Je l'avoue, comme tous ceux ont l'amour du goût, j'ai jubilé en lisant cette nouvelle. C'est tout à fait officiel, McDonald's va fermer 350 mangeoires* supplémentaires dans le Monde, la plupart aux États-Unis et en Chine où la chaîne américaine se targuait en 2011 d'en ouvrir une par jour.
Pourtant, ne cédons pas trop vite au triomphalisme, Ronald, le clown triste de la malbouffe est juste en train de faire ses comptes et d'affiner sa stratégie consécutivement à une reprise en main du conseil d'administration; le nouveau patron doit annoncer lundi un nouveau plan de relance. Là, donc, il s'agit simplement d'un ajustement, on ferme d'un côté, on ouvre de l'autre, là où sa rapporte. Pour situer le débat, l'an dernier, en 2014, la chaîne a accru son nombre de nouveaux emplacement de 829 unités dont 47 en France. Au total, la planète compte 36258
McDonald's.
Mais je crois surtout qu'il ne faut pas se laisser endormir par cette fausse bonne nouvelle car, au delà de
McDonald's (et de ses concurrents), le hamburger a bel et bien gagné la partie. Dans des pays comme la France, il est devenu la norme du casse-croûte rapide, facile, bon marché, détrônant le jambon-beurre, le croque-monsieur et tous ces
fast-foods hexagonaux que les bistrotiers ont eu la faiblesse de laisser choir.
Rien de nouveau, je vous rappelle
ce que j'écrivais le 5 février 2014. "Désormais, un sandwich sur deux vendu au pays de Tirel, Rabelais, Vatel, Escoffier, Brillat-Savarin, Montagné, Chapel, Bocuse est un hamburger! En 2000, le ratio était de un pour neuf, en 2007, de un pour sept. En 2013, près d'un milliard de hamburgers ont été commandés en France, 970 millions très précisément". Il est devenu le "plat préféré des français", qu'on commande comme s'il faisait partie de nous-même, de notre patrimoine depuis la Nuit des Temps.
En effet, plus personne n'a l'impression, en commandant un hamburger, de faire quelque chose d'exotique, d'étranger à sa culture. La palme d'or en la matière revient à l'abruti, lepéniste ou mélanchoniste, qui s'en va manifester, brailler des slogans, agiter des drapeaux** (le premier mai par exemple) et qui après sa grande démonstration s'assied (s'attable, je n'y arrive pas…) dans un
McDo, commande un
cheese et un
Caca-Cola, foulant aux pieds en un quart de seconde les valeurs qu'il avait passé sa matinée à
défendre. Prix spécial du jury aussi pour l'écolo citadin qui, lui, un verre de vin "nature"à la main, commandera, dans une mangeoire un peu plus huppée, un "burger" bio, éventuellement avec du
Kobé ou une viande "
maturée six mois", c'est tellement plus
in le "burger"
maturé…
Parlons-en de ce terme à la con, le "burger". "Parce que vous comprenez, ma chère, Charles-Édouard ne mange jamais de hamburger, quelle horrrrreur! En revanche, il adoooore les buuuuurgers!" Le "burger", c'est le hamburger des snobinards. "Burger", ça se prononce la bouche en cul-de-poule, les pompom-girls de la foodisterie, les blogueurs de chez Nestlé/Unilever/Monsanto/Danone en raffolent. Et tous les cuistots assortis y vont de leur recette: comment passer à la télé, sinon?
Entendons-nous bien, ce n'est pas du tout parce que ça vient de l'étranger que le hamburger pose problème. L'histoire de la cuisine, française notamment, est faite d'assimilations, d'intégrations. Je vais vous raconter pour la énième fois l'histoire du cassoulet, né de légumes sud-américains cuits d'une façon arabe dans une poterie italienne. Non, ce n'est pas de "préférence nationale" qu'il s'agit, si ce n'est que là, on ne parle pas d'assimilation ou d'intégration mais d'un gros rouleau-compresseur qui écrase tout avec brutalité.
Le problème du hamburger réside dans le fait qu'il remet en cause la structure même du repas "à la français"e. C'est une négation, par exemple, de
ce qui a été salué par l'UNESCO au travers du Patrimoine mondial de l'Humanité, cet ordonnancement qui régit, au delà de ce que l'on mange, un art de vivre ensemble et de partager les mets comme la parole. Plus encore que de nourriture, nous parlons de civilisation.
Face à cette culture, précieuse, dont nous sommes dépositaires, le hamburger symbolise un univers du prêt-à-avaler, sans couteau, fourchette, ni assiette, où l'on bouffe parterre, sur la moquette, devant la télé en regardant une partie de base-ball.
Et surtout, il nous ramène à la gamelle, celle des animaux ou des bagnards, où les aliments se mêlent, préfigurant le bol alimentaire cher aux médecins légistes. En comparaison, le plateau repas de l'hôpital ou de l'avion font presque figure de menus gastronomiques!
Le but de cette chronique n'est pas d'excommunier, ni même de moraliser, mais d'expliquer. Ce n'est pas un sacrilège de goûter occasionnellement à un hamburger, comme à tous les autres plats, il en existe d'ailleurs d'excellents. Le problème, c'est quand il remplace tous les autres, quand il a, comme aujourd'hui dans un pays en crise, réponse à tout. Quant il détruit tout.
Pour le défendre, les arguments ne manquent pas: "c'est si pratique!", "on n'a pas le temps"… Autant de blabla qui ne résiste pas à un examen sérieux. On mange des hamburgers parce qu'on a décidé d'en manger. C'est comme faire ses courses au supermarché, ce n'est pas une fatalité, c'est d'abord une facilité: on sort un bout de pain sucré avec conservateurs, issu de farines merdiques (tout en se disant qu'on un problème avec le gluten…) d'une poche plastique, une rondelle de tomate en hydroponie, on grille un amas de chairs et de graisses d'origine généralement incontrôlée, du ketchup, un fromage bizarre et hop, on est moderne, efficace.
Le hamburger, dans sa déstructuration du bifteck, aussi un pas de plus vers la sur-consommation de produits carnés, celle-là même qui fait le bonheur
des animalistes, des prohibitionnistes de la viande. Un pas de plus aussi vers l'opacité de la filière viande: quoi de plus opaque qu'un hamburger? Le cheval, ce n'est rien! Le jour où vous découvrirez que vous avez mangé des résidus anatomiques humains, des résidus opératoires (du cadavre, quoi!) en provenance de Chine ou de Roumanie, ce ne sera pas en regardant dans votre assiette mais en le lisant sur Internet.
Où que ce soit, chez McDo ou chez un étoilé, la burgermania, c'est l'avènement du steak barbare**. Car franchement, si vous avez faim de viande rouge, la solution existe: filez chez votre boucher, prenez-lui une entrecôte, de la tranche noire, un paleron, un onglet (ça, c'est plutôt chez le tripier), une bavette, un faux-filet, bref un vrai bout de barbaque, avec une forme, une histoire, une race, un paysan, une traçabilité. Ce sera autant de gagné pour vous, pour votre culture, pour les animaux, pour l'agriculture, pour la planète.
* Désolé, vous ne me ferez pas dire restaurant.
** "Le drapeau noir, c'est encore un drapeau" chantait
Léo Ferré.
*** Titre justement volé à un de ces papiers qu'on voit de plus en plus fleurir dans la presse française pour nous donner mauvaise conscience de manger de la viande, là, c'était dans
Libération.
Les œuvres qui illustrent cette chronique (à part le sublime bœuf de Chalosse de la Maison Aimé
à Dax) sont tirées d'un reportage du Huffington Post
sur les artistes qui dénoncent le système McDo
, à lire ici.