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Channel: idées liquides & solides
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Même avec le casque…

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On a beau aimer passionnément le produit, certains jours, on le fuit. Ces jours où l'on a du vieux Hank que la gueule de bois, et éventuellement cette gloire matinale qui tient davantage du réflexe que de la réflexion personnelle. À trop aimer…
Le vin a un prix, celui du lendemain. Notamment. Même pour ceux que la Nature a (partiellement) préservé des effets nauséeux de la resaca. Petite digression d'ailleurs à propos de ce terme espagnol que je trouve absolument génial pour qualifier l'état du jour d'après, "resaca", "tener resaca". J'y entends l'éblouissant ressac (le mot est équivalent) sur la plage de Sant Pol* quand la veille… Un bruit, une lumière et une sensation proche du plus insupportable roulis, celui du mouillage, si la crique où il a été question de déjeuner n'est pas assez protégée. Par parenthèse, saluons le génie des inventeurs inconnus de la barque catalane qui en la matière, malgré son absence de quille, fait figure de parfaite salle-à-manger flottante, d'une incroyable stabilité, suffisamment plate pour accéder à des hauts-fonds interdits aux autres bateaux.


Ces jours-là, donc, honnis comme la veille par les censeurs** qui prétendent foutre leurs tristes nez dans nos jolis verres (parfois même dans nos culottes***…), notre ami le vin nous semble un ennemi. Et ne venez pas me raconter des fables de puceaux ou de petits commerçants comme quoi si j'avais plutôt bu du sans-souffre je souffrirais moins. Nature ou pas, quand tu as tapé dans la gourde, le lendemain, tu passes à la caisse****, je vous le promets, j'en ai administré la preuve scientifique, ici, et à de multiples reprises.


N'empêche que comme toute règle scientifique, celle de ces lendemains qui déchantent, de ces lendemains abstèmes a ses exceptions. Je viens d'en connaître une. Plus qu'inattendue. Parce qu'on parle là des vins d'une grande région viticole, prestigieuse mais plutôt connue pour ses vins musclés qu'on imagine donc assez mal dans le rôle de tisane anti-resaca
Nous sommes en Douro, au pays des capiteux portos. Pas n'importe lesquels évidemment, ceux dont je vous ai maintes fois parlé, les portos sans alcool de João Roseira*****. Mais, ce n'est pas du Quinta do Infantado que nous avons dans le verre, pas de vintage, de tawny à l'horizon, l'heure est au douro sec, le vin rouge encore trop méconnu en France mais qui explose dans le Monde entier. 


Les douros, c'est comme partout, il y a de tout. Beaucoup d'engins bodybuildés, cuits sur les pentes majestueuses de cette incroyable vallée viticole, et puis des OVNIs, à l'image de ces trois bouteilles alsaciennes qui débarquent dans ce jour d'après. 
Franchement, au début, quand João m'alpague, par hasard ce matin-là, je ne m'imagine vraiment pas goûter du vin. D'autant plus que mon cher sencha Fuji a été réduit à une seule théière, et que j'ai passé dune heure à faire la discussion en pré-banlieue à des vendeurs de voitures persuadés du sublime intérêt du "Bichénonne******" et autres sublimes trouvailles automobilesques allemandes qui se monnayent au prix d'un grand cru bordelais ou bourguignon.


Mais bon, c'est João, alors, de bonne grâce, j'attrape le verre qu'il me tend gentiment. Un blanc pour se décrasser, c'est vif, joyeux, pas complètement mon style à cause de ce côté un poil exubérant, mais d'une fraîcheur qu'on ne s'attend pas à trouver dans un sec du Douro. Pas mal.
Et puis, sans se perdre en blabla, il me sert un peu de la deuxième bouteille d'Alsace. 
– Ah, c'est rouge? 
– Eh oui, regarde l'étiquette, Tinta francisca, c'est le cépage. 
Effectivement, on a du en rencontrer en faisant les alpinistes chez lui, sur les coteaux de Covas de Douro. Et ça, c'est vraiment très bon. Quasiment idéal dans mon état, entre une syrah du nord, un braucol de Plageoles et un beau breton ligérien. On est à des années-lumière de l'image un peu lourde qu'on a des vins de cette région portugaise. C'est frais, digeste, gouleyant mais avec du fond.


Idem avec son petit-frère, très proche mais peut-être un poil plus structuré, le Touriga fêmea, autre descendant du touriga nacional. Encore un vin qui efface les lendemains. À tel point que je m'en suis resservi un verre, pas pour goûter, mais pour boire.
Alors, bien sûr, vous me direz que tout ça, c'est de l'alcoolisme mondain, de l'ivrognerie. Que de surcroît s'y ajoute le délicieux accent humide et chantant de João Roseira. Pourquoi pas? N'empêche que je vous promets que j'ai trouvé là des vins qu'on peut boire même "avec le casque".



* Célèbre plage chic de Sant Feliu de Guixols où se trouve le non moins célèbre Villa Más de Carlos Orta. Figurez-vous que grâce à Lola Taboury-Bize, on est allé dimanche dernier, en compagnie de grands vignerons (dont João Roseira et tant d'autres dont le grand monsieur ci-dessous) y visionner un film sur le vin (pourtant…), une sorte de Mondovino avec plus de cœur, plus de buvabilité, et moins de marketing politique. On en reparlera.


** Je parle évidemment des prohibitionnistes subventionnés que nous nourrissons en France. Vous l'avez peut-être lu récemment (ici), ils se sont même immiscés dans le débat politique, poussant certain(e)s candidat(e) à la faute.
*** Les mêmes hygiéno-moralistes de l'ANPAA qui souvenez-vous prétendaient aussi réglementer nos pirouettes intimes, au nom de leur sacro-sainte addiction. Je m'en moquais dans la chronique qui se trouve au bout de ce lien.
**** Pourtant, Dieu sait si on nous en raconte des conneries faussement médicales et totalement commerciales en la matière, genre propagande nord-coréenne comme ici, ou pseudo-scientifique .
***** Il en question ici ou .
****** Big Xenon en américain d'Espagne…
******* João Roseira qui d'ailleurs est le premier à répondre à cette question courte, fondamentale et ouverte à 360° que j'ai envie de poser à pas mal de monde: "pourquoi le vin?".



Le premier des premiers ne sera pas le dernier.

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Qu'on le veuille ou nom, c'est l'unique évènement de la grande pantalonnade des primeurs de Bordeaux. Une semaine, dix, quinze jours où les mondainvineux sont allés montrer leurs nouveaux habits, leurs nouveaux brushings, de château en château, goûter des vins qui n'en sont pas, des "échantillons" comme on dit sobrement, le nez dans les éprouvettes. Chacun d'entre eux, évidemment, s'est pris pour le nouveau Parker, une ribambelle de mini-Parkers, parfois grotesques, persuadés de la pré-éminence de leur pauvre avis dont tout le monde se fout, y compris les propriétaires un rien désemparés qui ont fait mine, poliment, d'être passionnés par leurs augures. Jouissant en fait, contrairement à celle, planétaire, du gourou déchu, d'une audience tellement restreinte, on se demande bien qui les lit à part leur famille. Bref, les primeurs bordelais sont morts sous leur forme parkérienne, n'y revenons pas, sur un coup de sang argentin, Michel Rolland avait tout dit l'an dernier*.


Laissons donc de côté ces bacchanales de notaires, devenues tellement provinciales qu'on se sent désormais obligé d'y inviter, pour faire la claque, des blogueurs assermentés, seconds couteaux du léchage de cul, et venons-en à l'évènement en question: "Château Latour se convertit intégralement au bio".
De fait, ce titre simple et efficace marque une révolution autrement plus importante sur les enculages de mouches sur des détails plus ou moins fictifs de vins qui n'existent pas encore. On savait que depuis 2008 que le prestigieux pauillac avait engagé le processus pour certaines de ses parcelles, il semble bien que nous soyons désormais dans l'irrévocable; avec le millésime 2016 ce sont les quatre-vingt-dix hectares de Latour qui sont entrées en conversion. D'après la directrice technique du Château, Hélène Genin (citée par Vitisphère), cette démarche a été engagée "à la demande expresse" du propriétaire, le milliardaire François-Henri Pinault. 


Détail cocasse, ce premier des premiers crus de 1855 à adhérer à la cause de l'agriculture biologique sera aussi le dernier à être mis en vente, puisque, vous vous en souvenez, Latour a également tourné le dos au système de vente en primeur**, lui préférant la méthode espagnol du Gran Reserva qui veut qu'on ne mette sur le marché qu'un vin, sinon prêt à boire, au moins assagi par le temps. C'est ainsi qu'en lieu et place des 2016, ce sont les 2012, 2011 et 2005 qui sont actuellement au catalogue.
Quelles que soient les motivations des uns et des autres, la profondeur de leur sincérité, il va de soi que cette décision (qui semble dans le microcosme ne susciter qu'un silence gêné) dresse violemment, en creux, le portrait d'une viticulture girondine de prestige qui n'a pas saisi, ou pas voulu saisir les enjeux de l'époque, trop absorbée qu'elle était au culte du Veau d'Or. Je vous ferai grâce du son de cloche opposé***, arc-bouté (avec la même foi qu'un technicien agricole d'une coopé des Corbières) aux croyances productivistes des Trente Glorieuses, il n'empêche que pour parler cru, Latour met ainsi à tous ses pairs, "le nez dans le pipi".



* Lire ou relire ici cette scandaleuse chronique où le barbu interplanétaire de Fronsac avait malencontreusement dit ce qu'il pensait, ce qui dans le Mondovino (bordelais ou pas), convenez-en est une énorme faute de maintien. Faute que je trouve personnellement de bon goût et que j'arrose d'un excellent verre de Fontenil.
** J'en parlais ici.
*** Avec comme bedeau, pardon, comme sonneur de cloches, Hubert de Boüard, le propriétaire de Château Angélus, premier lui aussi, par "la grâce de Dieu" mais plutôt dernier par rapport à la cause dont il est question ici… Lire ici.

Le beaujolais catalan.

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Vous connaissez la Catalogne des côtes, avec ses Porsche, ses nouveaux Russes et ses nourritures frelatées* ? Eh bien, oubliez-là. C'est à l'intérieur que je vous entraîne, dans “l'arrière-pays” comme on disait jadis, ce qui immédiatement vous donnait à l'endroit un côté arrière-boutique, l'idée d'une sous-région qui tiendrait la chandelle à l'autre, la vitrine, qui monnayerait l'écartement de ses cuisses avec davantage de professionnalisme.


En saison (elle s'achève), plutôt que les sphérifications ringardes de la côte, le plat de référence ici, c'est le calçot, mi-oignon, mi-poireau, grillé, brûlé à la flamme. Le calçot a sa capitale, dont le nom fait sourire en France : Valls**. On se régale de cette merveille diététique en la recouvrant d'une montagne de sauce hypercalorique que les touristes prennent pour de la romesco***. Et en buvant, sans folkorisme surjoué, au porró, un vin qui se doit de rester frais même quand le soleil de Pâques se prend pour un aoûtien et brûle la peau de pierre des splendides villages du coin.


Le vin, allez-vous me dire, voilà le problème. Dans ce coin d'Espagne, au sud de la Catalogne, ça tape. On aime l'alcool, le bois et le sucre. À peu près tout le contraire de ce qui fait chanter le calçot et, au passage, rend la sauce rousse aussi indigeste qu'une “barbacoa” de fast-food.
Mais ici, en Conca de Barberà, on a la solution. Comme souvent, il ne faut pas la chercher bien loin. Appliquer la règle des sages, fouiller la mémoire collective, les bibliothèques orales, se fier au seul identitaire qui vaille (avec le gastronomique), l'ampélographique.
La solution, donc, porte un nom, catalan évidemment: le trepat.


Ce cépage, probablement autochtone du nord-est de l'Espagne, n'est pas exclusif de la Catalogne. On le cultive également dans d'autres régions comme la communauté de Valence ou Murcie (sous le nom de bonicaire****). Sa grande particularité, ô combien précieuse sur ces terres hautes certes (de 350 à 600 mètres d'altitude) mais que l'été peut accabler, c'est que, bien cultivé, il mûrit sans cuire ni s'envoler en alcool.
Vinifié sur le fruit, avec une pointe de macération carbonique, il prend (à l'image de la bouteille de 2016 du Celler Carles Andreu ci-dessus vendue dans les sept-huit euros) de gentils arômes de guigne, acidulés, évoquant un jeune beaujolais qui aurait évité de se faire pénétrer par la violence amylique d'une banane trop insistante.


En plus du gamay, pour rester dans les comparaisons, on pourrait aussi penser aux équilibres aériens d'un mauzac noir d'année faible, comme on sait le faire à Gaillac, chez Plageoles. Ou encore aux trousseaux tranchants qu'on buvait chez Lucien Aviet à Arbois sous le nom de Cuvée des Géologues, qu'on aurait d'ailleurs du essayer au porró sur des calçots avant que leurs tarifs ne les réservent à des précieux souvent ridicules des arrondissements à la mode.


Un peu plus mûr que les douze degrés du vin de l'année de Carles Andreu, le trepat prend des accents poivrés qui peuvent aussi faire penser à des petites syrah de la Drôme ou de l'Ardèche. Ainsi le délicieux petit Cuca de Llumà sept euros cinquante deSuccésVinícolaqui produit également une cuvée furieusement d'actualité en ces temps électoraux français, El Mentider, "le menteur"…
D'autres projets plein d'énergie sont d'ailleurs en train de voir le jour sur les jolis terroirs calcaires de cette Conca de Barberà, ainsi celui de Marc Lecha et Fredi Fresquito Torres (que je n'ai pas encore goûté).
 

Un cépage intéressant donc, un terroir qui lui va bien au teint, le tout emballé dans une micro région superbe parsemée de sites et de monuments historiques (notamment l'important monastère cistercien de Poblet), pourquoi ne s'y est-on pas intéressé plus tôt? Tout simplement parce que cette région était presque exclusivement sous l'emprise du kolkhoze. Les coopératives faisaient la loi, tirant comme il se doit la qualité vers le bas en célébrant le culte du degré/hecto. La première coopérative espagnole a d'ailleurs été édifiée ici, à Barberà de la Conca, en 1903*****.
Toujours est-il qu'avant la renaissance actuelle suscités par quelques initiatives privées, le pauvre trepat, mal aimé du kolkhoze, a vu ses surfaces divisées par trois entre 1990 et 2010. On lui préférait des variétés plus "qualitatives" comme disent les techniciens avisés et les crânes d'œuf du Ministère…


Juste une petite visite touristique avant de vous laisser, celle d'une boutique de la carrer Major de Montblanc, une incroyable boutique de vins d'avant le marketing où, en plus de bonnes bouteilles de trepat on vous vendra du vermut, des olives, des fruits confits, du savon, des noisettes du jardin, du liquide-vaisselle, des graines, du papier-cul, des bonbons en vrac et même des cierges. Des cierges qu'on allumera en mémoire des agnostiques, des anarchistes, des sorcières du coin****** qui, de l'Inquisition à Franco, connurent le garrot, et même des bûchers moins réjouissants, moins arrosés de “beaujolais catalan” que les calçots de la Conca de Barberà.




* Avec ses belles surprises aussi, soyons honnêtes. Les appétits de La Menta, les soifs du Villa Mas, et le poisson à la braise, les pieds dans le sable de Toc Al Mar. Loin en tout cas de la cuisine moléenculaire, chimico-industrielle, falsifiée, de la mafia du Guides des Pneus ou du Top 50, qu'on réserve aux gogos cocacolesques, aux fashionistas de la malbouffe.
* Pour en savoir plus, sur Valls un peu, sur le calçot surtout, lire cette chronique.
*** C'est en fait une salvitxada, composée de tomates rôties, de piments ñora et banya de cabra, d'amandes, d'ail, d'huile d'olive, de vinaigre et de pain.
**** Voire de mandó, ce que contestent les autorités agricoles catalanes car, dans ce cas, il cesserait d'être autochtone pour devenir immigré de La Rioja. Que voulez-vous, les cépages se tapent des nationalismes et des régionalismes comme de leur première vendange…
***** Des coopératives qui en revanche présente l'intérêt d'avoir été édifiées à l'époque moderniste et qui présentent donc un intérêt architectural certain à défaut d'avoir marqué l'histoire pinardière.
****** D'où notamment la restauration d'une "clairière des sorcières", avec sa pierre d'amour ou de sacrifice en son centre au milieu des forêts perdues d'El Fonoll (ci-dessous), tout au nord de la Conca de Barberà.


Quel vin pour quel président ?

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Volant le métier de ma compagne, j'ai donc décidé de jouer aujourd'hui au sommelier. Pas tant en inventant d'improbables mariages qu'en choisissant des vins à la gueule du client. Parce que finalement, c'est un peu ça le métier de sommelier. Plus encore que d'œnologie, il est question d'un mélange de physionomisme et de psychologie qui permet d'accorder une bouteille à l'envie et au tempérament de celle ou celui qui se trouve face à vous.
L'époque étant en France à la politique, j'ai appliqué cette règle à ceux qui rêvent de régner sur la cave du 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré, en tout cas pour ceux que l'on appelle improprement les grands candidats de cette élection présidentielle. Et notamment les quatre qui à quelques jours du scrutin semblent, selon les sondages, en mesure d'accéder au second tour.


Pour Marine Le Pen, instinctivement on pense à un champagne (je sens que je vais me faire des amis en Haute-Marne et dans l'Aube…). D'abord parce cette héritière des beaux quartiers parisiens en a largement les moyens. Il y a ensuite cette vieille histoire de La Veuve Poignet, cette bulle en forme de gaudriole à laquelle était associé jadis son père et qui avait triomphé dans les clubs gays de la capitale. Le filon du champagne a d'ailleurs été repris par sa nièce Marion Maréchal-Le Pen dont les meetings provençaux s'arrosaient d'une marque amie sobrement baptisée Empire.
Pour autant, entre le programme du père Le Pen et celui de sa fille s'est creusé un immense fossé. Lui, un peu de façon reaganienne, parlait de libéralisme économique, d'entreprise, elle a opté pour une démarche qui s'apparente peu ou prou au Programme commun de la Gauche socialo-communiste de 1981, la haine de l'Europe en plus. Nous allons donc éviter les vins de bourgeois et puiser dans le registre populiste avec un rouquin de coopé évitant toute inutile concession environnementale (ce qui n'est pas non plus son dada).


L'idéal est évidemment d'aller le chercher dans l'important réservoir kolkhozien du Languedoc-Roussillon où la candidate du Front National a installé son petit nid d'amour avec Louis Aliot (à Millas très exactement). J'avoue mon incompétence en la matière, je lui ai donc choisi une vieille connaissance dont l'étiquette ne devrait pas lui déplaire puisqu'il s'agit d'un "Vin de France" embouteillé à une trentaine de kilomètres de Millas, côté audois, La Buvette, de la Société Coopérative Vinicole d'Embres-et-Castelmaure. On doit pouvoir trouver des équivalents plus proches (et peut-être meilleur marché), aux Vignerons Catalans ou au Mont Tauch, mais encore une fois, je ne suis pas spécialiste.


Quand on pense à François Fillon, de la même manière qu'avec DSK le sexe s'imposait, c'est l'argent qui vient à l'esprit, cette concupiscence quasi-maladive. Il faut donc un vin cher, hors de prix même; il trouvera bien des "amis" pour lui offrir (quitte à leur rendre quelques semaines plus tard la consigne vide…). Un vin cher, et forcément pas bio puisqu'on sent bien dans son programme une certaine défiance quasi-trumpienne vis-à-vis de cette agriculture de pouilleux.


Vu sous cet angle, guère d'hésitations, fonçons à Saint-&-Millions et descendons au Château Angélus dont le propriétaire, Hubert de Boüard de Laforest, est d'ailleurs comme l'ex-député de la Sarthe un vieux requin de la politique, pinardière en l'occurrence; on ne peut pas non plus le soupçonner d'accointances avec l'agriculture biologique*. Angélus, au passage, on notera que ça ne peut que susciter de pieuses érections dans les milieux catholico-versaillais tendance Frigide Barjot qui font don de leur corps pour François Fillon. Et ça rime aussi avec russe, ce qui ne peut pas nuire.


Restons à Bordeaux avec Emmanuel Macron. Tout simplement parce que lui-même reconnaît avoir une préférence pour les rouges girondins**. Alors, bien sûr, certains objecteront que l'on aurait pu opter pour un des célèbres crus du Beaujolais, pas le saint-amour (l'amour est récurrent dans ses discours…), mais le moulin-à-vent, idéal malgré sa corpulence pour un candidat fréquemment accusé de brasser de l'air. On aurait également pu penser à un cahors puisque j'ai appris, juste après avoir écrit la chronique évoquée plus haut, sur ses amours liquides, qu'à table et chez son caviste attitré, il faisait plus qu'honneur au bon jus de côt.
Mais non, ne quittons pas la Gironde, d'autant que je pense que les tanins d'un bon bordeaux permettront de donner un peu de cette assise que son jeune âge ne lui a pas encore conférée. La solution de facilité serait bien sûr de filer vers Pauillac et de verser un coûteux verre de Lafiteà Emmanuel Macron; est-il besoin de rappeler de rappeler la carrière professionnelle du candidat et son travail*** à la banque appartenant à la branche française de la célèbre famille Rothschild, également propriétaire du premier cru médoquin?


Je lui conseillerais plutôt, pour gommer son côté "giscardien" de filer vers la Rive droite. Et de chercher un "vin de corrézien". Ma suggestion? Le délicieux bordeaux-supérieur de Jean-Philippe Janoueix****, désormais intitulé Croix-Mouton mais que nous avons connu sous le nom de Mouton, ce qui fera le lien avec la famille Rothschild, en tout cas sa branche anglaise.


Même s'il semble mis à l'écart de la "bande des quatre", et relégué parmi les petits, faisons un tour du côté du Parti Socialiste et de son candidat, Benoît Hamon. Pauvre Benoît, il fait presque un peu de la peine. Me viennent à l'esprit les paroles d'une vieille ballade de scouts chantée par Hugues Aufray,  "Pauvre Benoît n'est pas méchant, mais il joue seul avec le vent…"
Assurément le candidat socialiste a besoin d'un réconfortant, nous éviterons donc le vin sans alcool que devrait lui imposer la Loi Évin et partirons vers quelque chose de plus tonique, un peu vintage aussi et pourquoi pas un peu mode puisque une célèbre marque de fringues de Philadelphie en a même récemment fait un symbole rétro.


C'est un champagne, une cuvée du début des années quatre-vingts, quand Bernard Tapie se cantonnait encore à la chansonnette. Une authentique rareté, un collector, "ça va coûter une fortune!" vont hurler les trésoriers du PS qui sentent venir le temps des vaches maigres. Pas du tout! J'ai ai trouvé une en vente sur Ebay, à un très bon prix qui ne devrait pas faire exploser les comptes de campagne de Benoît Hamon, 28,54€ en achat immédiat (et peut-être un peu moins en faisant une contre-offre). Seul léger inconvénient, la bouteille est vide. En même temps, il y a très peu de chances en l'état actuel que l'on ait besoin de champagne dimanche soir rue de Solférino…


Pour Jean-Luc Mélenchon, la tentation est grande, à l'instar de sa symétrique d'extrême-Droite, de recourir au kolkhoze. Avec une pointe d'ironie, on pourrait même suggérer à l'ex-sénateur socialiste devenu député européen néo-communiste, ou chaviste, bolivarien comme vous voulez, de choisir un vin vénézuélien (si, si, ça existe!). Malheureusement, compte tenu de la profonde crise économique que connait le pays depuis le début des années deux mille la pénurie est telle que même le vin de messe est rationné comme l'annonçait en 2013 cet article de Courrier International s'appuyant sur la Presse locale.
Vin de coopé, donc, pourquoi pas celle de Montagnac dans l'Hérault où Jean-Luc Mélenchon est allé porter la bonne parole. Les adhérents ont d'ailleurs lancé une cuvée qui devrait lui parler puisque baptisée Nature! (sans que l'on sache exactement pourquoi). Car vous le savez, depuis quelques temps, le candidat s'est tourné vers le créneau des vins naturels*****. Assez naturellement donc, je me tournerai vers un "Vin de France" de Loire, Rouge de Brendan Tracey un natif du New-Jersey installé près de Vendôme, dont le message politique surpasse de loin le propos œnologique.

Rendez-vous dimanche soir pour savoir ce qu'on boira au second tour…




* Lire ou relire ceci.
** Je parlais de cette préférence bordelaise dans cette chronique.
*** Faute de goût, travailler, normalement, ça ne se fait pas dans l'aristocratie politique française!
**** Évoqué au détour de cette chronique.
***** Aux dernières nouvelles, si j'en crois cet article du Parisien, il faudra de surcroît que ce vin soit vegan et se marie bien, donc, aux bouillies de de quinoa et autres hamburgers végétaux, mariages pour lesquels je n'ai pas une grande expérience.


Une catastrophe.

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Avec ce vigneron dont j'adore les vins, on a bouclé avant-hier le chantier engagé il y a quelques mois: rénover les étiquettes de ses bouteilles qui franchement n'étaient pas à la hauteur du contenu. C'est avec le millésime 2015, embouteillé après l'été, que le changement va s'opérer. Et, comme à chaque fois que je crée une étiquette, je l'essaye avec différentes années. Les suivantes évidemment, 2015, 2016, 2017…
Enfin, 2017, je sais depuis ce midi que pour une de ses parcelles, je n'aurai pas à l'utiliser, ni même à l'envoyer à l'imprimeur. Du 2017, sur ce terroir girondin réputé, il n'y en aura pas. Le gel de la nuit dernière a tout vendangé. J'en ai pleuré. Et surtout, j'ai pensé à sa tristesse, à son angoisse, lui qui est en train de reprendre le domaine familial et qui chaque jour sa casse le cul dans les vignes et au chai. 


Il n'y a évidemment pas qu'à Bordeaux* (sur les deux rives) que ce sale coup d'hiver tardif a fait d'énormes dégâts. Vingt mille hectares touchés en Languedoc, du Minervois aux Corbières, la Champagne touchés au nord comme au sud, le Jura bousillé, de graves alertes dans le Sud-Ouest, Chablis de nouveau dévasté, Meursault qui bataillait encore la nuit dernière, Sancerre, le Muscadet fortement abimés, la Touraine qui a intelligemment mis en place de grands moyens, à Montlouis ou Bourgueil notamment où des hélicoptères tournent sur les vignes depuis plus d'une semaine afin de tenter de limiter la casse après un millésime 2016 massacré par le gel.


Tout cela fait évidemment penser à l'année terrible, 1991, que les anciens comme moi ont connue. Je me souviens de la tristesse de ces vignerons de Cahors que j'étais allés rencontrer sur le causse. Ce mélange de douleur et de résignation dans leurs yeux, le pauvre monsieur Baldes notamment qui au soir de sa vie n'avait pas besoin de ce malheur supplémentaire. En 1991, les gelées noires des vingt et vingt-et-un avril avait amputé d'un quart la production des appellations françaises.


Une fois les larmes séchées, que peut-on faire en ce putain de millésime 2017? Je ne sais pas trop. Boire du vin, bien sûr! Plus de vin! Mais ça ne remplacera pas les raisins manquants, surtout dans des appellations qui avaient déjà connu la cruauté de la Nature l'année précédente.
Ce qu'il faut savoir, c'est que contrairement aux arboriculteurs** par exemple, les vignerons ne peuvent pas bénéficier du régime des calamités agricoles; le gel est assurable, même si l'on sait que beaucoup d'exploitants n'ont pas les moyens de le faire (malgré une subvention qui peut atteindre 65%). Il y a donc fort à parier que, sauf aide exceptionnelle, certains devront mettre la clef sous la porte. Une catastrophe.



* Et pas qu'en France d'ailleurs puisqu'en Suisse, le magnifique Valais, dont j'adore vous le savez tant de vins, a été dévasté.
* Ça n'a rien à voire mais lisez cette incroyable histoire, dans La Dépêche du Midi, un arboriculteur tarnais verbalisé par les gendarmes parce qu'il tentait de sauver sa récolte de pommes.

Une catastrophe (suite)

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Comment ne pas "en remettre une couche", ce soir alors que de partout s'accumulent les mauvaises nouvelles. Ce n'est pas de politique française qu'il s'agit, mais bien de vin. L'Hexagone, vous le savez, a été fortement touché par ce terrible épisode de gel qui a pratiquement touché toutes les régions. Bordeaux dont je vous parlais avant-hier a encore subit les assauts de ce retour d'hiver (à Saint-Émilion, en Graves et en Médoc notamment), la Loire aussi tandis que les Côtes-du-Rhône septentrionales s'inquiètent pour les prochaines nuits. 
En un mot comme en cent, c'est la merde! Il se confirme que les dégâts seront plus important qu'en 1991, année de sinistre mémoire. De partout affluent des témoignages qui vraiment font de la peine, parce que derrière chaque vigne, derrière chaque verre se cache une femme ou un homme, et que beaucoup d'entre elles et d'entre eux sortiront meurtris de ce qu'il faut bien qualifier une fois de plus de catastrophe. Et d'autant plus dans un contexte particulier, avec dans plusieurs régions une première partie des années dix un peu compliquée.


Mais la France n'est pas la seule touchée. Je vous parlais avant-hier du magnifique vignoble suisse du Valais, il s'avère que l'Espagne elle aussi paye un lourd tribut à ce coup de froid tardif (associé il est vrai à un débourrage précoce). On me le confirme ce soir, dans le cœur battant de la viticulture ibérique, la célèbre Rioja dont les meilleurs terroirs, vers l'ouest, en Rioja Alta et surtout en Rioja Alavesa viennent de connaître aujourd'hui des températures inférieures à -3°C. "La pire gelée des cinquante dernières années" dit-on là-bas.
Idem pour l'appellation "des initiés, Arlanza, entre La Rioja et Burgos où Olivier Rivière (le riojano frances y produit de petites merveilles) m'a annoncé ce soir que certaines parcelles sont elles aussi ravagées à 100%. La DO Rueda est également concernée, la Navarre ainsi que la Ribera del Duero où la température est descendue jusqu'à -5°C. Des ravages également en Bierzo et en Galice intérieure, vers Monterrei et en Ribeiro; à certains endroits le thermomètre est descendu à -9°C.!
Sachant que le gel a également concerné une partie de l'Italie, du Val d'Aoste à la Campanie, ainsi que l'Allemagne et l'Autriche, il sera décidément compliqué de boire des 2017 dans une bonne partie des grandes appellations européennes.
Allez, même si parfois la Nature est une salope, sauvons l'humain, buvons du vin !




La Catalogne déclare la guerre au Coca-Cola.

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Quand il s'agit de lutter contre les méfaits de l'abus d'alcool, les gouvernements n'y vont généralement pas de main morte. On les sent en revanche bien pusillanimes quand il s'agit de combattre le grand poison discret de l'alimentation: le sucre. C'est pourtant ce que vont faire avec vigueur les autorités catalanes en instaurant dès demain un véritable impôt sur la consommation de boissons ultra-sucrées, autrement plus violent que celui institué en 2011 par le gouvernement français* (mais qui était déjà un pas un avant).


Ce mécanisme, baptisé "taxe Coca-Cola", devrait provoquer une hausse importante du prix de ces boissons dont l'Espagne est friande, droguée, jusqu'à faire des filiales de la Coca-Cola Company le premier chiffre d'affaires agro-alimentaire du pays. Les familles auxquelles Franco avait offert, dans les différentes régions, les licences pour ce poison qui symbolisait son ouverture et sa modernité comptent parmi les plus riches, des fortunes qui se sont depuis diversifiées et qui sont, par exemple, à la manœuvre dans le restauration en ouvrant pas mal d'établissements à succès. En Catalogne, l'augmentation tarifaire pouvant atteindre jusqu'à 50% pour les marque-distributeurs!
Pour mémoire, la sur-consommation de sucre est la troisième cause de mortalité précoce dans le Monde.




* Mesure inclue dans la Loi de Finances 2012, présentée par le gouvernement Fillon. Un mesure de même type, mais plus drastique a également été prise en 2014 par le Mexique, premier consommateur mondial de Coca-Cola, devant les États-Unis.


Le foie gras survivrait-t-il au Front National ?

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L'animalisme, c'est un aspect que l'on connaît moins du Front National, appelons ça son "côté chatons". Ce n'est pourtant "pas un sujet secondaire" comme le martelait au début du mois de mars Marine Le Pen en lançant le collectif Belaud-Argos, une association qui a pour but de concrétiser l'engagement n°137 du programme présidentiel de l'héritière du Front National: "faire de la protection animale une priorité nationale". Brigitte Bardot, évidemment, a jubilé, se fendant d'une lettre à fleurs pour applaudir "un parti politique [qui] enfin va prendre en compte la souffrance animale".
Plus sérieusement, ceux qui connaissent l'Histoire y verront là une constante des partis d'extrême-Droite, néo-fascistes, nationalistes, populistes dont les leaders ont souvent été plus humains avec les animaux qu'avec les hommes. Ainsi le Troisième Reich nazi qui fit grande publicité de la promulgation des célèbres lois allemandes de protection de la Nature et des animaux de 1933 et 1935*.


Belaud-Argos est présidé par Sophie Montel, députée européenne du Front National (on a récemment parlé d'elle à propos du dossier d'emplois fictifs qui visent son parti), activiste connue des milieux animalistes. Elle est d'ailleurs une des élues les mieux notées par l'association radicale L214 au travers de son site Politique & Animaux.
Bien sûr, au delà des charmantes images de minous et de toutous, cette politicienne professionnelle ne rate pas une occasion, à Strasbourg comme ailleurs, de rappeler son opposition à l'abattage halal. Mais son engagement en la matière va bien plus loin, elle entend promouvoir une "chasse responsable", interdire les animaux de cirque et la mise à mort dans les corridas**, corridas que Marine Le Pen souhaite interdire aux moins de treize ans. 


Et puis, parmi les objectifs principaux, "sans tabous", de Belaud-Argos, en bonne place, on trouve cette proposition qui fera infiniment plaisir, j'en suis sûr, à tous les agriculteurs du Sud-Ouest notamment, qui connaissent une des plus graves crises de leur histoire à la suite de l'épizootie de grippe aviaire. L'association frontiste entend instaurer "l'abandon progressif du gavage traditionnel des oies et canards et promotion de méthodes alternatives n'impliquant pas la prise forcée d'aliments, dans un système d'engraissement libre, en liberté ou semi-liberté". 
Bref, concrètement, ça implique la fin du foie gras, un des dadas de L214 et autres anémiés du genre, Pamela Anderson comprise (mais, elle, son cœur balance chez les populistes d'en face puisqu'elle soutenait les néo-communistes de Mélenchon).


On me dira bien sûr qu'il s'agit là de délires de campagne destinés à émouvoir et attirer les mémères-à-caniche, ce ne serait pas totalement faux si ce courant animaliste n'était pas profondément ancré à la tête du parti néo-fasciste: outre Sophie Montel et Marine Le Pen, Florian Philippot, le n°2 du Front National, est, on le sait, un grand fan de Brigitte Bardot et de sa croisade. 
Sans oublier la dernière recrue du national-populisme franchouillard, Nicolas Dupont***, le nouveau palindrome pétainiste, qui se proclamait bien avant son arrivée à l'extrême-Droite "le candidat des animaux". Pour l'anecdote, Dupont avait d'ailleurs piqué une petite crise de jalousie quand Florian Philippot était allé se faire photographier à la Madrague, enlacé avec le souvenir de BB. Désormais, ils pourront y aller ensemble, main dans la main, entre énarques**** mais sûrement sans foie gras, produit bien plus identitaire de la France le front familial des Le Pen.



* Lois qui déjà interdisaient le gavages des oies et stigmatisaient la "barbarie" de l'abattage rituel juif.
** Ce qui fera sûrement plaisir à ses amis Collard et Ménard, fervents défenseurs de la tauromachie…
*** Dit Dupont-Aignan par adjonction tardive du patronyme de sa mère, Colette Aignan (décédée d'ailleurs vendredi dernier).
**** Florian Philippot est sorti 34e de la promotion Willy-Brandt (2007-2009), Nicolas Dupont est issu lui de la promotion Liberté-Égalité-Fraternité (1987-89), époque à laquelle il flirtait avec le socialisme (ce qui renforce son côté lavalien).



Pour que demain ne meure pas.

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Ces dernières semaines, ces derniers mois, la France s'est déchirée. Comme je ne pense pas l'avoir déjà vu du haut de mon demi-siècle. On a senti un pays malade, anxieux, apeuré, vieillissant, ignorant du Monde, triste, égoïste, jaloux, ringard, aigri, tendu, violent… 
Je m'amusais tout à l'heure à comptabiliser les insultes que j'ai eu l'honneur de recevoir durant la campagne électorale, comme tous ceux, j'imagine, qui disent ce qu'ils pensent, comme tout ceux aussi qui se sont mobilisés contre la menace du fascisme, contre "l'anti-France". Tour à tour, j'ai été traité de facho, de coco, de socialo, de centriste, de juif, de franc-maçon, de bourgeois, de pédé, de salope, de traître, d'exilé, d'idiot (utile ou pas), de bas-du-front, d'islamo-compatible, de journalope. J'en oublie sûrement, mais je dois dire que l'énumération me fait sourire, comme souvent l'orthographe des nombreux trolls qui m'ont cassé les bonbons, les plus comiques en la matière étant sans conteste les amoureux de l'héritière du Front National dont le patriotisme braillard, poissard, en aucun cas linguistique, s'arrête visiblement à la couverture du Larousse, du Grevisse et du Bled.


Alors, ce soir, alors que les citoyens respectueux de la démocratie vont se taire pendant quarante-quatre heures* en attendant le choix crucial, vital, de dimanche, j'ai pensé à la France, mon pays, qui parfois me semble parti si loin, intellectuellement en tout cas. J'ai ouvert une bonne bouteille de vin. De ces vins qui rassurent, qui apaisent, qui rassérènent. Qui par leur totale absence de frime et d'obséquiosité représentent à mes yeux le plus noble de la France, cette simplicité de la gastronomie populaire. Dans ce pays, bien manger est un savoir, une culture qui concerne toutes les classes de la société; il n'est pas nécessaire d'avoir du homard, des truffes, du champagne pour faire bombance. Quelques poireaux de vigne, les patates du jardin, de beaux œufs de ferme, de la graisse de canard… Quel pays de cocagne ! Quelle chance d'être né ici sur cette terre privilégiée, naturellement privilégiée, nantie ! Tenez, rien que ce plateau de fromages que je sors pour accompagner le vin**, envoyé hier par ma mère. Sublime témoignage de savoir faire paysan et populaire. Ma mère, qui, hier, à soixante-dix-sept ans est, pour la première fois de sa vie, est allée à un meeting politique. Elle, enfant de la guerre contre le nazisme, qui n'a connu son père qu'à l'âge de cinq ans, à son retour de longues "vacances"éducatives, pour apprendre "l'Europe des nations", à l'oflag VI-A de Soest, en Westphalie.


Et j'ai ouvert la fenêtre, et mon regard, presqu'immédiatement s'est posé à deux cents mètres au nord sur le clocher de Sant Felip Neri. J'adore cette église baroque, cette petite place arborée, sa fontaine carrelée de cartabones*** où les mariés viennent se faire tirer le portrait. En plein quartier touristique, il règne toujours ici un calme surprenant. Sauf quand les gamins de l'école qui jouxte l'église sortent pour jouer au ballon durant leurs récréations.
Sant Felip Neri est belle mais triste. Ses murs, ceux qui sont encore debout en fait****, portent les stigmates de la mort, de la souffrance, des larmes. Le 30 janvier 1938, les fascistes, épaulés par les aviations allemandes et italiennes, ont bombardé le quartier dont on évacuait les habitants. Pas tous d'ailleurs, la vieille dame qui vivait à l'époque dans notre appartement n'avait pas voulu le quitter. "Si je dois mourir, ce sera dans ma maison" avait-elle dit. Comme le vieil immeuble, elle a survécu. Les enfants de l'école Sant Felip Neri ont eu moins de chance. Quarante-deux morts, presque tous des gamins, tués par la déflagration alors qu'ils s'étaient réfugiés sous l'église. Des nens barcelonais aux cheveux et au regard noirs comme mon petit filleul, tués par le nationalisme, le fascisme, mais aussi, déjà, les erreurs, les errements d'une extrême-Gauche aveuglée, irréaliste, doctrinaire.


Alors j'ai bu le vin. Dans la lumière dorée de ce soir d'Espagne, il m'a fait rêver à celle de ce Gers fessu, doux, où ont mûri son tannat, son merlot et son cabernet-franc. J'y ai trouvé, à l'image de son vigneron, mon copain Philippe Fezas*****, cet humanisme sans mollesse du Sud-Ouest, une rondeur musclée, cette idée d'harmonie qu'on ne peut que souhaiter à une France qui doit tenir son rang, qui n'a pas le droit de se laisser aller, qui ne doit pas dilapider l'héritage. Une France qui ne soit pas malade, anxieuse, apeurée, vieillissante, ignorante du Monde, triste, égoïste, jalouse, ringarde, aigrie, tendue, violente…
Dans mon verre se mêle le souvenir de mon grand-père, les yeux des gamins de la place Sant Felip Neri, la mémoire de tous ceux que le fascisme a détruit. Le vin me raconte cette chance d'être français, cette chance que, face à toute la misère du Monde, nous n'avons pas le droit de maltraiter, comme des enfants gâtés, comme des écervelés. Il me rappelle pourquoi nous devons aller voter, pour que demain ne meure pas.



* Les trolls, eux, ne respecteront ce devoir de réserve et continueront leur sale boulot.
** Ne me cassez pas les bonbons vous non plus, intégristes de la sommellerie moléculaire, avec mon bethmale, je boirai du rouge, pas du blanc. Et c'est comme ça, pas autrement.
*** Céramiques catalanes de La Bisbal dites "équerres" car colorés en équerre, généralement de vert et de paille, comme à l'intérieur de la fontaine dont il est question ici.
**** Une partie de la place a été reconstruite avec des éléments pris à des édifices d'autre immeubles bombardés du Barrio Gótico.
***** Il y a ce "petit" Chirouletà quelques euros, chez les Fezas, mais pas que. Goûtez leur floc, peut-être le meilleur de la région (on dirait un pineau-des-charentes) et leurs armagnacs. 

Payer plus pour qu'ils ne gagnent pas rien.

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Au pays du moins cher que cher, par la disgrâce des caddies que l'on pousse, le moins-disant est devenu une divinité égale au Veau d'Or. Le vin, évidemment, n'échappe pas à la malédiction*. De "foires" soi-disant incontournables en "promotions exceptionnelles", on le réduit, telle une petite pute à une question médiocre: "c'est combien?"
Pourtant, si vous aimez vraiment le vin, et ceux qui tentent chaque jour, à la vigne comme au chai, de lui donner ce supplément d'âme que l'on rencontre rarement sous les néons de banlieue, il va vous falloir accepter, contrairement aux poissons morts, de nager à contre-courant. Le vin, ces prochaines années, il va vous falloir, il va nous falloir accepter de le payer plus cher.
Est-il besoin de rappeler la catastrophe climatique qu'a connue la France, mais aussi une bonne partie de l'Europe**? Les terribles gelées de fin avril ont gravement amputé la future vendange 2017. Jour après jours, un peu partout, des estimations plus précises tombent, rien n'incite à l'optimisme. Et encore, comme me disait tout à l'heure un copain qui n'a perdu "que" quatre ou cinq hectares, "la grêle n'est pas encore passée"…
Les vignerons, déjà éprouvés par un début de décennie compliqué, par un millésime 2016 qui, dans une moindre mesure avait gelé, sont pour certains dans une situation financière (et humaine!) dramatique. Je pense notamment à ces jeunes installés depuis peu, mais pas qu'à eux. Il nous faut les aider.


Alors bien sûr, ici et là, de généreuses opérations voient le jour, à l'image, aujourd'hui encore, en Languedoc, Changer l'Aude en DONS***. Si vous en avez les moyens, n'hésitez pas, allez-y de votre obole! 
Mais au-delà ces opérations ciblées, je le répète, nous devrons, sur chaque bouteille, accepter l'idée d'une espèce de prélèvement-solidarité, amical. Ne serait-ce que pour pouvoir dans trois ou quatre ans continuer de boire les vins de domaines que nous aimons et qui ont été dangereusement fragilisés. J'écris ça car je pense que les vignerons ne doivent pas avoir honte, dès maintenant, d'annoncer une hausse circonstancielle de leurs tarifs, pour encaisser le choc. Je pense évidemment en priorité à ceux qui vendant le vin à prix humain, au prix d'une boisson et non d'un produit boursier. On ne parle pas ici de changer les pneus de la Ferrari ou les hélices de l'hélicoptère mais d'éviter de mettre la clé sous la porte, ou même d'envisager de funestes extrémités.
Voilà, c'est dit, amis vignerons, un euro ou deux par bouteille, plus, je ne sais pas, nous nous devons de vous les offrir en échange de tout le bonheur que vous nous procurez.



* Qui rappelons-le n'a rien de surnaturel, on a les modes de distribution que l'on choisit, et que l'on mérite. Cela vaut pour les politiciens qui ont laissé faire n'importe quoi, pour les journalistes qui, pour en rester au Mondovino, taillent annuellement une belle pipe à la GD via leurs glorifications des vins foireux, et évidemment au consommateurs qui décident d'aller pousser un caddie au lieu de d'élire par leurs achats des distributeurs moins brutaux avec les grands équilibres de notre monde, économique, social, écologique, culturel, etc.
** Pour ceux qui auraient passé le dernier mois sur la planète Mars, j'avais raconté ça ici et .
*** Tout est expliqué ici.

Michel Bettane a raison.

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J'ai beau chercher, fouiller, boire, je ne sais toujours pas ce que c'est qu'un "grand vin". Ce ne sont pas les belles rencontres qui manquent pourtant, ces instants de grâce, où le temps semble s'arrêter. Rien de mieux d'ailleurs que la langue espagnole pour les définir sans s'appesantir (ce qui immanquablement les tueraient), rien de plus précis quoiqu'intensément flou que le fameux duende. Ce duende qui à chaque fois agace ceux auquel il se refuse, eux qui ne sont jamais allés somnoler à la musique du Balcón de Lorca, n'ont jamais bu avec ses gitans verts de lune, n'aiment pas la côte de toro brave, saignante, tuée à point.


Pour autant, ces moments de grâce, de duende nous renvoient plus à la notion de "grande bouteille" que de "grand vin". N'en déplaise à un antédiluvien marketing du vin servilement perpétué de génération en génération, qui célèbre une noblesse toujours parfaite et méprise le reste, la masse, un Tiers-État, forcément inférieur, les vins, nobles ou roturiers, sont versatiles, ont leurs hauts et leurs bas, leurs jours avec et leurs jours sans. Croire à la totale stabilité de leur condition reviendrait d'ailleurs à les comparer à du Coca-Cola, à des sacs de ciments ou je ne sais quel produit industriel. Si le "grand vin" existe, toute laisse justement à penser qu'il vit aux antipodes de ce concept.
Au-delà de cette nécessaire variabilité, il me semble avoir mis le doigt sur un critère qui, peut-être, esquisse les contours du probable "grand vin": l'unanimité. Rien à voir évidemment avec l'unanimisme commercial évoqué plus haut, mais on sent chez certains crus une propension à mettre tout le monde d'accord. Pas un "tout le monde" formaté, un groupe de dégustateurs, de buveurs aux profils, aux parcours et aux goûts divers, parfois opposés. 


Me laissant à mes fumeuses réflexions, le tortillard lambine à travers le bas-Languedoc, glissant au milieu des façades miséreuses des environs de la gare de Nîmes, des banlieues centrales de Montpellier, de la haine biterroise. Le Languedoc, région qui peine tant (en matière de vin aussi) à enfiler l'habit de lumière. Alors que…


Il faut dire qu'aujourd'hui, nous avons bien débouché. Et que surtout, nous revenons d'un des sommets de la Vallée du Rhône, ce qui doit nous rendre hautains. Je pourrais vous donner le nom de l'appellation, mais ça ne vous renseignerait pas beaucoup, nous étions chez quelqu'un que le système parfois complètement crétin, benoîtement administratif des AOC a mis en marge alors qu'il aurait pu (du?) être un guide. Je l'aimais bien pourtant cette appellation, tant de souvenirs, ces dame-jeannes en cotte-de-mailles recouvertes de l'odorante poussière des caves de la maison de Lourmarin, la goutte de douceur entrevue sur la terrasse, son contraste avec l'olive de Cucuron, ou d'Aix. À l'époque, on ne disait pas prendre l'apéritif, mais aller "faire le rasteau". Incontestablement, j'avais une faiblesse pour le rouge.


Depuis 2010, Jérôme Bressy, lui, ne fait plus de rasteau. Ni doux ni sec, ni rouge ni blanc. Tout ça à cause de ses (belles) vignes. Toujours la même vieille rengaine, entonnée à travers toute la France par des ignares engoncés dans leurs certitudes, forcément repeintes aux couleurs de la "tradition" qui comme souvent n'est qu'un usage, un formatage récent.
À Gourt de Mautens, il a (c'est consubstantiel du nom du domaine*) voulu remonter au sources de ce qu'était le vin de Rasteau, et plus largement de cette partie de la Vallée du Rhône. Pas seulement par les cépages, mais aussi par la façon ancestrale de les complanter: dans la même parcelle, vous allez trouver côte à côte du mourvèdre et de la syrah, de la counoise vraie et du vaccarèse, du cinsault et du terret noir ou du grenache. Sans compter les oubliés de l'Histoire que peu à peu il réintroduit. Imaginez un peu binz, le très tardif mourvèdre à côté de la précoce syrah! Eh bien, explique Jérôme Bressy, au bout de quelques années, une dizaine, leurs maturités se lissent, un peu comme si les cépages communiquaient entre eux, échangeaient, devenaient précurseurs de l'harmonie qu'il leur faudra inventer dans la bouteille.
On parle là bien sûr d'une viticulture haute-couture, avec parfois des risques, et donc un coût. Mais évidemment, quand on a comme références Jacques Reynaud, Lalou Bize-Leroy, Jules Chauvet, Max Léglise, Henri Bonneau… Allez expliquer ça aux fonctionnaires du pinard qui à force de trop calculer ont, comme la chaisière de Saint-Ex, oublié le Dieu qui devait les guider.


En 2013, à Angers, au salon Renaissance des Appellations, celui des biodynamistes, j'avais été surpris par l'ex-rasteau de Jérôme Bressy. En fait, je venais de goûter l'extraordinaire trousseau en amphore de Stéphane Tissot**, et derrière le Jurassien (oui, derrière!), le sud-Rhodanien m'avait enchanté par sa délicatesse, le délié de son style, sa précision. Il est vrai que de Gourt de Mautens, j'avais le souvenir des années quatre-vingt-dix, de rouges flamboyants, castelnoviens, bio déjà, mais avec la puissance pas encore totalement maîtrisée, parfois sauvage, que nous prenions à l'époque, jeune buveurs, pour le degré ultime de la construction vinique.
Ce serait idiot de dire que les vins ont changé; au fur et à mesure des progrès agronomiques, ils ont évolué, se sont dépouillés, atteignent une forme d'épure. Et sans jamais tomber dans ce travers  à la mode pour faire jeune dans les terroirs méditerranéens, sans jamais confondre verdeur et fraîcheur. Comme dans un Fonsalette ou n'importe quel Reynaud réussi, on sent le raisin mûr, à l'acmé de la maturité, loin de toute caricature.


Car, verre en main, on goûte cette détermination, cette volonté, ce travail. Les blancs d'abord, c'est si compliqué, les blancs du Sud. Jeunes en tout cas. Le 2014 prouve le contraire, de "l'amour ferme", sans mollesse, des jambes interminables, cette indispensable pointe d'amertume. Le 2011, lui, justifierait presque cette minéralité qu'on nous met à toutes les sauces, y compris les plus indigestes. Il semble clair que dans cette affaire, le picardan…
Et puis, les rouges. En barrique où l'on sent l'avenir radieux, et en bouteille avec déjà un 2013 funky, sexy, poivré, qui va dérouter l'amateur de confiture mais ravir l'assoiffé. J'adore le côté grain de café, l'énergie de ce millésime tardif, pauvre en grenache. Il me tarde de le boire à l'aveugle, histoire de me perdre, plus au nord. Pour se rassurer, en pensant aux bécasses de l'hiver prochain, on décanille la bouteille de 2011, cette gourmandise, puis on file se recueillir devant un 2010 profond, soyeux, plus classique dans son élevage, austère mais rassurant pour ceux qui pensent qu'avec un grand rouge du Rhône on doit en prendre pour vingt ans. En comparaison, 2008 est sauvage avec ses notes d'orange sanguine.
Bon, je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps avec mes propos d'après-boire, goûtez-les vous même, il y a de bonnes chances pour que nous arrivions à une conclusion identique: il est difficile de ne pas trouver ces indispensables merveilles dans la cave d'un honnête homme (ou d'une honnête femme, mais à l'époque où naquit l'expression, visiblement, elles ne l'étaient pas encore…).


Pour en revenir à mes fumeuses réflexions ferroviaires sur l'unanimité (positive) que peuvent susciter certains vins, et à l'image, aux titres qui ouvrent la chronique, j'ai bien noté cette propension dans ce que nous donne à boire Jérôme Bressy. D'autant mieux (je dois vous faire un aveu en forme de coming-out) que je les ai goûtés en détail non pas dans la vraie vie, mais au cours d'un voyage de Presse, comme une blogueuse. Donc en confrontant mon avis avec d'autres palais, d'autres regards.
Réunis autour des bouteilles et de la table, excellente*** montée par le propriétaire de Gourt de Mautens, Bernard Burtschy, Antoine Gerbelle, Michel Smith et, donc, Michel Bettane, critique avec lequel, tout en respectant son grand humanisme, je n'ai pas toujours été tendre****. Il n'empêche qu'au-delà de tout ce qui nous sépare, les vins de Jérôme Bressy nous ont mis d'accord. Pas qu'avec Michel d'ailleurs. Car comment ne pas adhérer à la non-violence agronomique, à la brillante modestie, au respect du terroir dont ils sont le reflet? Oh bien sûr, on trouvera toujours ici et là un ou deux ilotes de la boutanche, des amateurs de coussin-péteurs, de langues-de-belle-mère et d'anathèmes branchés qui vont juger ça trop ci, trop ça. Ou pas assez ci, pas assez ça. Histoire d'exister.
J'aime bien en tout cas l'entrain de cette idée, si le "grand vin" existe, c'est celui qui rassemble.




* En provençal des Alpes selon le Tresor dòu Felibrige, le gourt (gourg en occitan normalisé) est l'endroit, le gouffre d'où jaillit l'eau, en l'occurence par mauvais temps = mautens.
** Évoqué notamment dans cette chronique qui, hasard, s'en prenait à un style de vins rhodaniens que je ne peux plus avaler.
*** J'en profite ici pour saluer Guy Jullien et son épouse Tina (ci-dessous), l'étincelante simplicité de leur table, de cette éternelle Beaugravière de Mondragon. Son déjeuner autour de la truffe était comme il se doit parfait, et détail devenu trop rare, au service du vin.  Je n'en peux plus de ces cuisiniers qui se regardent pédaler, se prennent pour des stars de la boîte-à-cons et qui, sous prétexte d'art, de créativité, de génie élucubrent des plats (souvent chimico-bidons) qui massacrent le pinard. Merde à la bouffe Coca-Cola, vive l'amour !
**** Ici par exemple.


Roca d'avant la catastrophe ?

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On a longé le Montserrat, montagne sacrée, emblématique de Barcelone. On y trouve même dans ses roches étranges des signes précurseurs de certaines architectures locales de Gaudi à Nouvel. Puis on a doublé les camions qui montent alimenter l'Andorre. 


Le lieu du rendez-vous est improbable. Pas loin du décor de certaines séries américaines des années soixante-dix, ambiance Côte Ouest, très catalan en fait, au sens de l'Hispamérique. Un parking au nord de la rocade d'une ville moyenne, Manresa, dont j'ai récemment appris qu'il fallait dire Manrèse en Français, un peu comme on écrit Nueva-York en espagnol. 


Manresa, soixante-quinze-mille habitants, ancien point de chute catalan d'Ignace de Loyola qui y vécut un an dans une grotte au bord du Cardener, importante rivière jaillie des Pyrénées à l'amont de Solsona, la capitale du couteau, et dont l'eau abondante affirma au XIXe siècle la vocation industrielle de la cité. Cette région, le Pla de Bages*, était autrefois profondément agricole, viticole notamment. On y a compté jusqu'à vingt-cinq mille hectares de vigne avant que les usines puis la Guerre civile n'emportent trop de bras. C'est beaucoup, autant que l'immense Penedès d'aujourd'hui, l'équivalent de toute la Bourgogne.


Décor de certaines séries américaines des années soixante-dix, disais-je. Il ne manque même pas la Rolls bleu roi du mystérieux homme en bleu, un habitué à attaché-case, qui vient ici traiter ses affaires en mangeant. Car, ne vous fiez pas aux apparences, ni aux poids-lourds qui filent sur la rocade, la table est réputée, bourgeoise.


Le restaurant Aligué a ouvert ses portes en 1957. Il s'agit ici de servir l'esmorzar, le "petit-déjeuner à la fourchette", plat fondamental de la culture ibérique qui se prend en milieu-fin de matinée. On s'approvisionne évidemment au vaste potager contigu, en peu en dessous de la maison, direction Montserrat. En 82, les deux fils de la famille reprennent l'affaire et lui donnent un cap gastronomique, mais sans effacer la belle tradition des petits-déjeuners de bord de route, on cuisine catalan, mais avec des influences basques et françaises. Maintenant, c'est Pep Aligué qui est aux manettes.


Lundi, on a super bien déjeuné, au bord de la route, chez le Pep. Produits haut-de-gamme, précision, absence totale de mariconadas. Tenez, je vous mets les photos, puisqu'aujourd'hui les apparences ont remplacé les goûts. Non, je plaisante, pas ici! L'esprit de l'esmorzar est encore dans l'assiette. Les asperges de Navarre étaient les meilleures de la saison, les morilles parfaites, le thon irréprochable.
Je vais vous dire, sans nous concerter, on a pensé exactement à la même chose: El Celler de Can Roca, avant la chimie, avant la catastrophe, avant que les mariconadas, justement, les sucreries industrielles, l'esbroufe ne triomphent**. Quand on y allait pour manger, quoi. Que c'était bon. Même l'entrée nous a fait penser*** à l'ancienne version du désormais célèbre établissement de cette autre ville moyenne catalane. 


Superbe déjeuner, donc, de l'âge pré-industriel. Je veux d'ailleurs revenir sur un plat. Simple, sublime. Que je vous souhaite à tous de goûter un jour. Sur le moment, on a appelé ça le "caviar vert". 
Des petits pois (dont on va toucher, surtout avec la canicule la fin de saison), mais pas n'importe lesquels! Arrivés sous une cloche de verre pour une température idéale, puis dévoilés, merveilleux, minuscules. Je vous ai remis la photo avec la fourchette afin que vous puissiez vous rendre compte de l'échelle. La taille (et la forme) d'une larme, d'où leur nom, lágrimas. Le zen absolu, l'acmé.
Rien à voir évidemment avec les gros machins fades et durs qu'on sert trop souvent, ça vaut tous les trucs à la mode qui font courir les foodistes. Rien que pour ça, on reviendra à Manresa, manger au bord de la route.




* C'est également le nom de cette appellation d'origine localement réputée, assurément une des plus intéressante de Catalogne avec la Conca de Barbera que j'évoquais récemment.
** Puisqu'on en parle, je vous fais un cadeau, une petite vidéo ci-dessous, la présentation du Heart qui ouvre ce soir à Ibiza, dernière création du grand cirque des Adria's Brothers. Paillettes et fond de teint au menu.
*** J'ai également pensé à cet autre restaurant de bord de route, célèbre pour ses petits déjeuners et adresse de référence de la gastronomie espagnole, L'Hispània d'Arenys de Mar, sur la N-II.




La resaca, la laideur et les fleurs.

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Le vin goûtait mal hier soir, c'était pas son jour. Pas non plus celui du Racing tout à l'heure en demi-finale du championnat de France de rugby. Pas un jour Racing, mais un jour "racine" affirme l'indispensable calendrier de Maria Thun qui devait sûrement être meilleure en jardinage qu'en dégustation… Je plaisante bien sûr, enfin pas tant que ça. Autant je ne conteste absolument pas certains aspects agronomiques de la biodynamie, et notamment cette observation, ce rapport plus étroit, plus intime avec la plante, autant, verre en main, les jours "fruit", "racine", "feuille" me laissent un peu de marbre. Le Garbi, le vent de mer qui soufflait hier, sa brume moite, molle, lourde, les pressions atmosphériques m'ont toujours semblé avoir davantage d'impact sur la dégustation du vin et ceux qui le boivent que les histoires de Lune. Désolé pour les Sélénites convaincus.


Ce que ne prévoit pas en revanche le fameux calendrier (intéressant pourtant quand il s'agit de déterminer la date de la visite chez le coiffeur), c'est si le jour suivant fera mal aux cheveux, genre jour "bois", ou gueule-de-bois". Rien de tout ça, en fait, ce matin. À défaut de s'être montré séduisant, le vin était resté amical.


La resaca n'est venue qu'en arrivant au marché. Pas loin de la nausée. À la Boqueria, le pont de l'Ascension vaut toutes les descentes du Monde. Toute l'horreur du tourisme de masse, de cette pollution comme disent les Catalans. Nu-pieds, pantacourts, bananes, sac-à-dos, perches à selfies… on se croirait au pousse-caddie. 
La populace, dont une importante partie croit encore que l'effet du déodorant dure les quarante-huit heures promises par la réclame de la télé, déambule sans but, les bras ballants, bouffe de la merde colorée debout, comme les clébards, prend des mines horrifiées devant les fiers étals des tripiers. Rauque et glauque.


Se faufiler. Bousculer. Ne jamais hésiter à bousculer. C'est un vieux monsieur distingué qui me l'a enseigné. Bousculer les mangeurs, les photographes. "Ici, c'est un marché! Pour faire ses courses!" Lui le sait, les boutiques à touristes sont un cancer qui grignote inexorablement la Boqueria. L'argent qui pue, l'argent facile, qui détruit. Au delà des discours, personne n'agit contre ça, à commencer par cette pauvre mairesse de Barcelone qui n'a pas encore compris qu'elle était élue, que la campagne était finie et maintenant il fallait se mettre au travail. "Res non verba", il faudrait le rabâcher à tous les extrémistes, à tous les populistes.
 

Dans cinq, dix ans, on pleurera (larmes de crocodiles), le marché mort. On cherchera les coupables. Ce sera la faute des étrangers, de Madrid, de pas-de-chance. Toujours on évitera soigneusement la remise en question. En attendant, on maugrée, on incante. Enfin non, en attendant, ce qui compte, c'est de trouver un morceau de viande pour le déjeuner. Oh, du veau, du vrai veau! "Vedella blanca" comme on dit ici, un beau bout de quasi de quatre doigts d'épaisseur. Quelques cerises aussi. 
Puis de nouveau fendre la foule hostile, en apnée. Je sais que vous trouvez mon mépris méprisable. Je m'en fous. C'est de termites, de doryphores dont je parle.


Et puis, soudain, tel un rappel à l'Humanité dans cet hymne à la laideur, tel en tout cas un rappel à la beauté, voici la loge, le 'cabinet de curiosités', de Petràs, le vieux vendeur de champignons*. Des girolles, de la très mode ornithogale des Pyrénées (hors de prix forcément…), des fleurs pour ceux qui veulent colorer l'insipide comme au restaurant, des asperges qui ont oublié qu'elles étaient espagnoles, et, ce bouquet de fleurs, sublime, arraché à un potager du Llobregat. La lumière.




* Vous ne l'avez pas oublié bien sûr, je parlais de lui ici.



Boycottons cette Amérique !

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Comme prévu le dangereux guignol qui règne à la Maison blanche a annoncé ce soir qu'il rompait l'accord de Paris sur le Climat. On le sait désormais, avec #covfefe, le pire est toujours au rendez-vous. Même si cet accord politique international ne réglait pas tout, cet abruti, symbole de la sublime alliance du fric tout-puissant et du goût de chiottes, de l'inculture et de la vulgarité hypothèque gravement l'avenir des générations futures, de l'Humanité. Il serait d'ailleurs amusant de calculer le nombre de victimes que peut occasionner une décision de ce type, véritable acte terroriste contre la Terre. Car quoiqu'on en dise, cette décision aura des conséquences, ne serait-ce que ce blanc-seing, cette caution immorale donnée à tous les pires pollueurs. Pour la petite histoire (mais tout est petit chez ce géant de l'irresponsabilité), on retiendra que seuls trois pays n'auront pas signé l'accord de Paris, la Syrie, le Nicaragua et les États-Unis d'Amérique.
Que faire face à cette catastrophe qui, personnellement, me rappelle mon désarroi au matin de sa malencontreuse, pitoyable élection? Faire l'Europe bien sûr, toujours plus d'Europe, mieux. Essayer peut-être aussi de penser le Monde différemment, avec donc une Amérique qui se recroqueville et qui, perd peu à peu de son influence malgré les rodomontades de John Wayne de pacotille, de celui qui, on l'espère, ne la gouvernera pas tout un mandat présidentiel durant. Il va de soi que les Russes et les Chinois se réjouissent de voir les USA leur voler progressivement le rôle de "méchants" du fil planétaire.
Et, puisque c'est soi-disant de fric qu'il s'agit, pourquoi ne pas envisager un boycott des produits américains? C'est navrant bien sûr quand on pense à cette majorité de citoyens des États-Unis qui n'ont pas voté pour ce fantoche, et qui déjà réagissent, se mobilisent. C'est pénible car nous en payerons les conséquences en retour, je pense notamment à un des seuls secteurs vraiment excédentaires du commerce extérieur français, le vin. Mais peut-on cautionner (je pèse mes mots) ce crime virtuel, prémédité, contre l'Humanité? Peut-on le cautionner en ingérant des films, des ketchups, des sodas, des téléphones…?



Barcelone : un guide pour se perdre. (1/2)

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– Dis, tu n'aurais pas une ou deux adresses à Barcelone ?…
Question rituelle à l'approche des vacances, des week-ends. Il ne s'écoule pas un instant sans que ne tombe dans ma boîte un email me demandant les tuyaux pour boire et manger à Barcelone. 
D'où l'idée de ce récapitulatif dont la première édition remonte à 2012 et qui comporte aussi bien des restaurants et bars dont j'ai déjà parlé dans Idées liquides & solides (auquel cas les habituels hyperliens orangés vous conduiront vers les chroniques qui les évoquent) que d'autres sur lesquels je me suis moins étendu.


Tous ces établissements, évidemment, sont décrits de façon libre et subjective. Libre, car ignorante de la vicieuse caresse des communiqués de Presse, de la soumission aux inquiétudes de je ne sais quelle régie publicitaire, des désidératas d'un éditeur soucieux de conformisme. Subjectif, parce qu'en matière d'objectivité, je me vois mal concurrencer l'Internationale du "sujet-verbe-compliment" dont les membres éminents ne se souviennent même plus qu'un repas se termine par une addition.


Peu d'esprit de consensus, donc, une nécessaire impertinence et un vrai parti-pris: défendre une cuisine la plus naturelle possible, loin des enculages de mouches et des tricheries à la mode. Dans une ville submergée par le tourisme de masse, il importe plus qu'ailleurs de tenter de mettre en avant ceux qui respectent leurs clients en ne leur faisant pas manger et boire n'importe quoi. Du coup, les empoisonneurs de type chimico-industriel, "moléculaires" comme ils s'intitulaient avant de devenir des chantres (comiques) du terroir, ne sont évidemment pas vraiment mis à l'honneur, laissons ça aux palais Coca-Cola/Nutella. J'en évoquerai bien un ou deux ici et là, comme on annonce un nid-de-poule sur la chaussée.


Compte tenu de la masse d'adresses et de photos (important la photo!), ce guide a été divisé en deux parties.
La première, ci-dessous, traite du centre historique de la cité: Ribera, Sant Pere, Santa Caterina, Gótico, Barceloneta et Raval. Sa forme peut dérouter, plus qu'une liste, je l'ai voulu comme une déambulation, au rythme du marcheur, ou du cycliste, au rythme de l'errance à laquelle ma ville se prête, au rythme des vacances aussi. En fait, je crois que c'est un peu un guide pour se perdre.


Enfin, comme vous pouvez le constater, cet ouvrage numérique, bien que maqué avec rien ni personne, est gratuit. Pour autant, ce n'est pas parce que, pour l'éditer, on n'a pas bousillé les arbres dont auront besoin nos enfants qu'il n'a rien coûté.
Donc, si vous estimez qu'il vous a été utile, libre à vous d'avoir la gentillesse de m'en remercier par une contribution de votre choix, quelques piécettes ou de gros billets. Ça paiera de nouveaux pneus à mon vélo (et vous savez que les pneus, pour un guide…).
Pour exprimer votre générosité, tout est expliqué ici, au bout de ce lien sécurisé.



La Ribera, (dont El Born), Santa Caterina& Sant Pere

Avec le Barrio Gótico et la Barceloneta, nous voilà au cœur battant, animé et cosmopolite, de la Barcelone touristique. Idéal donc pour se faire enfiler, mais rassurez-vous, d'autres quartiers, d'apparence plus pépère, ne sont pas avares en la matière. Prenons-le par ses bons côtés.


Dans le Born (le cœur de la Ribera), j'ai, comme beaucoup de marins, mon port d'attache: L'Ànima del Vi, estaminet naturiste de la première heure (le taulier sévissait auparavant à Gracia). La sélection de vin est immense, et doit peu aux achats sur catalogue. Nous partageons avec Benoît Valée le même amour pour les modes, leurs suiveurs ainsi que l'hypocrisie, l'ignorance et le manque d'épaisseur qui les emballent. À L'Ànima (qui n'ouvre qu'à 18 heures), les soirées peuvent durer "jusqu'aux oiseaux", on y boit du cahors-qui-rend-fort et du pineau d'Aunis qui-rend-agréable-la-pisse. Parfois même, grâce à Núria, la femme de Benoît, arrosées d'un jazz de la meilleure facture, comme dans la vidéo ci-dessous où la nouvelle star barcelonaise Andrea Motis (une habituée), son fiancé et les musiciens du barrio nous offrent un joli moment.



Sachez qu'on mange très bien également dans ce bistrot de la carrer de Vigatans, simple et naturel, sans mariconadas de l'œuf-mayo parfait aux excellents ris de veau en passant par la référence, le cap i pota de Núria.
Désolé de vous avoir infligé cette longue séance de "sujet-verbe-compliment", mais ça la vaut!


À deux pas (vraiment deux pas!), a ouvert plus récemment une grosse machine (un Disneyland disent les mauvaises langues) du vin naturel, le Brutal.
Le lieu, une ancienne bodega, a vraiment une super gueule, la cuisine en revanche est à géométrie variable. Pour ce qui est de la carte des vins, on trouve tout ce qu'un établissement de ce genre doit proposer à une clientèle friande d'étiquettes: Ganevat et vins oranges y sont à l'honneur. Plus prosaïquement, le Brutal propose à la pression (on dit caña en espagnol) une excellente bière artisanale.
Adresse incontournable en tout cas pour exhiber ses derniers tatouages.


Parmi les produits recherchés à Barcelone, ceux de la mer, les mariscos. Et pour ça une excellente adresse qui ne paye pas de mine, Mari y Rufo, carrer de Freixures, tout contre le marché (frappé de gonflette architecturale) de Santa Caterina. Les espardenyas y sont de haut vol, comme les coques et les calamars. Ambiance rustique.


Dans ce même secteur de Santa Caterina, une italiennerie, de l'exotisme, avec un four à pizza simple et de bon goût, le NAP. N'y cherchez pas d'horrible version à l'ananas ou avec je ne sais quel ingrédient loufoque, ici, on est à Naples, il n'y a guère plus de cinq propositions à la carte.


Parce que j'y ai de bons souvenirs, j'ai envie (malgré un communautarisme barbu un peu envahissant qui la grignote) de vous faire marcher jusqu'à la jolie place Sant Augustí Vell. On allait jadis y déjeuner à L'economic, malheureusement fermé en tant que tel, il reste le Joanet, ou le Mundial.
Quoiqu'il en soit ce quartier est en mouvement, Notamment vers Sant Pere, dès que l'on s'éloigne un peu du Palau de la Musica. On espère y voir éclore bientôt des choses intéressantes, d'ores et déjà, on y innove pas mal dans la fringue.


Revenons vers le Born, avec le genre "bar à tapas" que recherche frénétiquement le touriste moyen (avec la rage de celui qui voudrait débusquer un cassoulet à Strasbourg ou une bouillabaisse à Lille…). Vous pouvez, près de la carrer Princesa, faire un stop au Bar del Pla, joli endroit à la cuisine agréable et à l'ambiance sympathique.


Si vous descendez la rue (carrer de Montcada) en direction du port (où se trouve également le musée Picasso) vous passerez devant deux adresses qui font le bonheur des photocopilleurs qui remplissent au kilo les colonnes des guides officiels et des magazines sur papier glacé qu'on vend dans les kiosques mais qu'il vaut mieux voler dans les avions.
D'abord, le superbe Palais Dalmases pour boire un cocktail, parfois en musique (classique ou flamenco), dans une cour Renaissance (il n'y a pas d'enseigne, mais un portier/vigile à l'entrée).


Et bien sûr cette institution qu'est depuis des décennies le Xampanyet; ce bar de toda la vida où se succèdent les générations connait un tel succès touristique qu'on oublie parfois d'aller y boire un verre de la boisson éponyme, une espèce de mousseux populaire un peu sucré dont notre crâne nous sera reconnaissant d'éviter l'abus. Très Barcelone des années 80 (pas au niveau du look, mais du mouvement).


Deux haltes sympa à proximité: les épices à Casa Gispert (carrer de Sombrerers, 23) où l'on trouve notamment le sel des Pyrénées, de Gerri, et surtout l'épicerie Casa Perris, face au musée qui ne sert à rien et qui fut jadis le superbe marché de La Comercial. Casa Perris, c'est le vendeur de légumes secs, de farines, de riz en vrac. Essayez leurs incroyables "tarbais espagnols", les planchetas. Bien meilleur et bien moins cher que le pousse-caddie!
À éviter, en revanche, les empoisonneurs moléculaires de Espai Sucre, anciennement sur la gauche du marché et désormais un peu plus au nord, carrer Sant Pere Més Alt.


Sinon, face à la belle basilique Santa Maria del Mar, on peut toujours prendre un verre à la terrasse de la Vinya del Senyor (spot splendide mais carte des vins un peu molle et tapas internationaux). Au passage, calle Agullers, on jettera un œil à Vila Viniteca, la grosse boutique de vin de Quim Vila, le premier distributeur de vin de luxe en Espagne. Sa sœur tient une épicerie fine à côté, on peut y manger un peu de jambon et de fromage CSP+ en se tapant un excellent jerez.


Au niveau des boutiques, vous trouverez dans le secteur, carrer Argentería, deux fournisseurs attitrés de Ma Majesté, Sans & Sans pour le thé, et, en face, El Magnífico pour le café. Un peu plus haut, un hôtel pas mal, le Banys Orientals, tarifs très très corrects pour le quartier, sous les 100€.


Au cas où brutalement vous vous preniez pour un Américain (ce qui n'est vraiment plus du tout à la mode depuis #Covfefe), allez sur le Pla del Palau manger un beau hamburger "de Galice" chez Sagàs. Attention, il faut lourdement insister pour demander une cuisson bleue afin de ne pas l’avoir trop cuit! Commandez aussi des patatas bravas et une sublime porchetta (cochon de lait farci à la broche). Le restaurant a été monté, en association avec le groupe basque Sagardi, par Oriol Rovira le bon chef catalan d'Els Casals avec les produits de son village.


Dans la même veine, allez manger du cochon dans l'autre établissement de cette association, Pork, à deux cent-mètres de là, dans cette carrer del Consolat de Mar où, souvenir du port de voyageurs, tous les commerçants vendaient jadis des valises (il en reste). Pork, donc, c'est le cochon (un bon Duroc X Ibérico, des Pyrénées) sous toutes ses formes, à la braise principalement, arrosé d'une étonnante et très complète carte de champagnes. En cas d'envie de bulles plus roturières, la pression artisanale est de qualité.

Enfin, pour les oiseaux de nuit, ceux qui en tout cas aiment l'exclusivité et la mixologie comme on dit depuis quelques années, il faut se la jouer VIP pour aller dans LE bar à cocktails qui cartonne, Le Paradisocarrer de Rera Palau, une rue qui aboutit sur l'ancienne Estación de Francia. Attention, ici, on se la joue speakeasy comme le veut la tendance, pas d'enseigne, pas de plaque dans la rue, juste la devanture d'un (bon) vendeur de pastramis. Et derrière, dans une ambiance musicale feutrée, un lieu exclusif avec sur la carte les cocktails les plus dingues de la ville. Pour les ultra-VIP, sachez que derrière les toilettes du personnel, une porte dérobée conduit à une seconde salle (uniquement sur réservation), tapissée du cuivre de la distillerie Macallan, et évidemment consacrée à ce whisky à la mode.




Barceloneta

On a parlé de ce quartier populaire de travailleurs de la mer et du port, qui possède son propre drapeau (un peu ukrainien sur les bords), jusque dans la Presse internationale. Ici ont eu lieu les premières manifestations contre la marée touristique. La Barceloneta est une presqu'île volontiers gitane, quasi indépendante de la capitale catalane dont les rues étroites et et ombragées par les étendoirs à linge finissent toutes à la mer. Je l'ai connue sauvage, elle s'est beaucoup assagie.


À la Barceloneta, quartier que je chéris donc depuis trente ans (eh oui…), mon trois-étoiles, mon meilleur restaurant du Monde, c'est évidemment La Cova Fumada, carrer de Baluard.
Dans ce musée de la haute gastronomie populaire, enfumé, s'agite encore le fantôme de Pepe Carvalho qui continue d'y commander des bombas, des pois chiches au boudin et des calamars parfaits. Toujours bondé, on y vient tôt (c'est aussi un endroit d'esmorzar, de petit-déjeuner "à la fourchette"), on commence au bar en attendant une table, on mange toute la carte et on boit des litres de vin a granel (au pichet). Attention, en fin de semaine, La Cova n'est ouverte que pour le déjeuner du samedi, n'arrivez pas après douze heures, il n'y a pas de frigo, donc quand y'en a plus…


En face de La Cova, de l'autre côté de la place du marché, on peut également grignoter quelques olives et de la cochonnaille arrosés de vermut maison à Electricitat, c'est devenu un poil trop folklo dans la chasse au Yanqui (Yankee) mais ça fonctionne. Toujours pleine à craquer, la brasserie (au sens propre) El Vaso de Oro est un bon choix alternatif, surtout si on aime manger debout.


Dans la même carrer de Balboa, la Bitácoraégalement (il en existe une succursale dans le quartier de Poblenou), tapas classiques et cañas au menu, avec en option le match du Barça en direct ou en différé à la télé.


Une adresse un peu moins connue, très familiale également, le Bar Leo au 34 de la carrer Sant Carles. N'y allez pas en smoking, mais franchement ce temple du flamenco des années 70 et d'un rock plus récent vaut le détour. La cuisine est certes un peu grasse, à l'image du juke-box et de la morue préparée par la mama. En contrepartie, ça a vraiment du goût, comme à l'époque de la Barceloneta d'avant le tourisme, quand elle faisait encore un peu peur.


Comment ne pas évoquer l'autre Barceloneta, celle du front de port, face aux yachts de luxe, sur le passeig Joan de Borbó? C'est évidemment le royaume de l'attrape-couillons: malbouffe surgelée, glaces d'usine, pickpockets (finalement moins voleurs que certains restaurateurs…). Un ou deux lieux surnagent cependant, comme le Suquet de l'Almirall. Carlos Abellan vient également d'y ouvrir un restaurant de poisson pour touristes aisés (ci-dessus), ça a de la gueule, mais ce n'est pas nécessairement là que j'ai envie de vous envoyer en premier (sauf si vous devez vider le compte d'un Russe descendu de son bateau ou du W tout proche)


Une adresse correcte, moins coûteuse, si vous tenez à manger au milieu des bateaux, le One Ocean Club, au sein même du port de plaisance. On vous y accepte sans Ferrari. Prenez un riz ou une fideua, ce ne sont pas les meilleurs de la ville, mais l'emplacement est de première catégorie pour ceux qui aiment le côté yacht club (réservation obligatoire).


Enfin, sur la plage, au milieu des pièges à touristes, les riz biens grillés et le merlu du Barraca ne sont pas si mal que ça, surtout le dimanche, quand la plupart des bons endroits sont fermés. En plus, c'est vue sur mer garantie et, de mémoire, il y a un bon rouge canarien sur la carte!




Barrio Gótico

Nous voilà maintenant au cœur du cœur de la ville, dans la Barcelone originelle. Pour tout vous dire, c'est mon quartier, et globalement, on y mange mal. Pas pire que dans tous les spots ultra-touristiques de la Terre, mais vraiment, ça ne fait pas envie. Bon, quand on connaît cet intra-muros, ses recoins et ses traverses, on lui pardonne beaucoup, car il donne beaucoup.


À Barcelone, les bonnes soirées commencent généralement par un vermut. Vous trouverez tout au long de ce guide plusieurs adresses spécialisées dans cet apéritif dont le succès ne se dément pas. Là, carrer Dagueria, il s'agit peut-être du plus petit bar de la Ville des Prodiges. Le Zim (d'enzymes) est accolé à ma fromagerie préférée, uniquement espagnole dans l'approvisionnement mais tenue par une Écossaise francophile. Des tapas de fromage, donc au Zim, et de la belle charcuterie (n'échappez pas à la sobrasada!), quelques vins sympas et l'in-con-tour-na-ble vermut casero, maison. Buvez-en quelques uns, et au final, Francesc, l'âme du lieu, vous crayonnera l'addition sur le bar, à même le marbre de Macael, dans la plus pure tradition du port, qui n'aime pas les caisses enregistreuses.


En poussant un peu plus haut, au delà de l'église de La Palma de Sant Just, filez par la rue éponyme vers la bodega éponyme. Les employés de la mairie voisine viennent y déjeuner du menu du jour, on peut aussi s'étendre plus longuement sur la carte tout en buvant des canons corrects. La Palma est dans son jus, comme avant l'arrivée du plastique. L'hiver, on peut aller se serrer dans la salle du haut.


Savez-vous qu'en général, il vaut mieux éviter de prendre son café au restaurant à Barcelone? Entre un café médiocre, torréfié au caramel brûlé, et une eau dégueulasse, c'est presque aussi mauvais qu'un Nespresso. Heureusement, Vinnie-les-bons-tuyaux a une adresse pour ça, à midi en tout cas: le Satan's, carrer de l'Arc de Sant Ramon del Call.
Oui, je sais, le Satan's, c'est hyperbobo, d'ailleurs avec Marco, le patron, on fait des courses de fixie… Et alors? Vous préférez hyperbeauf? Dans cette caféteria, qui propose également de merveilleux chocolats de grande origine, on boit les meilleurs petits noirs de la ville, sous toutes leurs formes. À propos de formes, les filles qui viennent y feuilleter la collection de magazines branchés y sont parfois inoubliables.


Plus conventionnel, à deux pas du Satan's, et toujours dans le Call, l'ancien ghetto construit autour d'une des plus anciennes synagogues d'Europe, allez boire des coups de rouge (et casser la croûte) à La Vinateria del Call, un des plus anciens bistrots à vin de Barcelone. J'ai connu l'époque où l'on ne pouvait y manger que des boîtes de conserves, le lieu s'est agrandi et doté d'une cuisine.


Tant qu'à être dans le Call, trois petites adresses, et d'abord une boutique de vin, Zona d'Ombra. Rien d'exceptionnel (on y vend toutefois l'excellent Exibis du Pla de Bages), mais sa particularité est d'être ouverte le dimanche.


Si vous voulez boire des bières et de l'alcool le soir, éventuellement en musique (en vivo), faites un tour au bar du coin, l'Idea.
Plus pépère, on trouve dans le secteur un des derniers restaurant à menu de midi que le tourisme et ses tapas d'usine n'ont pas tué, La Cassola, carrer de Sant Severn. Hop! Un billet de dix et deux piécettes sur la nappe à carreaux, vous avez déjeuné.


Tant qu'à être dans cette rue, allez vous recueillir sur l'émouvante place Sant Felip Neri (j'en parlais ), juste derrière le Neri, un Relais & Châteaux qui compte parmi les plus hôtels les plus élégants de Barcelone.


Montez ensuite admirer le retable de la petite église Sant Severn, l'église de l'archevêque, et les jardins de la cathédrale. Sans oublier, de l'autre côté de Santa Eulalia, via la tranquille carrer de la Pietat, cet étonnant cabinet de curiosités qu'est le musée Frederic Marès, dédié à la sculpture sous toutes ses formes, artistique, religieuse et même populaire et utilitaire.
Allez également jeter un œil au Palais des Rois d'Aragon, et aux anciennes archives de cette dynastie née à Huesca et qui régna sur Barcelone.


Pour goûter à d'autres cultures, on peut traverser l'avenue de la cathédrale et manger japonais au Shunka et au Koy Shunka. Ces deux établissements ont longtemps été pour les touristes les symboles de la vague niponne qui a submergé la cuisine barcelonaise. Franchement, même si la partie sushi de la carte du Koy est remarquable, le reste m'a laissé un peu dubitatif. Vous trouverez d'ailleurs dans le second tome de ce guide subjectif de quoi vous régaler de la grande gastronomie de l'Empire du Soleil levant?


Dans ce même secteur, pour ceux qui auraient le mal du pays, un bistrot français assez récent, Le bistrot de Pierrot, carrer de Julia Portet, sur le côté de la tristement célèbre Jefatura de Policia, la Préfecture de Police, où sous Franco l'on savait "poser des questions". On y parle camembert, et un français, justement, Ludovic Darblade, d'Human Vins, s'est penché sur la carte des vins, ce qui change un peu des espagnolades stéréotypées.


Et, carrer de Montsió, un lieu célèbre Els 4 gats dont la carte, entre autres, a été dessinée par Picasso dans son époque barcelonaise. La nourriture n'y est pas plus mauvaise qu'ailleurs, mais le lieu vaut le déplacement, y compris la salle du fond avec son bruyant côté thé dansant. Pour ce qui est des chemins du Maître dans le quartier, entre bistrots et bordels, lire cette chronique.


Au bord de l'horrible Via Laietana, de son architecture grandiloquente, pré-franquiste (mais on s'y croirait déjà), et de son air saturé de gaz d'échappement, une "nouvelle" adresse, le Caelis. On a connu ce restaurant à l'ancien Ritz, sur Gran Via. Il vient de se rapprocher du centre, et de changer d'hôtel puisqu'il squatte désormais le Ohla et ses étonnantes façades piquées de drôles d'yeux de plastique. Aux manettes, toujours Romain Fornell, Catalan de Toulouse. L'an dernier, il m'a fait manger un canard au sang d'anthologie, passé par une des presses de la Tour d'Argent.


Non sans vous avoir d'aller jeter un œil à la petite église Santa Ana cachée derrière la plaça Catalunya, je vous invite à revenir vers le cœur du barrio Gótico en filant vers chez moi, vers Santa Maria del Pi, une des basiliques barcelonaises (les deux autres étant Santa Maria del Mar et la Sagrada Familia).
Puisque l'on revient dans le religieux (c'est le quartier des églises), mangeons quelques gâteaux de bonnes sœurs arrosés de vin de messe au Caelum, à la fourche de La Palla et de Banys nous.


Sur la plaça del Pi, elle-même (en fait un réseau de trois places), pas grand chose si ce n'est l'historique Bar del Pi, refuge des peintres du coin dont les œuvres tapissent les murs. L'endroit arrive à rester "quartier" malgré le tourisme. Dans un coin, une plaque de cuivre indique que c'est là qu'a été fondé le Parti socialiste catalan.


En face de la rosace de Santa Maria, un autre monument historique, la coutellerie Roca, temple de ce qui taille, tranche, découpe. Incontournable pour les cuisiniers. À propos de cuisine, il faudra un jour que je vous parle de mon atelier, le Secret(o), en hauteur, à l'aplomb du palais Fivaller où Napoléon installa son quartier-général. Quand on me le demande gentiment, il m'arrive d'organiser (uniquement sur réservation) des repas privés.


Retour dans la carrer de Banys nous avec deux lieux intéressants.
D'abord, au numéro 8, dans un style éminemment espagnol, la churreria Manuel San Román. des beignets, donc, des churros, ceux qui tombent sur les hanches des belles Andalouses passés trente ans. Là, ils sont franchement excellents, pas si gras que ça et connaissent un succès spectaculaires avec les Coréens depuis que l'établissement à eu droit à un prime time à la télévision locale.


Juste à côté, pour un mojito impeccable, une bière du quartier, voire une bouteille de bon rioja, dans une ambiance jeune et cosmopolite, arrêtez-vous au Stoke, le bar de la rue. Il n'est pas rare d'y parler trois ou quatre langues à la fois. Et d'en partir tard.


Un peu plus bas, à l'angle de la rue qui monte vers la Generalitat et la mairie de Barcelone, une maison de tradition, autre fournisseur officiel de Ma Majesté, la sombreria Obach. Chapeaux, bérets, casquettes de marins… on y trouve même, pour les amateurs du genre, la folklorique barretina catalane, cet espèce de bonnet rouge et noir.


Traversons la carrer Ferran et ses pièges à touristes, faufilons-nous carrer d'Avinyó. On s'arrêtera éventuellement acheter une paire d'espadrille ou de chaussures de corde à La Manual Alpargatera afin de marcher dans les pas d'Ava Gardner et de Penelope Cruz, et, en cas de besoin, manger une grillade au Gran Cafè, la brasserie touristico-classique du coin. L'endroit est amusant, un peu hors du temps, photogénique. Une nuit en rentrant tard, il m'est arrivé d'y voir le tournage d'un film qui sortira bientôt.


Dans le secteur, les végétariens et autres clients à problèmes trouveront leur bonheur au Rasoterra (ci-dessous), carrer del Palau. Inutile de vous dire que ce n'est pas ma tasse de thé, mais j'y ai mangé des trucs rigolos, et la carte des vins réserve deux trois bonnes surprises. Juste à côté, n'oublions pas un des rares kebabs potables de Barcelone, le Damasc.


En reprenant la carrer d'Avinyó, saluons le bordel où Picasso inventa un tableau qui modifia le cours de l'art du XXe siècle, Les demoiselles d'Avignon qui, comme je le rappelle dans cette chronique, n'ont strictement rien à voir avec la préfecture du Vaucluse, enfermées qu'elle étaient derrière cette porte aux lourds lions de bronze.
J'ai évidemment aussi une pensée pour mon copain Bado. Il est uruguayen, plus barcelonais en fait que beaucoup puisqu'il y a installé son atelier dans les années quatre-vingt-dix. Sa peinture, qui chine dans la mémoire de la Ville, dans les poubelles de sa tête, m'enchante. Elle est polymorphe, comme lui, cuisinier, professeur, collectionneur, fabricant de gin en Priorat, Dj de musique russe… 
Je vous invite à une expo privée, chez lui, c'est un de ses derniers boulots, à l'inverse des grands formats qu'il aime tant. L'idée est née en récupérant dans la rue un vieil atlas de l'Espagne. Chaque province est devenue une œuvre.

Tenez, je vous mets ici un lien vers le site de Bado, je sais qu'avec sa cote, il n'a pas besoin de moi, mais quand même…
En sortant de l'atelier, pourquoi ne pas aller prendre un drink au bar d'un autre hôtel chic du quartier. Récent, caché juste après l'étonnante rondeur de petite plaça Milans, le Wittmore du groupe Dorchester, caché, vraiment caché au fond de la carrer de Riudarenes, une impasse repeinte de gris anthracite.


Retour sur Avinyó, toujours en descendant vers le port. Bien sûr, on pourrait aller, à deux mètres du premier atelier de Picasso, au Bar la Plata devenue branché depuis qu'un TV cook américain y a découvert les tapas. Ce n'est pas plus mauvais qu'ailleurs, et en plus, ça permet de travailler son accent new-yorkais.


mais on va rester sur Avinyó jusqu'à ce qu'elle devienne carrer de Simó Oller et croise la carrer de la Mercè qui conduit à cette église fondatrice de Barcelone dont on aperçoit la statue depuis les toits. À cet angle est établie le Bar Celta, une pulperia populaire, galicienne, ouverte le dimanche où l'on peut aller se rassasier de poulpe bien sûr, épais, tendre, parfumé et sans ces saloperies de sauces douçâtres que j'ai vues apparaître ici et là dans les assiettes maniérées de certains cuistots branchés. Mais ne négligeons pas l'épaisse tortilla de patatas ou les anchois frits. Le tout s'arrosera d'albariño bu dans des bols de porcelaine comme le veut l'usage (ce qui lui fait perdre son nez trop clinquant à mon goût).


Après avoir salué la Mercè (qui tient tête à Poséidon), direction plaça Reial via le joli passatge de la Pauà côté duquel Pepe Carvalho avait son bureau. On y trouve désormais à la place un jolie boutique de mobilier vintage, un bistrot "de nanas" et une l'intéressante fondation Enric Miralles consacrée à l'architecture.


Sur la route, deux haltes possibles. 
Un soir de rugby, le pub Flaherty's où l'on boit des pintes de rousses avec des irlandaises brunes (ou le contraire). Attention, je précise bien un soir de rugby; j'y suis tombé par malchance un soir de match de football, c'était l'enfer, on se serait cru dans un meeting de Nigel Farage!


Tard dans la nuit, quand la troisièmes mi-temps nous a pris dans ses bras amoureux, le second stop, c'est le Marula, boîte idéale pour les filles qui aiment les blacks et les types qui ne détestent pas s'embrouiller, bourrés, à cinq heures du matin. Pour ne pas passer inaperçues dans ces horaires où la brume du port remonte jusqu'à la carrer d'Escudellers, certaines n'hésitent pas se jucher sur des Louboutin, modèle Pigalle de douze centimètres.
En attendant l'aube, pourquoi ne pas aller boire une limonade maison à l'Ocaña, ce vaste bar-hommage à un des grands travelos de Barcelone, qui ouvre sur les palmiers de la place.


Pour conclure ce tour du Barrio Gótico, je vous propose une visite d'un restaurant assez incroyable, un des premiers haut-lieux touristiques en fait du quartier, Los Caracoles. Est-ce une priorité d'y aller manger? Peut-être pas, mais, un peu comme son concurrent le Can Cuilleretes, l'endroit nous raconte toute une histoire de l'Espagne telle que l'on vue (et parfois continuent de la voir) pas mal d'étrangers, américains notamment.
Los Caracoles, ce sont les poulets qui rôtissent dans le rue, cette cuisine du XIXe siècle, avec ses fourneaux au charbon rougis par la chaleur que l'on doit traverser pour aller à table, les photos souvenir des stars du Monde entier (il y a même notre Johnny national), ce décor tellement kitch qu'il en devient dingue.
Suivez le guide!






Le Raval

Voici le mauvais élève de la ciutat vella, de la vieille-ville de Barcelone. Et ça ne date pas d'hier. Quartier d'immigrés, d'anars, d'ouvriers pauvres, de truands, de drogués et de putes, l'ancien Barrio Chino de Genet, Mandiargues, Carco, Montherland, Kessel et même un peu Hemingway a mauvaise réputation.


Sans être aussi noir que dans la légende, le Raval a ses côté sombres, renforcé par l'omniprésence pesante, dans certains de ses secteurs, des barbus et des apicultrices.
Mais ce vaste quartier est en fait plus complexe, d'autant que la gentrification aidant, il est aussi devenu branché, "bobo" comme disent les vieux aigris. 


Ce Raval, nous allons attaquer sa visite par un espace hybride, les Ramblas. Hybride parce qu'à cheval sur le Barrio Gótico. Les Ramblas, cette avenue emblématique de Barcelone qui a remplacé un oued et les remparts qui protégeaient le cœur historique, sont devenues une sorte de cour des miracles du boire et du manger. Faux tapas, sucreries de merde, kebabs d'origine douteuse, fast-foods… l'élite de la malbouffe a ici pignon sur rue. Un des frères du Celler de Can Roca a même ouvert un glacier qui ne pourra que ravir les amateurs de saveurs chimique (Jordi Roca est d'ailleurs conseiller spécial de Givaudan qui parfume le papier-cul et les chewing-gums), de vrais Sundae® comme au McDo d'en face. Mais plus chers évidemment, si non, ça ne le fait pas…


Globalement, donc, sauf envie "d'expérience" ou pulsions suicidaires, fuyez les gargottes des Ramblas. Personnellement, je n'en retiendrai que quatre adresses (dont une pour rire). D'abord, La Cazalla, un des plus petits bars à tapas de la ville, tout en bas, au niveau de la rambla de Santa Mònica, sous le porche qui ouvre sur la carrer de l'Arc del Teatre. J'écris "bar", mais c'est en fait juste une fenêtre qui s'ouvre dans le mur, une pincée de tabourets à même le pavé, quelques chips, une soucoupe d'olives et une bière. Étonnant.


Une mention aussi, encore plus bas, carrer de Santa Monica, pour le bric-à-brac francophile et musical du Bar Pastis.


Plus haut de gamme,  et presque en haut des ramblas, sur la rambla dels Estudis, il faut absolument aller boire un pot sur la terrasse de l'hôtel 1898. L'entrée est vaguement filtrée, jouez d'assurance, et on ne vous posera aucun problème. Le panorama est remarquable, un des plus intéressantes des terrasses d'hôtels de Barcelone car proche de la mer contrairement à celles de l'Eixample. Vue imprenable sur cette épaisse coulée verte que représente les Ramblas.


Enfin, un peu plus haut sur cette même rambla dels Estudis, une adresse importante pour les amoureux de la cuisine chimique, l'endroit du casse-croûte préféré de Ferran Adrià (qui a ses bureaux plus bas, dans le Gótico). Ça s'appelle Viena, et on y sert des frankfurts industrielles avec du ketchup et de la moutarde sucrée. Une certaine idée du vide…


Bon, un peu de sérieux maintenant avec la "grosse" adresse des Ramblas, le mercat de Sant Josep, connu des touristes sous le nom de La Boqueria. C'est là que je fais mon marché, que j'essaye en tout cas tant ce marché est rongé, bouffé, cannibalisé par le tourisme bas-de-gamme. 


J'en parlais récemment ici avec horreur, une à une, les loges authentiques disparaissent et sont remplacée par des attrape-couillons de premier ordre, jus de fruits aux pesticides, crêpes au Nutella, brochettes au porc roumain… Les clients habituels sont exaspérés, et peu à peu fuient le marché; par cortoplacismo, cet esprit de lucre à très court terme, et par paresse politique, on est en train de tuer la poule aux œufs d'or. Alors, par pitié, si vous visitez La Boqueria (il existe une vingtaine d'autres halles de ce types à Barcelone), n'achetez pas ces horribles trucs à emporter!
1°) Ça vous évitera de passer pour un beauf.
2°) Ainsi vous ne collaborez pas à la destruction, à l'assassinat d'un élément du patrimoine de la ville.


Cette (importante) mise en garde étant posée, faisons un peu nos courses dans La Boqueria.
D'abord, je voudrais commencer par hommage, à ma "Gitane blonde" du rond des poissons puisqu'elle partie engueuler les photographes d'opérette au Paradis. Dès qu'elle voyait un touriste sortir son appareil, elle le pourrissait. Oh, bien sûr, elle était parfois un peu voleuse, mais elle m'en a appris un rayon en produits de la mer. Heureusement, derrière le ban, sa fille a pris le relais: "¡hola Rey! Que quieres mi amor?"


Des personnages, il en reste à La Boqueria, à l'image de Petràs, le vendeur de champignon et de choses rares, ou du charcutier malaimable qui me vend de délicieux choricitos gentiment pimentés avec lesquels je confectionne des fabadas, mes cassoulets d'ici. 
Les poissons, on en a parlé, c'est un must, comme la morue, incomparable avec les saletés au goût de vieux torchon qu'on évite d'acheter en France, et les olives. Pour les légumes, c'est compliqué, mais ça c'est amélioré, surtout avec les cultivateurs des environs qui viennent vendre sur la plaça de Sant Galdric le matin.
La viande, c'est contrasté. L'agneau, et dans une moindre mesure, le cabri, aucun problème. Avec le bœuf, ça se complique; vous savez que cet animal est allergiqueà la Méditerranée… On peut trouver des merveilles, comme les chuletones de la Bodega Capricho de León, ou les côtes de bœuf basques de Boket, mais au niveau tarifaire, il faut viser, on peut atteindre des prix parisiens, ou pour Américains, comme vous préférez. Le veau, depuis que cette chère Amparo a vendu sa micro-loge à des empoisonneurs de touristes, c'est la loterie.
Pour les volailles, allez chez Avinova, dont les escargots et le gibier font rêver mon Docteur qui ne craint pas la goutte.
Allez, en route, et en images !


Le cabas plein de victuailles, peut-on quand même manger à la Boqueria? Oui, bien sûr, surtout si on ne le fait pas debout, comme des clébards. J'aime bien par exemple, entre deux japonaises qui forcément veulent qu'on fasse un selfie (le côté poilu/caveman…), aller prendre une tortilla chez l'inaltérable Pinotxo. Sans âge, Pinotxo, avec toujours cet entrain qu'il devrait enseigner à tous les barmen et à tous les serveurs du Monde. On apprend mieux en le regardant que dans les écoles à socquettes blanches.


Plus imposant, surtout depuis son récent agrandissement, il y a le Quim de la Boqueria, c'est simple, bien envoyé malgré le côté usine. Attention toutefois à l'addition quand on va chatouiller les produits de la mer, ça peut piquer un peu.


Enfin, un petit nouveau, sur le flanc droit du marché, le Basco-Toulousain Jérôme Etchalus, au commande du Joël Oyster's Bar. Les célèbres huîtres du Cap Ferret importées dans un pays, l'Espagne, où l'huître un resté un produit de luxe. Ici, elles sont franchement excellentes, et l'accueil comme au pays du rugby.


Pour une table un peu plus raffinée, il faut longer la colonnade gauche jusqu'à la carrer de Jerusalem. Ne vous fiez pas à la banalité du nom de l'établissement en question, Bàcaro, c'est une splendide table italienne, plutôt vénitienne comme son foie de veau. On y mange et y boit excellemment, bien mieux que dans pas mal de mangeoires de La Boqueria. En prime le cadre est charmant.


Si vous résistez aux douceurs vénitiennes, allez prendre le dessert de l'autre côté du marché, dans la minuscule carrer d'En Xuclà, à la Granja Viader. Vous voilà au classique des classiques, avec son éternel serveur longiligne dont on pourrait croire qu'il a servi de modèle au croquemort de Lucky Luke. L'hiver, c'est chocolat épais, biscuits à la cuillère et jus d'orange. Mais en toute saison, les mousses au chocolat et les flancs sont excellents.
Pour la petite histoire, c'est ici, il y a longtemps, en 1931, qu'on a inventé un batido inspiré de la Hongrie, le Cacaolat, cousin du Cacolac bordelais.


Plus au nord, à deux pas des ramblas, mais dans une ambiance bien différente, le secteur regorge désormais de bars, de restaurants, de boutiques sympas. De grosses machines au marketing bien huilé, des restaurants exotiques "de luxe", mais aussi des petits trucs qui puent encore Barcelone, à l'image de la modeste Bodega La Clau sur la carrer del pintor Fortuny (qui se gentrifie à vitesse grand V).


Coup de cœur, presque en face de La Clau pour la brasserie Caravelle. Un lieu élégant tenu par des Anglo-Saxons où l'on brasse dans le local mitoyen d'excellentes bières; j'adore la Ill Kids, pale ale dry, amère, à la mousse dense. Jolie ambiance un rien berlinoise.


Pour rester dans cet axe Berlin-Barcelone, quoi de mieux, carrer d'Elisabets, que la Casa Camper, du nom des célèbres chaussures majorquines dont chacun possède au moins une paire dans son placard? Casa Camper, à Berlin comme à Barcelone, c'est un hôtel stylé, pour des jeunes friqués, ou des vieux qui se croient encore jeunes. Une boutique Camper se trouve juste à proximité, ainsi qu'un bar-restaurant, le Dos Palillos tenu par Albert Raurich, un ancien du Bulli. Franchement, il y a quelques années, je vous l'aurais volontiers conseillé (j'en avais dit du bien ici), mais ma dernière expérience était vraiment gustativement désastreuse, gastronomiquement vide de sens et de matière, juste sauvée par une excellente compagnie et quelques bouteilles d'Overnoy-Houillon. Serait-on passé du "côté sombre de la Force"?
Pour en revenir à la Casa Camper, une autre adresse dans le coin, pleine de chic elle aussi mais à un budget plus raisonnable, l'Hostal Grau.


Au bout de carrer d'Elisabets, vous entendez ces claquements secs sur le granit qui pave les alentours du MacBa? Les skateurs bien sûr, le parvis du musée d'art contemporain (plus intéressant de dehors que de dedans?…), la place joliment baptisée "dels Àngels", est devenu leur paradis. Boutiques et bistrots à l'unisson.


En allant vers la carrer de Joaquín Costa, arrive un autre Raval. Un authentique "Boboland" disent les vieux, un savant mélange en tout cas de styles et d'horizons. Dans cette rue et quelques unes de ses perpendiculaires comme Ferlandina se mêlent dans un bordel assumé d'innombrables bars (magnifique Casa Almirall), des boutiques bobo, donc, comme Les Topettes où je vais acheter du sent-bon d'Ibiza, des vendeurs de vinyles, la librairie anar, de la fripe sélectionnée, du mobilier vintage, des barbiers, un opticien top, une torréfacteur chic, des légumes en direct de la ferme, un restaurant végétarien (pas très bon, mais ça fait partie du package…) et les habitants classiques du quartier, chinois, arabes et pakistanais, toujours à la tête de primeurs et d'épiceries bigarrées. À ce propos, en bas de la rue, à la jonction de Carme, on peut aller manger un curry au Shalimar.
Allez, casquette sur la tête, on se fait Joaquín Costa, sans bla-bla, en images !


Via la carrer de la Riera Baixa, ses fripes rock n'roll et son joli Bar Resolis (ou par la carrer d'en Roig), on descend vers un Raval plus dur, où les dealers "tiennent les murs" sous l'œil désapprobateur des habitués du temple Sikh ou des bouchers marocains.


Vous voici carrer de l'Hospital du nom de ce magnifique édifice, premier hospice de Barcelone, fortifié, car installé à l'époque hors les murs pour accueillir entre autres les pèlerins de Saint-Jacques; la nuit, on peut boire un coup et danser dans ses jardins.


À l'autre bout de la rue (à l'opposé des ramblas et de la Boqueria), c'est ambiance barbus et apicultrices comme je le disais plus haut. On se croirait presque en France (je plaisante…), mais tout cela reste assez maîtrisé, avec d'ailleurs une présence policière persuasive; on ne rigole pas avec les Mossos d'Esquadra (la PJ régionale) qui ont conservé certaines méthodes du "bon vieux temps".


Nous voilà donc sur la rambla del Raval, voulue pour aérer l'ex-barrio chino. D'un point de vue urbanistique, c'est plutôt bien vu, même si la réalisation architecturale est calamiteuse, simpliste, bas-de-gamme. Heureusement, il y a les arbres…
Quitte à vous étonner, mon adresse préférée, ici, c'est un kebab, l'impeccable Baba (non, pas bobo…) où l'on ne sert pas d'immondes agglomérés de minerai de viande dignes de McDo ou de la cuisine moléenculaire.


Du mouvement un peu plus bas, à La Rouge. Bar, bar musical, bar à cocktails, aux dernières nouvelles, c'est là qu'officie le Mozart de la mixologie barcelonaise, Miguel Angel Palau Bianchi, dont je vous avais notamment parlé ici.


Tant qu'à être là (non sans avoir salué la mémoire de Manuel Vázquez Montalbán, L'écrivain de la Barcelone moderne dont la municipalité a collé le nom à une des places les plus laides de la cité), pourquoi ne pas aller aux putes?
Sur le chemin, on s'arrête Casa Leopoldo, table mythique de l'époque de Pepe Carvalho, face à l'horrible place sus-citée, qui enrobe le Barcelo Raval, un hôtel peut-être pas du meilleur goût mais bien placé et dont les vues embrassent cette partie de la ville. Casa Leopoldo a été reprise par le chef  Romain Fornell dont je vous ai parlé plus haut dans ce guide à propos du Caelis. On y déroule la cuisine locale, version soft de qualité, dans un lieu qu'on a voulu conserver tel quel mais où le décorateur a eu (comme souvent) la main un peu lourde. Savoir s'arrêter à temps, éternel problème.


Plusieurs adresses "pour Anglais" sur cette rambla, comme la Taverna del Succulent qui hésite entre le tapas et le cocktail C'est bien, c'est looké, mais on a un peu l'impression de descendre de l'avion. Quand on paye aussi.


Dans le même genre "tapas internationaux", il y a le Cañete, carrer Unió. J'ai bien aimé, il y a quelques années, en particulier la tortillita de camarones digne de Sanlúcar de Barrameda. La bouffe est toujours pas mal, en revanche, la carte des vins est devenue un peu ridicule, genre espagnol lourdaud, et à des prix tels qu'on se croirait à Paris!
Pour vous consoler, allez pisser un coup afin d'admirer cette belle affiche de boucherie taurine dans le couloir des toilettes.


Bon, et les putes ? Ben oui, après vous avoir rappelé que dans un immense assaut d'hypocrisie, le racolage et la prostitution de rue sont interdites en Catalogne, région où l'on doit compter au moins autant de bordels que de bibliothèques (mais l"'honneur est sauf, il se dit que seuls les étrangers y vont…), je dirige vos pas vers la place Sant Pau, sa cinémathèque, sa mosquée intégriste, ses boutiques de téléphones bidouillés et ses pauvres filles. Faites ce que vous voulez, moi, le pain de fesses… 


En revanche, puisqu'il est question de débauche, pourquoi ne pas aller boire une absinthe au Marsella? Quoi? Vous ne connaissez pas? Impossible! Allez, je vous affranchis, c'est ici qu'on en cause entre initiés (interdit aux moins de 18 ans). 


Et puis, si vous avez survécu à la fée verte et que voulez boire un vermut avec trois olives, passez chez Ruben, carrer dels Robadors. Ici, on ne chante pas, monsieur! Sinon, encanaillez-vous au 23 de la même rue.


Retraversons la rambla del Raval et enfonçons-nous encore un peu plus profond dans la jungle de ce quartier sauvage. Tout bouge ici, au grand dam des barbus qui, nuit après nuit, constatent à quel point la charia, cette tendance vestimentaire et alimentaire aussi ringarde qu'un disque de Bernard Tapie, se démode au profit de la mini-jupe et du gin-tonic.


Carrer de Carretes, il y a une adresse que j'adore (ça rime): Lo de Flor. "Flor, j'adore" dit le slogan à propos de cette Italo-Catalo-Argentine et de ses drôles de dames. Un concentré de l'énergie de Barcelone que ce restaurant du soir à la cuisine fraîche et à la clientèle éclairée. Des acteurs, des artistes, des rencontres, Flor sait rendre la vie caressante (y compris le dimanche soir), sa maison est devenue un classique du Raval. En plus, voilà qu'elle s'intéresse au vin.


Pas très loin, entre une boucherie pakistanaise et un vendeurs de chaussures d'occasion pour unijambistes, l'autre classique, c'est l'incroyable Alfonso de la Mota, dans son onirique Nevermore. Restaurant, atelier de cuisine, et éventuellement bar d'ivrognes. Il faut montrer patte blanche, mais ça vaut le déplacement.


Quelques images pour finir cette déambulation dans l'incroyable Raval, entre Babel, Sodome et Gomorrhe. Du Palais Güell, qu'on dirait échappé de Gotham City aux émouvantes créatures du Bagdad, la première salle de striptease (et plus si affinités) de Barcelone, symbole de la libération de l'après Franco. Des concours de tags au musée maritime de Drassanes (dont je vous recommande chaudement la visite), près de la statue de Colomb, en passant par d'insolites bars de nuit dont parfois les ivrognes sont réveillés par les sirènes du port.


Voilà donc pour cette première partie, n'oubliez pas le guide ! La seconde arrive dans peu de temps, entre Eixample et des quartiers périphériques qui, sans bénéficier de l'aura de Ciutat Vella, la vieille-ville, possèdent eux aussi ont leurs petits trésors.
En attendant, j'ajoute un ou deux conseils pratiques. Un concernant la sécurité, non pas que Barcelone craigne (ce n'est pas une ville violente), mais les pickpockets y sont parmi les meilleurs du Monde, aussi réputés en tout cas que le Barça. Attention si vous venez en voiture, ils sont à l'œuvre dès l'autoroute, et la maudite Avenida Meridiana (le coup du pneu crevé…), à éviter absolument avec des plaques étrangères.
Autre conseil, à propos du calendrier. Évitez les dimanches, qui même à Barcelone ressemblent à des dimanches. Et fuyez le mois d'août! L'Espagne ne connaît pas l'étalement des vacances, la plupart des bonnes adresses sont fermées, et le climat y est redoutable, chaleur et humidité.
En tout cas, bienvenue ici.






Le corbières déclassé et les gros crus.

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Sur le papier, on doit passer un bon moment. Les invités arrivent avec deux-trois bouteilles qui feraient rêver pas mal de novices du Mondovino. Ceux en tout cas qui perdent encore du temps à lire les guides pinardiers spécialisés en grands et gros crus. Il y a ce riesling allemand, certes, c'est bon, quoique manquant un peu de nerf à mon goût, mais je vous ai déjà dit (ici notamment)à quel point j'ai du mal à marier ce genre de vin avec la nourriture méditerranéenne qui justement va occuper notre table. L'accent teuton sur des pimientos de Padrón, des anchois ou des gambas de Vilanova, franchement, je n'y arrive pas, je n'y arriverai jamais. Quitte à me répéter, j'ai l'impression de voir, comme dans Tintin, les Dupont(d) débouler en Turquie grimés dans un costume folklorique grec.


L'histoire, en fait, ce sont les rouges. Il y a d'abord le cas de ce châteauneuf-du-pape pour Américains. Clos Saint-Jean Deus ex-machina, millésime 2009 qui plus est. Dans les principaux guides sus-cités, c'est un carton: 99/100 affirme le Wine Advocate, 94 pour le Wine Spectator, 19/20 selon Gault-Millau. Évidemment, les notes, vous savez ce que je pense de ce principe à la fois infantile et vulgaire, faussement subjectif. Ce châteauneuf, il faudra à chacun beaucoup de volonté pour terminer son verre. Lourd, épais, fatiguant. La machine à remonter le temps nous situe quelque part entre 1995 et 2000, quand il était encore "très chic" de confondre vin et confiture.


Plus étonnant est le cas du Cornas de Clape. Clape, on ne déteste pas, même si depuis pas mal de temps on s'en va visiter d'autres noms de cette prestigieuse appellation rhodanienne, Paris, Allemand. Là, c'est la cuvée jeunes vignes, Renaissance, 2009 (oui, je sais, mais si le vin n'est pas au niveau, on ne le sort pas). Le tarif est bien plus raisonnable que celui du châteauneuf, un soixantaine d'euros, contre cent-cinquante à deux-cents, voir davantage pour le premier (ce qui à mon goût est parfaitement ridicule). Mais, bon, ces soixante euros représentent quand même une somme: on sait que le prix moyen mis dans une bouteille de vin en France s'élève à cinq ou six euros, dix fois moins! Et, tant pis si l'on me taxe de poujadisme*, l'addition paraît d'autant plus élevée au moment où l'on se dit que cette syrah usée, cuite, oxydée a plus sa place au fond de l'évier que dans son verre.


Et puis, Deus ex-machina (désolé, c'était facile…), arrive le sauveur. Jeune vin d'un jeune couple récemment immigré dans les Corbières. Oui, oui, dans les Corbières, cette appellation immense par la superficie mais généralement décevante eu égard à la qualité de ce qu'on y produit. Sur le papier (on y revient), on devrait y trouver pléthore de jus intéressants, à l'image des géologies, des reliefs, des climats rencontrés. Pourtant, les belles bouteilles (à l'image de celles de Rémi Jaillet, de Guillaume Boussens ou de Paul Old) restent rares, face à la toute-puissance du kolkhoze et par la force de ses mauvaises habitudes, la culture vigneronne, dont ce pays manque cruellement, a bien du mal à s'implanter.


Pourtant, Gaelle la Bourguignonne, et Florian l'Allemand (ci-dessous), qui se sont rencontrés en étudiant l'œnologie à Beaune, ont décidé d'aller se perdre sur les hauteurs de Saint-Victor, à Fontjoncouse, et d'y vivre leur amour biodynamique de la vigne et du vin. Dans cette soirée qu'aurait pu ternir l'envahissante prétention des gros crus précédents, leur rouge (carignan majoritaire + grenache) redonne à tous l'envie de boire. Malgré les quinze chevaux de son joli moteur, ce vin puissant s'appuie sur une jolie structure pour rester frais et digeste. Attention (message destiné aux Parisiens du XIe), ce n'est pas une carbo doucereuse, mais un vrai vin qui en terme de profondeur écrase sans problème l'épais châteauneuf et le cornas fané. Même s'il est délicieux maintenant, je vous conseillerais bien de le conserver quelques années.

Comme il se doit, le Domaine des 2 Clés a vu certaines de ses cuvées** déclassées par les autorités incompétentes et est donc vendu en IGP Vallée du Paradis. Mais compte tenu des picrates de coopé qui constituent localement la norme au même titre que l'apéro-Ricard, on peut comprendre que les fins dégustateurs du coin aient trouvé les vins "atypiques"…



* Dans le genre poujadiste pinardier, deux merles ces jours-ci, dignes des lepenomélenchoneries sur "le matheux": d'abord ce blog scientifique spécial bec-en-zinc qui nous explique que finalement autant boire dans des gobelets en plastique, ensuite ce concours à la con relayé par la Presse, de LCI au Figaro en passant par Ouest-France, selon lequel un rosé du discounteur Aldi est "le meilleur du Monde".
** Gaelle et Florian Richter produisent également un joli blanc un poil nature sur les bords.


Le Tour ou le cochon ?

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Si vous vous trouvez dans la moitié nord de la France dimanche prochain, je ne vois que deux solutions pour ensoleiller une journée de dimanche que les services de la météorologie annoncent d'ores et déjà en demi-teinte, fraîche (le thermomètre descendra jusqu'à douze degrés) et vaguement pluvieuse.


La première est d'une tragique banalité saisonnière, à la limite du marronnier comme on dit dans les rédactions: suivre la deuxième étape du Tour de France qui conduira les coureurs de Düsseldorf à Liège. Eh oui, en plus, il vous faudra vous munir de vos papiers d'identité puisque la grande Boucle déserte l'Hexagone pour l'Allemagne et la Belgique. Sans vouloir lui casser la baraque, tout cela risque d'être sportivement assez plat, et consternant d'un point de vue gastronomique. Imaginez que sur la ligne d'arrivée, on vous oblige à ingurgiter les fameux boulets de Liège noyés dans une sauce chasseur en sachet (notez le virelangue), escortés de frites bien grasses, arrosés de Cantillon* ou de je ne sais quel breuvage étrange qui ne peut que vous éloigner de la civilisation! Inconcevable.


En tout état de cause, la seconde solution me semble, elle, beaucoup plus raisonnable. Et, assurément, porteuse d'éclaircies, de bons moments et de jolies descentes. Ça se passe à Bermicourt, dans le Pas-de-Calais, dans un lieu, La Cour de Rémi, dont je vous ai incidemment parlé ici alors que son tenancier, Sébastien de La Borde (ci-dessous) avait maille à partir avec un vétilleux fonctionnaire en charge de "la Protection des Populations" (sic) l'accusant de tricher en vendant du vin naturel**.


Mais dimanche, le but n'est pas de s'embrouiller avec les ronds-de-cuir de la Préfecture du Pas-de-Calais, il s'agit plutôt de venir en aide aux vignerons touchés ces derniers mois par les calamités naturelles, et ils sont nombreux!
Une telle cause vaut bien un petit sacrifice, en l'occurrence, celui du cochon Marcel, un résident de la  ferme attenante à La Cour de Rémi, un malpoli d'ailleurs le Marcel, on ne le regrettera pas puisqu'il s'est contenté de nous montrer son cul alors qu'on voulait lui photographier le groin.


Autour de Luc Carpentier et de son association Vins nature en Nord, et bien sûr de Vendanges Solidaires, plusieurs vignerons se sont joints à ce Cochon solidaire: Réau, Plageoles, Lapierre, Ilbert, Lemasson, Azam, Da Ros, Breton et des dizaines d'autres. Leurs bouteilles seront toutes vendues au tarif unique de vingt euros, vingt euros ce sera d'ailleurs également le tarif du menu pour cette fête du vin et du cœur. Franchement, entre les bobs Ricard, les boulets de Liège, les dopés de la petite reine et ça, vous hésitez encore?




* Oui, je sais, c'est mal, mais je n'aime pas cette bière bruxelloise à laquelle je trouve des arômes de papaye trop mûre, voire de vomi. Tant qu'à faire désordre, je rappelle que je ne suis pas fan non plus du vin orange et des carbos sucraillo-bananées. J'ai raté ma vie…
** Cette histoire farfelue et tellement française est à lire ici pour ceux qui ne la connaissent pas.


Le vin qui a de la gueule.

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Quand on ne goûte pas un vin à l'aveugle, évidemment, l'étiquette joue un rôle majeur, déterminant même, dans l'idée que l'on se fera. C'est ainsi, notre cerveau, fut-il le mieux entraîné du Monde, ne peut pas faire le tri des informations entre l'œil, le nez et la bouche. Ce qu'il a lu sur ce petit bout de papier influencera largement le traitement des informations fournies par ses autres sens. Que voulez-vous, nous ne sommes pas des machines!
Par parenthèse, je me demande ce qu'il adviendra de nos grands critiques quand, dans vingt, trente, cent ans tout au plus, des robots infaillibles feront le job à leur place. C'est un des grands débats du moment, à la fois terrifiant et passionnant, à la limite de la science et de la fiction, l'imminence de ce moment où l'intelligence artificielle sera en mesure de remplacer l'Homme dans la quasi totalité de ses tâches*. La vulgarité des notes devenant l'apanage des androïdes, peut-être ne nous restera-t-il, face au vin, que la poésie et l'ivresse? Quelle chance…

Débarque donc la bouteille. Par chance, il reste un peu de travail pour nos sens et notre cerveau. Bien sûr, on comprend que le produit est espagnol, éventuellement sud-américain. Certains détails ne trompent pas, on se doute également qu'il ne s'agit pas d'un vin sinon industriel au moins de grande série: même chez de gros faiseurs comme Dom Pérignon ou Lafite, il y a peu de chances qu'on s'amuse à placer sur chaque flacon cette étonnante petite collerette maintenue par un simple élastique. Vin espagnol, donc, artisanal, à tendance écolo puisque ne figurent sur l'étiquette ni dorures ni  château-plein-de-majuscules (on dirait bodega ou pago ici). Écolo, mais pas plus naturiste que ça: pas de blague genre coussin-péteur à l'horizon, pas de jeux de mots à deux balles ou de graphisme homologué punk-à-chiens insoumis.
Voilà, je vous le disais, le nez et la bouche ne sont pas encore à l'action que déjà la carte-mère et le disque dur chauffent.


Enfin l'essentiel. Le vin coule dans le verre. Plus translucide que ne le laissent croire les photos, presque une robe de pinot noir; nous aurait-on refait le coup (qui peut marcher) de l'infusion de raisins? Toujours est-il que le fruit est virevoltant, croquant, frais mais mûr. Pur aussi, sans ces côtés lactiques de plus envahissants dans les vins modernes. En fait, tout est bien dosé là-dedans: l'élevage, le geste du vinificateur. Est-ce grand? Je n'en sais fichtre rien, mais ça se boit avec volupté, à l'inverse de tant de jus destinés aux concours de quéquette qui semble tellement démodés désormais.


C'est principalement de la mencía qu'il y a dans cette bouteille, cette enfant dont on ne connaît qu'un parent, le trousseau jurassien** (dont en fait les principales plantations, et de loin!, se trouvent en Galice et au Portugal). Une mencía qui pousse sur un granite du trou-du-cul-du-Monde, dans la Valle do Bibei, au cœur des montagnes galiciennes, tout à l'ouest de l'Espagne, à la verticale du Pays de Galles. Si vous n'y avez jamais mis les pieds, il est INDISPENSABLE de visiter ce coin aussi beau que sauvage. En prime, on y mange bien, sainement, sans mariconadas.


C'est Laura Lorenzo, qui depuis son village de Manzaneda a développé le beau projet dont est né ce vin. Elle a travaillé pour Dominio do Bibei, une bodega connue de cette magnifique parsemée de lacs, entre Valdeorras et Ribera Sacra, région qu'on connaît davantage pour ses blancs. D'une façon générale, pour les vieux Espagnols, la Galice, c'est le blanc. On aura bu tous les rouges*** avant qu'ils ne se rendent compte de leur grande qualité.
Avec Daterra Viticultores, cette vigneronne rasta, énième symbole du réveil espagnol, s'appuie sur une poignée de petits propriétaires qui ont eu le courage de conserver leurs vieilles vignes dans cette région longtemps déshéritée. Elle les conseille, et vinifie les raisins pour produire plusieurs cuvées assez différentes mais pour la plupart intéressantes, voire délicieuses à l'image de celle-là. Tout sauf une étiquette de plus. Un vrai vin qui a de la gueule, loin du packaging et du marketing.




* Lisez, entre autres, cette interview de Nick Bostrom, professeur à Oxford, dans Les Échos. Pour ce qui est du remplacement des critiques par des robots objectifs, j'en avait ri dans cette chronique.
** Sujet évoqué dans cette chronique ampélographique. Pour ce qui est de la place que tient le trousseau au Portugal, davantage d'informations ici.
*** Je saute (presque) du coq-à-l'âne pour vous parler de rouges et de blancs que j'ai beaucoup aimés et qui viennent de la région voisine du Bierzo qui autrefois a fait partie du Royaume de Galice. Ce sont ceux de Grégory Pérez. À moins de dix euros, il sort quelques vins (ci-dessous) qui ne peuvent que guérir de la soif. Il a également fait un blanc de solera, Las Botas, à la façon d'Olivier Rivière, qui est une vraie réussite.


Un grand cru qui tient la route.

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On a souvent présenté les grands crus classés bordelais comme les Formule 1 du vin. Une espèce de service R&D, fourmilière d'idées, d'innovations. En réalité, ces propriétés milliardaires, parfois engoncées par l'argent et les désidératas supposés de leurs riches clients, n'ont souvent plus grand chose à voir avec les bolides créatifs qu'on dépeint dans une certaine Presse pinardière, servile, qui a fait de la fellation à cru sa nouvelle déontologie*. Au contraire, ces voitures de course devenues voitures de Bourse font davantage penser à de paresseuses, de lourdes, d'encombrantes, de vieilles limousines, éventuellement garées, en panne, sur le bas-côté.


Non que je plaide pour l'avant-garde à tout prix, tant mieux que subsiste dans un monde pressé des "valeurs sûres". Pour autant, je ne suis pas intimement persuadé que ces gros distributeurs d'argent liquide soient aujourd'hui les gardiens du temple de la tradition (dont je me méfie terriblement par ailleurs), et du concept de terroir. Sur ce dernier point, on notera leur timidité en matière d'adhésion à des formes d'agriculture plus "propre". Inquiets pour la colonne bénéfices du rapport d'activité à présenter au Conseil d'Administration annuel, ils sont presque aussi en retard que les kolkhoziens du rouge-qui-tache.
Le respect, la fidélité, le conservatisme et la réaction sont des notions bien distinctes. C'est plutôt de la dernière d'entres elle, me semble-t-il, que relève la vilaine, mesquine histoire arrivée récemment de Gironde. Les gros culs glacés ont fait payer à un Rastignac du goulot un terrible affront: il avait osé se comparer à leur incomparable "grandeur". C'est finalement de petitesse procédurière qu'il a été question dans cette affaire, dans ce procès**. Nous, loin de la morgue des seigneurs besogneux, nous nous régalerons des vins de Reignac, agiles comme les Formule 1 d'antan, symboles, entre autres, d'une viticulture bordelaise qui ne s'endort pas sur ses lauriers, qui préfère les portes ouvertes aux consanguines odeurs de renfermé. 


Puis qu'on parle de vieille bagnoles, de grands crus, de microcosme douteux, et de procès, comment ne pas évoquer au détour de cette chronique (qui sera pourtant joyeuse) le triste changement d'époque aux Caves Augé? Cette boutique, monument du commerce parisien, est bien malgré elle au cœur d'un sordide fait-divers dont le retentissement dans le Mondovino n'a d'égal que l'assourdissant silence médiatique qui l'entoure***. 
Pour faire simple (si vous ne suivez pas l'affaire sur les réseaux sociaux), son directeur, Marc Sibard, vient d'être condamné à un an de prison avec sursis, mise à l'épreuve et suivi médical de deux ans à la suite de plaintes pour harcèlement sexuel de trois collaboratrices du magasin. Évidemment, ça fait désordre en plein huitième arrondissement, chez un des fournisseurs attitrés de la haute-bourgeoisie en grands crus classés (dans les premiers) et en champagnes de marque. Ça fait d'autant plus désordre qu'en marge de ce qui fait l'important chiffre d'affaires de la boutique du boulevard Haussmann, Marc Sibard est devenu au fil des ans une figure symbolique, ultra-médiatique, du mundillo naturiste parisien, célébrée récemment encore (avec un opportunisme qui manquait peut-être d'à-propos…) par La Revue du Vin de France.


Scandale donc à bord, scandale étrange, taiseux, poisseux, chargé de non-dits et de sous-entendus sur celui que beaucoup décrivent comme "le DSK du vin". Voyant la rumeur enfler, le propriétaire des Caves Augé, le groupe international Lavinia, a enfin pris le taureau par les cornes. Les principaux vignerons fournisseurs de la chaîne (dont le directeur de l'institution parisienne était également acheteur) reçoivent ces jours-ci un courriel confidentiel leur expliquant que Marc Sibard a été congédié.


Inutile d'en rajouter sur cette pénible affaire qui décrit un milieu peu reluisant, passé de lourdingue (je parlais de cette lourdeur ici) à délictueux, entaché par d'implicites complicités vigneronnes, justifiées par d'abjects, de répugnants, d'infects conflits d'intérêts. Tout cela sent le fond de cuve sale. Je ne tenais pas spécialement à m'étendre sur le sujet, mais on m'a bien fait comprendre qu'il importait de respecter l'omerta, dont acte…
Souhaitons en tout cas aux victimes**** (dont certaines ont été contraintes de s'exiler de l'univers du vin naturel) de se reconstruire, et au condamné de s'amender.


Pourtant, pourtant, que de bonheur, que de joie peut apporter un grand cru! Tenez, celui-ci par exemple. Une rareté, infiniment plus difficile à trouver que certains premiers produits sur des propriétés de cent hectares. C'est, c'était une toute petite parcelle, perdue sur l'île de Mallorca aux Baléares. On le doit à Eloi Cedó (dont je vous ai déjà parlé à deux reprises, ici et ).


Grand Cru Cruce tire son nom d'un drôle de croisement (cruce en espagnol), sur l'île, à Manacor. Là  où les routes se rencontrent est installé depuis des lustres un restaurant de toda la vida, une table populaire où l'on se préoccupe avant toute autre chose de manger, de bien manger. Un pied-de-nez évidemment à l'univers des vins de Bourse dont je parlais au début, mais un projet très sérieux dans lequel Eloi est allé aux limites du vin naturel, en terme de vinification (sur le travail des rafles notamment) et d'élevage. Le cépage est du callet, une variété autochtone, à laquelle on sent comme un accent italien. Le jus est profond, élevé, mais toujours rafraîchissant et digeste.
Rafraîchissant et digeste, et si c'était exactement ce dont nous avions besoin après toutes ces imbuvables, ces pétaradantes histoires de grands crus: un vin qui tient la route?




* Immense éclat de rire l'autre jour avec cet "article" sujet-verbe-compliment qui effectivement ressemble à une pipe sans capote. C'est évidemment de grands crus qu'il est question et ça nous a donné envie d'inventer un prix, genre La Pipe de l'Année qui récompenserait la plus belle fellation journalistique du millésime en matière de bouffe et de pinard. Oui, je sais, la concurrence est rude, très rude! En revanche, si sur le même thème, vous voulez de l'intelligence, de l'élégance, allez chez Jacques Perrin.
** À lire ici.
*** À ce jour, seul Vitisphère a publié quelque chose sur cette affaire.
**** J'ai parlé avec deux d'entre elles, ça remue, je vous promets. L'une d'elle a d'ailleurs raconté l'expérience du procès sur son blog.



Rimes en -ard.

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Ce mot, que je ne déteste pas, remet l'église au centre du village. Pinard. Dans le cloaque plaqué or qu'est devenu le commerce du vin, il choque les marquis de contrebande, les demi-mondaines. Pour eux, forcément, ce n'est pas de pinard qu'il est question, mais d'art. Enfin, d'art… de marché de l'art plutôt, de valeurs, au sens immobilier ou boursier; la morale n'y a pas sa place. Sous couvert de bonnes manières, le plaisir est tarifé.
Avec le pinard, donc, tout redevient clair comme du vin de roche. Non, nous ne buvons pas des œuvres d'art*, non, les vignerons ne sont pas les descendants de l'homme de Lascaux et de Michel-Ange. Ce qui ne nous empêche pas parfois de trouver "divin" tel ou tel jus de raisin fermenté, élevé, embouteillé (ou pas). Débarrassons notre univers de ses artistes, de ses stars, de ses troubadours tarifés; libérée de toute cette encombrante pacotille, notre boisson favorite ne s'en portera que mieux. En plus, ça éloignera les snobinards, les salopards, et autre rimes en -ard**.


Pinard, d'ailleurs, reste un mot bizarre. Vous savez d'où il provient, vous? De multiples versions circulent sans qu'aucune ne soit clairement identifiée, d'un député-gynécologue, du grec, d'un cépage… Il semblerait que la dernière hypothèse soit la bonne, qu'il soit enfant de pineau, ce que semble pourtant définir sa définition: "vin de qualité inférieure ou de consommation courante, généralement chargé en couleur et en tanin" selon l'excellent dictionnaire en ligne du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.
C'est évidemment son suffixe en -ard qui heurte les chastes oreilles de ceux qui pour lui (pour eux surtout en réalité) font le trottoir. Pas toujours péjorative, d'ailleurs cette pesante finale, j'en veux pour preuve l'enthousiasmant prunelard (ou prunelart) gaillacois dont je défendais ici la finesse solaire. Et puis, évidemment, il y a le poulsard dont le nom seul sur une étiquette peut faire caqueter les cocottes à la mode, le Jura étant l'alpha et l'omega de leur maigre culture pinardière..


En revanche, si nous sommes bien dans le Jura, et effectivement dans un domaine qui produit du poulsard, c'est de son frère le trousseau qu'il s'agit. Un trousseau d'une extrême délicatesse, qui flirte avec les limites sans jamais tomber dans les travers devant lesquels s'extasient trop souvent les "vendeurs de fringues" d'un certain naturisme branché, ces squelettes ambulants, maigres, surs, décharnés, qui ne sont pas sans rappeler l'anorexique "norme d'élégance" des défilés de mode. L'intense trousseau d'Emmanuel Lançon est tout sauf un ginglard (ce qui pourtant aurait bien arrangé nos affaires de rimes), il a triomphé sur le moelleux d"un met trois-étoiles, le fameux nem du Poitou.  
Pour le comté qui peut suivre, on retiendra que le Domaine des Murmures a également à la carte un beau savagnin, dense, qui réjouira plus d'un soiffard.




* Thème que j'avais évoqué icià propos d'une envolée trop lyrique à mon goût de Michel Onfray qui, contrairement à ce que l'on pourrait croire, a le vin bourgeois.
** À propos de rimes en -ard, lisez l'utile article de mon ami Michel Smith dans Les 5 du Vin, qui revient sur l'odieuse affaire Sibard que j'évoquais dans ma dernière chronique, affaire révélatrice elle aussi de la vilénie d'un Mondovino poissard, soudard et couard, en un mot connard.

Un grand merci à Olivier Grosjean qui, tel Hermès le messager, qui m'a fait découvrir ces deux belles cuvée jurassiennes.

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