce film. Un peu par hasard. Peut-être un peu trop tôt d'ailleurs. du grand Sydney Pollack, Jane Fonda, la Crise, la grande Dépression, la misère devenue un objet de spectacle, d'amusement. Film dur, pénible même.
Pour une raison que j'ignore, j'y ai repensé hier en lisant l'annonce d'un commissaire-priseur. Il n'y ait pour rien, le pauvre. Il fait son métier. Dans la froidure de l'hiver saumurois, le trente-et-un janvier, il va disperser au quatre vents, au mieux-disant les souvenirs du Clos Cristal. Un 4X4, quelques cuves, des lots de grand cru traités comme de la pisse d'âne…


Que dire de plus que ce que j'ai écrit ici? Si ce n'est que décidément cet échec, nous le boirons jusqu'à la lie, jusqu'au marteau du commissaire-priseur. Merci à tous ceux qui y auront contribué. Merci aux politiciens marrons (y compris à celui qui un temps s'était repeint de vert), à tous ceux qui font du métier du vin sans l'aimer, sans le respecter vraiment, merci au kolkhoze et à ses miasmes, merci à ceux qui n'ont rien compris, qui s'intéressent davantage à l'étiquette qu'au contenu, pour lesquels la Nature n'est qu'un argument marketing. 



J'aime boire l'hiver.

$
0
0

Parler du temps, c'est le propre de ceux qui n'ont rien à dire. De ceux dont il est compté aussi parfois. Je vous passe le météorologisme journalistique avec lequel il ne faut pas être cruel. Comme je suis de bonne humeur, j'y vois une forme d'ingénuité, presque d'émerveillement enfantin. Oui, vous savez, la classe de cours préparatoire, ou de cours élémentaire quand elle découvre par la fenêtre que tombent les premiers flocons. 
Chaque année, donc, à la même époque (une telle coïncidence, ça ne peut être qu'un complot, éventuellement judéo-maçonnique), il se met brusquement à faire froid. Ou chaud, d'ailleurs (autre coïncidence troublante). Ces temps-ci, c'est plutôt du froid qu'il est question dans les gazettes. Moi qui ai traversé la France hier, je dois admettre que la Presse, contrairement à ce que beaucoup prétendent, ne ment pas. Les esprits cartésiens, totalement dépourvus de l'ingénuité sus-évoquée, me rétorqueront que c'est l'hiver. Après consultation du calendrier des Postes (je suis en France), j'admets que leur raisonnement se tient. Mais l'émerveillement quand même…


En fait, si je vous parle du temps, c'est que j'aime son influence sur ce que je bois. Sur ce que je mange aussi. Il est question de soif et d'appétit, de cette envie hivernale de se resservir, mais pas que. Au dîner, par exemple, j'ai été émerveillé par les quelques bouteilles (cognac compris) qui ont arrosé le chou farci, le pâté, les rillons, l'andouillette et la rouelle de porc du Poitou. Et franchement, j'y vois un lien avec la météo. Un peu comme pour celui qui s'élève dans les cuves, les barriques et les amphores (vous avez vu, je suis branchouille*, hein?), je vois un effet bénéfique de ce bon coup de froid sur les flacons qui vieillissent sagement en cave.
Bon, ne croyez pas pour autant que l'hiver va vous transformer un tocard en cheval de course, ça aussi on l'a constaté au dîner avec un corbières "de bar à vin parisien" dont les mauvais côtés beaujolaisques (carbo, sucraille, tout ça, tout ça) ont fini à l'évier. Mais les beaux vins semblent, notre soif aidant, étinceler encore davantage. Par exemple ce petit châteauneuf-du-pape avec lequel nous nous sommes dégourdis, long et cristallin, d'une époustouflante buvabilité pour un bébé pareil.
Idem pour les rouges, deux profils différents, mais dans les deux, le même allant. Deux jus de fruit du pays de Carmet, encore jeunots, mais qui n'attendaient que le tire-bouchon. La belle longueur du plus que classique Grand Mont 2005 de Pierre-Jean Druet**, le fruit éclatant des Perruches 2009 de Gérald Vallée***. Quand je pense que c'était notre dernière bouteille de cet adorable saint-nicolas-de-bourgueil!


Bon avant de reprendre la route, d'aller tels des fous du volant (regardez ci-dessous mon beau-frère comme il conduit bien!) chercher nos médocs à Pomerol (comprenne qui pourra), je voulais juste vous toucher un mot d'un vin dont je viens de découvrir avec émerveillement qu'il nous en restait en revanche, à défaut d'une caisse, un plein carton. C'est un bourgogne d'avant les hélicoptères****, un 2002 acheté dix euros tout rond en deux mille onze. Étoffé, parfumé, presque murisaltien. Ça nous aidera à attendre la saison suivante, je crois…




* je rigole, mais même si la mode (comme souvent) m'agace un peu, en tout cas dans ses systématismes idiots, et dans ce qu'elle comporte de panurgisme tout aussi crétin, je n'ai pas été le dernier à dire du bien de certains vins d'amphore. Ici, par exemple.
** Quelle tristesse d'apprendre il y a quelques mois que la belle histoire, exemplaire en son temps, de ce vigneron historique de la Loire s'est si mal terminée!
*** J'ai un reportage tout prêt à vous envoyer à l'occasion sur ce beau Domaine de la Cotelleraie, un des fleurons de Saint-Nicolas-de-Bourgueil. De jolies nouveautés en 2015!
**** Je crois que ça restera, Jean-Marc. En revanche, on a aussi bu une merveille de chez toi récemment…


Viewing all 1105 articles
Browse latest View live