Rassurez-vous, je ne vais pas vous raconter pour la énième fois l'histoire de ces bouteilles au goût plus que douteux mises sur le marché italien par le négociant lombard Alessandro Lunardelli. Je suis d'ailleurs étonné que l'on continue de trouver certaines d'entre elles dans le commerce, mais c'est une autre histoire, rapportée il y a quelques jours encore
dans ce journal belge.
Si cette image me revient, c'est
simplement que l'extrémisme, le nationalisme, le spectre du passé, mon journal me les a servis ce matin au petit-déjeuner. Je me suis réveillé dans une ville, Barcelone, où les extrémistes de tous bords, nourris par la crise et le rejet de l'autre, ont triomphé aux
élections municipales. Dans la capitale catalane, les partis dits "de gouvernement" totalisent moins de la moitié des suffrages. C'est la panique; personne ne sait au moment où j'écris qui, sans réelle majorité*, va diriger
l'ajuntament et comment.
Alors, je sais, ce sont principalement des extrémistes de Gauche qui ont triomphé à Barcelone, ce qui rassurera mes lecteurs bercés à cette culture politique française dont l'indignation est
forcément hémiplégique. Eh bien moi, ils m'effraient autant que les autres, ces gauchistes populistes dopés au nationalisme, vendeurs de promesses intenables, soucieux de "lutter contre le tourisme qui nuit à la ville (
sic)", organisant des meetings avec Teresa Forcades, une drôle de religieuse bénédictine convertie au catalanisme révolutionnaire. Excusez-moi, mais leur modèle démocratique et économique, le Vénézuela, en matière de liberté et de réussite sociale, j'ai mieux en magasin!
D'autant qu'en Espagne, on sent si proche, tapie dans l'ombre, la tentation de la réaction, singulièrement dans cette Catalogne nationaliste qui fit souvent (durant les guerres carlistes notamment) le choix du goupillon. Où l'on se souvient de la débâcle de la Barcelone de 39, une ville déchirée, rouge sang, minée par les purges internes entre communistes, trotskistes, staliniens, anarcho-syndicalistes, qui tomba du coup comme un fruit mûr dans les mains noires de Franco. Où, une fois de plus, la haute-bourgeoisie, par cynisme et esprit de lucre, a laissé le champ libre aux nationalistes, à leur bourrage de crâne et commence à trembler devant le monstre enfanté par leur univers de combines, voyant se rallumer la
Rosa de foc**. Triste histoire d'un pays sans
background démocratique.
Oui, bien au-delà des populismes espagnols, sans vouloir imaginer que l'Histoire soit un éternel recommencement, ce monde est inquiétant, entre inexorable montée du nazislamisme, secousses économiques et tensions intercontinentales. Inquiétude accrue par le sentiment largement partagé dans plusieurs pays européens de se sentir "gouverné" par des irresponsables, des passants, des usurpateurs.
En Espagne, la corruption a fait monter l'indignation d'un peuple qui paye cher le prix de la folie collective des années 90-2000.
En France, l'impudence d'une caste énarquo-politicienne, illustrée récemment encore par la lamentable affaire de l'INA, n'est pas sans faire penser à la noblesse de 1788. Sensation renforcée par la détestable image d'opportunistes interchangeables, pleutres, des gouvernants successifs.
Alors, comment ne pas demander aux hommes politiques occidentaux, français notamment, comment ne pas les supplier de "revenir dans le match"? "Revenir dans le match", c'est d'abord sortir des limousines et des jets de fonction, des tours d'ivoire du pouvoir, puis, atterrir, et se mettre au niveau des préoccupations de ceux qui les élisent.
Quittons les grandes idées, et voyons les choses par le petit bout de la lorgnette. Et pour montrer ce décalage, je vais, parmi des centaines, prendre un bon exemple, que nous connaissons bien: le vin. Le vin, cet élément essentiel du patrimoine français, admiré dans le Monde entier, qui
accessoirement constitue, derrière l'aéronautique, le deuxième pôle excédentaire du Commerce extérieur hexagonal. Le vin, une force, un atout, une richesse qui, pourtant, fait figure de grand oublié des discours officiels. Sauf, peut-être, quand il s'agit de réprimer dans le cadre de coûteuses campagnes anti-alcooliques où l'on n'a de cesse de le dénigrer, de le dédaigner.
Dans le même temps, car la Nature a horreur du vide, les partis extrêmes, eux, s'intéressent à cette industrie, à cette filière, ou cet artisanat, comme vous voulez. En parlent, et font mine de le défendre.
Commençons donc par la Gauche, la gauche de la Gauche: vous aimez le vin "rouge"? Eh bien, il fallait aller il y a quelques jours, le 20 mai, au Parlement européen, à Strasbourg. Jean-Luc Mélenchon, le leader virtuel du
Parti de Gauche y organisait une après-midi vinicole. Au menu, la projection du film de Jonathan Nossiter,
Résistance naturelle, suivie d'un débat*** avec le réalisateur et le "vigneron-résistant" alsacien Jean-Pierre Frick (qui élabore quelques cuvées sans sulfites ajoutés) et d'une "dégustation de vins naturels".
Ce n'est pas la première fois que Jean-Luc Mélenchon s'intéresse à la viticulture. D'habitude, il est, ce qui est logique, plus enclin à promouvoir le kolkhoze. Comme lors de
cette journée héraultaise où, de visite de coopé productiviste en meeting montpelliérain, il se lance dans une défense des Appellations d'Origine françaises qui donnent envie de hisser les couleurs, de sortir le coq et d'entonner
La Marseillaise. Populiste à souhait (et hilarant d'ignorance avouons-le) quand il pointe la menace pour les vignerons français de l'importation massive de champagnes et de chablis américains. Un peu brouillon, tendance fin de banquet de comices agricoles
fifties, genre j'ai recopié
Wikipédia vite fait dans le train ou j'ai lu le vieux bouquin d'Hugh Johnson en fin de soirée, un peu bourré, quand il nous décrit sa
civilisation tricolore du vin comme un supporter de football. Mais ça fait le job, montre qu'il "s'intéresse". Et c'est déjà pas mal.
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En face, sa symétrique mouille aussi le maillot, se démène verre à la main. Et sort le tire-bouchon dès qu'elle en a l'occasion. Elle sait que les campagnes, abandonnées par ces messieurs-dames des beaux quartiers (elle en est aussi), sont parfois tellement désespérées qu'elles préfèrent un Diable bavard à un Dieu muet. Alors, elle parle, promet. Ça ne mange pas de pain, faute de faire boire du vin. Elle assure par exemple que dès son arrivée au pouvoir
le vin sera sorti de cette Loi Évin que le monde entier nous envie (assurent ses auteurs). Pour elle, comme pour Jean-Luc Mélenchon, il s'agit d'un "produit culturel". Rien de bien extraordinaire, juste des évidences, les mots simples que tant de vignerons ont envie d'entendre mais dont on lui laisse malheureusement l'exclusivité.
Il est vrai que Marine Le Pen est fille (reniée) de "vigneron": son père, Jean-Marie était actionnaire de la marque de champagne
La Veuve Poignet qui triompha dans certains bars du Marais.
Alors, vous me direz que c'est l'essence même des populismes que de promettre tout et son contraire: la réouvertures des mines dans le Nord, la reprise de la sidérurgie en Lorraine, du textile dans le Nord, le Tarn ou les Vosges… Mais là, dans cet exemple du vin, il n' y a pas grand chose à faire, juste arrêter de brimer, de censurer, "d'emmerder les Français"
comme disait Pompidou. Respecter aussi la valeur du travail, de respecter le patrimoine. Et arrêter de débiter au kilomètre des discours désincarnés, inhumains, écrits, un œil sur les sondages et l'oreille polluée par les lobbyistes, par des éminences grises qui ne grisent plus personne.
Il serait temps que la pensée des hommes politiques prétendument responsables prenne un peu l'air, sorte du cadre confortable de quelques arrondissements parisiens sans histoires, passe le périphérique et aille même, pourquoi pas, marcher dans la boue du pays réel, celles des vignes par exemple que l'extrémisme ne fera jamais pousser. Car la vigne, comme le vin, n'aime vraiment que les climats tempérés.