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Channel: idées liquides & solides
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No man's land.

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Je ne sais pas trop ce qu'il y a de plus glauque à La Jonquera, les bordels ou les supermarchés. Effacé le sublime massif des Albères dans laquelle est enchassée. Oubliées les criques de la Costa Brava, le Cap de Creus et les oliviers de Pau. Effacé le souvenir de la douceur des Aspres. Cette ville posée à la frontière franco-espagnole est un concentré de laideur et de vulgarité: alcool bas-de-gamme, clope à la cartouche, boustifaille mortifère* et trafic de chair humaine.
Je ne vais pas vous en parler des heures, juste au travers de ces quelques images, poser une question: comment peut-on encore tolérer ça?


* On m'a parlé d'une toute petite boucherie qui tente de survivre dans la rue principale de cet enfer, je ne l'ai pas trouvée ouverte.


Merde sublim(é)e.

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La caricature est économe de mots. Et, surtout, permet de faire passer des messages que les longs discours n'auraient peut-être pas rendus intelligibles par le plus grand nombre. C'est à cause de son efficacité que la caricature est haïe par les ennemis de la Liberté. Nous l'avons malheureusement encore vu en janvier avec les nazislamiques*.


Pour revenir à un sujet plus léger (même s'il concerne la façon nous construisons ou détruisons la Terre), la caricature fonctionne aussi en cuisine. Ainsi le travail que vient de réaliser un Instagramer génial, @chefjacqueslamerde. Son idée est simple: il réalise des assiettes artistiques, graphiques, créatives avec des produits de merde, des hamburgers, des croquettes, des flans, des pizzas, des glaces, des knacks… On se croirait dans un restaurant branché, au cœur d'une grande capitale.


Vous me direz, fidèles lecteurs, que le concept n'est pas nouveau puisque le distributeur de malbouffe LIDL, il y a deux ans, avait ainsi ridiculisé les foodistes, réalisant des "popup dinners" dans un restaurant éphémère de Stockholm; tout était hautement gastronomique (en apparence) mais confectionné à partir de produit de pousse-caddie. Sauf que là, chez @chefjacqueslamerde (qui souhaite rester anonyme), il y a cette merveilleuse dimension de la caricature. Ce slogan "small portions/tweezered everything". Et cette superbe façon de poser trois petites merdes dans le coin d'une grande assiette vide. J'adore!


Voilà une sublime façon, politique disons-le, de peindre, avec la merde qui le compose (à la façon d'Ofili) le Mondogastro et les cuistots du teamNestlé-Givaudan-Monsanto& Cie en couleurs vives. Bravo @chefjacqueslamerde!




* Est-il besoin à ce sujet de rappeler la phrase récente d'un crétin de rappeur justifiant indirectement (probablement pour ne pas nuire à sa clientèle) les assassinats de Charlie-Hebdo.


L'asperge, cette autre catastrophe espagnole.

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Celles-ci viennent du Minervois, d'un producteur de Puichéric, au bord du Canal du Midi. Signe que nous venons d'attaquer la pleine saison, elles m'ont coûté dans les sept euros le kilo au marché de Rieux. C'est aussi le tarif à Gaillac où l'on produit de belles vertes, ou en Tarn-et-Garonne, vers Saint-Sixte. Dans les Landes, ça coûte un poil plus cher, mais on trouve d'énormes violettes.
Des asperges, en fait, on en cultive désormais dans presque toutes les régions de France. Certaines sont même devenues des "marques", telles celles de Sylvain Erhardt, à Sénas en Provence, incontournables sur les tables parisiennes. Toutes ont leur particularités, j'en ai par exemple mangé de merveilleusement douces samedi dernier en Roussillon, au pied des Albères, dans un restaurant génial dont je dois vous parler. On évitera en revanche de revenir sur l'asperge thermonucléaire des cuistots étoilés


Régalez-vous, donc, si vous êtes dans l'hexagone: c'est la saison de l'asperge. J'ai envie d'ajouter, de l'asperge française. Car, pour des raisons que j'ignore, beaucoup de consommateurs s'évertuent à acheter les tiges sèches et maigrichonnes, filandreuses aussi, qui douze mois par an nous arrivent d'Espagne sous plastique. Car ces saletés valent une fortune, jusqu'à dix ou vingt euros le kilos. Il est vrai qu'on a le privilège de les acheter au pousse-caddie, ce qui explique leur prix exorbitant…
Mais enfin, chers compatriotes, un peu de sérieux, faites preuve de discernement! En cuisine, l'asperge espagnole, a de rarissimes exceptions près (qui n'arriveront jamais en France), n'a que deux places qui lui aillent bien bien. Les mêmes d'ailleurs que la fraise en bois et la tomate en plastique d'outre-Pyrénées: les "meilleurs restaurants du Monde" version San Pellegrino, ou la poubelle.





La pipe à Pinocchio.

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Oui, je sais, ça en crispe, ou ça en choque certain(e)s, mais cette expression pinardière, la "pipe à Pinocchio", j'en revendique la paternité. Avec © et tout le bazar. Que voulez-vous, ce qu'on perd en poésie, on le gagne en efficacité: quand on dit ça d'un vin, tout le monde comprend parfaitement le message, nous sommes face à une soupe de planche, une tisane de copeaux.
La "pipe à Pinocchio", ça remonte aux années 90, époque où le boisage outrancier des jus a connu son apogée en France. Pour faire le malin, on jouait au menuisier, on allait voir au fond d'une barrique si l'on n'était pas un peu l'homme de demain, américain quelque part, éventuellement cousin avec Uncle Bob. Et à coup de chêne neuf, 100%, 200%, on s'inventait sinon des châteaux en Espagne (les Espagnols ont fait encore pire…) mais des grands crus en forme de châteaux de carte. Car, au bout du compte, la plupart de ces décoctions se sont révélés imbuvables. On l'a malheureusement découvert un peu tard, le surboisage ne passe jamais, rares sont les vins qui le digèrent. C'est comme un vilain tatouage (avant le laser), indélébile, on est marqué pour la vie.


Pourtant, alors que la mode de la "pipe à Pinocchio" semblait en perte de vitesse, un gadget tente de la relancer. Une invention anglaise visiblement destiné à des pétroliers texans sortis d'un remake de Dallas, à des nouveaux Russes victimes de l'embargo ou à des Chinois déjà démodés et qui auraient échappé aux purges anti bling-bling.
Tant pis si vous ne me croyez pas, l'objet s'appelle Pinocchio Barrique Bottle (photo ci-dessus). Le procédé est simple, vous remplissez ce contenant de chêne neuf de votre vin favori (ou d'un distillat) et vous l'y laissez de trois à quinze jours, le temps que la magie opère.


La Pinocchio Barrique Bottle est évidemment irremplaçable si, par malheur, vous aviez acheté un vin que le vigneron aurait oublié d'enterrer dans un cercueil de bois. En mois d'une semaine, vous pouvez réparer son erreur. Et transformer, par exemple, un jus trop facile à boire en priorat, ribera-del-duero, super-toscan ou ce que vous voulez, en tout cas en une soupe de chêne qui par son indigestibilité vous permettra de diviser votre consommation de vin par quatre ou cinq. Ou même de passer à la bière. 
La Pinocchio Barrique Bottle, un outil incontestablement génial, et qui ne coûte que la modique somme de 59,90€. Merci qui? Merci Professeur Pousson…






Et si on exportait nos prohibitionnistes?

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Quand un pays dispose d'une richesse nationale, il n'a pas le droit de ne pas en faire profiter les autres. Il faut partager! Ainsi en France où l'on nous rebat les oreilles des milliards d'euros d'exportations réalisés par la filière des vins et des spiritueux (deuxième exportateur après l'aéronautique), mais où, fort injustement, on passe sous silence les exploits de nos prohibitionnistes. C'est ballot!
Du coup on prive le pays de formidables sources de revenus. Pourquoi ne pas mieux mettre en valeur cette inestimable richesse? À cause de cette négligence coupable, nos chers prohibitionnistes, un peu comme le Rafale, se font sans cesse voler des marchés à l'étranger. Que fait le ministère de la Santé? L'État doit les aider davantage.


Dernier exemple en date, l'Indonésie, un énorme marché potentiel, où l'expertise de l'ANPAA et des abstinents du même tonneau aurait fait merveille. Au lieu de ça, par manque de soutien à notre industrie prohibitionniste (on peut parler d'industrie vu le montant des subventions qu'ils empochent…), ils se sont fait piquer le marché par de vulgaires politiciens islamistes. Quelle honte! Lire dans Le Monde que, finalement, l'Indonésie a réussi, sans leurs conseils, a interdire la vente d'alcool chez les 55000 détaillants et dans les 16000 supérettes du premier pays musulman de la planète me choque. Les plus optimistes, ceux qui préfèrent la bouteille à moitié pleine, me diront qu'il reste encore les grandes surfaces et les restaurants ainsi que l'exception balinaise, exemptée de cette prohibition, qu'il y a encore des contrats à signer à Djakarta. C'est vrai. Espérons alors que la France saura enfin prendre ses responsabilités, reconnaître et soutenir ses vrais talents, ses forces vives, ses créateurs de richesse. 
J'en appelle donc à notre secrétaire d'État au Commerce extérieur (dont je découvre pour l'occasion l'existence): M. Fekl, exportons nos prohibitionnistes!




Une seconde menace pour l'olivier !

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Les olivettes du pourtour méditerranéen sont doublement en danger. Concernant la production d'huile d'olive, je vous avais parlé (ici) des dégâts causés par une mouche redoutable, Bactrocera Oleae. Désormais, c'est d'une bactérie qu'il est question, Xylella fastidiosa. Ce fléau avait été détecté en 2013 en Italie, dans les Pouilles, et les Corses avaient alerté le continent des risques de destruction qu'il représentait. Les Espagnols eux aussi se mobilisent face à cette menace qui concerne également la vigne et les agrumes; un congrès vient de se tenir à Lerida où l'on parlait d'alerte maximale.
Récemment, comme le redoutait le ministère de l'Agriculture français, la bactérie tueuse d'oliviers a franchi les frontières de l'Hexagone. Un plant de caféier infecté a été identifié chez un revendeur de Rungis. Il serait arrivé d'Amérique du Sud et aurait été importé via le port de Rotterdam explique le ministère dans un communiqué que voici.


"Le 2 avril dernier, Stéphane Le Foll, Ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, Porte-parole du Gouvernement, a décidé de prendre des mesures nationales exceptionnelles, dans l’attente de la mise en place de mesures au plan européen, afin de prévenir le risque d’introduction de la bactérie Xylella fastidiosa sur le territoire français.
Dans le cadre du plan de surveillance renforcé propre à cette bactérie, les agents du service de contrôle de la Direction régionale et interdépartementale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt d’Ile de France ont identifié un plant de caféier porteur de la bactérie chez un revendeur de plants de Rungis. Ceux-ci, vraisemblablement originaires d’Amérique centrale, ont été introduits dans l’Union européenne via les Pays-Bas.
Une enquête est en cours pour déterminer leur origine exacte. En application des mesures prises par arrêté publié le 4 avril dernier, les services de l’État détermineront, dans les meilleurs délais, les mesures complémentaires à mettre en place sur les autres espèces végétales sensibles qui auraient pu être exposées au risque de contamination.
Cette interception justifie pleinement les mesures de prévention et de protection prises par le Ministre."
Amis de l'olivier, ouvrez l'œil!





Poisson / rouge.

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Avec le poisson, pas de quartiers! Et encore moins de filets! Franchement, ces petites merdouilles qui arrivent tiédasses dans une assiette décorée comme un pavillon de banlieue, je vous les laisse. Pour moi, une daurade, un maquereau, un denti, un loup, un mérou, un sar, une rascasse, c'est entier, ou ça n'est pas. Ça se découpe, ça se partage, c'est du plat de fête! Si on veut bricoler, il y a les sardines, les anchois, les jols, tout un tas de menu fretin qui peut joliment apaiser les faims solitaires.
Le poisson, c'est spectaculaire, sublime, comme la vieille route du Cap de Creus qui sent le sel et la pierre chaude. Venez, je vous amène en balade, ça va nous ouvrir l'appétit, suivez-moi.


Ma dernière belle rascasse, elle venait de là, du Cap de Creus, de ce finistère catalan, de ce bout du Monde où nous venons voir mourir nos Pyrénées dans l'espoir infini de la Méditerranée. 
Trois kilos et des poussières sur la balance. Rutilante, admirable, spécialement carénée pour aller se frotter aux drôles d'humeurs de ce bout de mer qu'on ne va pas raconter aux marins. Une rascasse de contrebande, de celles que ne verront jamais les touristes, rapportée par "el nen de Cadaqués", mon camarade Ivo Pages.


Je ne vais pas vous embêter avec des détails de cuistot, mais je vous assure que la meilleure façon de cuire un don de la Nature comme celui-là, c'est entier, en mélangeant le four et la braise. Avec trois fois rien, un peu de sel des Pyrénées, de l'huile de Cadaqués, un fond de cuve de vin blanc y basta! Savoir s'arrêter à temps, oublier de cuisiner, c'est ça la recette. Et penser au Cap, toujours. Garder le Cap, on doit le voir, le deviner en mangeant la rascasse, comme un sanctuaire au bout de la route.


Reste la question, qu'est-ce qu'on boit avec ça? Eh bien pour moi, c'est une évidence: du rouge! Je ne vous explique pas qu'il n'existe pas de beaux accords possibles avec de beaux blancs, amples, généreux, tanniques, je vous dis juste qu'il y a des jours qu'on dirait faits sur mesure pour se marier avec la rascasse. Exemple, eh bien justement (c'est la démonstration que je voulais lui faire), le rouge le plus frétillant du maître de maison. Car nous sommes chez Ivo Pagès, loin du tumulte des plages du centre de Cadaqués, dans sa base secrète de la route du Cap de Creus, dans la crique de S'Alquería*.


Me Gustas Tú, à la maison, on adore ce vin. La première fois qu'Ivo me l'a mis dans le verre, je lui faisais à manger à Barcelone; je vous promets que je suis parti en Bourgogne, je crois que j'ai dit saint-romain. Ne vous foutez pas moi, ce rouge a un équilibre étonnant, inattendu pour un cru catalan. C'est du tempranillo, mûr, pas en sous-maturité, Ivo m'a expliqué comment il avait fait mais je n'ai pas le droit de vous en dire plus. Désolé. Ce vin est d'ailleurs une fois de plus la preuve que les vignerons qui connaissent "leur solfège", qui ont une culture de la bouteille ont une longueur d'avance sur les autres. Et, le résultat est là, sur la rascasse, rien ne bouge! 
"Fan-tas-ma-gorrrique" aurait tranché Dali…


Une des clés de cet accord, autant en terme de texture que d'arômes, c'est que le poisson soit "vivant", "saignait", "bleu". La cuisson doit être al dente, la chair avoir la texture de celle du homard et coller à l'arête. Il faut aussi absolument, pour la rascasse, partir sur des gros bestiaux, de plus de deux kilos et demi, trois kilos. Ce qui est plus facile ici en Espagne qu'en France.
On doit également tout manger, ça va de soi, aller au taquet des saveurs. Dans la rascasse, le trésor du goût, c'est la tête (je me garde les yeux). La tête du poisson, comme me l'expliquait Jean-Marie Amat, est un plat d'aristocrate chinois.


Me Gustas Tú / rascasse, ce n'est d'ailleurs pas le seul accord** poisson/rouge que je fasse. Les rougets, par exemple, je ne peux pas les envisager sans un un tinto un peu structuré mais frais tel le Rayos Uva, le petit rioja d'Olivier Rivière. Ou pourquoi pas un cabernet-sauvignon sanguin à l'image du Domaine de Bordelongueà Limoux bu avant-hier (un 2014), ou un bordeaux évidemment. Le thon lui aussi aime le rouge volontaire. Idem avec la gamba roja, ou le riz à la gamba roja, ça appelle immanquablement le pinot noir bourguignon (ou australien), comme chez le (presque) voisin d'Ivo, Carlos Orta, à Villa Más.
Donc, ne vous laissez pas endormir par les habitudes et les préjugés, tentez le coup, à la prochaine pêche miraculeuse, à Cadaqués ou ailleurs: poisson / rouge…




* Par parenthèse, si vous montrez patte blanche, je connais une maison incroyable à louer dans ce secteur de Cadaqués qui reste un des spots les plus chics de la côte espagnole. En prise directe avec la mer, le paradis sans la foule. Message privé seulement.
** Ce n'est pas non plus d'ailleurs le seul accord, loin s'en faut, avec ce vin tous-terrains. Sa vivacité lui permet par exemple d'affronter les épices, ce qui est souvent casse-gueule pour les vins espagnols; dernier exemple en date, un poulet tandoori masala dont Me Gustas Tú s'est régalé.


Grand cru du Languedoc?

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Je ne vais pas réouvrir le malheureux dossier des grands crus du Languedoc. Un vrai beau raté de la part des institutions pinardières de cette région qui mérite mieux que ça. Je n'ai pas été le seul à le dire, nous étions nombreux à exprimer notre désapprobation* face à une opération bâclée qui tenait plus de la com'à deux balles que de la réflexion de fond sur le terroir. Vite fait mal fait, on a voulu calquer au Languedoc le système médoquin, vieux de cent cinquante et mettant en avant des marques, plutôt que de chercher à poursuivre un travail d'identification des terroirs, "à la bourguignonne", enclenché depuis longtemps par de vrais professionnels. Pour aboutir comme prévu, avec si peu de connaissance et d'amour bacchiques, à un gros flop.
Pourtant, oui, la réalité du vin, c'est-à-dire, ce que raconte le fond du verre nous montre bien qu'il existe en Languedoc des "climats" identifiables, où année après année, le vin montre sa "grandeur" si tant est que l'on puisse se mettre d'accord sur une définition de ce concept. Faut-il d'ailleurs, à l'ancienne, les qualifier de grands crus? C'est commode, apparemment intéressant du point de vue d'un marketing un peu vieillot lui aussi, mais cela va-t-il correspondre aux attentes des consommateurs de demain? Et cela correspond-il à l'esprit du vieux "Midi rouge"? J'en doute.


Un de ces terroirs facilement identifiables, c'est celui de Roquetaillade et de ses environs. Roquetaillade, je vous en ai reparlé récemment depuis un autre de ces "grands crus", La Livinière**. Face à une époustouflante collection de vins "du troisième âge" (la faculté de vieillir avec grâce est un bon marqueur du grand cru…), je m'émerveillais devant un vin-de-table-de-limoux, un crémant produit en 95 par Jean-Louis Denois dans ce village et qui aurait fait honte à beaucoup de coûteux champagnes fabriqués en grande série et qu'on boit autant qu'on sniffe dans des escarpins de putes russes.


Roquetaillade et ses environs, Magrie en particulier, je vous en reparle car j'en ai bu quelques vins ces derniers jours. De l'effervescent, du tranquille, dans des styles très distincts, et je me suis éclaté. Une Joséphine de Gilles Azam,, pleine d'entrain, joyeuse comme un panier de pique-nique avec lequel on va aller fêter le printemps dans des merveilleux itinéraires de la Haute-Vallée de l'Aude. Et puis cette Bulles d'argiles de Jean-Louis Denois qui continue de tracer son sillon à hauteur d'homme, après avoir vendu son Domaine de l'Aigle. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que Gérard Bertrand lui a racheté cette propriété; on pense ce que l'on veut du tycoon languedocien, il est n'est que rarement à côté des bons coups. "Un beau champagne me dit-on à table à propos de cette Bulles d'argiles, tranchant. Un type qui travaille en bio, non?" En bio, oui, mais c'est crémant-de-limoux, chardonnay-pinot noir sous bois, viens papy, apporte-le-moi ton Dom Pé industrialo-moléculaire*** qu'on se marre deux minutes. Toute plaisanterie mise à part, j'insiste sur cette analogie avec la bulle du Nord, pourtant je crois que ce n'est pas le but de ces vignerons que de se comparer avec des champagnes, ils sont trop occupés à produire du vin de terroir.


Tiens, puisqu'on parle de terroir, de "climats", jetez un œil à cette contre-étiquette de La Métairie d'Alon, le domaine de Jean-Louis Denoix, à cheval sur Roquetaillade et Magrie: on parle de parcelle, focus! C'est un pinot noir. Pas un pinot noir de Limoux, malheureusement. De façon incompréhensible, les pères de l'appellation limoux rouge n'ont pas jugé bon de laisser la possibilité aux vignerons intelligents de faire ainsi des 100% pinot noir sur ces superbes climats. Quel dommage! Ce qui coule dans le verre a du jus, un pinot bien plus que variétal, qui prend ses accents à lui, nous rappelant vaguement son cousin de Tasmanie évoqué ici; quelques notes de fraise au vin, un poil de violette à la façon du côt, une mâche incroyable, mûr et frais à la fois. Un vin de terroir, j'y reviens. Alors que l'on fête l'anniversaire, les quatre-vingts ans de l'INAO, je me dis que cette vieille institution, prise en otage par les notables et le kolkhoze, a de plus en plus tendance, sous prétexte de tradition, à se retrouver à côté de la plaque.


Délicieux IGP Haute-Vallée de l'Aude, donc, comme celui de Marie-Claire Fort à Mouscaillo, à Roquetaillade. Un pinot ferme, dense, tendu, encore un peu fermé mais d'un superbe classicisme. Nul doute que le temps va là encore nous aider à parler de terroir.
Et puis, il y a ce cabernet-sauvignon (vous avez vu qu'on ne parle que de rouges dans ce pays de blanc?). Encore Denois. C'est sur le fil du rasoir. Au début, on a un peu peur que ça glisse, qu'une pointe de volatile… Puis tout rentre dans l'ordre, la bouteille est descendue sans qu'on ne s'en rende compte. 
Un détail, mais qui n'en est pas un, ces vins sont en bio. Ça aussi ça pourrait, ça devrait être un critère distinct, nécessaire mais pas suffisant, d'éventuels "grands crus du Languedoc" (une affaire qui me semble d'ailleurs un peu moribonde), un mode de culture propre, qui ne se défonce pas au glyphosate, qui fasse la différence. L'inscrire au cahier des charges serait formidablement novateur, et constituerait un exemple pour toute une région, et même au delà.


Alors, tout est bon à Roquetaillade? C'est un peu crétin d'écrire ce genre de choses, les mondes parfaits n'existent pas. Mais assurément, ça vole haut. Au niveau qui devrait être celui des "grands crus".
Pour conclure sur cette affaire, je crois aussi qu'une des caractéristiques des "grands crus" tels que je me les imagine,  c'est d'y trouver une certaine "ambiance vigneronne". Avec des amitiés, des inimitiés aussi, de la concurrence, une émulation, et la mise en place d'une culture. Le contraire par exemple de ce que j'ai vu en Corbières où l'on venait au vin par la force des choses, rarement par amour, de son plein gré. Ça aussi, cet allant, il me semble, comme à La Livinière d'ailleurs, le trouver sur ces terroirs de la Haute-Vallée de l'Aude. 






* Des gens aussi différents que Michel Smith, Jancis Robinson et moi-même. Quoiqu'il y ait bien moins de différence entre Michel et moi qu'avec la Mistress of Wine (que je respecte par ailleurs).
** La Livinière, dont la qualité des meilleurs vins est assez incontestable mais dont l'aire d'appellation est très discutable, écartant les beaux terroirs de Trausse et ceux qui grimpent sur la montagne vers Ferrals et Fauzan.
*** Certains d'entre vous le savent peut-être mais le roi de la cuisine moléculaire, Ferran Adrià vient d'associer son image à celle de Dom Pé, le champagne de masse le plus cher du Monde. LVMH décide ainsi d'une certaine façon en choisissant le petit chimiste de Rosas comme porte-drapeau de son vin d'usine de tourner complètement le dos au terroir. Adrià confirme lui sa vocation d'homme sandwich de la bulle industrielle: Caca-Cola, la bière bas-de-gamme Estrella Damm et maintenant  le "champánDom Pérignon. Dom Pérignon (ça nous ramène à notre sujet jour, autrement plus intéressant!) dont la légende dit qu'il aurait appris à l'abbaye de Saint-Hilaire, dans l'appellation Limoux, la méthode pour faire du vin effervescent.



Enfin une AOP bio?

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Juste un petit complément, en fait, à ma chronique d'hier qui évoquait ce véritable "grand cru du Languedoc" que sont devenus les terroirs de Roquetaillade et de ses environs. Mon camarade Gilles Azam, que beaucoup d'entre vous connaissent pour les bulles de sa cuvée Joséphine, est venu m'annoncer qu'avec ses collègues vignerons du coin, ils avaient initié une demande de reconnaissance d'appellation pour le secteur.
Le dossier est officiellement en cours auprès de l'INAO, l'Institut National de l'Origine et de la Qualité, tout cela fera donc l'objet d'une longue procédure, laquelle s'apparente parfois à une discussion de marchands de tapis, voire un jeu du chat et de la souris.


Mais, ce que nous annonce surtout Gilles Azam, c'est que (dans la veine de ce que j'écrivais dans ma chronique) les vignerons souhaitent instamment faire figurer l'agriculture biologique dans le cahier des charges de la future AOP. En clair, pour produire, et pouvoir déclarer du roquetaillade, ou du limoux-roquetaillade, il faudra(ait) cultiver ses parcelles en bio, voire élaborer du vin bio. "Le chemin sera long! explique Gilles Azam, il est possible que cette proposition soit refusée par l' INAO". 


Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que l'Institut National de l'Origine et de la Qualité est saisi d'une demande de ce genre: les vignerons de l'AOP Les-Baux-de-Provence en ont fait de même, défendant l'idée que le mode cultural est un élément constitutif de l'identité d'un terroir. L'INAO n'a pas dit oui, mais ne leur a pas claqué la porte au nez comme ça aurait pu être le cas jadis. Dans un courrier à la présidente des Baux-de-Provence, Pascal Laville, le délégué territorial Sud-est de l'institut écrivait que le dernier décret de l'AOP leur permettait "désormais de rebondir afin de proposer les travaux sur les modifications que vous souhaitez, notamment […] l'introduction de pratiques culturales et de vinification respectueuses de l'environnement". 
Certes, on n'est pas loin de la réponse de Normand, mais c'est encourageant. Encourageant pour les vignerons des Baux, pour ceux de Roquetaillade (dont je souligne une fois encore le travail admirable) mais aussi pour l'INAO. La vieille maison, née d'une idée géniale, est trop souvent, comme je l'écrivais hier, "prise en otage par les notables et le kolkhoze, et a de plus en plus tendance, sous prétexte de tradition, à se retrouver à côté de la plaque". 
Les Baux-de-Provence et Roquetaillade, quelle belle occasion pour elle de montrer qu'elle sait se réformer, avancer, innover. Dans le cas contraire, évidemment, ça sentirait l'enterrement de première classe et la cacochymie bureaucratique.




On en mangerait! On en boirait!

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Le sol, la terre, parfois, c'est appétissant comme un gâteau. Surtout au printemps, quand on a travaillé tout ça, que les vignes, en prévision des beaux jours, se sont offertes à la décavaillonneuse, une belle épilation-maillot. Ce grenache a la peau tendre, la chair souple. Les pieds dans cette terre, je pense aux mots de Guillaume Deschamps hier en Bourgogne auquel cette beauté virgilienne, cet éveil coupe la parole.


Oui, cette terre d'avril, on en en mangerait. Ici, sur les hauteurs du Minervois, sur les premières pentes de la Montagne noire, les parcelles pondent des silex et du marbre rouge, d'où coulera dans quelques mois un vin transparent qui aime se faire attendre. Nous sommes entre Trausse et Félines, à l'aplomb d'une forêt d'eucalyptus, le lieu dit s'appelle Brama. Si celui qui inventa cette toponymie avait mis les pieds en Inde il aurait été stupéfait et, peut-être, se serait prosterné, le front contre la terre humide.


La pluie d'hier a ravivé les couleurs, quarante millimètres, l'eau est là qui nourrit l'air, la poussière jaune des pins ourle les flaques. La Nature est prête, la Nature bourdonne et volète, la Nature explose. La sentez-vous enfler vos artères? Non? Peut-être parce que vous êtes en ville. J'y étais il y a trois ou quatre heures encore, noyé dans les fumées barcelonaises. Je ne savais pas qu'en une semaine, tout avait démarré, que le millésime 2015 était parti. 
Ici, à Brama, je suis venu le sentir "en primeur", en regardant la skyline des Pyrénées. Sera-t-il bon, exceptionnel, "du siècle"? Je n'en sais foutre rien, mais j'en profite déjà. En le regardant s'ébrouer. J'ai faim, et soif!



Willkommen, bienvenue, welcome !…

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Pourquoi va-t-on au restaurant? C'est une question que je me pose fréquemment à propos de tel ou tel établissement: quelle est la raison précise qui fait que l'on va déjeuner ou dîner dans tel ou tel endroit? Les esprits les plus frustes (dont je suis) répondront "parce que c'est bon". Exact, sauf que ça ne fonctionne qu'avec très peu de restaurants, cette affaire. Et une certaine clientèle. Des milliers de mangeoires, éventuellement gastronomiques, étoilées, sont bondées alors qu'on y sert de la bouffe d'usine ou de grandes-surfaces (ou les deux à la fois), c'est-à-dire de la merde. 


Cela montre bien que d''autres critères entrent en ligne de compte au moment où l'on décroche son téléphone pour réserver une table à tel ou tel endroit. Certains par exemple vont privilégier le cadre, une déco originale, branchée; c'est vrai que si, en plus d'avoir à ingérer des aliments sortis d'un entrepôt Métro, on peut éviter de poser ses fesses dans des chaises de même origine, c'est un plus… D'autres, c'est devenu assez courant vont mettre en avant le style des vins proposés. La meilleure illustration de ce système, c'est Le Fooding; le signe distinctif des établissements proposés par ce guide parisien, c'est de proposer des vins naturels ou assimilés.
Bref, face à une restauration standardisée*, où l'on sert un peu la même chose de Lille à Perpignan et de Brest à Strasbourg, on s'invente les critères que l'on peut.


Heureusement, parfois, dans le désert gastronomique qui s'installe, comme par miracle, tel un mirage, s'offrent à vous des oasis. J'ai eu la chance de rencontrer un de ces lieux il y a quinze jours.
Ça se trouve dans les Pyrénées-Orientales, pas loin de la frontière espagnole, à Montesquieu-des-Albères. Enfin, plus exactement, dans la campagne de Montesquieu, à deux pas de cette route qui file tout droit du Boulou à la Côte vermeille.


Le Cabaret, c'est une adresse interlope, que l'on passe par bouche-à-oreille. "Grillades au feu de bois" indique au loin un panneau bizarre, façon "routier" des années quatre-vingts. Un panneau qui tranche avec la belle clientèle dont on sent la présence dès qu'on a trouvé cet ancien hameau agricole perdu dans la pampa du piémont des Albères.


Dire que le lieu a du charme relève de l'euphémisme le plus couillon. Le Cabaret a du jus, de l'âme, de l'esprit. De la sanquette. La vieille bâtisse où est installé le restaurant n'y est pas pour rien, cette ancienne écurie familiale est devenue une arche de Noé des plaisirs simples. 
Mais d'abord, la première sensation, c'est l'accueil. Vous connaissez la chanson: "willkommen, bienvenue, welcome !…", il y a dans ce lieu la sensation d'arriver en terre connue, amie, fraternelle. Pas de clinquant, pas de marketing dont on voit les ficelles, "bienvenue au Cabaret". Bienvenue au royaume d'Antoine Delmas, un de ces types qui ont de la gueule, dans tous les sens du terme.


Car au delà de ce lieu au ce naturel rassurant, de cette ambiance, de cet air de (fausse) improvisation, de ce taulier qui aboie le menu à la cantonade, il y a une vraie envie, une vraie ambition au Cabaret. Celle de servir de vraies choses, de vrais produits, une matière première glanée dans les environs, celle qu'on devrait (normalement) trouver, à la place de la merde de pousse-caddie, dans les restaurants gastronomiques.


J'ai très bien dîné chez ce fou d'Antoine Delmas. Fou? Ben oui, comme tous les rares qui refusent l'idée que la modernité consiste à servir de la merde aux clients, auxquels leur comptable, fréquemment, rappelle "d'utiles" notions de rentabilité.
Tenez, je vous envoie juste le menu. 

Huîtres en gelée.
Praires justes ouvertes, petits pois, artichauts et asperges de Mirepoix.
Carpaccio de veau de Cerdagne, câpres, tomates confites, parmesan de vache rouge.



Velouté de lentilles corail, cochon noir de Bigorre, poivre de Madagascar, huile d'olive Argudell.
Fricassée de calamars, pois chiches, chorizo, gambas de Palamós, fumet de poissons.
Fromages affinés. 
Pa d'ous (pain d'œuf en catalan).


Pas mal, non? En prime, sa femme Émilie a fait, je le répète, de l'accueil et du service un plaisir tandis que sa cuisinière, sorte de "mère catalane" silencieuse, pourrait vous faire rougir quand elle baisse timidement les yeux.


Ça, c'était ce samedi-là. Quand vous irez (n'oubliez pas de réserver!), ne comptez pas choisir, il vous servira ce que le marché, la saison, le "hasard" lui ont offert. Au Cabaret (comme dans le vie), c'est au menu, pas à la carte. Ce n'est pas un endroit mou, conciliant, qui baisse culotte ou vous tend une main molle. C'est un endroit comme je les aime, avec sa beauté particulière, son splendide évier en "fromage de tête" (private joke), un endroit, où les filles, au lieu de râler quand nous finissons de refaire le Monde au bar, s'endorment en souriant dans l'escalier.
Si je me demande parfois, moi qui aime trop manger pour ça, pourquoi je vais au restaurant, là, au Cabaret, j'ai la réponse: c'est un lieu qui rend heureux.




* Lire à ce sujet l'ouvrage que vient de sortir Xavier Denamur (Et si on se mettait enfin à table?) et qui balance pas mal sur le Mondogastro et ses pratiques.





Faut-il souhaiter l'enfer aux ringards?

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Hier, en rentrant en Espagne, la première chose que je suis allé faire, c'est boire du vin français. Bizarre, non? Pas tant que ça, en fait. Il se trouve que la viticulture hexagonale tenait salon à Barcelone, et que c'était ici un des évènements de la saison.
Bon, je n'aime pas trop les salons, vous le savez. On y passe davantage de temps à balancer des paroles convenues ou à serrer des pognes qu'à goûter intelligemment et/ou sensiblement. N'empêche, je le répète, que c'était the place to be comme on dit en patois; le ban et l'arrière-ban de la pinarderie catalane avait fait le déplacement à l'ancien marché du Born, cette immense halle belle et vide, pour s'extasier parfois bruyamment devant la belle production tricolore. Une réussite, donc, qui ne peut que flatter mon chauvinisme mal guéri.
J'entends déjà l'intervention des choreutes (χορευταί en grec ancien*):
– Mais quel organisme, institution, administration, interprofession, syndicat a-t-il eu la riche idée d'organiser cette manifestation qui porte haut les couleurs du vin français?
– Aucun. Il s'agit d'une initiative privée.


Privé, ouh le vilain mot! En France en tout cas. Dans une certaine France, colberto-conservatrice, qui sent les manches de lustrines et l'œil rivé à la pendule passé seize heures. Une France où la nouveauté sent le soufre, où le conformisme est de rigueur, avec œillères assorties.
Pourtant, c'est bien d'une initiative privée qu'est née La Renaissance des Appellations, organisatrice de ce salon. L'association Nicolas Joly s'est fixé pour but de "redonner aux AOC leur pleine signification, en France comme à l’étranger, et donc de s’affranchir d’une concurrence que la technologie a considérablement amplifiée malgré l’atypicité qu’elle implique". Tout cela passe par une viticulture plus propre dont on voit mal comment on pourrait désormais faire l'économie, en tout cas pour des crus ambitieux.


Et de fait, au travers des évènements de La Renaissance, les appellations françaises étincellent. Je ne vais pas reprendre le "tout est bon" des couillons, mais le niveau moyen est élevé, on rencontre là beaucoup de bouteilles qu'on a ou qu'on voudrait avoir dans sa cave. J'apprécie par aileurs cette idée de dépoussiérer notre beau système construit il y a longtemps autour de l'INAO (j'en parlais encore ici); le coup du Vin de Table, du Vin de France comme panacée, je n'y crois pas. Ça peut être pratique, il m'arrive d'y souscrire, mais je reste convaincu que c'est dangereux à grande échelle, et la porte ouverte à toutes les magouilles qui en ce domaine s'appellent au minimum des "cuves à roulettes". Coller au terroir, de façon contrôlée, on n'a pas trouvé mieux, même si les déviances politico-administratives sont trop nombreuses.


Chapeau donc à La Renaissance des Appellations pour l'exportation réussie en Espagne de ce beau moment que je ne connaissais que sous sa forme angevine. J'y ai goûté ou regoûté avec bonheur des vins sur lesquels ceux qui ont la charge des AOP françaises: le "muscadet rouge" de L'Écu, le Prioundo 2013, ce bourgogne corbiérenc des Clos perdus, le bulle géniale, incisive, précise de Françoise Bedel, aérienne justement dans sa version Entre Ciel et Terre, la profondeur bordelaise du Clos Puy Arnaud 2011, la vivacité d'une cuvée au nom imprononçable des Enfants sauvages, les circonvolutions des blancs à moustache de Jo Landron, le Pech Abusé 2010 du Domaine du Pech à Buzet, la caresse tardive de l'Altenberg de Marcel Deiss, et tant d'autres dont je vous parlerai bien un de ces quatre matins.
Car mon propos aujourd'hui porte plutôt sur la prépondérance qui est incontestablement celle de ce genre de manifestations et d'associations sur les vieilles structures officielles, réglementaires issues du siècle précédent mais qui semblent remonter au temps des dinosaures.


Il est question ici de La Renaissance de Nicolas Joly, mais on pourrait parler de La Dive Bouteille de Sylvie Augereau, du Vin des Amis de Charlotte Sénat*…
Alors je sais, on va me taxer d'élitisme et objecter que ces évènements qui au départ n'était que des offs de salons officiels (mais qui maintenant existent en tant que tels) ont tués les ons. Il est sûr qu'ils ne leur ont pas fait du bien, mais comme je le présageais il y a bien longtemps, ce sont en fait les ons qui se sont suicidés. Un immense suicide collectif. Par la ringardise principalement, avec comme arme létale ce goût de chiottes, très pavillon de banlieue/parking d'hypermarché/pantacourt qui colle à la peau de tant d'administrations pinardières, interprofessions ou syndicats. Chez certains d'entre eux, on se demande s'ils sont encore au courant que leur religion doit être le vin ou s'ils sont déjà devenus vendeurs de fenêtres en PVC. Allez, pas de violence inutile, ne tirons pas sur l'ambulance, relisons Saint-Ex:
"Le voyageur qui franchit sa montagne dans la direction d’une étoile, s’il se laisse trop absorber par ses problèmes d’escalade, risque d’oublier quelle étoile le guide. S’il n’agit plus que pour agir, il n’ira nulle part. La chaisière de cathédrale, à se préoccuper trop âprement de la location de ses chaises, risque d’oublier qu’elle sert un dieu." Champagne!


Il existera toujours, bien sûr de grands salons officiels, des grosses machines tels Vinexpo ou ProWein (qui a tendance à devenir LE rendez-vous européen); dans une moindre mesure Millésime Bio par son intelligent parti-pris ou Vinitalia ont des choses à dire. Je suis un peu plus inquiet en revanche pour Vinisud dont les dernières annonces, passer à un rythme annuel et marier la carpe au lapin (Languedoc et Californie), étonnent quand elles ne font pas sourire. Le risque, tout choses égales par ailleurs, est de souffrir des mêmes maux que le moribond Salon des Vins de Loire d'Angers. Et ce ne sont pas des replâtrages à coup de minibus et de soirées qu'on bourre de "blogueurs d'agences de connes" qui sauveront le coup.
Mais au delà de ces salons, se pose pour beaucoup de vignerons français (et pas les pires…) des questions plus profondes: les instances censées guider la viticulture sont-elles encore valides? Ont-elle su évoluer avec leur temps? Ont-elles innové? Ont-elles encouragé le talent, l'excellence? Se sont-elles interrogées, se sont-elles remises en question ou n'ont-elles glissé au fil du courant, au gré des ambitions politiques de petits notables clientélistes, portés dans certaines région par l'inévitable un homme/une voix kolkhozien?
Beaucoup de ces questions ne sont malheureusement que rhétoriques. Et, pour avoir entendu gronder dans les campagnes, je crois que sans jeter le bébé avec l'eau du bain, sans souhaiter l'enfer aux ringards, il est temps d'un sursaut. De rassembler ce qui est épars, de remettre un peu d'idée, d'audace et d'ambition dans le système qui a travesti la démocratie en médiocratie. Il est temps d'une renaissance. De prendre exemple sur l'élan printanier de la Nature.




* Il est plus que jamais important d'utiliser les langues mortes en cet époque où, en France, on veut faire crever, ainsi que pas mal de choses qui constituent notre héritage culturel. Vous l'avez compris, je fais là référence aux dernières frasques de cet étrange Ministre de l'Éducation dont on nous a doté et qui semble faire l'unanimité contre son nettoyage des programmes scolaires, qui suscite de saines colères (lire ici, ici et ). Comme quoi l'alerte lancée à propos de ses délires sur le "cochon confessionnel" n'était pas anodine, il s'agit bien d'un danger public, et pour la République.
** Pour n'évoquer que les salons professionnels, car des évènements grand public tels le salon naturiste Rue 89 d'Antonin Iommi-Amunategui et plusieurs autres comme celui de la RVF ou le Grand Tasting ont eux aussi trouvé leur clientèle.

42% de baisse chez Rothschild !

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Ne me demandez pas comment ils ont eu mon adresse, je n'en ai aucune idée, mais j'ai reçu tout à l'heure un mail de chez Rothschild, ceux de Mouton, La Baronnie. Est-ce l'ambiance un rien déliquescente de ces primeurs sans Parker, de ce défilé de mode orphelin et donc un peu déstabilisé qui veut ça, ils me proposent une énorme affaire. Que dis-je, une énorme affaire? Un gros coup, le coup du siècle, sûrement assorti au millésime du même tonneau: une baisse de tarif de 42%!


Bon, allez, j'arrête de chambrer, ce n'est pas du Mouton 2014 en primeur qu'on veut me fourguer à La Baronnie, ni même du Petit Mouton mais un truc dont j'ignorais jusqu'à l'existence: Agneau Rouge. La stagiaire du service marketing s'est d'ailleurs fendue d'un texte admirable pour m'expliquer pourquoi je ne pouvais pas passer à côté des crus de cette gamme Agneau Rouge"destinée aux grands amateurs de Bordeaux, cette collection d’exception se compose de vins de la plus noble origine, élevés en barriques de chêne français".
Plus prosaïquement, il s'agit d'un bordeaux générique, du 2013, vraisemblablement du négoce issu comme Mouton-Cadet des généreux surplus du vignoble éventuellement coopératif girondin. En prime suivant la bonne méthode "treize à la douzaine" des camelots, on m'offre en prime un magnum de médoc 2012, Mise de la Baronne et la livraison. Ça nous ramène donc la bouteille à six euros et des poussières, toutes taxes comprises, franco de port. Et après ça, on va nous raconter que les bordeaux sont trop chers…


Si je vous parle de ce mail rigolo (j'en ai reçu une rafale ces derniers jours), c'est bien sûr qu'il intervient alors que les bordeaulogues sont en train d'examiner avec l'air pincé ou constipé des analystes boursiers la sortie des primeurs 2014. Nicolas de Rouyn, hier, pour Bettane+Desseauve, se félicitait justement de la bonne affaire que constituait Mouton-Rothschild 2014 qui avait augmenté moins que l'inflation par rapport à 2013: 282€ HT la bouteille, payables d'avance, mais là, malheureusement, la livraison n'est pas offerte… 
Je comprends bien qu'il s'agit là d'un autre coup du siècle dont on n'est pas avares ces temps-ci chez Rothschild!). Toutefois, la stagiaire du service marketing de La Baronnie a vachement intérêt à contacter ce fin casuiste de Nicolas afin qu'il lui fournisse les arguments qui pourraient me convaincre de mettre dans ce vin l'équivalent de six bouteilles du cru sublime que la chance (elle s'appelle Clio) a versé dans mon verre samedi dernier. Tout ce qui flotte dans l'air et qui s'y reflète, tel est le nom de cet assemblage d'humagne et de cornalin né chez Maurice Zufferey, à Muraz-sur-Sierre, dans le Valais, en Suisse donc, au bord du Rhône, à deux pas de la station de ski de Crans-Montana.


Comme vous le voyez, contrairement à Mouton-Rothschild, ce n'est pas une œuvre picturale mais des vers qui ornent l'étiquette de Tout ce qui flotte dans l'air et qu'y reflète. Extraits des Quatrains valaisansécrit par Rainer Maria Rilke lors de son séjour dans les parages et rassemblés dans Lettres à un jeune poète


Alors que le vin des affaires, généralement sec, manque trop souvent de poésie, Tout ce qui flotte dans l'air et qui s'y reflète en regorge, vous entraine à des altitudes dont je n'ai jamais soupçonné l'existence en buvant du Mouton. Je n'ai d'ailleurs pas envie de trop vous entretenir de sa grâce, lisez-le par vous-même, faisons l'économie des exégètes qui ne sont qu'un filtre entre les mots, les vins et nos cœurs.
je ne veux pas en même temps vous créer de faux espoirs, vous faire le coup de la stagiaire du service marketing, ce poème liquide, digne de Rilke, est une rareté. On m'a dit, après que nous en étions tombés amoureux, qu'il ne s'en était produit que trois cents bouteilles. La qualité est aussi dans la souffrance. Et pour ce qui est de la quantité, la généreuse plaine médoquine palliera la rigueur de la montagne valaisane, nul doute que vous pourrez facilement vous procurer quelques caisses issues des 84 hectares de Mouton-Rothschild.


Dans cette comparaison bizarre, ne voyez aucun "Bordeaux bashing" comme on dit désormais quand on ne sait plus quoi dire. Juste la vision d'un consommateur qui ne veut pas briser le rêve des autres mais garde les pieds sur terre, quitte à passer pour un vulgaire maquignon ariégeois* comptant les piécettes de sa bourse avant de filer au foirail de Montréjeau. S'il y en a auxquels ça fait plaisir d'acheter l'étiquette de Mouton (à ce tarif, c'est d'abord une étiquette qu'on achète), qu'ils le fassent! Et avec entrain! Les fonctionnaires et les assistés s'exportant mal, le Commerce extérieur de la France est bien faible, il ne pourra que mieux s'en porter, il n'est question là que de jugements personnels. Et de good (or bad) values comme disent les Anglo-saxons. Et de poésie, surtout!


C'est aussi l'occasion de parler de tous ces bordeaux, j'ai envie de dire les "vrais" bordeaux, que l'on oublie un peu au moment où le Mondovino se focalise sur le primeurs, que l'on oublie trop souvent en fait. Ces "vrais" bordeaux qu'incidemment, l'email cocasse de La Baronnie a contribué à remettre en lumière. Ils existent, ils sont là, par centaines, forment le corps des vins de Gironde, bossent en silence comme les paysans valaisans. Et parfois offrent à des tarifs humains des vins qui eux aussi, à l'image de ce Clos Puy Arnaud, fin et profond, que j'évoquais hier, ont des poèmes liquides à raconter. Ou qui donnent envie d'en écrire plutôt que de boursicoter, de calculer, de retrancher.




* La question de la spéculation, du prix du vin, je l'avais évoquée ici et .
** Méfiez-vous, ils ont été nombreux à "faire" le Médoc.



Nu, nu, nu, Paris nu…

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Paris, capitale mondiale du naturisme pinardier? Oui, c'est une évidence. Même si la mode a gagné d'autres capitales (plus souvent par opportunisme que par conviction*), c'est à Paris que le mouvement est né, que des cavistes et des bistrotiers vaguement situationnistes sur les bords l'ont théorisé**. On pense bien sûr, dans les années 80-90, au Ramulaud de Gilles Bénard, au Café de la nouvelle Mairie de Nicolas Carmarans, au Baratin de Raquel Carena et Philippe Pinoteau, aux Envierges de François Morel, aux Pipos de Jean-Michel Delhoume, aux Caves Augé de Marc Sibard (qui ensuite avec Marie-Louise Banyols firent entre le "nature"à Lavinia) puis au Verre volé de Cyril Bordarier où s'inventa le concept de "cave-à-manger" renouvela le genre, économiquement et gustativement.
À l'époque, les vins surprenaient, évidemment, au bon comme au mauvais sens du terme; au pire, on les trouvait tranchés comme les mots de Néauport quand il se moquait de Raminagrobis. Mais ce n'est pas d'un point de vue œnologique que s'opéra la révolution, l'éthylique emporta le morceau. Alors qu'arrivaient d'un peu partout des décoctions qu'on ne pouvait déguster qu'avec un couteau et une fourchette, ces crus frétillants, inégaux, facétieux réinventèrent la fameuse "machine à coude" des bistrots d'antan: l'ivrognerie façon Blondin ou Giraud fêtait bruyamment son retour, avec force canons.


Depuis, beaucoup de portes se sont fermées, d'autres se sont ouvertes. La plupart de ceux qui aujourd'hui ne jurent que par le naturisme n'ont pas connu cette tumultueuse préhistoire où ces jus-là se présentèrent comme une véritable alternative à une viticulture en train de se mondialiser dans de puissants effluves de bois et d'argent. Soit qu'ils ne buvaient pas encore de vin (mais des boissons naturelles, on l'espère…), soit qu'ils en étaient toujours à la mode d'avant, hantant les primeurs de Bordeaux et le Priorat, le Wine Advocate sous le bras. Mais tous ont, comme il se doit, la foi ardente des nouveaux convertis. Et, j'espère, une soif inextinguible sans laquelle ils risquent la crise de foi.


Personnellement, je ne ferai jamais du vin "nature" une religion. Parce que les religions enferment et m'ennuient, les bigots et les gratte-Jésus*** mille fois plus. Mais si j'éprouve une certaine répugnance pour les chapelles, ma liberté et mon envie me poussent à boire des quantités non négligeables de vins "natures". "Non négligeable" est, vous l'avez compris, un euphémisme; il y aurait là de quoi susciter l'effroi de ces autres inquisiteurs que sont les prohibitionnistes (une richesse que la France devrait exporter comme je le préconisais l'autre jour).
Et Paris, justement, sera doublement en ce week-end du 1er mai la capitale du vin "nature" puisque s'y tient Sous les pavés, la vigne, le salon organisé, avec Rue89, par mon camarade blogueur Antonin Iommi-Amunategui. C'est, je le précise, un salon grand public, ce qui signifie que même si vous n'êtes pas un vrai (ou même un faux) professionnel du pinard, vous pouvez, moyennant la modique somme de dix euros, pousser la porte de La Bellevilloise. Il s'agit également (désolé amis cavistes) d'une foire au cours de laquelle vous pourrez acheter des caisses et des cartons.


Soixante-dix vignerons (sans compter la bière, le cidre, le whisky, le café et la coke…) sont rassemblés pour Sous les pavés, la vigne. La liste complète se trouve ici, sur le blog d'Antonin. Exactement comme dans n'importe quel salon, vous y rencontrerez des gens que vous aimerez, d'autres moins, des vins que vous aimerez, d'autres moins. Je le répète, le "tout est bon dans le cochon", laissez-le au couillons (et aux fayots et aux grands-publi-reporters).
Parmi ceux qui me font envie, allez vous gorger des riches tanins de breton saumurois du Clos Cristal, agenouillez-vous devant Catherine Leconte des Floris, suppliez-la de vous déboucher un vieux carignan blanc que vous comparerez avec celui de Ledogar. Pensez aussi à aller voir Jeff Coutelou, un des derniers vignerons de Gauche (regardez les prix!), et à goûter pour moi les vins de Ludovic Engelvin, buvez du bordeaux aussi, ça c'est non conventionnel de boire du bordeaux. Et surtout, faites ce que bon vous semble, le goût n'est pas un dictat!
Plus encore qu'avec tout autre (c'est inscrit dans ses gênes), on a parfaitement le droit d'être nature face au vin "nature". Le droit de dire ce qu'on pense. Surtout ne pas rejouer le vieux sketch trop poli où on minaude, où on trichouille quand on n'aime pas ce qu'on a dans le verre. Bref, en ce joli mois de mai où il est interdit d'interdire, interdit de faire semblant! Sinon, où est l'intérêt de se mettre nu?




* Je vous avais déjà parlé ici de l'exemple de Barcelone où, dans les milieux tatoués, les marchands de couleurs sont en rupture de stock de peinture verte.
** Me voilà pris en flagrant délit de parigoterie! Oui, il y a eu des tentatives en province, comme chez moi à Toulouse où au Nabuchodonosor, chez ce bon Roland, on était naturiste avant l'heure, mais sans marque ni label. Roland a d'ailleurs toujours rappelé à ses ouailles (au sein desquels je fus admis dès le milieu des années 80) que "la vraie finalité du raisin n'était pas le vin mais le vinaigre". Puis vinrent Le Temps des Vendanges de mon pote Éric Cuestas, Le Tire-Bouchon de mon petit bougnat d'amour. L'Épicerie de Franck Bayard leur emboîta le pas, quand elle était ouverte, ainsi que Vinea.
*** Expression médoquine pour grenouille-de-bénitier.


McDo recule mais le "burger" a gagné

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Je l'avoue, comme tous ceux ont l'amour du goût, j'ai jubilé en lisant cette nouvelle. C'est tout à fait officiel, McDonald's va fermer 350 mangeoires* supplémentaires dans le Monde, la plupart aux États-Unis et en Chine où la chaîne américaine se targuait en 2011 d'en ouvrir une par jour.
Pourtant, ne cédons pas trop vite au triomphalisme, Ronald, le clown triste de la malbouffe est juste en train de faire ses comptes et d'affiner sa stratégie consécutivement à une reprise en main du conseil d'administration; le nouveau patron doit annoncer lundi un nouveau plan de relance. Là, donc, il s'agit simplement d'un ajustement, on ferme d'un côté, on ouvre de l'autre, là où sa rapporte. Pour situer le débat, l'an dernier, en 2014, la chaîne a accru son nombre de nouveaux emplacement de 829 unités dont 47 en France. Au total, la planète compte 36258 McDonald's.


Mais je crois surtout qu'il ne faut pas se laisser endormir par cette fausse bonne nouvelle car, au delà de McDonald's (et de ses concurrents), le hamburger a bel et bien gagné la partie. Dans des pays comme la France, il est devenu la norme du casse-croûte rapide, facile, bon marché, détrônant le jambon-beurre, le croque-monsieur et tous ces fast-foods hexagonaux que les bistrotiers ont eu la faiblesse de laisser choir.
Rien de nouveau, je vous rappelle ce que j'écrivais le 5 février 2014. "Désormais, un sandwich sur deux vendu au pays de Tirel, Rabelais, Vatel, Escoffier, Brillat-Savarin, Montagné, Chapel, Bocuse est un hamburger! En 2000, le ratio était de un pour neuf, en 2007, de un pour sept. En 2013, près d'un milliard de hamburgers ont été commandés en France, 970 millions très précisément". Il est devenu le "plat préféré des français", qu'on commande comme s'il faisait partie de nous-même, de notre patrimoine depuis la Nuit des Temps.


En effet, plus personne n'a l'impression, en commandant un hamburger, de faire quelque chose d'exotique, d'étranger à sa culture. La palme d'or en la matière revient à l'abruti, lepéniste ou mélanchoniste, qui s'en va manifester, brailler des slogans, agiter des drapeaux** (le premier mai par exemple) et qui après sa grande démonstration s'assied (s'attable, je n'y arrive pas…) dans un McDo, commande un cheese et un Caca-Cola, foulant aux pieds en un quart de seconde les valeurs qu'il avait passé sa matinée à défendre. Prix spécial du jury aussi pour l'écolo citadin qui, lui, un verre de vin "nature"à la main, commandera, dans une mangeoire un peu plus huppée, un "burger" bio, éventuellement avec du Kobé ou une viande "maturée six mois", c'est tellement plus in le "burger"maturé


Parlons-en de ce terme à la con, le "burger". "Parce que vous comprenez, ma chère, Charles-Édouard ne mange jamais de hamburger, quelle horrrrreur! En revanche, il adoooore les buuuuurgers!" Le "burger", c'est le hamburger des snobinards. "Burger", ça se prononce la bouche en cul-de-poule, les pompom-girls de la foodisterie, les blogueurs de chez Nestlé/Unilever/Monsanto/Danone en raffolent. Et tous les cuistots assortis y vont de leur recette: comment passer à la télé, sinon?
Entendons-nous bien, ce n'est pas du tout parce que ça vient de l'étranger que le hamburger pose problème. L'histoire de la cuisine, française notamment, est faite d'assimilations, d'intégrations. Je vais vous raconter pour la énième fois l'histoire du cassoulet, né de légumes sud-américains cuits d'une façon arabe dans une poterie italienne. Non, ce n'est pas de "préférence nationale" qu'il s'agit, si ce n'est que là, on ne parle pas d'assimilation ou d'intégration mais d'un gros rouleau-compresseur qui écrase tout avec brutalité.


Le problème du hamburger réside dans le fait qu'il remet en cause la structure même du repas "à la français"e. C'est une négation, par exemple, de ce qui a été salué par l'UNESCO au travers du Patrimoine mondial de l'Humanité, cet ordonnancement qui régit, au delà de ce que l'on mange, un art de vivre ensemble et de partager les mets comme la parole. Plus encore que de nourriture, nous parlons de civilisation.
Face à cette culture, précieuse, dont nous sommes dépositaires, le hamburger symbolise un univers du prêt-à-avaler, sans couteau, fourchette, ni assiette, où l'on bouffe parterre, sur la moquette, devant la télé en regardant une partie de base-ball.
Et surtout, il nous ramène à la gamelle, celle des animaux ou des bagnards, où les aliments se mêlent, préfigurant le bol alimentaire cher aux médecins légistes. En comparaison, le plateau repas de l'hôpital ou de l'avion font presque figure de menus gastronomiques!


Le but de cette chronique n'est pas d'excommunier, ni même de moraliser, mais d'expliquer. Ce n'est pas un sacrilège de goûter occasionnellement à un hamburger, comme à tous les autres plats, il en existe d'ailleurs d'excellents. Le problème, c'est quand il remplace tous les autres, quand il a, comme aujourd'hui dans un pays en crise, réponse à tout. Quant il détruit tout.
Pour le défendre, les arguments ne manquent pas: "c'est si pratique!", "on n'a pas le temps"… Autant de blabla qui ne résiste pas à un examen sérieux. On mange des hamburgers parce qu'on a décidé d'en manger. C'est comme faire ses courses au supermarché, ce n'est pas une fatalité, c'est d'abord une facilité: on sort un bout de pain sucré avec conservateurs, issu de farines merdiques (tout en se disant qu'on un problème avec le gluten…) d'une poche plastique, une rondelle de tomate en hydroponie, on grille un amas de chairs et de graisses d'origine généralement incontrôlée, du ketchup, un fromage bizarre et hop, on est moderne, efficace.


Le hamburger, dans sa déstructuration du bifteck, aussi un pas de plus vers la sur-consommation de produits carnés, celle-là même qui fait le bonheur des animalistes, des prohibitionnistes de la viande. Un pas de plus aussi vers l'opacité de la filière viande: quoi de plus opaque qu'un hamburger? Le cheval, ce n'est rien! Le jour où vous découvrirez que vous avez mangé des résidus anatomiques humains, des résidus opératoires (du cadavre, quoi!) en provenance de Chine ou de Roumanie, ce ne sera pas en regardant dans votre assiette mais en le lisant sur Internet.
Où que ce soit, chez McDo ou chez un étoilé, la burgermania, c'est l'avènement du steak barbare**. Car franchement, si vous avez faim de viande rouge, la solution existe: filez chez votre boucher, prenez-lui une entrecôte, de la tranche noire, un paleron, un onglet (ça, c'est plutôt chez le tripier), une bavette, un faux-filet, bref un vrai bout de barbaque, avec une forme, une histoire, une race, un paysan, une traçabilité. Ce sera autant de gagné pour vous, pour votre culture, pour les animaux, pour l'agriculture, pour la planète.




* Désolé, vous ne me ferez pas dire restaurant.
** "Le drapeau noir, c'est encore un drapeau" chantait Léo Ferré.
*** Titre justement volé à un de ces papiers qu'on voit de plus en plus fleurir dans la presse française pour nous donner mauvaise conscience de manger de la viande, là, c'était dans Libération.

Les œuvres qui illustrent cette chronique (à part le sublime bœuf de Chalosse de la Maison Aiméà Dax) sont tirées d'un reportage du Huffington Post sur les artistes qui dénoncent le système McDo, à lire ici.



La parabole de l'Austin Allegro.

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Franchement, je crois que je vais me mettre à relire le Wine Advocate. Ne voyez rien de méchant là-dedans, ce n'est pas directement lié au départ en pré-retraite de Robert Parker, et rassurez-vous, je crois toujours aussi peu au bien-fondé de ce système un peu vulgaire de la notation sur cent, sur vingt ou sur ce que vous voulez. Mais la revue pinardière américaine nouvelle version me détend.
Tenez, rien que pour cette phrase, aujourd'hui, qui me ravit (tout en revenant aux fondamentaux de la vinification). Le critique Neal Martin délivre son verdict sur les bordeaux 2014 et, dans un propos teinté d'une bonne dose d'humour britannique, évoque tous ces vins qui sont "agréables à boire" mais qui manquent de "densité et de matière". Tenter de "les forcer à devenir quelque chose de plus" au chai reviendrait, ajoute-t-il, à déguiser une Austin Allegro en voiture de course. L'Austin Allegro, comment dire? C'est un peu comme la R14 ou la R12 pour les Français; de nos jours, on dirait peut-être Dacia. Elle est en tout cas considérée outre-Manche comme une icône de la laideur et de l'échec automobile.


Je sais, c'est un peu con, mais sachant comme on a parfois tendance, en Gironde et ailleurs, à prendre le vin (et à se prendre) un peu trop au sérieux, cette image m'a fait rire dix bonnes minutes.
Plus sérieusement, et tout en se défendant avec une pirouette façon Harry Potter de tout "Bordeaux bashing", Neal Martin lance une sévère mise en garde aux propriétaires, leur demandant en substance de surveiller leurs prix, et d'arrêter de mélanger qualité des vins et profit immédiat. C'est à cette condition que les "primeurs" sont récupérables prévient-il. Avant de conclure que certains ne comprendront le message que quand les caisses commenceront à prendre la poussière dans leurs entrepôt et non dans ceux des autres.
Pour ceux que ça intéresse, ses meilleurs notes vont en vrac à Yquem, Suduiraut, Doisy-Daëne, Climens pour les sauternes et barsac, Cheval-Blanc, Figeac et Ausone pour les saint-émilions, Montrose, Cos d'Estournel, Grand-Puy-Lacoste et Latour en Médoc, La Mission Haut-Brion en Graves et Vieux Château Certan ainsi que La Violetteà Pomerol.


Le Wine Advocate m'a également bien fait plaisir en lavant l'honneur du Roussillon insulté il y a peu par les commentaires désobligeants de Decanter (c'était ici et ). De nombreux crus (il en manque malheureusement) obtiennent de très grosses notes, flirtant avec les 100/100 et du cou, les vins des Pyrénées-Orientales, dans leur ensemble, ne sont plus traités comme des malpropres dans le Mondovino anglo-saxon. Par parenthèse, les notes des échantillons de la maison Chapoutier demeurent pour moi un mystère…
Jolie satisfaction enfin en Espagne de voir, sous la plume allègre de Luis Gutíerrez, le Ganko de mon copain Olivier Rivière devenir, avec 94/100, le meilleur rapport plaisir/prix de la Rioja. Déjà qu'on avait du mal à avoir du vin…










Pinot noir & mixologie.

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"À midi, je me suis saoulé comme un cochon."
Ce n'est pas une belle attaque, ça, pour une chronique? Bon, évidemment, dans l'air du temps, ça clashe un peu: #winelover #winetasting #winepassion #discover #djeun #modération #fauxcul&compagnie #journalistesencarton. On n'y sent même pas la tentation de Venise… Never mind the bollocks
Mais quel bonheur! Un gros bras d'honneur au confort (misère?) intellectuel (…) de l'époque, quand tu dois "apprendre à te mouvoir dans un milieu aquatique profond standardisé" au lieu, comme le benêt que je suis (et qui est tranquillement descendu sous la minute aux cent mètres), de nager. 
Les tourments. La connerie ambiante, massive, lourde, pesante comme dans cette France qui n'a rien trouvé de mieux que des fascistes en carton pour arrêter de se remettre en cause, de remettre en cause sa noblesse sans noblesse mais percluse de privilèges. Qui faute de courage agite des Mussolini d'opérette (pléonasme), faiblement contrebalancés par de pseudo révolutionnaires du même bois (dont on fait les pipeaux).


J'ai pris un grand pied hier de voir ce vieillard (fidèle à lui-même) triomphant, acclamé, pissant à la raie d'une respectabilité qui lui a toujours été déniée. Lui, une des dernières bêtes de scène françaises avec Johnny, défonçant, dans sa livrée rutilante, la normalité presque gagnée de sa fille. 
Malgré Métal Urbain et les Stinky Toys, la punkerie hexagonale n'est restée qu'un épiphénomène. Enfin, presque quarante ans après, nous tenons notre Sid Vicious*, un peu Rotten sur les bords. Les journalistes comme toujours n'ont voulu voir que l'écume, quelques nichons photogéniques, des punkettes médiatiques. Le phénomène musical, la vraie décadence, me semble-t-il, était là, claudicant comme Ian Dury aux premières heures de la révolution. Sex & drugs & Rock & Roll. L'étape d'après, c'est Joy Division. Merci, à toi, Saint-Cloud Doll, qui connaît L'Internationale par cœur, couplet par couplet, et qui sait que les punks doivent à jamais rester en marge, ne jamais jamais grimper dans les étages sauf à sauter. À se défenestrer.
Alors, pour fêter ce retour vers le Great Rock'n Roll Swindle, j'ai bu. Du luxe, du vin de riches, de ceux que boivent les docteurs. Les DocMartinsà même la fourrure. Quel bonheur de se défoncer au grand pinot, délicieusement mûr, issu des dégénérescences du calcaire. Je ne sais même pas pourquoi je me suis retenu de le picoler à la bouteille. Un nez à faire succomber un bande-mou du prohibitionnisme, une bouche qui sent l'amour presque décadent (merci J-M LP Vicious). "Juras's burning!"ThanksJack Puffeney! Ah, ce n'est pas du pinot?…


Bon, après, je suis revenu au monde d'aujourd'hui. La bouteille était vide. J'ai tenté un vin de blogueur français en vacances sponsorisées. "Mais oui, ma chérie, tu sais, le vin espagnol, de Barcelone!" Un priorat, en fait. Pas le plus mauvais, Planetes, un truc bien fabriqué, lourd-boisé, mais finalement moins que la moyenne. Évidemment, je ne l'ai pas bu. On ne sait plus comment, sauf après un gramme (de coke) vider ce genre de bouteilles. Alors là, j'ai eu l'illumination. La mixologie!
Je ne vais pas vous ressortir le laborieux So Terne d'immigrés bordelais qui n'arrivent plus à vendre des vins doux alors que la planète entière en réclame, mais c'est du même acabit. Le cocktail, le mix, il n'y a plus que ça de tendance, Omnivore l'a dit, les sponsors alcooliers ne l'ont pas démentit. Et ça réussira, parce que le "chemin du bas", comme TF1, M6 ou Ici-Paris, triomphe toujours. En apparence. Par un effet de masse instantané. Le Ricard et la Smirnoff, c'est quand même plus régulier que le vin "nature", non? Et puis, avec des vins lourdauds comme celui que j'ai dans le verre, vous avez une autre idée? Une dose de Planetes, trois de Fever-Tree (le Schweppes, c'est pour les campeurs, remarque, le Fever-Tree…), pam-pam sur le bar, cul-sec, un rail et c'est reparti! Merci, Jean-Marie!
Allez, je vous laisse à vos nouveaux plaisirs, je vais retourner me saouler comme un cochon. Avec du vin de vigneron.



* Pour les novices, ce n'est pas Sid Vicious que vous voyez en photo en couverture de cette chronique mais Patrick Rogers, plus d'infos ici.

Import-export, classes moyennes.

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"Nous voulons nous convertir en ambassadeurs des vins de Mendoza". La phrase est de Josep Roca, "le meilleur sommelier du Monde" comme le présente avec emphase la revue numérique BBVA-Celler Tour. La BBVA, Banco Bilbao Vizcaya Argentaria pour ceux qui ne connaissent pas, c'est la seconde banque espagnole, la première au Mexique, implantée dans trente-sept pays. Elle finance un périple médiatique où elle promène l'équipe du Celler de Can Roca aux quatre coins de la planète. Tout ça a notamment donné lieu à la présentation d'un documentaire hagiographique sur les restaurateurs de Gérone au Festival de Berlin, Cooking up a tribute.
Au-delà de ce documentaire, le BBVA-Celler Tour continue donc avec des visites et des repas ici et là. Dans l'épisode du jour, Pitu, comme on le surnomme affectueusement, est en Argentine. Évidemment, dans ce genre de publication, on n'est pas là pour critiquer, ce n'est pas le style de la maison. Ambiance sujet-verbe-compliment. Josep Roca, sorte de Fregoli de l'émotion pinardière*, ne force donc pas son talent avec cette phrase passe-partout. L'Argentine n'est d'ailleurs pas le pays d'Amérique du Sud dont les vins m'ont le plus étonné (notamment les malbecs que je trouve tellement moins fins** que sur leur terre natale de Cahors), mais je ne demande qu'à changer d'avis.


L'opération de communication de la BBVA vise, vous l'avez compris, à resserrer les liens bancaires, commerciaux entre l'Espagne et l'Amérique latine, terrain de chasse privilégié des investisseurs (et des politiciens corrompus) de la Péninsule. Car, on ne s'en rend peut-être pas toujours compte en Europe, mais l'Espagne est d'un dynamisme féroce à l'export. Face à un marché interne encore atone, plombé par un nombre de chômeurs que la reprise économique, relativement marquée, et l'afflux touristique n'arrivent pas à compenser, c'est l'issue de secours.
Ce dynamisme espagnol nous ramène aux chiffres publiés la semaine dernière par l'OIV, l'Organisation Internationale de la Vigne et du Vin, sur la production, la consommation et le commerce du vin mondial. La Presse grand public, prenant les patins de l'AFP, n'a voulu y voir que l'essor des plantations chinoises***, beaucoup d'analystes eux se sont penchés sur la place de l'Espagne dans les échanges planétaires.


Que nous apprennent, ou plutôt confirment les chiffres de l'OIV? Que, même si la France demeure le premier producteur de la planète, l'Espagne exporte énormément, +21,7% d'augmentation entre 2013 et 2014! Avec 22560 milliers d'hectolitres exportés, le royaume vole la première place à l'Italie (20540, légère hausse), loin devant la France, troisième avec 14387 milliers d'hectolitres (légère baisse). Ça, se sont les quantités, si l'on parle de valeur, le tableau est très différent: la France, malgré une baisse de 1,3%, mène le bal, exportant pour 7730 millions d'euros, devant l'Italie (5078 Mio€) et l'Espagne (-5% en valeur!) à seulement 2468 millions d'euros, un tiers de la valeur de la France pour 50% de volume en plus!
En un mot comme en cent, ce que confirment ces chiffres donc, c'est ce que j'entends un peu partout chez les vignerons français: "l'Espagne casse les prix".
Comment fait-elle? Cela tient d'abord à la structure de sa viticulture, prioritairement industrielle. D'anciennes coopératives franquistes, d'énormes domaines, peu "d'éparpillement" comme disent les experts. Une production de masse à laquelle s'ajoutent des conditions économiques et fiscales très favorables aux entreprises, un SMIC à 750 euros net, des charges salariales faibles, un impôt sur les sociétés réduit, le tout sous la houlette d'une administration plus décontractée.


Une concurrence pas vraiment loyale estime-t-on en France**** où l'on on accuse même parfois l'Espagne de pratiquer une forme de "dumping social". La vérité est sûrement à mi-chemin, il faudrait peut-être aussi s'intéresser aux tourments qui sont souvent ceux des entrepreneurs français, viticoles en l'occurrence. Reste ne revanche à savoir si le "modèle" espagnol est viable dans la durée. S'il ne repose pas, toutes proportions gardées sur une "sud-américanisation" du pays où, du fait de la Crise, la richesse de la classe moyenne s'est considérablement effritée, ce qui n'est pas sans impact d'ailleurs (même si ça peut sembler anecdotique) sur la consommation intérieure de vin.
Pour en rester d'ailleurs dans le domaine du vin, il me semble que certaines interrogations, comme celles, récentes, de Peter Sisseck, le célèbre inventeur de Pingus, qui lui a agi sur l'autre versant du vin espagnol, sur cette poignée de bouteilles dont le prix, pharamineux, a plus d'importance que tout le reste. Recevant un trophée, en Galice, il a appelé à revenir aux fondamentaux. À oublier un peu les vins de garage, à démocratiser les crus de qualité. Et d'une certaine façon à réinventer le vin des classes moyennes. Celui qui, au delà des coups de fric, de la logique Bingo, garantit peut-être une richesse durable.





* "Barbapa" dit mon camarade "naturiste" barcelonais Benoît Valée en référence à ces créatures de dessins animés qui "se transforment à volonté", en l'occurrence en fonction de l'interlocuteur et du contexte. Ambassadeur de Mendoza en Argentine, du Priorat à Falset, du naturisme devant un journaliste français.
** À mon goût, de ce que j'ai goûté, au delà de la lourdeur, d'un côté un peu simplet, un des principaux défauts demeure le surboisage qui reste très espagnolasse.
*** Vous l'avez sûrement lu dans Le Monde ou ailleurs, selon les prévisions de l'OIV pour 2014, le vignoble chinois passerait devant la France pour une poignée d'hectares et deviendrait donc le deuxième  en terme de superficie derrière l'Espagne. Reste qu'une grande partie de ce vignoble (un peu comme en Turquie) n'est pas consacré au vin. Ne sous estimons pas, toutefois les ambitions pinardières chinoises, qui sont réelles, bien que plus tournées dans un premier temps vers la consommation intérieure, notamment pour des raisons hygiénistes: les autorités préfèrent voir leur peuple boire du vin que de mauvais alcools. À méditer…
**** D'autant que ce vin, généralement en vrac, se balade un peu partout dans le monde; on l'on conditionnera même parfois sous de drôles de "noms d'emprunt", parfois même très "français".



Le vin des mineurs.

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S'attend-on à boire un vin de curé dans les Asturies? Pas vraiment, pour peu que l'on connaisse le dernier siècle de l'histoire de cette principauté étrange, plus celte que latine, dont le rivage regarde vers la Bretagne, l'Angleterre et l'Irlande. Qui peut oublier que c'est ici, au pays du charbon, qu'éclata en octobre 1934 un soulèvement qui sonna comme la répétition générale de la Guerre civile? Durant ce que l'on appela "la Commune asturienne", des soviets furent créés, on voulut instaurer un régime socialiste, jusqu'à l'arrivée, sur ordre de Madrid, des troupes d'Afrique commandées par un certain général Francisco Franco y Bahamonde. Répression sanglante, trois mille morts, trente mille arrestations.
Et plus récemment, en 2012, au cœur de la crise économique, comme un écho, c'est des Asturies que partit la Marche noire des mineurs convergeant vers la capitale pour protester contre le plan d'austérité mis en place par le gouvernement Rajoy.


Et puis, dans votre verre coule ce vin. Rouge, c'est peut-être le seul point commun avec ce qui est raconté plus haut. Tant mieux d'ailleurs en ces temps tourmentés où (là, c'est plus à la France que je pense) l'on boit tant de politique pour si peu de vin.
Monasterio de Corias indique l'étiquette. Du nom de cet énorme monastère, devenu parador, fondé juste après l'an mille dans les montagnes du sud-ouest des Asturies, surnommé "el Escorial asturiano". L'Escurial, rien que ça, un des monuments les plus stricts du catholicisme espagnol, tombeau de Charles Quint et de tant de Rois d'Espagne.
Pourtant, le vin ne vous parle pas d'église, il semble vouloir remonter plus loin dans le temps, bien avant les conversions, les saints et les martyrs. Je ne suis même pas sûr qu'il parle d'Espagne (j'en doute fortement au moment de plonger mon nez dans le verre). Ne serait-il pas plutôt en train de raconter ces vieilles légendes celtes qui peuplent les montagnes des environs? Le Cuélebre, ce serpent ailé gardien des trésors des cavernes. Le Busgosu, le faune ami des bucherons, les Güestias qui viennent hanter leurs forêts. Les ensorceleuses Xanes, faussement virginales, qui attirent les hommes auprès des rivières pour les noyer. Les linguistes affirment d'ailleurs que le nom Asturies dériverait de la vieille racine celte -stur (stêr en breton), qui signifie rivière.


Car ce vin nous ramène à un pays d'eau. J'ai même cru qu'il sentait l'humus à la façon des bretons (on y revient…), des cabernet-francs ligériens. Coule en lui l'énergie des torrents nés des montagnes qui prolongent les Pics d'Europe. Ses cépages, alabarín negro, verdejo negro, carrasquín* et surtout mencía n'évoquent absolument pas l'Espagne latine, celle des tongs, de l'ambre solaire et de la paella. C'est de toute évidence vers le Nord, vers l'Atlantique qu'il regarde.
"Viticulture héroïque" spécifie sur la contre-étiquette le petit logo du CERVIM, le Centre de Recherches, d'Études et de la Valorisation de la Viticulture de Montagne. On veut bien le croire! Comme dans tant de parcelles des Bierzo et Galice voisins, le travail du sol, de la plante et la vendange s'apparentent à de l'alpinisme. Le tout dans une région dont la pluviométrie est assez proche du Pays basque, ce qui pour la culture de la vigne demande du doigté.
"Viticulture héroïque", je rebois une gorgée de ce vin sombre, je le mâche, profite de sa matière, imagine le combat, la volonté qui ont permis de m'offrir ce bonheur. Un jus dense, pas une infusion de raisin, du vin, vraiment! Avec cette envie de boire encore, cette légère sensation de mine de crayon, de graphite en finale. De charbon** ai-je envie d'écrire.




* Pour ces trois cépages autochtones asturiens, il me tarde que sorte la nouvelle édition du Galet, le 29 mai!
** Ce vin des Asturies, assez différent, mais pas tant que ça, me fait, par son origine minière, repenser à un de mes grands classiques aveyronnais, le marcillac de Philippe & Julien Teulier. Cette appellation, héroïque elle aussi, doit en partie sa survie, il y a quelques décennies, à la proximité des houillères de Decazeville, dont les mineurs étaient gros consommateurs de vin rouge. Quant aux cuvées du Domaine du Cros, je les bois comme de l'eau de source, ils font à mon sens partie de la trousse de survie du buveur normal. 



NB: le magnifique cliché de mineur asturien utilisée ici est tirée d'une affiche espagnole de la CNT, malheureusement sans crédit photo.




Le vin pour faire fuir les cons.

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Vous en voulez de la photo racoleuse? Eh bien, en voilà une! Regardez la couleur du vin, orange pétard! Un peu trouble en plus. Qui dit mieux? Dans le mundillo branché du goulot, c'est encore plus vendeur qu'une belle paire de seins.  Oui, parce que comme dirait Séguéla, "si à cinquante ans, tu n'as pas bu de vin orange, tu as raté ta vie".
Depuis trois ans, l'agent orange a frappé. On se demande d'ailleurs comment on faisait pour boire, pour vivre, avant que les bistrots tatoués n'inaugurent dans leur carte, bien en évidence, une rubrique "vins oranges". Eh oui, camarade restaurateur, là aussi, "si à cinquante ans, tu n'as pas de carte de vins oranges, tu as raté ta vie"! 
Bon, je vous fais l'injure de vous expliquer ce que sont les vins oranges? Pour simplifier, ce sont des blancs dont les raisins ont macéré avec leurs peaux (voire leur rafles), suivant d'antiques manières caucasiennes*. D'où leur couleur si particulière, reconnaissable de loin, qui, à mon avis, encore plus que leurs propriétés gustatives, est à l'origine de cette mode. Personnellement, j'en ai bu quelques uns, certains amusants, mais dans la plupart des cas, ça m'en a touché une sans faire bouger l'autre, je trouve ça généralement mou du genou, un peu lourdaud, sans grand dynamisme. Cela dit, tous les goûts sont dans la Nature**, et tant mieux!


Pour autant, le "vin orange" dont il est question ici n'en a que la couleur. Et de celui-là aussi, Jacques Séguéla, son versant roussillonnais en tout cas***, aurait pu dire que "quand à cinquante ans, on n'en a pas bu, on a raté sa vie". Sa vie d'œnophile en tout cas. Car c'est un vin du Roussillon, un vin qui est loin d'avoir la carrière internationale qu'il mérite.
Il s'agit tout bêtement d'un rancio, un rancio sec. Pas celui (excellent) de Joseph Parcé qu'on voit ici en photo, mais le Rancy de Jean-Hubert Verdaguer, à Latour-de-France. Le rancio, c'est le jerez, le vin jaune**** (encore des couleurs!) des Pyrénées-orientales! C'est surtout pour moi, loin des comparaisons hasardeuses, le goût de cette région. Ce goût rancio qui vous met déjà sur la route de l'Espagne, qui va choquer le nordiste, aussi bien dans ce vin que dans un rouleau de sagí, ce lard gras ranci par le temps lui aussi et qui signe une vraie ouillade*****.


Alors, il y a ce titre, Le vin pour faire fuir les cons. Pourquoi? Non, pas qu'il soit question de démontrer ici une poussée de soixante-huitardisme attardé (voire sénile). Pas plus que je n'envisage comme l'exprime ce graffiti, de relancer le "vaste programme" qui fit ricaner Charles de Gaulle, à la lecture de cette phrase sur un mur de Paris. Peut-être est-ce simplement un écho de la couverture du livre où se reflète le "vin orange", symbole, pour reprendre les mots de l'auteur, de "l'exhibitionnisme naïf de la consommation ostentatoire qui recherche la distinction dans l'étalage primaire d'un luxe mal dominé"? Existe-t-il un "goût pur et un goût barbare"? Peut-être pas.
Mais, sans trop d'ostracisme, j'envisage qu'existent des vins de culture, de transmission comme ces rancios roussillonnais, les jaunes du Jura, les madères portugais ou les grands oxydatifs de Jerez ou de Montilla-Moriles. Des vins, "particuliers", "bizarres", qui réclament sinon une éducation du palais, au moins une accoutumance. Et encore (bis repetita), on a le droit de ne pas aimer, le "bon goût universel", vous savez ce que j'en pense…


Le rancio du Roussillon, d'ailleurs, n'existe pas. C'est une des leçons de la belle dégustation à laquelle j'ai eu la chance de participer à cent mètres du Centre du Monde. Chacun de ces vins****** est une histoire. Une histoire géologique, climatique, mais aussi humaine, un concentré de secrets de famille, le Terroir majuscule, quoi! Et cette histoire, il faut tendre l'oreille pour l'entendre, savoir tendre l'oreille, apprendre. Tourner le dos à l'uniformisation, quelle qu'elle soit.
Laissons Bourdieu pour Nietzsche: devient-on un Übermensch, un être supérieur, quand on se délecte de ces vins qui peuvent rebuter le commun des mortels? Certainement pas. 
Quoi de plus stupide que de vouloir faire de l'étiquette de ce que l'on boit un marqueur social? Que de jouer, tel un marchand de fringues, au vin-Béhème? Nous revoilà dans le piètre univers du type qui se prend pour un lord héréditaire parce qu'il porte du tweed et conduit une voiture vert-bouteille pour aller aux primeurs de Bordeaux. Ou de celui qui a fait la révolution et bu à la fontaine de jouvence parce qu'il s'est tapé quatre verres de vin gazeux et trouble dans un bar naturiste. On en revient à la fameuse "critique sociale du jugement", mais dans sa version la plus bas-de-gamme.


D'accord, je n'ai pas nécessairement envie de boire de Tariquet (en revanche, leurs vieux armagnacs…) ou de Mouton-Cadet, mais dois-je pour autant pourrir ceux qui s'en délectent? Éternel débat: Marc Lévy ou la collection Harlequin font-ils avancer la cause de la littérature? En tout cas, ils contribuent à perpétuer le geste de tourner les pages.
Cet effort de tolérance ne doit pas non plus nous faire sombrer dans le populisme pinardier. De ce populisme, qui veut faire table rase du passé avec la délicatesse d'un SA pénétrant, après avoir défoncé la vitrine, dans une librairie berlinoise, d'un garde rouge traquant les intellectuels à lunettes.  Méfions-nous des révolutions culturelles, de ceux qui veulent brûler les livres faute de savoir lire.


Dommage pour ceux qui y voient de l'élitisme (surtout avec ces vins dont les prix sont encore ridiculement bas). Alors que l'égalitarisme forcené devient une religion aussi bête que les autres, que le nivellement par le bas (phantasme de dominant inquiet) est institutionnalisé, j'aime le vieux message de ses bouteilles-là. Dans leur culte de la différence, elles nous rappellent que le vin est autre chose qu'une simple boisson, qu'il nous chante son identité, sa civilisation et nous enseigne un chemin modeste, parfois ingrat, toujours joyeux, dont chaque pas est une découverte. Pour la gastronomie, ou la méditation, elles nous font accéder aux grades supérieurs de la complexité. Et peut-être même font-elles fuir les cons, qui toujours sont ceux qui ne veulent pas apprendre.




* De vin orange, vous en rencontrerez un, primitif, ici.
** Le goût d'un autre, le goût des autres, vieux thème que j'évoquais dans cette chronique de 2012, thème repris ici par le caviste parisien Philippe Cuq (relis-toi Philippe, c'est intéressant).
*** Le célèbre publicitaire (qui passa son enfance à Perpignan) avait, dans les années 90, orchestré la campagne des vins doux du Roussillon. Peut-être pas un des plus grands succès de sa carrière. Comme souvent d'ailleurs quand les grands publicitaires se mêlent de vin, un milieu un peu étanche aux codes de la réclame classique, comme le rappelait cette chronique.
**** On m'objectera que le vin jaune, lui, n'est pas muté. C'est exact. Mais, à l'aveugle, on en a vu facilement se méprendre. J'ajoute, ça concerne les finos espagnols, qu'il en existe de non-mutés, tel ce Gran Barquero que j'aime d'amour, au moins autant que lui aime le cochon.
***** La soupe du Roussillon.
****** Je vous invite vraiment à partir à leur rencontre. De Danjou-Banessy à La Tourasse (un des petits nouveaux) en passant par Joseph Parcé et tant d'autres, ils sont désormais réunis en association. Plus d'informations au bout de ce lien.



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