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Channel: idées liquides & solides
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Touche pas à mon riesling !

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C'est une importante cible militaire française qui a été prise pour cible en cette après-midi du 8 mai par un groupe de terroristes numériques: la Foire aux Vins de Colmar. Comme le rapporte le journal L'Alsace, le site web du célèbre évènement qui mêle bacchanales et variétés a été piraté pendant une demi-heure par Les fils de l'Algérie*. Les annonces habituelles ont été remplacée par une page noire, d'un graphisme de haute tenue, rédigée dans un anglais digne d'un collège de l'Éducation nationale et sobrement intitulée Fuck la France! La page renvoyait également à une vidéo hébergée sur YouTube et dénonçant les massacres perpétrés par les Français en Algérie à Sétif, Guelma et Kherrata, il y a exactement 70 ans, le 8 mai 1945.
"Je pense que nous avons été pris pour cible par hasard", a expliqué à l'AFP Christophe Crupi, l'un des responsables de Colmar Expo. "Je n'ai aucun commentaire à faire concernant le contenu de cette page, ça n'avait rien à voir avec ce que nous faisons". Difficile de dire en effet s'il s'agissait d'un canular besogneux, d'une provocation (indépendantistes lorrains?) ou d'autre chose de plus sérieux. Guère plus évident d'affirmer que l'aspect vinique de l'évènement ait contribué à en faire une cible de premier choix. Moi, au cas, j'ai filé à la cave chercher une bouteille d'un riesling ami me disant que finalement, ce serait une bonne pub pour les vin d'Alsace. À la vôtre!



* Et un certain Gang Dz qu'on retrouve ici sur Facebook.



Sodomie au "burger", saison 2.

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Chers amis restaurateurs, j'ai pensé à vous en voyant ce lieu. Spécialement à vous qui vous êtes abaissés à servir dans vos établissements ces "burgers" dont je parlais récemment, qui vous vous êtes mis à niveau et avez accepté la règle du jeu et le terrain imposé par l'ennemi, adoubant au passage sa "culture". Parce que c'était "ludique", "tendance"…
J'ai pensé à vous en découvrant le prototype de ces endroits où vos futur-ex-clients CSP+ vont aller se délecter, à Paris et ailleurs, de "burgers" bistronomiques. Le tout, bien sûr, sous les encouragements des pompom-girls de la foodisterie qui vont trouver ça tellement génial, tellement nouveau (les plus serviles d'entre elles/eux se seront préalablement fait offrir un aller-retour à N-Y ou une poignée de verroterie pour mieux comprendre le concept).


Voici donc la saison 2 de Sodomie au "burger". Dans la saison 1, le scénario était un peu chiant il faut bien reconnaître: on faisait bouffer de vulgaires hamburgers au vulgaire, les pauvres, les jeunes, les incultes… Là, heureusement, on passe à la vitesse supérieure, au "burger". Et qui dit "burger" dit bistronomie! En "cuisine", comme il se doit, on a mis des rescapés de la gastro-réalité, de Top ou Master ou MachinChef. Maurizio Rosazza e Andrea Marconnetti, tout juste sortis de chez le coiffeur. Des stars, quoi, des cadors de la becquetance! Et puis, pour le tapin, quoi de mieux que des pros?


L'épisode 1 de la saison 2 se joue en Italie (on avait tourné le conducteur en Espagne, souvenez-vous). C'est chouette de faire ça au soleil! 
Direction Milano, donc, la capitale du design et de la mode, et depuis peu de l'Exposition Universelle. Bienvenue au McDonald's Premium! Une adresse élégante, viale Monte Grappa, Corso Como. Pour le moment, ce n'est qu'un pop-up restaurant, ouvert sous cette forme jusqu'à fin-mai.
Pour l'inauguration, on a utilisé une recette éprouvée, la "dégustation à l'aveugle", comme l'avait fait LIDL pour le coup qu'ils avaient monté à Stockholm. Les gastronomes en culotte courte qui participaient au "repas"étaient censés goûter les plats non pas d'un fast-food mais du nouveau Single Burger monté par les deux téléchefs. Et ce n'est qu'à la fin du repas que les masques sont tombés et qu'ils ont appris qu'ils avaient "merveilleusement" mangé dans un McDo. C'est beau, c'est jeune, c'est fou, plein de spontanéité (regardez la vidéo). Beau comme une série américaine, on vous dit!


Of course, dans ce McDo de riches, on ne mange pas avec les doigts, on n'est pas des animaux. De vrais couverts, de vraies assiettes et de grands verres en cristal destinés à accueillir des bières et des eaux minérales sélectionnées (bientôt le vin?). Les quatre références de hamburgers, servis à table, sont réputés être fabriqués à partir de viande fraîche, et apparemment, les frites, notamment en version "rustique" puent moins que d'habitude ; les tarifs eux sont bien plus élevés qu'au McDo des pauvres. Bref, tout pour plaire.


Car finalement, n'est-ce pas là l'essentiel de ce nouveau coup de com' de la chaîne américaine, préfigurer ce que veut le nouveau patron de McDonald's, du "burger" non pas à la place mais en plus du hamburger bas-de-gamme? Et réussir ainsi à convaincre une clientèle plus aisée de pousser les portes de ses "restaurants". La recette est simple, une petite montée en gamme, au moins en apparence, de la bouffe d'usine de luxe, et toujours, pour rassurer le chaland, la régularité et la disponibilité qui ont fait le succès de l'enseigne.
La sauce, pardon, le ketchup va-t-il prendre? D'autres chaînes ou futures* sont sur les rangs pour achever de détruire notre histoire, notre culture gastronomiques. Qui bouffera verra. Toujours est-il, chers amis restaurateurs, que la saison 2 de Sodomie au "burger" est bel et bien lancée. Préparez la graisse des frites…




* Ainsi King Marcel, concurrent de Blend ou de Big Fernand, dont parle aujourd'hui Le Figaro.


La volatile n'est plus un cauchemar !

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Volatile. Acidité volatile. Encore un de ces mots du jargon pinardier qui, pour beaucoup de simples buveurs de vins, s'apparentent à de l'hébreu. La "volatile", comme on dit dans les caves, ce n'est pas rien, c'est ni plus ni moins le cauchemar du vigneron. Une poussée de fièvre qui se saisit d'une cuve et qui vous empêche de dormir la nuit, vous rend désagréable avec votre entourage, peut même vous pousser à refumer. Dans la loi de l'emmerdement maximum, une montée de "volatile", c'est un des sommets.
La "volatile", l'acidité volatile, qu'est-ce que c'est? Derrière cet assez joli nom se cache, selon la définition officielle de l'OIV, l'ensemble des "acides appartenant à la série acétique qui se trouvent dans le vin à l'état libre et à l'état salifié". En clair, et pour simplifier à l'extrême, une montée de "volatile" montre qu'un vin est en train de se rapprocher d'un vinaigre. "Historiquement, rappelle l'œnologue languedocien Marc Dubernet, le dosage de l’acidité volatile a été introduit par défaut de capacité à doser spécifiquement l’acide acétique." Les progrès de la science aidait, on peut désormais effectuer cette mesure sans passer par ce biais.


Attention, d'un autre côté, ce n'est pas parce qu'un vin "a de la volatile" qu'il est mauvais! C'est même parfois la signature des grands vins excessifs, tels les meilleurs sauternes, les pinots d'années chaudes ou des bordeaux de légende tel Cheval-Blanc 47 dont l'œnologue Dany Rolland me racontait qu'elle y avait mesuré un taux de volatile de plus d'un gramme par litre (ce qui théoriquement, réglementairement, en fait un vin "impropre à la consommation"). Il est évident que pour équilibrer ça, il faut en face de belles structures, une richesse, etc; le même taux dans un picrate fluet le rendrait à coup sûr imbuvable, bon pour la salade ou les cornichons. Comme toujours en matière de vin, les choses sont plus compliquées qu'il n'y paraît, ce qui en fait, comme la "volatile" pour les vignerons, un cauchemar pour les esprits simples.


Pourquoi est-ce que je vous inflige ce médiocre cours d'œnologie? Tout simplement parce que vient d'ouvrir à Barcelone un bistrot à vin baptisé La Volátil. Alors, évidemment, la première question que j'ai posée à Víctor Company (ci-dessus), l'heureux propriétaire de l'endroit, c'est "pourquoi ce nom?""Provocation" m'a-t-il immédiatement répondu. Il n'a pas de lecture très technique de ce terme mais cela sent le pied de nez, et une façon de tourner définitivement (?) la page d'une époque si récente où, en Espagne, on ne raisonnait le vin qu'en fonctions de critères ultra-technologiques. Une réaction donc à ce qu'on buvait il y a deux trois ans encore, quand les professeurs pinardiers locaux, passés au moule anglais du WSET, spécialistes de la pipe à Pinocchio, m'expliquaient magistralement, un verre de priorat brûlant ou de quelque autre soupe de planches en main, qu'il était impossible de faire du vin sans bois neuf.
Víctor, comme beaucoup, a effectué depuis un cursus supplémentaire, dans une autre école, celle du vins des rues, dont L'Ànima del Vi du naturiste Benoît Valée est une des universités les plus remarquables outre-Pyrénées. C'est d'ailleurs là que nous avons trinqué ensemble la première fois.


La carte des vins, vous l'avez compris, est à tendance naturiste, mais sans tomber dans le style bar pour hispters. À La Volátil, il n'y a pas que des étiquettes, on trouve aussi de bons canons à boire, souvent d'ailleurs les mêmes que dans le bar sus-cité. Pour cette inauguration (les portes étaient ouvertes depuis deux jours), nous nous sommes régalés un bon litron de pinot noir alsacien de chez Rietsch (avec juste ce qu'il faut de volatile pour lui donner des ailes), facturé sur table 21,20€ le litre. Dans les vins aux verres, j'ai relevé, joli Inedito de Bodegas Lacus en Rioja Baja, un rouge digeste au léger accent français, à deux ou trois euros le godet, un cadeau! Parce que ça aussi il faut le dire, malgré l'emplacement de ce joli local, tout au bas de Muntaner, là où le Gayxample vient se frotter aux zones tribales du Raval, les tarifs des vins ont de quoi faire rêver les consommateurs français ou britanniques, peu habitués à tant de douceur.


Malgré son apparence soignée, presque léchée, La Volátil n'est pas un de ces lieux-gadget, une de ces coquilles vides dont ce quartier de Barcelone, L'Eixample, a le secret. Nous y avons mangé une cuisine franche, directe, sans mariconadas, une vraie cuisine de bistrot barcelonais. Très jolis anchois plein de fraicheur, gambitas rojas idéalement cuites et sans fioritures inutiles, cap i pota fondant, excellentes croquettes à l'encre, jolie daube de queue de vache, bon recuit au miel, vraiment rien à dire. C'est bien envoyé et ça ne cherche surtout à péter plus haut que son cul (ou à détruire le vin comme on le voit trop souvent chez les chimistes). Pour prendre un point de comparaison que connait bien Víctor Company qui y a travaillé, on mange mille fois mieux qu'au Brutal, le rendez-vous pinardier des pijos tatoués*. Les concepteurs de La Volátil ont d'ailleurs eu la bonne idée d'éviter la plupart des codes de ce genre d'établissements.


Les prix de la nourriture, comme ceux du vin, sont très doux, pour des portions qui hésitent entre tapas et raciones, et font de La Volátil, un endroit idéal pour déjeuner, et profiter jusqu'en fin d'après-midi de la belle lumière des baies vitrées. Les mieux informés n'hésiteront pas d'ailleurs à commander, en guide d'au-revoir, un délicieux vermut artisanal de Partida Creus.


À noter également que La Volátil est ouverte le dimanche, une rareté à Barcelone en dehors des mangeoires à touristes. Raison de plus de l'inscrire, aux côtés de L'Ànima del Vi, dans la ruta de la sed, la route de la soif barcelonaise, ces îlots précieux où le solide n'est pas détruit par de douteux liquides. Et tant pis, amis vignerons, si son nom vous fait cauchemarder…




* Toutes mes dernières assiettes au Brutal (un lieu victime de son succès?) ont été entre très moyennes et nulles, avec comme prix spécial un calamar bouilli, précuit, je ne sais pas, le pire que j'aie mangé en Espagne, la pauvre bête était morte deux fois. Un repas sauvé en revanche par l'excellente compagnie de Nicolas Lefèvre esprit libre du vin, une race en voie de disparition.


Le libéralisme aime le vin ?

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L'OCDE, vous connaissez ce sigle évidemment. Parfois même sans trop savoir ce que recouvre cette organisation internationale issue, par ricochet, du Plan Marshall qui redessina l'Europe d'après la seconde Guerre mondiale. Désormais, l'OCDE, présentée parfois comme l'agence de pub du libéralisme économique, délivre des statistiques, pond des rapports, bref assure un bruit de fond favorable aux idées qu'elle promeut. 
Ce midi, les experts de l'OCDE viennent de rendre un pavé sur un sujet plus sociétal qu'économique, mais c'est bien par cet angle de l'impact économique que l'organisation aborde le problème. Notamment en essayant d'en évaluer les coûts sur la production ou les systèmes de Santé publique. Il s'agit donc, comme le veut la loi du genre d'un outil technique, froid, clinique. On n'est pas là pour faire des sentiments.


L'OCDE, évidemment, énonce des chiffres généraux, les voici, brièvement, tels qu'ils seront repris dans une dépêche d'agence, elle même recopiée avec catastrophisme par la Presse généraliste française*.
Dans ses trente-quatre pays membres, "la consommation annuelle moyenne correspond à 9,1 litres d’alcool pur par habitant (soit une baisse de 2.5 % en moyenne au cours des 20 dernières années). On estime que près de 11 % de la consommation totale d’alcool ne serait pas comptabilisée dans les pays de l’OCDE. Ajoutée à la consommation comptabilisée, cette part porte le total de la consommation d’alcool à 10.3 litres par personne, soit un chiffre significativement plus élevé que la moyenne mondiale, qui est de 6.2 litres."
"L’essentiel de la consommation de boissons alcoolisées est le fait des 20 % de la population qui boivent le plus."
"Les niveaux de consommation dangereuse (une consommation hebdomadaire d’alcool pur égale ou supérieure à 140 grammes pour les femmes et égale ou supérieure à 210 grammes pour les hommes) et de suralcoolisation épisodique (« alcoolisation paroxystique intermittente », soit la consommation de 5 à 8 boissons en une seule session selon les pays) chez les jeunes, notamment les femmes, ont augmenté dans de nombreux pays de l’OCDE."
Mais l'organisation, qui s'inquiète de la progression de l'alcoolisme chez les femmes et les jeunes, rappelle aussi quelques fondamentaux que l'on devrait peut-être méditer dans certains pays comme la France où les prohibitionnistes sont parfois tellement enivrés par ce qu'ils veulent démontrer qu'ils en oublient la méthodologie. "Les enquêtes portant sur la consommation d’alcool, écrivent les experts, sont des instruments essentiels à la conception de politiques publiques efficaces. Les pays et leurs agences de statistique et de santé publique doivent redoubler d’efforts pour renforcer la cohérence et l’exactitude de ces enquêtes."


Pour dépasser les généralités, il est cependant intéressant de fouiller davantage le rapport de l'OCDE**, lequel contient ce qu'il est permis d'appeler une bonne surprise pour la culture que nous défendons, celle du vin. Ce n'est pas pas exprimé de façon explicite, mais parfaitement induit par les raisonnements: les experts internationaux se refusent catégoriquement à mettre le vin et les alcools dans le même sac. À l'opposé donc de la position d'associations prohibitionnistes françaises comme l'ANPAA, ou même de pas mal d'écrits du Ministère de la Santé hexagonal.
L'OCDE fait d'abord le tri, page 46, entre les "pattern of drinking", les raisons de boire qui mettent en évidence l'importance des circonstances de la consommation d'alcool. "Le volume d'alcool n'est qu'un des paramètres qui peuvent déterminer si cette consommation sera néfaste ou non. Un volume donné n'aura probablement pas le même effet s'il est consommé en une nuit ou plusieurs jours, seul ou en compagnie, avec un repas ou l'estomac vide. C'est que nous voulons dire par "motifs de boire". Le "motif de boire" est particulièrement important à cause de son lien avec l'apparition de conséquence graves de la consommation d'alcool." S'ensuit un tableau où les pays ne sont plus classés, brutalement, aveuglement, suivant leur consommation quantitative d'alcool mais en fonction d'une somme de facteurs comme le type de boisson ou les circonstances. Et, bizarrement, la France ou l'Italie, adeptes du vin, sont classées dans le groupe des pays où les risques sont les plus faibles (catégorie sur une échelle de 1 à 5). Contrairement à des pays où la bière et les alcools industriels font ventre, la Suède, le Royaume-Uni, les États-Unis, l'Australie ou bien sûr la Pologne et la Russie.
Désolé, camarades prohibitionnistes…


Il est aussi question du binge-drinking, des pratiques vis-à-vis desquelles "les écarts entre les pays ont tendance à diminuer". "Ce changement, affirme le rapport page 51, est associé au changement de type d'alcool consommé". Et d'évoquer, comme avec une pointe de nostalgie, ces particularismes culturels qui ont tendance à s'atténuer, à l'image de la consommation de vin en France. Là, on n'est pas loin de pointer du doigt un des effets pervers de la loi Évin que-le-Monde-entier-nous-envie (si l'on en croit les bêlements officiels hexagonaux). Pour autant, les tableaux suivants montrent bien que même si le hazardous drinking, la consommation à risques augmente en France, elle reste bien plus faible que dans les autres pays de l'organisation, sous entendu où l'on consomme beaucoup moins de vin…


Je suis très inquiet en revanche concernant la page 70 du rapport de l'OCDE, très inquiet pour le juteux fond de commerce des télé-évangélistes français de la prohibition! Pourvu que cela ne tombe pas non plus dans les mains des journalistes de la Presse généraliste…
Les experts évoquent en effet l'aspect "culturel" des initiations familiales des enfants, telles que pratiquées "dans des pays producteurs de vin où cette boisson est une partie normale du repas". Et les opposent aux "adolescents du nord de l'Europe" qui découvrent l'alcool "en secret", de façon cachée, dans des circonstances où boire de l'alcool est un but en soi". "Il semble raisonnable de supposer que des gens dont l'identité ethnique est associée à de solides racines culturelles ou religieuses seront influencés par leur origine dans leur comportement vis à vis de la boisson."What else?
Bien sûr, tout cela, nous tous, amoureux du vin, le savons (et le disons) depuis longtemps. Ces phrases et ces tableaux ne sont rien de plus qu'une confirmation. Mais le lire dans un rapport de l'OCDE , sous la plume de ses experts internationaux, j'avoue que j'éprouve une certaine jubilation. Ne reste plus qu'à le diffuser…



* Quitte à tomber dans des contre-sens très politiquement corrects, style "la France est un énooorme consommateur d'alcool, c'est la fin du Monde!". En plus, le rapport est écrit en anglais, alors…
** Je tiens à remercier ici un de mes honorables correspondants, Tristan de Bourbon-Parme, grâce auquel j'ai pu gagner pas mal de temps. Merci!

Le Point sur les i.

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Comme tous ceux qui savent à peu près ce que représente une carte de Presse, j'exècre les leçons de journalisme. Et je n'aime pas plus en recevoir qu'en donner. L'objet de ces quelques lignes me pose donc vraiment un cas de conscience.
De quoi s'agit-il? De ce rapport de l'OCDE sur l'alcoolisme publié hier, et comme je vous l'expliquais ici, de la grande indulgence des experts de l'organisation pour le vin et la France, indulgence fondée notamment sur des chiffres, qui prouvent que l'Hexagone connait bien moins que les autres pays membres le phénomène du binge-drinking. Le rapport va même jusqu'à mettre en valeur l'initiation familiale au vin des enfants et l'impact de cette pratique sur leurs comportements futurs vis-à-vis de l'alcool. Des informations tout à fait positives donc, même si elles vont à l'encontre des thèses officielles du "prohibitionnement correct" français.


En toute honnêteté, je ne m'attendais pas à ce que cette "exception française" soit saluée par la Presse généraliste. Et ce au moins pour deux raisons: premièrement, du "prohibitionnement correct" qui hante les rédactions; deuxièmement, le mini-mini-digest du rapport traduit en français fourni et qui, restant dans les généralités, n'évoquait pas ce particularisme. Du coup, c'était tellement prévisible que je l'avais écrit dans ma chronique
Mais quand même! En découvrant la version numérique du Point, j'ai failli tomber de ma chaise! Un "édito" signé Anne Jeanblanc, spécialiste-labos, pardon, spécialiste-santé de l'hebdomadaire, et titré, je cite, Alcool, toujours des dégâts…, surtout en France, avec en photo d'illustration deux verres de vin. Je sais, on me dira que ce n'est pas elle qui a écrit le titre, que la photo, elle n'y est pour rien, etc… 
Alors, je lis l'article qui reprend, en le noircissant et en ne parlant presque pas en fait de la France, le petit communiqué de Presse en français de l'OCDE. Il y est bien sûr question du "binge-drinking" qui "croît rapidement chez les jeunes et les femmes" précise Anne Jeanblanc (sans préciser où) mais, bizarrement, l'exception française en ma matière est passée sous silence. Pourtant, regardez, ci-dessous, les tableaux qui évoquent le "binge-drinking" dans le rapport, on comprend assez facilement, en un coup d'œil, que la situation française est particulière (le petit trait bleu en bas), et pas en pire! Mais pour ça, encore faut-il l'avoir ouvert ce rapport. En page 52 très exactement. Tous les autres aspects positifs, liés notamment au vin, au contexte de consommation sont évidemment éludés dans "l'édito" d'Anne Jeanblanc.



Certains me diront que ça ne me regarde pas, qu'il s'agit du libre-arbitre de l'auteur, que chacun, Anne Jeanblanc y compris, choisit son angle. L'angle, c'est d'ailleurs ce qui fait la différence entre le foutoir besogneux et inintelligible d'un amateur, d'un blogueur hermétique qui se parle à lui même et un véritable papier de journaliste. Ce n'est pas faux, l'argument tiendrait si cet "édito" n'était pas un copier-coller bidouillé d'une dépêche d'agence, et surtout s'il n'était pas (en version hard) l'expression de ce "prohibitionnement correct" dont les spécialistes-santé de la Presse généraliste française nous ont offert hier une démonstration étincelante.
À l'unisson, parrot-like, les journaux, les radios, les télés nous ont raconté cette France bonnet d'âne de l'alcoolisme, la montée angoissante du binge-drinking, l'alcoolisme des femmes. BFMTV, Le Parisien, La Croix nous vendaient du naturalisme, de la misère à tour de bras. Zola, L'assommoir, Gervaise étaient de retour. Dans ce "cauchemar rêvé", ne nous manquaient plus que l'absinthe et les tremblements…


Je le répète, ça m'embête vraiment d'avoir eu à écrire ce que vous venez de lire. Mais ça m'embête encore plus d'avoir lu ce que j'ai lu hier dans la Presse française, et notamment dans Le Point, à propos du rapport de l'OCDE. Notamment dans Le Point, car cet hebdomadaire, sous la plume brillante de Jacques Dupont est un des rares à défendre le vin, il l'a prouvé il y a quelques jours encore avec sa couverture sur les hygiénistes anti-vin. Là, hier, ce mélange de paresse et de confort intellectuel était indigne.
Ça m'embête, surtout dans situation politique déliquescente de la France et même sur un sujet que certains vont trouver subalterne, de critiquer sa Presse, ce cœur-battant qui doit irriguer la Démocratie et que j'ai vu hier, sur ce sujet précis, ressembler à un pacemaker aux piles usées.
Ça m'embête, mais je le pense, ce pays, la France, la Presse de ce pays, une partie de son personnel politique et de ses fonctionnaires ont un problème avec le vin. Ce problème, il va falloir le résoudre.




















L'Europe, on va en faire un fromage !

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La dernière fois que je suis allé en Belgique, je voulais manger des frites. On traversait le pays d'une traite, comme un camion de tomates espagnoles (ou hollandaises, suivant le sens). Je sais, le binge-tourism, ce n'est pas très glorieux, mais là-haut, aux confins de la Frise, un bateau et ses merveilleux emmerdements qui sentent le bois fané et la vieille graisse nous attendait impatiemment. Nous nous étions levé tôt malgré le glissant pinot noir des Côtes de Toul qui sentait tout sauf les rangers gelées en février sur le plateau d'Écrouves, et quoiqu'on en dise pour leur défense, les Ardennes n'ont pas la frite matinale. Ce n'est pas faute de tourner et de virer, de descendre dans ces vallées sur lesquelles l'autoroute lance des viaducs montagnards qui permettent d'en finir avec Le plat pays. Car nous les voulions, ces frites! La Voie sacrée sous un ciel diaphane nous avait laissés sans voix, puis le cœur soulevé un peu plus loin en suivant vaguement, de loin, les courbes molles de la Meuse, par le récit des journées tantôt silencieuses, tantôt vociférantes de ce vieux paysan languedocien, revenu d'entre les morts, et devenu insensible.


Passée la frontière, à Rouvroy dont le nom me fit penser pour des raisons que j'ignore au Jura suisse, ça tourna à l'obsession. "Trop tôt" trancha le chauffeur qui connaissait le pays. Alors, d'Arlon à Bastogne, on s'enfila du bitume, concluant que décidément la frite n'était pas une spécialité belge (ce que confirment la logique et la Faculté*). Mais la faim, non, le désir de manger était là! Il faut assouvir ses désirs, avoir le courage de ne pas résister à la tentation!


L'assouvissement apparu dans sa beauté triomphante, après quelques problèmes de parking, au milieu des baraques de bois de la foire d'Aywaille. Aywaille, ne me demandez pas comment ça se prononce, je n'en ai aucune idée. Pour les frites, les ménagères du coin, cabas écossais à la main (j'en avais un aussi) m'affranchirent rapidement, même refrain que le chauffeur: "Trop tôt". J'étais déconfit. Jusqu'à ce que l'un d'elles, charmante au demeurant, dotée d'un appétissant accent, m'indique pour me restaurer, dans un recoin du grand virage avant le pont, La cave du Fromager. "Spécialité de fromages suisses" annonçait un grand panneau polychrome estampillé sérigraphie de banlieue au fond de cette vallée ardennaise. Aïe! Non pas que je n'aime pas la production helvétique, bien au contraire, mes écrits en témoignent, mais que voulez-vous, je suis un idiot. Oui, madame, mademoiselle, monsieur, un idiot! Certains d'entre vous sont déjà au parfum, mais je suis victime de cette inclination archaïque qui fait que quand je traverse un pays, même sur l'autoroute, je veux manger et boire ce pays. De plus, comme à l'accoutumée, velléitaire comme je suis, je ne fais rien pour réprimer ce bas-instinct.


Et là, à La cave du fromager, le type, alors que mes pas se posent avec émotion sur le sol belge, me propose de l'appenzell, du gruyère, je crois même me souvenir qu'il avait du vin du Jura dans l'étalage d'à côté alors que déjà la bière n'attendait que moi, sa généreuse poitrine en avant. 
"Vade retro, Satanas! Je veux du Belge!" Alors, il me montre sur la gauche des cubes emballés dans du papier un peu à la façon des petits-suisses (on y revient…) d'avant les grands empoisonneurs du lait. "Vous aimez le fromage fort?" s'enquiert-il d'une voix doucereuse? Un ricanement lui sert de réponse, j'embarque sans vraiment savoir de quoi il question, telles deux prises de guerre, deux herve, un doux et un piquant, de deux producteurs différents et je rejoins l'équipage, direction Liège, Maastricht puis tout au nord le bateau, Sylla, qui n'attend plus que nous pour sa baignade


Alors, d'une traite, mais sur l'eau, nous avons avalé la Hollande, négligeant les vitrines d'Amsterdam, filant vers le Rhin pour la Mer du Nord et le Rail où nos quelques dizaines de tonnes ne pesaient pas lourd face aux monstres maritimes d'Anvers et de Rotterdam. Eux traversaient le Monde, nous nous contentions de l'Europe.
Ceux qui connaissent le bateau et les traversées savent à quel point la nourriture y a son importance. À bord, nous avions fait provision de liquides et de solides (excellents poissons fumés bataves) pour affronter ce type de navigation mixte que nous découvrions, ce drôle de cabotage, mais un produit, par dessus tout, a fait notre bonheur: le fromage de Herve. Il disait la terre, l'humidité de cette Belgique orientale que nous avions à peine sentie, l'appétissant accent de la ménagère de Aywaille, de longs hivers dont nous aspirions à sortir, le bonheur d'après les champs de bataille, il effaçait même la frustration de la frite. 
Ce fromage de Herve, sur le jacht hollandais, ce fut notre mascotte, sur les canaux, les fleuves et la mer, presque un membre de l'équipage. Même au moche milieu des fumantes usines de Gand, il nous murmura à l'oreille que les paysans n'étaient pas morts, que nous pouvions encore manger un peu de notre culture. Et quand dans un pauvre bled de la frontière belgo-française, à l'approche des usines désaffectées, on nous apporta enfin des frites, nous nous rendîmes compte qu'elles valaient mille fois moins que lui. 


Revenons sur terre, le fromage de Herve, si je vous en parle aujourd'hui, ce n'est pas pour vous emmener en croisière à travers le Benelux, mais parce qu'il est victime de la bêtise. Parce qu'il devient un chef-d'œuvre en péril. 
J'ai été alerté à ce sujet, depuis Bruxelles, par le cri du cœur de mon camarade Patrick Böttcher. Je ne vais pas vous raconter l'histoire, il le fait beaucoup mieux que moi et sait bien mieux de quoi il parle, lisez, c'est ici**. Il ne reste que deux producteurs artisanaux de herve, mais l'un des deux vient de se faire prendre par la patrouille de la modernité, par les paranoïaques de l'aseptisation, ceux qui ne comprennent pas que sans défenses naturelles nous ne sommes plus rien. Ce producteur, on lui a cherché des poux dans la tête, des listeria, des pécadilles pour contrôleur vétilleux, et il veut arrêter. "Parce que vous comprenez, la sécurité alimentaire…"
Je ne sais pas si la frite est vraiment belge, et peu m'importe le folkore, mais le fromage de Herve, notre compagnon de traversée, lui, pue le terroir. Oui, je sais, c'est facile de dire que ce fromage sent "un peu". Pourtant, quelle délicatesse! Quel bonheur au regard de l'immonde fumet que dégagent les fromages industriels, les Philadelphia et autres "fromages analogues", ces Frankenstein de la crémerie dont je ne veux même pas pour ma poubelle de peur qu'ils ne la détériorent. Quand nous les défendons, les vrais fromages, les fromages au lait cru, je suis désolé, ce n'est pas grandiloquent, mais c'est notre culture, notre patrimoine que nous défendons.


Je crois que monsieur Munnix, le fromager qui veut tout plaquer, en a tout simplement plein le cul. Comme on l'entend trop souvent chez tel ou tel artisan, chez tel ou tel restaurateur, chez tel ou tel vigneron. Comme nous sommes des millions à en avoir plein le cul de normes stupides, soit-disant européennes, qui ne servent à rien si ce n'est à faciliter la vie de multinationales qui nous la pourrissent. En plus, là, ça se passe en Belgique, au pays de Bruxelles, de cette Europe sur laquelle les aigris de tout poil, les nationalistes haineux se font un plaisir de cogner à bras raccourcis. Beau cadeau!
Moi, j'aime le fromage de Herve, et j'aime l'Europe. Cette Europe de paix, on ne va pas laisser des lobbyistes, des politicards et des fonctionnaires nous la bousiller! Souvenez-vous de ce que j'écrivais au début de cette chronique, la nausée après avoir remonté la Voie sacrée! Souvenez-vous de ces célébrations du 8 mai il y a une semaine! L'Europe, elle aussi, est sacrée, rendons-la moins con, apprenons-lui à foutre la paix (notamment) à nos fromages. Ainsi, Bruxelles retrouvera la frite. 




* Entre la patate arrivée d'Amérique du Sud, consommée tardivement par les humains, et ce mode de cuisson sudiste, la friture, on a des doutes sur la belgitude de la frite. Doutes confimés par l'université de Liège.
** Depuis, la caviste-blogueuse belge, Sandrine Goeyvaerts lui a emboîté le pas.


Un noir vaut pas mal de blancs.

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Il paraît (c'est l'encyclopédie-patchwork Wikipedia qui l'affirme) qu'en russe, on dit "белая ворона", "corneille blanche". "Mouton noir", dans ma langue natale, moi, ça me plaît. Ce côté différent du troupeau, pas dans le rang, un peu anar sur les bords.
Malheureusement, des moutons noirs, il semble qu'on en trouve de moins en moins, surtout sous nos latitudes. Panurge triomphe dans toutes les langues, y compris celles qui ne veulent rien dire. Même ceux qui se revendiquent "alternatifs" sont souvent d'un conformisme, d'une bien-pensance benoîte à faire se gondoler une dame patronnesse. La communication de masse aidant, on pense en masse, de peur de se blesser, pour éviter les risque inutiles. Bref, la pensée occidentale moderne, française notamment, fait rarement rêver, quitte à contredire Antoine Blondin qui, candide parmi les candides, se persuada que "l'homme descend(ait) du songe"…


Revenons à nos moutons, à ce qui se mange ou se boit, et qui n'échappe pas au marasme. D'où le plaisir de saluer un Mouton noir, en français dans le texte bien que né aux Amériques. Pour son énergie, pour sa fraîcheur, pour ne pas tomber le discours moralisto-politique dans lequel une partie du Mondovino est en train de s'ensabler.
Mouton noir, c'est le projet d'André Hueston Mack (ci-dessus), un touche-à-tout passé par la finance et devenu ensuite, à trente ans, sommelier de restaurants à la mode, The French Laundry et Per Se de Thomas Keller. Au début, il a eu l'idée de griffer des cuvées de vin d'Oregon destinées à alimenter les tables new-yorkaises, d'où cette marque, Mouton noir, qui réunit désormais une winery et une ligne de T-shirts*.


Quoi? De la fringue et du pinard? Le Sentier envahit les Chartrons? 
Rien de tout ça, je crois. C'est bien sûr du business, du business à l'américaine, mais il n'y a qu'en France qu'on a honte de ça, non? En tout cas, ça ne sonne pas faux quand André Hueston Mack évoque ça, quand il explique qu'il veut exprimer une espèce de subculture du vin, cousine de celle du skate et du punk-rock américain (dont est issu le graphisme de ses T-shirts**) et de ses étiquettes.
Et ça, ça me parle, car on est loin, avec Mouton noir, de la vieille odeur de renfermé qui se dégage trop souvent de l'univers confiné du vin. On est loin des chapelles, des sectes, des coteries, aux antipodes de la consanguinité pinardière, de ses nobliaux en plâtre et de ses révolutionnaires préfabriqués. On sent au contraire de l'allant chez ce type, le désir d'aller vers l'autre, et surtout si l'autre ne sait pas ce qu'il y a dans la bouteille. Bref, il se comporte comme le vrai sommelier qu'il a décidé un jour de devenir, pas comme ces petits trou-du-culs hautains qu'on croise ici et là, qui vous expliquent la vie du haut de leurs vingt-trois bouteilles d'expérience et de leurs certitudes mal acquises.
Cette sensation est bien sûr renforcée par le graphisme des étiquettes, leurs messages même qui tranchent avec les codes du secteur. Bon, sur le napperon en macramé de tatie Germaine, ça peut déchirer grave, mais, l'essentiel, c'est qu'on voit vraiment que le type, même s'il multiplie les clins d'œil au Mondovino (et même les gentilles moqueries***) ne se prend pas trop au sérieux. Ça repose…


Alors, bien sûr, il y a la fringue, les étiquettes (remarquables, je parlais de l'une d'elles, O.P.P., ici), restent les vins produit par Mouton noir. Ils sont produits sur plusieurs beaux terroirs de l'Oregon, certains cultivés en bio. 
Ce que j'ai goûté et bu "ne faisait pas américain", O.P.P. pinot noir, par exemple: pas une énorme matière, du fruit, aucune sensation d'élevage-bois, on est plutôt à l'opposé de la caricature; l'idée, c'est d'en ouvrir une bouteille, de la boire et d'en déboucher une seconde. Tout ça ne me semble pas une mauvaise politique, je trouve même ça rafraîchissant dans cet univers que rend souvent ennuyeux la sur-abondance de moutons blancs.




*André Hueston Mack projette maintenant d'ouvrir une galerie d'art, liée au vin, évidemment.
** Je vous conseille notamment, ça fera un tabac en France, le modèle I ♥︎ SO2 (ci-dessous).
*** Rien que ce nom, Mouton noir, qui pourrait faire tousser du côté de Pauillac. Mais finalement, n'est-ce pas aussi un hommage à cette époque où le château du Pouyalet fut, sous la houlette de Philippe de Rothschild, un monument de créativité?

Fidèle, et actuel. Vivant.

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C'est un jour où l'on n'a plus que ses yeux pour pleurer. On se sent sale. Sale du mensonge de l'autre, sale de sa trahison, de sa médiocrité plus encore que de sa bassesse. Loi de Murphy oblige, à la déception (car on est davantage déçu que trompé), s'ajoute un vilain bruit de fond, un grésillement, celui des reîtres qui enfin se rêvent hussards: telle une armée de soudards bigarrée, les aigris, les frustrés, les cocus, attirés par l'odeur du sang, croient enfin tenir leur vengeance, espèrent le coup de grâce. 
Alors, arrivent dans votre boîte-à-lettres ces quelques mots, les mots d'un boulanger.


Ces mots, ce verset*, c'était il y a un an jour pour jour. Beaucoup plus me semble-t-il. Du creux de mon verre s'échappe un parfum de vieille rose. Les roses que l'on devinait dans les anciens parfums de la maison Caron, la vieille rose avec un pointe poudrée, le sillage de ces femmes que l'on n'osait pas encore embrasser. Ou la rose d'Ispahan, car ce jus parle d'Orient, d'un Orient d'avant l'aliénation**.


Les anniversaires ne veulent pas dire grand chose. Ce n'est pas du calendrier ou de déboires passés que me parle ce vin de méditation: le temps, il s'en fout, sa jeunesse est devant lui. Il me ramène aux mots, bibliques, du boulanger. Pas à l'évangile de Matthieu, il est trop sensuel pour ça. Enjôleur, "féminin" aurait-on lu dans des bouquins plus antiques encore que l'Ancien Testament. Mais je me dis que c'est la main d'une femme qui l'a écrit. Cantique des cantiques? Lisez, (écoutez aussi)…

Reviens, reviens, ô Sulamite ! Reviens, reviens : que nous t’admirions ! 
– Qu’admirez-vous de la Sulamite tandis qu’elle danse au milieu des deux chœurs ?
Comme ils sont beaux, tes pieds, dans tes sandales, fille de prince ! 
Les courbes de tes hanches dessinent des colliers, œuvre de mains artistes.
Ton nombril : une coupe ronde où le vin ne tarit pas. 
Ton ventre : un monceau de blé dans un enclos de lis.
Tes deux seins : deux faons, jumeaux d’une gazelle.
Ton cou : une tour d’ivoire. 
Tes yeux : les vasques de Heshbone à la porte de Bath-Rabbim, et ton nez, comme la Tour du Liban, sentinelle tournée vers Damas.
Ta tête se dresse comme le Carmel. Sa parure est de pourpre ; un roi s’est pris dans ces tresses.
Ah ! Que tu es belle ! Que tu es douce, amour, en tes caresses !
Tu es élancée comme le palmier, tes seins en sont les grappes.
 J’ai dit : je monterai au palmier, j’en saisirai les fruits. Tes seins, qu’ils soient comme des grappes de raisins, ton haleine, comme une odeur de pomme,
ta bouche, un vin exquis… 

Tout cet amour, tout ce désir, cette violence contenue, je les retrouve dans mon verre, l'Orient des mages et de la myrrhe, beau comme dans les contes, pur, "féminin", je le répète.
Pourtant, je veux bien croire que, de prime abord, le versant féminin de celui qui en vingt ans de travail acharné a construit ce vin ne saute pas yeux. Marc Valette, à Saint-Chinian, un homme en vrai, avec une vraie vie, une gueule, ce qu'il faut de combats, plus encore que ce qu'il faut même. Les emmerdements, les coups du sorts, il connaît. Pourtant, le Maghani 2012 que je bois ne raconte pas ça, il ne geint pas, ne soufre pas. Frais, aérien, fin, dégagé des contingences et du poids de l'existence, il s'élève, préfère la poésie aux larmes.


C'est une leçon, en fait, que donne ce vin. Surpasser ses douleurs, chercher la lumière et progresser. Toujours progresser. Se remettre en question, ne pas se laisser aller à la facilité, aux habitudes. 
Pour parler pinard, et vous situer le débat de façon prosaïque, il y a autant d'écart entre ce Maghani 12 et un Maghani 95 qu'entre, par exemple, un 95 de Gauby et sa production actuelle. Avec des accents, une nature, des caractères différents. Ce 2012 m'avait impressionné en janvier, dans de drôles de circonstances, je voulais le regoûter pour en avoir le cœur net.
Mon verre est plein de phrases silencieuses qui coulent des forêts et des montagnes vierges du Haut-Languedoc, comme Marc Valette, pudique, il raconte sans en rajouter, mais dit tout ce qu'il a à dire. Il ne trahit ni son sol, ni son histoire, ni ses rêves. Oublieux de rien, il est fidèle, et actuel. Vivant.



* Matthieu 7 : 6. 
** Omar Khâyyâm, Quatrains, XXVII.



Bu dans l'après-midi

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À Las Ventas, le jeune matador de Málaga, Saúl Jiménez Fortes est passé à quelques millimètres de la mort. La corne de son second toro, un Salvador Domecq de Vejer de la Frontera, a traversé sa gorge de part en part, évitant par miracle la carotide et la jugulaire. Pour le tranquilliser (car il souhaitait retourner combattre), les médecins lui ont fait croire qu'il ne s'agissait que d'une simple coupure, puis l'ont opéré immédiatement dans l'infirmerie des arènes. Pas de fièvre, selon La Opinión de Málaga, Jiménez Fortes a dormi, il récupère au mieux de sa blessure.
Les croyants ont prié pour lui, les superstitieux ont brûlé des cierges à la Virgen de La Carmen, d'autres ont du rejoindre le temple andalou de Madrid, La Venencia, au numéro 7 de la calle de Echegaray, juste à côté de la Puerta del Sol. Le vin de Jerez, Montilla-Moriles ou Sanlucar de Barrameda équivaut de toute façon à un dialogue direct avec l'esprit et le sacré.


Nous reparlerons bientôt des finos, palos cortados, des manzanillas, j'ai en effet la chance de participer au Sherry Festival, le festival de Cannes de ces vins que le profane trouve étranges. Là, en lisant le bulletin médical du torero malagueño, j'ai bu un vin qui m'a interpelé, une sorte d'OVNI, de truc qui n'existe pas mais qui du haut de sa bizarrerie m'a rappelé la beauté presqu'africaine de Sanlúcar de Barrameda, et surtout cette façon qu'ont certaines femmes de claquer la langue (sans que je ne sache s'il s'agit d'un signe de satisfaction ou de désapprobation) quand elles ont avalé un verre de blanc muy seco.
Car, il y a une dimension "physique"à la dégustation de ce vin, du tactile qui vient heurter la langue, quelque chose comme le souvenir granuleux des lies (des lies, il doit en rester de toute façon, vue la turbidité du jus), souvenir qui se transforme ensuite en une sensation acide, un peu similaire à celle de cette poudre que je trouvais gamin dans des bonbons en pâte d'hostie, héritiers du Mistral gagnant. Mais est-ce réellement une sensation acide, ou n'est pas plutôt ce "goût de craie" auquel on peut penser parfois, en Champagne notamment.


Pour compléter la palette des sensations offertes parce vin, outre le citrique, utilisons un mot qu'il est utile de connaître désormais, en France, pour jouer à l'œnophile, ce vin bizarre est profondément salin. Là, ce n'est pas une figure de style, un mot à la con pour briller en société: pendant que l'olivier filtre la lumière de la Méditerranée et me fait penser à celle de l'Océan sur la craie, je songe en le buvant à cette dernière vague blanche (la première quand on arrive de Séville), crayeuse justement, sur laquelle est posée Sanlúcar.


Alba, c'est le nom de ce vin sur lequel je ne sais pas grand chose* si ce n'est qu'il a été élevé, initié, sept mois dans de vieilles botas, de vieux demi-muids de manzanilla, lesquels laissent l'empreinte de la crianza biológica. L'étiquette est par ailleurs mutique, un brin illégale. Sûrement s'agit-il d'un vin d'Espagne (l'ex-vin de table), on apprend qu'il est né de ce terroir si particulier, de cette dernière vague blanche, ultra-calcaire, composée de poussière de craie, de kaolin, d'argile, de chaux. C'est un 2013, un "sobre tabla", qui sont à la manzanilla ce que le vin clair est au champagne, un vin de l'année. Il exprime sans la violence de l'alcool, avec 11,2%.vol seulement, toute la grâce, el duende de ce grand cépage finalement méconnu en tant que tel qu'est le palomino fino, le listán**. Là, il parle librement, se livre dans cet OVNI que je verrais bien nous accompagner dans une virée par les bars et les bistrots de Sanlúcar de Barrameda. Je crois d'ailleurs que pour le comprendre, il faut une fois dans sa vie avoir croqué dans une tortillita de camarones*** brûlante. Il faut avoir regardé mourir avec grâce le Guadalquivir. Et s'en souvenir en regardant pousser un vieil olivier, comme ce gamin de vingt-cinq ans se souviendra de cette fin d'après-midi sanglante sur le sable de Las Ventas.




* On m'a donné une fourchette de prix, il coûterait entre dix et quinze euros prix public. ne me demandez pas où en acheter, seule ma femme le sait.
** On connaît mal le palomino en dehors des vins fortifiés, c'est dommage. J'ai ainsi un souvenir en Languedoc, d'un domaine du Minervois, le Château Tourrilà Roubia, qui en produisait un blanc, il faudrait que j'y retrempe les lèvres s'ils le font toujours.
*** Il s'agit d'une petite crêpe/omelette frite incrustée des minuscules crevettes de l'embouchure du Guadalquivir, cousines des esquires de Gironde.





Le pique-nique de Diogène.

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Aller casser la croûte dans les vignes, ça réjouit généralement l'amateur de vin. Un de mes plus charmants souvenirs de Saint-Émilion (sous cette orthographe), reste par exemple une ventrêche grillée sur les sarments à dix heures du matin dans un bosquet, sous Mondot, entre Pavie et Larsis. De mémoire, nous buvions du Pavie-Macquin 92, millésime qui se prêtait formidablement à l'exercice, dans des Duralex. Nous étions là comme des gamins, à manger avec les doigts, maculant nos verres de graisse, laissant libre cours à une joie que nous sommes allés pisser dans le merlot voisin.
Bizarrement, c'est un communiqué de Presse qui me remémore ce moment, le genre de littérature qu'on parcourt souvent d'un œil discret, mais qui parfois… Celui-ci provient, via Guillaume Lapaque, du Syndicat des Vins de Bourgueil et il m'apprend "qu'après soixante ans de bons et loyaux services passés à élever des vins de Bourgueil, un foudre de bois de cent-huit hectolitres est devenu un original abri pour accueillir les pique-nique des touristes qui sillonnent le Val de Loire et l'appellation Bourgueil. Ce tonneau à pique-nique est installé en haut du Mont-Sigou, un panorama sur la Loire et le vignoble. Rabelais raconte que c'est Gargantua qui, décrottant ses bottes au retour des Guerres picrocholines, aurait donné naissance à ce mont."


Eh bien moi, je trouve ça amusant! Populaire et pratique, à l'opposé du vin qui se la pète. Quoi de plus sympathique que de faire le marché, de dénicher ces belles victuailles locales, ces trésors que recèlent les étals de campagne et dont nous privent trop souvent les restaurateurs, même hors des villes*, harcelés qu'ils sont par des normes crétines, perverses, pressurés par un air du temps destructeur, obsédé par une rentabilité à courte vue qui les pousse à pousser des caddies. Quoi de mieux que de les dévorer sur place, au milieu des vignes dont on boira bien sûr en même temps le vin, avec ou sans Duralex**. À la façon de Diogène, en plus, dont certains affirment qu'il était hédoniste et débauché, bien plus drôle en tout cas que le sévère Épicure!
Bravo, donc, et merci au Domaine Lamé-Delisle-Boucard*** pour avoir planté ce "tonneau à pique-nique" au Mont-Sigou. Quelle belle idée en plus à Bourgueil, dans cette appellation dont le breton est (pensons à Carmet) une incitation quasi criminelleà la convivialité****.




* Profitons-en, alors que nous célébrons le pique-nique, pour saluer le restaurateur du coin, Vincent Simon, surnommé "Vincent Cuisinier de Campagne", installé lui aussi à Ingrandes-de-Touraine, et qui lui met en avant la production locale. Je n'ai pas pu déjeuner chez lui la dernière fois, c'était fermé, mais je me languis de le faire…
** Pour les plus délicats, nul besoin de rappeler l'existence de malles à pique-nique so british où l'on boit dans du cristal et mange sur de la porcelaine.
*** Avant d'inventer comme le dit le communiqué "le premier tonneau à pique-nique de France", Philippe Boucard, le vigneron, et Vincent Simon, le cuisinier, avaient déjà innové en installant dans une parcelle de vignes, au pied du Mont-Sigou, 250 poules chargées de l'entretien du vignoble.
**** À tel point que je me demande si ce n'est pas là qu'il faudrait que j'aille cueillir les raisins de ma prochaine cuvée Interdit aux snobs!


Le Roundup, même pour la drogue on n'en veut plus!.

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Le Roundup, en agriculture, c'est une signature. La signature des cancres. Tenez, allez vous balader dans les vignes, nous sommes en pleine saison, d'un simple coup d'œil, vous pouvez repérer les gros dégueulasses, ceux qui vous font, comme sur l'image du bas de cette page*, l'automne au printemps. Parce qu'il ne s'agit pas de "stigmatiser" comme aiment le répéter les perroquets de la boîte-à-cons, il ne s'agit pas "d'excommunier" ceux qui n'ont pas encore fait leur conversion vers l'agriculture biologique. Au delà de cette conversion, bien avant d'en arriver là, le désherbage chimique, au glyphosate, à la salaud, c'est une des pires horreurs agronomiques**. Une horreur d'abord pour le viticulteur ou l'ouvrier agricole qui doit passer ce poison sur sa terre, une horreur ensuite pour l'environnement et particulièrement pour les nappes phréatiques qui le récupèrent, après ruissellement. Car, avant même le buveur de vin, c'est le buveur d'eau qui ingurgite cette saleté.


Est-il nécessaire de revenir sur les dangers du Roundup? L'Organisation Mondiale de la Santé, par le biais de son agence officielle, le Centre International de Recherche sur le cancer, a dit ce qu'elle avait à en dire il y a moins de deux mois. En compagnie de deux insecticides, le diazinon et le malathion, il est désormais classé dans la catégorie 2A (c’est-à-dire "cancérogènes probables"), dernier échelon avant la qualification de "cancérogène certain". Découvert en Suisse dans les années cinquante puis produit sous licence exclusive par Monsantoà partir de 1974, le glyphosate, son principal ingrédient, est en effet l’herbicide le plus utilisé au monde et le plus souvent retrouvé dans l’environnement. "Aux États-Unis, une étude publiée en 2011 par l’US Geological Survey a montré que dans certaines régions, le glyphosate était présent à des niveaux mesurables dans les trois quarts des échantillons d’air et d’eau de pluie analysés" explique Le Monde qui consacre un article à la décision de l'OMS.


En agriculture, mais pas seulement, la plupart des gens responsables ont donc décidé de tirer un trait sur le Roundup. Six cents communes en France ont arrêté de l'utiliser pour leurs espaces verts***, ce qui donne l'exemple aux particuliers qui continuent souvent d'en user et d'en abuser. Mais pour situer le débat, quoi de mieux que le dernier exemple en date, celui de la Colombie: dans sa guerre contre les narco-trafiquants, notamment ceux les guérilleros révolutionnaires des FARC, Bogota a jugé raisonnable (à la suite de l'Afghanistan et du Mexique) de ne plus détruire les champs de coca à coup de glyphosate. Le président Juan Manuel Santos vient en effet d'ordonner la suspension des aspersions aériennes de ce produit.


Du coup, comme l'explique la presse colombienne, "le Conseil national des stupéfiants a annoncé la création d'un comité pour étudier d'autres pistes que ce pesticide industriel, à l'origine, selon des experts, de problèmes dermatologiques et respiratoires ainsi que d'avortements. Il est question d'utiliser un autre herbicide, non toxique, même si pour l'instant aucune solution concrète n'est apparue. Certains prônent un lâcher de papillons de l'espèce Eloria Noyesi dont la particularité est de s'alimenter de feuilles de coca. 
Fini, en tout cas le Roundup en Colombie. Peut-être serait-il temps pour les derniers récalcitrants, en France, de s'inspirer de l'exemple sud-américain…




* Photo prise en Champagne et signée Christophe Landry.
** Il existe des méthodes plus discrètes que le glyphosate, les herbicides de prélevée qui eux ne s'attaquent pas aux feuilles mais vont tuer les herbes dans la terre, en faisant également des dégâts considérables à l'environnement.
*** J'ai été stupéfait en revanche il y a quelque temps dans un petit village de l'Hérault très "écologiquement correct" de voir l'employé municipal passer dans les rues, au milieu des passants, et d'asperger les bas-côtés de désherbants. "À l'ancienne"…


Think different.

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Les pommes, finalement, illustrent bien ce que je veux dire. Bien avant mon premier Mac ou mon premier ailPhone*, j'ai vécu leur diversité. Je n'en connaissais pas encore les noms, mais on distinguait les pommes à croquer, celles à compote, d'autres dont ma grand-mère faisait de délicieuses tartes, les petites cabossées et astringentes qui finissaient au pressoir… Les brochures officielles, celle qui nous recommandent (sans nous donner envie) de manger cinq fruits et légumes par jour, m'expliquent doctement qu'il existe "trente variétés de pommes cultivées en France". En réalité (en cachette?), on en recense plus de sept-cents rien que dans l'Hexagone, miraculeusement préservées pour certaines dans des vergers conservatoires dont on ne dira jamais assez l'extraordinaire utilité. 


Oui, moi qui suis un peu rustre, réfractaire en tout cas au polissage urbain, j'aime ce que me raconte ce fruit rustique et polymorphe. J'aime son culte de la diversité, et de la différence. Différentes variétés, différents usages et, différents goûts, qu'il s'agisse du goût de la pomme ou de celui qui la mange. Tous les goûts sont dans la Nature. Y compris dans la mienne.
Voilà pourquoi j'aime ce que je ne connais pas encore. Et j'aime par dessus tout qu'on me le fasse découvrir. Pour quitter la pomme, et aller vers le raisin, dans sa version jus fermenté, j'adore qu'un caviste (ou un sommelier) me guide vers des vins inconnus, des trucs qu'il est allé dénicher et qu'il est "le seul"à pouvoir m'offrir, qu'il me surprenne, m'étonne. C'est même le fondement de son pouvoir, sa raison d'être. Vous comprenez bien qu'un type qui vous propose la même bouteille que ses voisins, autant, pour se rassurer et voir des étiquettes connues, aller pousser un caddie ou fréquenter une chaîne de distributeurs de boissons comme Nicolas, la filiale de Castel.


Cette courte réflexion m'a été inspirée par une merveilleuse syrah que j'ai bue comme un trou. La bouteille n'a pas tenu dix minutes montre en main. Quel jus splendide! À la fois dense et frais, charnu, tenu par une magnifique colonne vertébrale atramentaire, par des amers de grande qualité qui venaient souligner la précision du fruit. Un peu le style de Gonon: rigueur et gourmandise. Il a fallu immédiatement, entre gambas rojas et secreto ibérico, déboucher la seconde pour vérifier que ce n'était pas un mirage. Et ce n'en était pas un!
Domaine des Entrefaux 2012, le crozes-hermitage de la famille Tardy à Chanos-Curson. J'ai le vague souvenir d'avoir croisé ce vin mais je ne sais plus où et quand. On me dit en plus que ce délice vaut quatorze euros. Si on ne l'avait pas versé dans mon verre sans me demander mon avis, si on s'était contenté de jouer au jeu des marques et des noms, de tourner le dos à la diversité, je ne l'aurais sûrement pas bu, et je le regretterais. Heureusement pour moi, quelqu'un a décidé de penser différemment. Je l'en remercie.




* Qui sont d'ailleurs devenu d'un conformisme… Cela dit, leur réussite prouve aussi que l'on peut gagner sans suivre le troupeau.

Le retour des vilaines images.

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Les "saints de glace" sont à peine derrière nous que déjà l'on reparle de cet autre fléau, de cet épée de Damoclès qui pend sur la tête des vignerons: la grêle. Et ça commence tôt en ce millésime 2015! La semaine dernière déjà, quarante-cinq vignerons de Dambach-la-Ville près de Strasbourg ont vue leurs parcelles hachées menu par un terrible orage. Selon l'Association des Viticulteurs d'Alsace, soixante hectares ont été touchés, et la perte est estimée à 350000 bouteilles. Évidemment, une petite partie seulement des sinistrés est assurée, compte tenu du coût prohibitif de ces dispositifs.


Hier soir, mercredi, c'est à nouveau en Alsace, mais dans le Haut-Rhin, à Ammerschwihr, près de Colmar que la grêle est tombée. Située entre Kaysersberg et Turckheim, cette commune abrite de nombreux vignerons dont Binner et Adam. Il est trop tôt pour évoquer d'éventuels dégâts, ce serait assez localisé, mais les images postées par un lecteur des Dernières Nouvelles d'Alsace ne sont guère encourageantes.
Courage aux vignerons, en espérant d'une façon plus générale que le Ciel soit clément ce millésime 2015, après quelques années compliquées.




Le cauchemar des buveurs d'étiquettes.

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Le bar, situé au 21 de la calle de San Mateo, près du Tribunal, vient d'ouvrir mais déjà le tout-Madrid liquide en parle. Mikel López Itturiaga est dithyrambique dans El País qui parle carrément "d'espérance pour l'humanité buvante". 
Pourquoi? Parce que sous ses (élégants) dehors de rendez-vous pour hipsters, Macera cache un concept assez novateur: contrairement à ses concurrents, il ne sert pas d'alcools de marque. Ici, pas de gin Hendrick's, Bulldog ou East London Premium, pas de vodka Purity, Pur ou Absolut, aucun de ces alcools dont le contenant coûte plus cher que le contenu. "Les étiquettes, nous les écrivons avec nos clients explique joliment le propriétaire Narciso Berjemo. Nos cocktails sont des mélanges de boissons, pas de marques." 


Et effectivement, à Macera, sur les étagères, le marketing habituel, tapageur est absent. On se croirait dans une vieille boutique d'apothicaire, ou un estaminet de l'époque du cinéma en noir et blanc. Narciso Berjemo, barman célébré et primé dans sa vie antérieure, confie qu'il était devenu un "commercial", qu'il "était engagé dans une course folle pour mettre en avant des marques que son entourage ne pouvait ni ne voulait se payer. Mon travail, c'est de mixer, pas de vendre des positionnements de multinationales".


Les boissons servies sont, comme l'indique le nom de l'établissement, des macérations, des infusions d'herbes, d'épices, de fruits ce qui nous ramène à la Chartreuse et à tant de liqueurs célèbres, notamment outre-Pyrénées. L'alcool pur provient lui de distilleries espagnoles "de toda la vida" comme celle, barcelonaise, de la famille Giró*. Ici, il est question de cannelle, d'oranges, de citrons, de gingembre, de menthe, de genièvre, de mélisse et d'essences naturelles. Le discours de Narciso Berjemo, né dans un bar-cave de la banlieue de Gijón, est d'ailleurs presque politique quand il explique "qu'il faut sublimer les produits les plus humbles", faire beaucoup avec peu, ce qui est très espagnol. Tous les cocktails sont donc vendus sept euros. "Sept euros, ce n'est pas si bon marché que ça, il faut que se souvenir que ça équivaut à mille pesetas, et qu'il y a des familles qui mangent plusieurs jours avec ça. Nous vivons à une époque à laquelle les boissons sont les plus chères de toute notre histoire récente".


Qu'il y ait une part de marketing, d'opportunisme voire de snobisme, pourquoi pas? On a d'ailleurs tout à fait le droit de trouver que finalement des marques sur des bouteilles, c'est aussi ringard, aussi vulgaire que ces logos trop voyants sur certaines fringues. La sobriété est tendance, surtout quand elle est aussi bien packagée que dans ce bar (avec notamment un superbe logo qui explique la notion de "cœur de chauffe").
À cela s'ajoute l'exclusivité de la démarche. À Macera, le barman, ou même le mixologue (ça me fait toujours penser au mycologue…) devient bien plus qu'un simple loufiat, le voilà alchimiste, magicien. C'est tout à fait autre chose!


Vu sous cet angle, Macera dynamite ce qui plombe la fameuse mixology dont on nous rebat désormais les oreilles (à grand renfort de subventions ricardiennes) dans les salons branchés. Ce qui en tout cas constitue pour tous les esthètes sa limite : la matière première qu'utilisent les rois des cocktails est en fait la même merde industrielle** que celle que boivent Kevin et Jessica dans les boîtes ringardes de banlieue***. Et ça, si on y regarde de plus près, ce n'est pas très exclusif! Au contraire de la voie semi-artisanale, du "fait-maison", du casero, empruntée par Narciso Berjemo.



* Qui a notamment mis au point le Gin Mare qui tente de percer à Barcelone.
**Alors bien sûr, ici et là, des petits tentent de grappiller des parts de marché, d'exister à côté des trusts planétaires, ainsi La Distillerie de Paris montée par les deux fils de la famille aveyronnaise Julhès (qui vend du vin du fromage et tant d'autres choses rue du Faubourg-Saint-Denis). Un réponse plus crédible en tout cas que les cuvées "ultra-super-premium" des multinationales de l'alcool qui déploient des efforts colossaux pour inventer des packaging susceptibles de justifier de démentes augmentations de tarif pour leurs distillats industriels.
*** Un peu comme si de grands cuistots étoilés bricolaient leurs recettes avec de la merde de chez Métro ou Davigel et l'arrosaient ensuite de Margnat-Villages! Je n'ose même pas y penser…


Nouveau! Le thème astral pinardier!

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Parfois je me dis que les femmes auront gagné la partie le jour où aura disparu le dernier magazine… féminin. Oh, je ne vais pas charger de tous les maux cette presse épilée, maquillée, liftée, vernis, coiffée, permanentée, fringuée, botoxée, psychanalysée… Je ne vais même pas dire de mal de ses recettes de cuisine, y compris des fiches que collectionnait jadis ma mère dans une boîte en métal orangé, très sixties. Non, si j'y pense, ce n'est pas non plus à cause des aisselles naturelles de Madonna, de son pied de nez à un univers photoshopé qu'elle abondamment fourni. C'est juste un horoscope rose-bonbon qui m'y a conduit.


Parce que s'il y a bien une invention de la Presse féminine, c'est l'horoscope. Cette page débile, ce miroir aux alouettes où l'on fait appel à tout sauf à l'intelligence et qui devrait valoir à n'importe quelle publication d'être évacuée de l'univers journalistique, pour insulte à la crédibilité. Si l'on en croit le très sérieux ouvrage La croyance astrologique moderne dirigé par le sociologue Édgar Morin, c'est dans les années trente qu'apparaissent les premiers horoscopes. D'abord dans Le journal de la Femme, puis dans Ève et le célèbre Marie-Claire auquel emboîteront le pas tous les titres actuels dont aucun ne se prive de cette page essentielle à l'amélioration de la condition féminine.


Mais là, ce n'est pas dans un magazine féminin que j'ai trouvé l'horoscope au rose-bonbon si girly auquel le jury unanime accorde la palme d'or du  Festival de Connes. Il m'est arrivé au courrier, m'invitant à découvrir une formidable innovation qui, c'est évident, va révolutionner la vente du vin. 
Certes, je ne suis pas tout à fait cœur de cible, mais je dois dire que je me suis marré de voir à quel point on pouvait prendre le client pour un con. Le temps de me souvenir de mon signe astrologique (bélier ascendant poignée de porte si ma mémoire est bonne), j'ai cliqué sur le bonbon rose correspondant afin de découvrir les vins qui étaient faits pour ma pomme. Que du bonheur*! Alors que je m'apprêtais à déboucher un aimable trousseau, j'ai appris que mon truc, c'était les "vins secs et puissants". Comme quoi on ne s'écoute pas assez…


Bon, je vous mets le lien ici, afin que puissiez partir à la découverte de votre subconscient pinardier et faire le thème astral de votre verre, vous ne serez pas déçus.
Les cavistes, même les plus acariâtres, n'ont qu'à bien se tenir, le vieux VRP à la cravate étoilée de graisse, Gitanes au bec, qui tentait de vous fourguer son chambertin algérien avec une poignée de noix est battu, je suis persuadé que nous tenons là le concept du siècle en matière de commerce du vin!



* Pour être parfaitement honnête, il y avait un "intrus" dans la liste qui m'a été proposée, j'étais même assez étonné de le trouver en cette compagnie.



Une chose et son contraire ?

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J'aime beaucoup cette image. Ça se passe à Barcelone, en début de soirée. À gauche sur la photo, on reconnaît l'œnologue-vigneronne Dany Rolland, à droite, le bistrotier Benoît Valée. Dany Rolland, si j'en crois ce qu'il m'arrive de lire ici et là sur les grands péchés* du vin, c'est le Diable; elle et son mari Michel ont à eux seuls précipité les crus de Bordeaux (et de tant d'autres contrées) dans les flammes de l'Enfer. Benoît Valée, qui avant de vendre des bouteilles a vraiment travaillé à ce qu'on mettait dedans, chez Barral notamment, a éveillé la capitale catalane au naturisme pinardier; on m'a expliqué qu'il était intransigeant, obtus, borné.
J'aime beaucoup cette image, et les autres de cette série, parce qu'elles symbolisent quelques unes des valeurs à mes yeux les plus précieuses de celles véhiculées par la civilisation du vin: la convivialité, le respect et le partage. Il n'est rien de dire que Dany et Benoît n'ont pas exactement la même vision de ce qu'ils ont envie de boire. Et alors?


Ce soir là, je m'étais régalé d'une verticale de Fontenil, le fronsac rollandien, avec une tendresse toute particulière pour certains millésimes que la condescendance des mesureurs de quéquettes se plaît à qualifier de "petits". Vais-je être excommunié pour ça par les inquisiteurs du naturisme intégriste? Dois-je moi aussi brûler dans les flammes de l'Enfer, ou plus précisément être envoyé en camp de rééducation comme le souhaiteraient sûrement les commissaires politiques dont les vociférations tentent depuis quelque temps de confisquer le débat pinardier**, à Paris notamment? Le niveau général de la discussion me rappelle un peu ces AG de mineurs ou de cheminots où la grève se vote à main-levée pour intimider les "jaunes". Ou le grand apport des Staliniens à l'avancée des idées dans les années cinquante. Bref, la violence militante me fait sourire, singulièrement celle des nouveaux convertis qui tentent d'exister en poussant le volume, plus encore celle de petits commerçants vaguement cidunatistes, plus rougeauds que vraiment rouges, dont l'ouverture d'esprit me dit qu'il est urgent de relire Uranus et Le confort intellectuel


Après les Fontenil, il a bien fallu continuer à se désaltérer et faire boire à Dany les vins de Benoît. Je me souviens que c'est d'abord un Clos Cristal qui a fait les frais de notre soif. Bu dans cette rue de décembre, carrer dels Vigatans, sur la barrique, nimbé de la fumée bleue des cigarillos. Ensuite, je ne sais plus si c'était du rouge de Jeff, du Paf la syrah, ou du pineau d'Aunis. C'est vrai que les pineaux d'Aunis, entre Le verre des poètes et Lucky, on en boit pas mal à L'Ànima, et que j'adore ça!
Peu importe ce que nous avons débouché, le vin était là, autour duquel nous étions réunis. Non, pardon, qui nous réunissait au lieu de nous diviser. Qui libérait la parole au lieu de l'enfermer. Au lieu d'exclure.


Libérer, c'est le mot. Libérer les mots des phrases et des idées toutes faites. Libérer et mélanger. Les gens, les vins. Se préserver le droit, essentiel, de boire ce qui nous fait envie et pas ce que l'on doit boire, comme si l'on se retrouvait, en plein cauchemar, acteur d'une nouvelle de Kundera., 
Quelle liberté, quelle chance de pouvoir boire une chose et son contraire. Ce qui ne signifie pas forcément penser une chose et son contraire. Être libre, ça ne signifie pas ne pas avoir de convictions, de principes. Accepter l'autre, avec ses différences, ça n'implique pas de se métamorphoser en mollusque. Au contraire, on confronte des idées, on est d'accord ou pas, on évolue aussi parfois. Et l'on se protège de cette consanguinité qui engendre des tarés, des monstres même parfois.



* "Les grands péchés", c'est une référence à un de mes comiques préférés Mehdi Kabir, l'imam de Villetaneuse en banlieue parisienne. Il nous avait régalé de ses cochonneries, là, je vous offre ce grand moment où il nous explique enfin comment apprendre à nos femmes à mieux nous obéir
** Cette chronique m'a été inspirée par les réactions, souvent insultantes ou condescendantes (d'une condescendance venue d'en bas…), à celle récente de mon ami Michel Smith qui tentait d'exprimer avec clarté et pondération une opinion, la sienne, chose qui a l'aire de plus en plus compliqué dans le NeoMondovino.

Mes tomates du 23 mai.

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Il n'y a que de purs citadins, ceux qui la connaissent intimement en photos, en mots ou en vacances, pour croire que la Nature est toujours douce et tendre. Pour l'imaginer éternellement bienveillante. 
Je vous fais grâce des mauvaises herbes, des maladies, des parasites, des nuisibles, de la grêle, du vent qui assaillent le paysan, mais, loin des romans à l'eau de rose, la Nature, c'est aussi un combat. Pas la guerre, mais un combat au sens rugbystique, un corps-à-corps où l'Homme, tout en respectant l'ordre des choses, donne une inflexion et du sens à un végétal qui sans lui n'existerait pas sous cette forme si naturelle que nous aimons. C'est ainsi, par exemple, qu'il façonne une liane pour qu'elle devienne une vigne qu'il va entretenir, cultiver (quel joli mot!) afin qu'elle lui offre, afin qu'elle nous offre ses fruits qui, grâce à un autre versant du génie humain, deviendront ce vin qui fait chanter nos verres.


Pourtant, j'aime ces moments faussement anodins où la Nature nous rappelle les fondamentaux. Où elle remet les pendules à l'heure.
Tenez, j'étais citadin justement hier, à Barcelone, en train de faire le marché. Pour ceux dont le calendrier des Postes serait tombé en panne, nous étions le vingt-trois mai. Et après avoir admiré le parfait alignement des morues chez la spécialiste (qui n'est pas considérée comme une poissonnière), remercié la bouchère qui me gratifia d'une entrecôte correcte pour l'Espagne, je suis allé saluer Pilar. Pilar, c'est une petite dame qui tient en fin de semaine une minuscule échoppe à vingt mètres des halles de Poble Nou. Une bonne partie de ce qu'elle vend provient de son jardin à la terre sablonneuse (le reste, c'est la merde habituelle qu'on trouve outre-Pyrénées). 


Là, Pilar m'a étonné avec de l'all tendre (en catalan), de l'aillet qu'elle avait cueilli un plus plus tard que d'habitude (vingt-trois mai…). Les têtes étaient ainsi formées mais encore tendres, à consommer entières contrairement à l'ail nouveau. Je lui ai aussi pris ses fameuses petites pommes de terres dont je fais, coupées en quatre avec la peau, des frites bien poivrées et (grâce à mon docteur) salées au sel d'Ibiza, ce qui donne incontestablement un côté festif à l'affaire. Au passage, je lui ai attrapé la dernière poche de petits pois qu'elle venait d'écosser. Je sais, ils sont un peu gros, que voulez-vous, alors qu'à Ibiza ça démarre, pour les petits pois, la saison s'achève. Mais j'avais envie de leur dire "à l'an prochain".


Pilar était de bonne humeur, elle souriait alors que de ses belles grosses mains tannées, elle emballait des salades frisées dans de grandes poches en plastiques récupérées de la pharmacie de la rue voisine. Et, sur la lancée, elle m'a fait l'article pour ses tomates (une variété marque-mal comme le veut la loi d'Espamérique qui a sanctifié Monsanto). Des tomates, un vingt-trois mai! 
Eh bien écoutez, je ne sais pas ce qui m'a pris, je lui en ai acheté deux. Oui, un vingt-trois mai. Remarquez, je pense que je me suis laissé influencer par la "mozzarella catalane" (on fait bien de la feta en France…)  que j'avais embarquée à la fromagère pour essayer* et dont je ne savais pas trop quoi faire.


J'ai donc rapporté à la maison mes deux tomates du vingt-trois mai. J'avoue que ça me faisait un peu bizarre. Barcelone a beau être située sur le 41e parallèle, à hauteur du sud du sud de la Corse, des tomates en cette saison… 
J'ai donc commencé à les éplucher, puis je les ai taillées, assaisonnées (abondamment) et nous sommes passés à table. Les pauvres tomates de Pilar étaient évidemment dures comme du bois, une chair oscillant, pour la texture, entre le melon d'eau et la rave. Pour le goût, pareil.


Vous savez quoi? Je n'étais même pas déçu. Au contraire, j'ai trouvé plutôt sympathique que la Nature me donne une petite leçon, moi qui avait voulu jouer à ce petit jeu idiot, déprimant, des primeurs, un jeu auquel les premiers sont toujours les derniers, qu'il s'agisse de tomates, de fraises, d'asperges ou de ce que vous voulez. Avant l'heure, c'est pas l'heure, bien fait pour moi, avec mes p'tites tomates, j'avais l'air con. Rendez-vous en juillet. En saison.





* Bonne, mais sans plus, la mozzarella catalane…








Extrêmement vin ?

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Rassurez-vous, je ne vais pas vous raconter pour la énième fois l'histoire de ces bouteilles au goût plus que douteux mises sur le marché italien par le négociant lombard Alessandro Lunardelli. Je suis d'ailleurs étonné que l'on continue de trouver certaines d'entre elles dans le commerce, mais c'est une autre histoire, rapportée il y a quelques jours encore dans ce journal belge.
Si cette image me revient, c'est simplement que l'extrémisme, le nationalisme, le spectre du passé, mon journal me les a servis ce matin au petit-déjeuner. Je me suis réveillé dans une ville, Barcelone, où les extrémistes de tous bords, nourris par la crise et le rejet de l'autre, ont triomphé aux élections municipales. Dans la capitale catalane, les partis dits "de gouvernement" totalisent moins de la moitié des suffrages. C'est la panique; personne ne sait au moment où j'écris qui, sans réelle majorité*, va diriger l'ajuntament et comment.


Alors, je sais, ce sont principalement des extrémistes de Gauche qui ont triomphé à Barcelone, ce qui rassurera mes lecteurs bercés à cette culture politique française dont l'indignation est forcément hémiplégique. Eh bien moi, ils m'effraient autant que les autres, ces gauchistes populistes dopés au nationalisme, vendeurs de promesses intenables, soucieux de "lutter contre le tourisme qui nuit à la ville (sic)", organisant des meetings avec Teresa Forcades, une drôle de religieuse bénédictine convertie au catalanisme révolutionnaire. Excusez-moi, mais leur modèle démocratique et économique, le Vénézuela, en matière de liberté et de réussite sociale, j'ai mieux en magasin!


D'autant qu'en Espagne, on sent si proche, tapie dans l'ombre, la tentation de la réaction, singulièrement dans cette Catalogne nationaliste qui fit souvent (durant les guerres carlistes notamment) le choix du goupillon. Où l'on se souvient de la débâcle de la Barcelone de 39, une ville déchirée, rouge sang, minée par les purges internes entre communistes, trotskistes, staliniens, anarcho-syndicalistes, qui tomba du coup comme un fruit mûr dans les mains noires de Franco. Où, une fois de plus, la haute-bourgeoisie, par cynisme et esprit de lucre, a laissé le champ libre aux nationalistes, à leur bourrage de crâne et commence à trembler devant le monstre enfanté par leur univers de combines, voyant se rallumer la Rosa de foc**. Triste histoire d'un pays sans background démocratique.


Oui, bien au-delà des populismes espagnols, sans vouloir imaginer que l'Histoire soit un éternel recommencement, ce monde est inquiétant, entre inexorable montée du nazislamisme, secousses économiques et tensions intercontinentales. Inquiétude accrue par le sentiment largement partagé dans plusieurs pays européens de se sentir "gouverné" par des irresponsables, des passants, des usurpateurs.
En Espagne, la corruption a fait monter l'indignation d'un peuple qui paye cher le prix de la folie collective des années 90-2000.
En France, l'impudence d'une caste énarquo-politicienne, illustrée récemment encore par la lamentable affaire de l'INA, n'est pas sans faire penser à la noblesse de 1788. Sensation renforcée par la détestable image d'opportunistes interchangeables, pleutres, des gouvernants successifs.


Alors, comment ne pas demander aux hommes politiques occidentaux, français notamment, comment ne pas les supplier de "revenir dans le match"? "Revenir dans le match", c'est d'abord sortir des limousines et des jets de fonction, des tours d'ivoire du pouvoir, puis, atterrir, et se mettre au niveau des préoccupations de ceux qui les élisent.
Quittons les grandes idées, et voyons les choses par le petit bout de la lorgnette. Et pour montrer ce décalage, je vais, parmi des centaines, prendre un bon exemple, que nous connaissons bien: le vin. Le vin, cet élément essentiel du patrimoine français, admiré dans le Monde entier, qui accessoirement constitue, derrière l'aéronautique, le deuxième pôle excédentaire du Commerce extérieur hexagonal. Le vin, une force, un atout, une richesse qui, pourtant, fait figure de grand oublié des discours officiels. Sauf, peut-être, quand il s'agit de réprimer dans le cadre de coûteuses campagnes anti-alcooliques où l'on n'a de cesse de le dénigrer, de le dédaigner.
Dans le même temps, car la Nature a horreur du vide, les partis extrêmes, eux, s'intéressent à cette industrie, à cette filière, ou cet artisanat, comme vous voulez. En parlent, et font mine de le défendre.


Commençons donc par la Gauche, la gauche de la Gauche: vous aimez le vin "rouge"? Eh bien, il fallait aller il y a quelques jours, le 20 mai, au Parlement européen, à Strasbourg. Jean-Luc Mélenchon, le leader virtuel du Parti de Gauche y organisait une après-midi vinicole. Au menu, la projection du film de Jonathan Nossiter, Résistance naturelle, suivie d'un débat*** avec le réalisateur et le "vigneron-résistant" alsacien Jean-Pierre Frick (qui élabore quelques cuvées sans sulfites ajoutés) et d'une "dégustation de vins naturels".


Ce n'est pas la première fois que Jean-Luc Mélenchon s'intéresse à la viticulture. D'habitude, il est, ce qui est logique, plus enclin à promouvoir le kolkhoze. Comme lors de cette journée héraultaise où, de visite de coopé productiviste en meeting montpelliérain, il se lance dans une défense des Appellations d'Origine françaises qui donnent envie de hisser les couleurs, de sortir le coq et d'entonner La Marseillaise. Populiste à souhait (et hilarant d'ignorance avouons-le) quand il pointe la menace pour les vignerons français de l'importation massive de champagnes et de chablis américains. Un peu brouillon, tendance fin de banquet de comices agricoles fifties, genre j'ai recopié Wikipédia vite fait dans le train ou j'ai lu le vieux bouquin d'Hugh Johnson en fin de soirée, un peu bourré, quand il nous décrit sa civilisation tricolore du vin comme un supporter de football. Mais ça fait le job, montre qu'il "s'intéresse". Et c'est déjà pas mal.


En face, sa symétrique mouille aussi le maillot, se démène verre à la main. Et sort le tire-bouchon dès qu'elle en a l'occasion. Elle sait que les campagnes, abandonnées par ces messieurs-dames des beaux quartiers (elle en est aussi), sont parfois tellement désespérées qu'elles préfèrent un Diable bavard à un Dieu muet. Alors, elle parle, promet. Ça ne mange pas de pain, faute de faire boire du vin. Elle assure par exemple que dès son arrivée au pouvoir le vin sera sorti de cette Loi Évin que le monde entier nous envie (assurent ses auteurs). Pour elle, comme pour Jean-Luc Mélenchon, il s'agit d'un "produit culturel". Rien de bien extraordinaire, juste des évidences, les mots simples que tant de vignerons ont envie d'entendre mais dont on lui laisse malheureusement l'exclusivité.
Il est vrai que Marine Le Pen est fille (reniée) de "vigneron": son père, Jean-Marie était actionnaire de la marque de champagne La Veuve Poignet qui triompha dans certains bars du Marais.


Alors, vous me direz que c'est l'essence même des populismes que de promettre tout et son contraire: la réouvertures des mines dans le Nord, la reprise de la sidérurgie en Lorraine, du textile dans le Nord, le Tarn ou les Vosges… Mais là, dans cet exemple du vin, il n' y a pas grand chose à faire, juste arrêter de brimer, de censurer, "d'emmerder les Français"comme disait Pompidou. Respecter aussi la valeur du travail, de respecter le patrimoine. Et arrêter de débiter au kilomètre des discours désincarnés, inhumains, écrits, un œil sur les sondages et l'oreille polluée par les lobbyistes, par des éminences grises qui ne grisent plus personne.
Il serait temps que la pensée des hommes politiques prétendument responsables prenne un peu l'air, sorte du cadre confortable de quelques arrondissements parisiens sans histoires, passe le périphérique et aille même, pourquoi pas, marcher dans la boue du pays réel, celles des vignes par exemple que l'extrémisme ne fera jamais pousser. Car la vigne, comme le vin, n'aime vraiment que les climats tempérés.





* Il existait à Barcelone une règle non-écrite selon laquelle celui qui avait reçu le plus de suffrage dirigeait la ville. mais cette "règle" valait du temps des partis classiques.
** La Rose de Feu, surnom de la Barcelone ouvrière et contestataire de l'aube du XXe siècle.
*** Les "débats" d'aujourd'hui, entre personnes du même avis…

Vin de Parisien.

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Je suis désolé, mais je trouve le nom de ce vin complètement crétin. Mauvais temps, pourquoi "mauvais temps"? Dans ce jus mûr, gorgé de fruit, caressant comme le soleil de montagne mais dont les tanins parlent vrai, je ne vois que du beau fixe. Oh, bien sûr, du beau temps comme en Aveyron! Un pays d'étés aux nuits fraîches où le soir, pour dîner, on éprouve l'envie de sortir ce vieux chandail gris chiné, qui ne sert jamais l'hiver et qui fait le régal des mites. Surtout cet Aveyron qui flirte avec le Cantal, l'Aveyron des rives de la Truyère qu'on sent, comme sa rivière, tombé presque par accident dans le bassin versant du Sud-Ouest. 
Car, oui, je vais encore vous parler d'un vin du Sud-Ouest, ce Sud-Ouest qui tient une place disproportionnée dans Idées liquides & solides. "Le Sud-Ouest, combien de divisions" pourraient s'insurger les nouveaux Staline pinardiers, idéologues bornés, qui trop souvent remplacent les bougnats, à Paname notamment. Pourtant, ce Sud-Ouest dont tant de vins puent la sincérité, je me demande si finalement il ne constitue pas le chaînon manquant entre la Loire et le Languedoc, entre le Rhône et Bordeaux, le point d'équilibre, ce que semblerait indiquer la géographie, singulièrement pour le rouge dont il est question aujourd'hui, plus central que massif.


Mauvais temps, je ne l'ai pas goûté chez un bougnat de la capitale. Enfin presque. C'était chez le Parisien de Barcelone, Benoît Valée, à L'Ànima del Vi, naturiste agréé de la ville, le seul chez lequel on puisse consommer sans tatouages. Mauvais temps, je ne l'ai pas goûté d'ailleurs, je l'ai bu. Trois bouteilles au moins, selon la police. Plus selon les organisateurs. J'ai un vrai problème de boisson avec les vins que j'aime. Pas de limite.
Pour être parfaitement honnête, j'avais déjà trempé mes lèvres dans ce cru (2010 ou 2011?) dans la pénombre des boyaux de pierre de la Dive Bouteille, entre mondanités et effluves de gas-oil. Pas un grand souvenir. Alors que carrer dels Vigatans
Nicolas Carmarans me fait vaguement penser à un modèle réduit de l'homme au sourire de tueur de cochons, l'Aurillacois qui fit jadis chanter les casseroles toulousaines de La Rôtisserie des Carmes. Il est bougnat, l'a été en tout cas, fils de bougnat. Les vieux Parisiens ont connu son Café de la Nouvelle Mairie, rue des Fossés-Saint-Jacques, derrière le Panthéon. Un de ces lieux qui dans les années quatre-vingt-dix renouvela, avec Bénard, Delhoume, Pinoteau, Mélac et consorts, la pinarderie capitale.


Ce Mauvais temps, Nicolas Carmarans est donc allé le faire au pays de ses ancêtres, à Campouriez, du côté d'Estaing, pays de "viticulture héroïque" comme je le disais il y a peu à propos d'un vin des Asturies. Cultiver la vigne sur ces terrasses est un combat*, un combat perdu d'avance a-t-on même cru à une époque. Les parcelles actuellement en production sont péniblement mécanisables. Pour labourer, c'est du sport, il faut un chenillard et un treuil, quant aux pulvérisations, elles se font à l'atomiseur, à dos d'homme.
Mauvais temps, en fait, ça n'a rien d'une invention marketing, ça n'a rien de crétin en plus, au contraire, c'est juste le nom "de bon sens" de la parcelle qui enfante ce jus adorable. Des coteaux d'arènes granitiques en surplomb de la Truyère, un sol très filtrant, orienté sud, le seul sur lequel on pouvait aller travailler sans s'embourber quand il faisait… mauvais temps. D'où son toponyme, inscrit sur le cadastre.


Alors, à quoi ressemble-t-il, ce vin de Parisien dont je me régale? Le 2013 sent l'aubépine et la prunelle, avec une pointe de pivoine. En bouche, son fruit éclatant, sa chair sont tenus par une vraie colonne vertébrale de tanins mûrs. Oui, des tanins, j'ai dit le gros mot, celui qui effraie parfois les débutants du goulot et les dégustateurs du dimanche. Ces tanins qui donnent envie d'y revenir, qui désaltèrent et rendent digeste, qui équilibrent et contribuent à dessiner la silhouette d'un jus. À l'opposé du simplisme de vins fatigués de naissance, de mollusques issus de macérations improbables, dont a fait, parfois ironiquement, une caricature du "vin de Parisien".
Mauvais temps est net et droit, enfant du raisin pas de la paille du poulailler ou de l'écurie. Capable de raconter sans bafouiller son histoire, son pays, ses origines et sa famille ampélographique. Parlons-en, justement des cépages. 60% de mon cher fer-servadou (ou de braucol, ou de mansois, comme vous voulez) et 30% d'un inconnu au bataillon, la "négrette-bagnard"**. La "négrette-bagnard" je n'en sais pas grand chose. Nicolas Carmarans me dit qu'il s'agit d'un membre presque disparu de la famille des cotoïdes (cot, négrette, prunelard, tannat, valdiguié…), venu en remontant le Lot et parfaitement acclimaté au terroir froid du nord de l'Aveyron grâce à son cycle tardif et court. Il me tarde de recevoir mon nouveau Galet pour tenter d'en savoir davantage, notamment sur ses liens avec la négrette de Fronton.
En attendant, je vais continuer à boire parisien, chez le Parisien de Barcelone, tant que les filles auront le droit de danser sur le bar…




* Une viticulture qui évidemment a un coût qui se retrouve généralement dans la bouteille. Mauvais temps est-il cher? Oui, 15 € pour une bourse de prolétaire, c'est de l'argent. Non, en comparaison de milliers de crus surfaits, bourguignons, espagnols, champenois, toscans issus de vignes plates comme la main, ultra-mécanisées. je le répète, il s'agit là du fruit (avec ce vin le mot prend tout son sens jusqu'à en éveiller le souvenir en bouche) d'une viticulture exigeante, verticale.
** Je sais, 60+30=90… Les 10% restant, c'est ce vient, un peu de gamay notamment, je crois.


Soif d'élégance.

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Il n'y a rien de pire que la joie imbécile des oiseaux à six heures et demie du matin. Surtout dans cette Barcelone bizarre, hébétée, dont la plupart des habitants, visiblement, ne comprennent pas vraiment ce qui s'est passé dimanche, la "révolució". Le pire, c'est ce faux rythme; après l'orgie politique, les discours, les rodomontades, les promesses, voici venu le temps des messes basses et des conciliabules. On se rencontre de façon informelle dans des lieux secrets, on négocie le bout de gras puis on se mure dans le silence. Ça va durer jusqu'au 13 juin. 
À Pedralbes et à Sarrià, les bourgeois espèrent que leur cousin socialiste, ou même le républicain auquel on ne parlait plus qu'en cachette, va faire le sale boulot et "ramener ces excités à la raison". On veut y croire, personne n'est plus sûr de rien. Finies en tout cas les grandes démonstrations publiques, revoilà la Barcelone des murmures, celle "d'avant". Revoilà l'ambiance interlope des polars de Montalbán; j'hésite entre Meurtre au Comité central et Le labyrinthe grec


Alors, armé de ma théière et d'un livre de douze pages, je suis allé sur la terrasse, j'ai tourné le dos à la mer et j'ai regardé le soleil du matin consumer la terre cuite, le béton et le fer de La rose de feu.
Le livre, vous avez vu son titre, en haut de cette chronique, un livre toulousain, un livre de copain. Je ne sais plus ce que nous avons bu avec Christian Authier quand il est sorti. Du vin naturel, sûrement, c'est un inconditionnel. Beaucoup, probablement. Peut-être même un peu tordu sur les bords, parce que ça, parfois, il s'en fait un genre…
Il y avait au moins deux ou trois bonnes raisons pour que j'attrape Callcut, boire pour se souvenir dans la bibliothèque:
1°) Christian m'a envoyé hier un petit mot, entre vin et littérature, qui m'a inspiré quelques réflexions que je souhaitais partager avec vous.
2°) L'ambiance petit-matin-du-grand-soir (évoquée ici et dopée par l'actualité politique), escortée de ses vociférations, de ses éructations, qui envahit la branchitude pinardière franchouillarde me fatigue; on y sert plus du vin mais des slogans. Un peu de sensibilité et de spontanéité ne sont donc pas superflues*.
3°) L'intelligence est une alliée quand même au lever du jour on a l'impression que la nuit tombe.
Tenez, rejoignez-moi sur la terrasse, et lisez, ça apaise.


Callcut, boire pour se souvenir a été publié par les Éditions du Sandreà Paris. Quand je l'ai lu la première fois, il m'a rappelé le souvenir des drôles de vins d'Éric Callcut. Je ne sais plus exactement quand et avec qui, peut-être avec Éric Cuestas du Temps des Vendanges. Ils nous avaient bien fait marrer à l'époque, j'avoue en revanche que je n'en ai pas bu depuis très longtemps.
Mais, ce n'est pas de Callcut dont il était question hier, juste de quelques phrases liquides & solides piochées par Christian Authier dans la Correspondance entre deux écrivains importants du XXe siècle français, Paul Morand et Roger Nimier**, que vient de publier Gallimard. Morand, Nimier… je sais, ça sent le soufre! Il ne manque que Chardonne, l'idole littéraire de Mitterrand, et la boucle est bouclée… S'il vous est possible de faire abstraction du pedigree de Morand (qui est tout sauf un détail) lisez cette phrase dans une lettre du "père" au "fils", le 23 janvier 1961, à propos d'un Valdepeñas:
"Tous les Onassis peuvent trouver du Lafite 47. Mais un vin ordinaire intact, d’un équilibre inouï entre ses diverses qualités, d’une honnêteté d’hidalgo, est introuvable en Europe, actuellement."


La phrase a plus de cinquante ans, mais cet œnophile distingué de Paul Morand souligne bien ce qui, davantage que de se faire reluire avec des étiquettes connues, constitue le vrai défi pour tous les défenseurs du vin: trouver le mouton à cinq pattes, le vin "ordinaire", le vin populaire (mais Morand n'aimait pas trop ce mot) de qualité. C'est d'autant plus remarquable que l'Académicien tardif, collectionneur de grands bordeaux***, n'avait grâce à son épouse aucun problème de fin de mois et ne courait pas après les picrates bon marché pour étancher sa soif. Son émerveillement est donc celui d'un authentique amateur qui justement s'intéresse, au delà de l'étiquette, aux qualités intrinsèques d'un jus plus encore qu'au statut social qu'il confère
En ce début de XXIe siècle où le vin, reconnaissons-le, est plus coûteux que jamais, beaucoup plus coûteux qu'à l'époque de Morand et Nimier, il y a là matière à méditer. Surtout si l'on se préoccupe dans les faits, pas que dans les discours, des aspirations du peuple, et, pour le sujet qui nous concerne aujourd'hui, de ses soifs vineuses. Ne perdons pas de vue qu'en France, le prix moyen d'une bouteille achetée dans le commerce ne dépasse guère, au mieux, cinq euros****. Plus que de plastronner, tout le talent, toute l'élégance du bougnat, du marchand de vin sont donc là: donner à boire au peuple.





* Si ça continue, sauf à accepter de faire viser ses commandes par des commissaires politiques, il va  devenir urgent d'acheter son vin par correspondance en France, les cavistes politisés devenant aussi agréables que des chefs de rayon de pousse-caddie.
** Il n'est pas question que de littérature dans cet échange épistolaire, Morand et Nimier évoquent le vin, la table, le rugby. Ainsi cette brève missive de Nimier après un déjeuner chez Kléber Haedens: "Nous sommes sortis de table à neuf heures du soir. Il y avait vingt-quatre bouteilles de champagne vides. Ce résultat peut être considéré comme satisfaisant".  Réponse de Morand : "faudra faire mieux la prochaine fois."
*** Paul Morand possédait une cave remarquable qu'il légua à un autre de ses amis, Kléber Haedens. Malheureusement, le jour où le camion qui livrait le legs arriva à "la petite ferme" des environs de Toulouse, ses amis s'apprêtaient à accompagner le fratriarche des hussards à sa dernière demeure. On dit qu'Antoine Blondin, évidemment présent ce jour-là, tapa dans la gourde.


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