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Obligatoire, le Caca-Cola?

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Parfois, on dirait presque c'est une loi. Ou une de ces normes crétines, veules, voulues par le lobby industrialo-alimentaire et appliquées à la lettre, "à la française" par des fonctionnaires vétilleux, version 2.0 de Messieurs les-ronds-de-cuir. Oui, j'ai souvent l'impression en lisant les cartes des bars que la liste des rafraîchissements est le fruit d'une obligation légale de ne servir que des boissons de beaufs: Caca-Cola, Fanta, jus de fruits d'usine, bières de masse.
Eh bien non! Il existe encore des frigos libres, des frigos de bistrots qui arrivent à penser par eux-même, sans ces poisons du goût et de l'esprit, sans ces boissons de moutons, sans la sucraille de batterie. La photo ci-dessus, c'est au bar de mes amis de L'Horlogeà Auvillar, où s'achève (sniff…) le premier job d'été* du précaire que je suis (pour emprunter au vocabulaire politico-syndical). Pas de Caca-Colaévidemment, c'est quand même la moindre des cohérences quand on prétend cuisiner et boire naturellement, localement! Du Colt-Cola aveyronnais pour les accros du brunâtre, "aux extraits végétaux" et les limonades assorties de la Brasserie d'Olt qui fournit aussi ses bières, blanche, blonde et ambrée. Sans parler des mousses gasconnes des voisins du Vaillant Fourquet, à Miradoux. Les jus de fruits sont du même tonneau, bio et pas trop sucré.


Bien sûr, au delà de ces excellents produits du Sud-Ouest, il existe en France et ailleurs nombre d'artisans qui peuvent vous aider à relocaliser vos soifs d'été. Des bières, des limonades, de jus de fruits, bref de quoi boire moins benêt.
Et puis, ses soifs estivales, on peut également les étancher en produisant soi-même, à la maison ou au bistrot, sa limonade, je vous avais donné ma recette barcelonaise l'été dernier.


Je repense à tout ça alors que The Caca-Cola Company poursuit sa grande campagne de green-washing en s'attaquant maintenant à l'Europe par le biais de son soda "nature", cette saloperie verte dont je vous avais parlé il y a un bon bout de temps. Tout cela m'interpelle, comme m'interpelle l'incohérence de tant de chantres du "zéro défaut écolo" prompts à couiner (à juste titre!) contre le Monsantisme et qui, pour accompagner leur pot de Nutella ou la dernière saloperie de chez Nestlé, continuent de déboucher avec allégresse une des boissons les plus indignes du Monde. Et pas seulement à cause de ses effets sur la santé!
Eh oui, m'sieurs-dames, changer le Monde, ça commence à l'intérieur de son frigo, en choisissant ses boissons et celles de ses gamins. Res non verba, c'est le boulot de chacun, on ne peut pas compter que sur son voisin…





* Le premier, puisqu'il y en a un second dont je vous parlerai dans quelques jours. Ce sera en Minervois, à partir de début août, avec ce qu'il faut de produits naturels et de vins de copains, de vins sains apportés par la sommelière saisonnière Miss Brunet. Je peux juste vous dire que ça fera du charivari…

Le Rouge de Lectoure.

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Les habitués du nord du Gers connaissent tous depuis vingt ans Les Bleus de Lectoure, la belle histoire de ce couple qui a relancé la fabrication du colorant à base de pastel. Pour les autres, allez faire un tour dans leur bel univers aux volets bleu tendre, leurs ateliers de l'ancienne tannerie du Pont de Pile produisent toujours ce qu'il faut de tissus, de savons inspirés par la plante, Isatis Tinctoria, qui fit la munificence de l'Occitanie à la Renaissance. N'oubliez pas au passage d'y caresser l'aile de la Jaguar d'un homme élégamment disparu.


Pourtant, là, ce n'est pas de tissu, de pastel et de bleu dont je veux vous parler, mais d'un autre colorant, alimentaire celui-là, et au parfum autrement plus distingué: le safran. Je ne vais pas vous refaire le parcours historique du produit alimentaire le plus coûteux du Monde (je l'avais évoqué ici), mais sachez qu'il s'agit d'une des spécialités du Sud-Ouest. Les producteurs du Quercy (épaulés par quelques Albigeois et Rouergats) a lancé en 2002 une démarche afin de bénéficier d'une IGP européenne et la culture du crocus et de son précieux pistil s'est de nouveau répandue entre Bordeaux et Perpignan. Une culture lucrative, enfin dans une certaine mesure, puisqu'elle nécessite énormément de main d'œuvre et qu'on sait bien que pour embaucher, en France, au pays de la bureaucratie triomphante, il faut être dingue! Afin que vous vous rendiez mieux compte, pour obtenir un kilo de safran sec on a besoin de deux cent mille fleurs, deux cent mille Crocus sativus L.
Bien que fort cher, le safran local, traçable, artisanal, fait partie des gimmicks, des rideaux de fumée, des trucs qu'apprécient tout particulièrement les cuistots roublards. Je m'explique: vous achetez du poisson ou de la viande de merde au pousse-caddies; vous la bidouillez, la maquillez comme une voiture de gitan, puis, avec infiniment de délicatesse (mieux une pince à serpent* comme celle de la télé), vous déposez sur votre chef d'œuvre un ou deux stigmates de safran qui permettent à votre plat d'usine de se refaire une virginité. Et vous, au passage, devenez, comme par magie, un cuisinier de terroir, au plus proche des petits producteurs locaux. Ce procédé n'est évidemment pas exclusif au safran, il fonctionne également très bien avec l'huile d'olive, de noix ou de noisette, les vinaigres, les sels d'origine, le miel, voire le fromage de chèvre, tous d'excellents produits de maquillage des cartes de supermarché. À défaut, l'ajout de quelques vins "nature" choisis à la louche, à l'étiquette, peut faire l'affaire…



Bon, laissons de côté les tricheurs, parlons plutôt de cette dame, la dernière visiteuse que j'ai rencontrée durant mon émouvant premier job d'été à L'Horloge, à Auvillar (avec Michel Grangeon des cochons dont je viens de goûter la saucisse fraîche qui est à tomber!). Isabelle Baro, discrète, le parfait contraire du commercial de chez Nestléà chaussures pointues; elle venait faire goûter au chef le safran qu'elle produit dans la "banlieue" de Lectoure. J'étais en train de bricoler un ultime repas du personnel, estouffade de toro / macaronade / tomates crues (si seulement les clients de tous les étoilés mangeaient comme ça…), et Serge me dit de venir poser le nez sur les stigmates rutilants. Quelle ampleur! Quelle complexité! Superbe, charnu! Et madame Baro, sur la lancée, de me faire goûter une belle confiture de pamplemousse au safran que j'imagine déjà, l'hiver prochain, posée à côté d'un pain perdu. Vivement qu'elle me fasse goûter ses essais avec la pêche!
Ça a d'ailleurs réveillé des envies profondes. Juste après mon départ d'Auvillar, à mon arrivée à Albi, j'ai mis en œuvre une belle recette locale, propre à réchauffer cet été bizarre: un gras double au safran, au vin de Gaillac et à l'ail doux. À l'opposé de la cuisine de coiffeur-visagistes que j'évoquais plus haut…



* Cette histoire de la "pince à serpent" me fait rigoler: une amie amoureuse des reptiles a découvert que la pince qu'utilisent les cuistots maniéristes, à la télé comme dans leurs cuisines laboratoires, pour dresser leurs assiettes "graphiques", "artistiques", est en fait la même que celle que l'on utilise pour nourrir les serpents "familiers". Elle m'a même proposé de photographier l'outil en action, avec sa chère Cléopâtre mais mon amour de ce genre de bestioles a fait que je me suis défilé…


Moi y'en a boucher…

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Le jour où l'on mettra des étoiles à la connerie, l'arrêté que vient de faire publier le Ministère de l'Économie en méritera au moins trois! Quel sublime exemple, sous couvert de protection du consommateur, de normalisation de la crétinerie et de l'ignorance.
Comme l'explique une dépêche de l'AFP, "pour une information au consommateur 'plus simple et plus compréhensible' (sic), les grandes et moyennes surfaces pourront à partir de décembre prochain utiliser des termes génériques comme 'steak' ou 'rôti' sur les morceaux vendus en libre-service et n'auront plus besoin de détailler le nom précis du muscle (tendre de tranche, jumeau...), 'peu connu' des clients, précise l'arrêté. Par ailleurs, cette dénomination s'accompagnera d'un classement par étoile 'selon la qualité', un peu comme pour les hôtels, trois étoiles correspondant à la qualité maximale et une étoile 'pour le potentiel de qualité le moins élevé'".
À crétin, crétin et demi, puisque, interrogé par la même agence de Presse, Olivier Andrault, chargé de mission alimentation à l'UFC-Que Choisir vient cautionner cet arrêté débile: "ce système d'étoiles pour apprécier la qualité va dans le bon sens car, dans un contexte de baisse générale de la consommation de produits bruts en faveur des plats préparés, l'expertise des consommateurs pour les produits bruts n'est plus la même".


Toi y'en a comprendre? Ça signifie que très bientôt, au pousse-caddie, les bœufs (pas ceux qu'on mange, ceux qui poussent le caddie) n'auront plus à lire les étiquettes de bidoche. On aurait pu leur faire en langage SMS, on aurait aussi pu faire ça sous forme ludique à la façon des formes et les couleurs de Fisher-Price, mais on a préféré un classement par étoiles. Bienvenue au monde des têtes molles! Nous voilà au cœur de la "philosophie" des les politicards-instruizous selon laquelle il vaut mieux apporter deux trains de wagon-citernes d'eau que d'apprendre à creuser un puits. Infantiliser, plutôt que d'éduquer. Vous me direz que ça n'a pas cours que pour la viande, et que vu l'état du "Mammouth", mieux vaut le laisser mourir en paix…
Au passage, vous noterez que cet arrêté génial permet d'accréditer encore un peu plus plus l'idée yankee que le steak ou en tout cas le plus tendre, il n'y a que ça de vrai dans la viande, que la cuisine ça n'existe plus. Le reste, on ne le mange pas, on le jette ou au moins, on le méprise, on le laisse aux clodos (pas aux chiens et chats qui préfèrent le filet). Belle leçon d'écologie alimentaire!


Moi qui suis encore traumatisé par le tartare à la merde, pardon, "charolais aux couteaux", enfin très exactement à base minerai de viande que j'ai ingurgité par erreur dans un restau sympa, branché il y a quelque temps (la recette est ), j'applaudis des deux mains ce grand effort fait pour améliorer l'identification et la traçabilité de la viande!
Quelle bande de cons! Quel ramassis de guignols! La seule question que je me pose est: "sont-ils simplement ignorants ou en plus malhonnêtes?" Car, voilà un pas de plus vers l'opacité totale de la filière de la viande, un pas de plus vers Soleil vert; il me tarde qu'un de ces quatre matins, on lise dans les journaux le dernier scandale alimentaire où, grâce à des intermédiaires basés à Jersey ou à Chypre, nous nous régalions d'un hachis parmentier (une étoile seulement il est vrai…) dans lequel une usine roumaine ou chinoise incorporait des déchets hospitaliers, salmigondis d'amygdales, de prostates, de vésicules et (pour la version charolais) de muscles humains. Je vois déjà, à ce moment-là, l'air courroucé et effaré de l'abruti de ministre en place, lequel s'était réjouit auparavant de ce grand apport à la modernisation de la consommation!
Enfin, cerise sur le gâteau, relevons cet énième exemple de collusion entre les politiciens de tous bords et la pieuvre française, la grande distribution que l'on confirme ainsi dans son omnipotence. Joli coup de main alors que n'importe quel politicien sensé, de Droite ou de Gauche sait bien qu'on devrait sinon l'interdire au moins la réglementer de façon draconienne afin de rééquilibrer l'Économie, l'Écologie et la Société.
Bref, merci, m'sieur le Ministre, bravo! Trois étoiles!



Chef d'œuvre en péril?

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En France, le bistrot de campagne, c'est devenu une lumière dans la nuit. Il y a même des endroits où l'on a déjà coupé le courant. Je vous ai déjà entretenu de ce problème en évoquant l'adorable Cave Saint-Martin de Raymond Le Coq à Roquebrun, dans l'Hérault. Dans l'hexagone, le bistrotier des champs, celui qui sert le vin des vignes voisines, la production des paysans d'à côté, le pain du boulanger du village (quand il existe encore!) est devenu un résistant, un proche cousin du dernier des Mohicans.


Oui, de cette misère française, de ces rues désertes, de cette Pax Fonctionnaria, je vous en ai déjà parlé. Eh bien tant pis si je rapapiège* comme un vieux communiste de Carmaux, j'en remets une couche, histoire que l'on comprenne bien.
Le Café Joubert où nous avons dîné hier soir en terre albigeoise est un lieu engagé. On n'y sert pas de Heineken (mais une rafale de bières locales y compris à la pression), et je ne les sens pas très porté sur le Caca-Cola (si jamais c'était le cas, lisez ça, camarades). La carte des vins part du local pour parler au Monde: on y boit du gaillac tout en sachant que le Sud-Ouest existe, ce qui n'empêche pas de connaître l'Alsace, le Loire ou la Bourgogne (et même l'Espagne puisqu'on y trouve le vin de Cadaqués d'Ivo Pagès). Bref, on défend sa région en conscience, pas par ignorance, par repli sur soi-même, par refus de l'autre comme je l'ai vu en Corbières.


Ouvert toutes les fins de semaine, le Café Joubert se trouve à l'orée (quand on vient d'Albi) des grands terroirs de l'AOP Gaillac, sur la route des Premières Côtes. Aux alentours, la vigne se mêle au champs, aux bois et aux prés. La polyculture, je ne sais pas si ce n'est pas une des raisons qui rendent le vin du Sud-Ouest meilleur; en tout cas, c'est ce qui permet de manger bon en le buvant…
Fayssac, c'est le nom du village. Nous mangeons sympathiquement, un bon magret qu'on sait cuire bleu, une aimable tarte dont les abricots chantent l'été tarnais. 


On boit un coup aussi. Envie de rouge, de gaillac évidemment. Pas de Plageoles sous la main, ce qu'on peut comprendre vue la complexité du dernier millésime, on goûte un truc de Rabastens, Les Gourmands de L'Enclos des Braves ou un nom comme ça. Mouais… Nous voilà dans cette "nouvelle" mouvance gaillacoise que je trouve personnellement un peu lourdaude, un peu épaisse, qui perd la vivacité, l'énergie aérienne des rouges de l'appellation, les fondamentaux, quoi; à cet égard, ce n'est pas aussi pataud (et indigeste) que la cuvée Champêtre de Cazottes que nous n'avons pas réussi à boire la veille, mais il me semble qu'avec ces "vins de bars à vins" (je pense aussi aux jus de Brin ou du Domaine d'Escausses), on perd un peu l'esprit, on file vers les arômes de macération, de sucrailleux. Et comme je ne suis pas très fan des à-peu-près de Causse-Marines, je décide d'aller faire un tour ailleurs dans la carte sans carte (mais à prix d'ami) du Café Joubert.
Pas de panique, juste un saut de puce, quelques dizaines de kilomètres, c'est la Sud-Ouest connection, on file à Fronton: Fredo "Lou" Ribes nous sauve avec sa Folle noire d'Ambat aux légers accents poivrés de pineau d'Aunis**.
Et tant qu'à voyager sur les ailes du vin, on débouche un exquis Coteaux d'Ardenay de Patrick Baudoin. L'Anjou est mon cousin!


En ce jeudi soir, le Café Joubert est plein, plein d'une clientèle bigarrée, jeunes et vieux mélangés. Plein et bruyant, évidemment. Enfin, juste ce qu'il faut, parce que oui, ma pov' dame, la vie, c'est plus bruyant que les cimetières: en terrasse, les rodomontades des jeunes des villages environnants; sur l'herbe, la gaieté les gamins qui rient à gorge déployée; à table, la voix du dragueur qui dans un feulement passe la main dans le dos de sa proie; à côté, les copains qui, comme nous, débouchent le coup de plus pour lever une nouvelle fois le coude. Le silence de l'anglais rutilant qui s'enfile des Ratz au bar en devient presque inquiétant…
Et tant qu'à troubler le silence des campagnes, les tenanciers organisent aussi des concerts, c'est une des spécialités du lieu. Un peu moins qu'avant semble-t-il, "on en fait un le 22 août." Car visiblement, "les voisins se sont plaints du bruit"…


Ah, le voisin qui se plaint du bruit! Celui qui se dépêche de mettre sa voiture au garage, ferme les volets et rentre à l'heure pour Questions pour un champion, celui qui juste après la météo s'en va voir au fond de la boîte à cons si plus aigri que lui ça existe. Méchant comme on est, on se l'imagine vindicatif, la bite en panne, la bite chômeuse, tentant de faire chier son prochain à un niveau comparable à celui auquel il se fait chier lui-même. Témoin de la France qui s'emmerde, qui vacille, qui s'endort en comptant ses point-retraites et ses droits à l'Assurance-maladie, en découpant les promos sur les prospectus Leclerc, qui rêve de pousser des caddies pleins de merde. Témoin d'une France petitement matérialiste, mesquine et sans espoir.
C'est aussi pour fuir, et surtout pour éviter cette France-là qu'il faut des Café Joubert, sortes de chefs d'œuvre en péril de la convivialité. De l'Humanité serait-on tenté de dire au pays de Jaurès, cet homme mort dans un café, pas devant une télé, cet homme que célèbre ces jours-ci un pénible bal des faux-culs qui ne pensent, eux, qu'à afficher leur inquiétante béatitude dans la boîte à cons.



* "Radoter", en français du Sud-Ouest. On dit aussi rapapéger.
** Dis-donc, Anne Arbeau, à propos, tu m'en refais quand, toi, de la négrette?



Rédaction de rentrée.

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Je ne sais pas si à l'heure de l'orthographe SMS et de la syntaxe "nature", le jour de la rentrée, les jeunes élèves ont encore droit à la traditionnelle rédaction: "racontez ce que vous avez fait durant vos vacances". L'Éducation nationale française, qui est à l'instruction publique ce que le rockabilly est à la musique, a sûrement trouvé un idée géniale pour en finir avec cette pratique discriminatoire et passéiste. En tout cas, moi, je m'y colle, d'autant qu'en ce mardi où les gamins français reprennent leur cartables, je profite de quelques jours de congé, ici, à Barcelone.


Je vous passe la première partie de l'été, ce beau mois de juillet dans le Sud-Ouest, à L'Horloge d'Auvillar, je vous ai déjà tout raconté ici, ici ou encore : Castañuelo, ce toro d'une demi-tonne que nous avons mis en pièces détachées, la maestria de Serge François, les visites des un(e)s et des autres, les longues soirées vigneronnes, l'émouvant hommage d'André Daguin, le "fratriarche" (pour reprendre le titre de son copain Kléber Haedens) de la cuisine gasconne… Auvillar, il me tarde d'y revenir.


Puis, il y a eu août, on the road again, le changement de paysage. Retour via Albi vers la Méditerranée, versant montagne, Montagne noire, Félines-Minervois. Réouvrir Charivari, l'OVNI liquide & solide de mon frérot Michel Escande, l'amiral des vignes, le yachtman du canal, à Borie de Maurel, c'était mon second job d'été. Je ne vais pas tourner autour du pot: là encore, je me suis régalé! Et d'abord en cuisine. Tenez, jetez un œil à l'étalage*, ça vaut mieux que de longs discours!



Vous l'avez compris, comme en juillet, en août, grâce à la réouverture de Charivari, j'ai eu le privilège de mettre les doigts dans des produits qui malheureusement ne franchissent plus la porte de la quasi totalité des restaurants normaux. De travailler la même matière première, saine et goûteuse, que les plus heureux d'entre nous utilisent à la maison, bref de nourrir mes convives à partir d'un garde-manger "de luxe".
Je suis conscient que c'est une chance inouïe. Je sais, je l'ai déjà écrit, que la pression fiscale et réglementaire dont la France s'est fait une spécialité mondiale plus renommée encore que sa gastronomie, condamne bon nombre de cuistots, y compris étoilés, de travailler de la came de pousse-caddie. Je voudrais tant que les gratte-papiers qui règnent de l'autre côté des Pyrénées comprennent le mal qu'ils font depuis des années à un des éléments clefs du tourisme français lequel, qu'on le veuille ou non, demeure une des dernières vraies industries profitables de l'Hexagone**. Et que le "normal", ce soit le "bon", pas le médiocre.






Cuisiner, découper, cuire, griller, rôtir, braiser des produits des produits sincères, des produits francs (pour faire un clin d'œil à l'excellent tripier des halles de Carcassonne), du bio le plus souvent, c'est, je l'espère, le rêve de toute personne qui entend nourrir son prochain. Traiter avec des artisans honnêtes, négocier avec les paysans du coin, dévaliser le potager du voisin, courir les marchés, filer à la manade chercher le toro de sa daube, prier pour qu'Angel redescende quelques cagettes de girolles de la montagne… Ainsi, au rythme de la saison et de l'approvisionnement, loin des paillettes, des modes et du maniérisme, la cuisine renoue avec la simplicité, se fait plus directe. Disparaît le besoin d'alambiquer, de masquer, de tricher. Revient l'acte essentiel: nourrir.


Évidemment, le petit apprenti que j'étais et que je demeure a eu besoin d'aide pour dompter ce garde-manger de folie. Il y a eu bien sûr ma chère Fanny, ma "cuisinière des Corbières", sorte de cheftaine du chef que jadis des malfaisants traitèrent comme une souillon. Je t'embrasse, Fanny.
Le reste s'est fait naturellement, amicalement, fraternellement. Merci aux chefs qui spontanément sont venus me donner la main en cuisine.
Merci à Serge François, L'Horloger d'Auvillar, arrivé avec une pleine malle de marchandise gasconne, dont de vigoureuses coucou-de-rennes. Je pense que tous les deux, nous nous souviendrons longtemps de ce service incroyable où, l'orage aidant, nous avons fini de cuire et dresser les plats, à la lueur des bougies. À l'armagnac aussi qui a rallumé la lumière.
Merci à Guillem Oliva, le Catalan pur et dur, débarqué de Barcelone avec ses adorables fillettes devenues commises en un clin d'œil. Guillem, quelle émotion que cette "salade de girolles en pensant à Santi Santamaria"; ton maître aurait été fier de toi. Il me tarde de voir comment tu vas mettre du terroir, du rythme et de l'identité dans la cuisine de ce Monvínic rénové dont tu tiens désormais les rênes.
Merci à Bruno Stirnemann, l'Alsacien de Pézenas, l'accordeur de pianos. Tu es venu client, tu es reparti chef, par la grâce de ces quelques bouteilles de fino que nous avons bues, un lundi de relâche, chez Michel Smith (Michel qui, le temps d'une nuit, est devenu commis-sommelier à Charivari tandis que sa Mireil tenait le bar…). Bravo encore pour cette crème de lentilles/truite des haut-cantons fumée, et à l'accord avec cette Lune blanche 2004 dont Daniel Leconte des Floris a eu la gentillesse de nous porter des magnums.


Un merci tout particulier enfin à Trevor Gulliver, qui avec son associé Fergus Henderson va fêter le mois prochain les vingt ans du St. John. Oui, je sais, Trevor, tu n'es entré en cuisine (et à de nombreuses reprises!) que pour savoir ce que tu allais manger, mais, ce rôle de "mentor" comme tu dis, tu l'as joué à merveille, sorte de fil rouge de ce Charivari 2014. Bien sûr, je serai là, nous serons là le 25 octobre pour souffler les bougies de ce restaurant qui fait que lors de mes séjours à Londres, je demande l'asile gastronomique aux quartiers de Smithfield et Spitalfields Market. Parce que chez toi, aller déjeuner ou dîner, c'est aller faire la fête!


La fête, tiens, parlons-en. Fête solide & liquide. En matière de vin***, sous la houlette d'Isabelle Brunet (avec même les congratulations de Mistress Jancis et de son mari…), on a bu de tout, en toute liberté. Du frétillant et de l'antique, des caisses de vins de Borie de Maurelà l'image de ce stratosphérique Esprit d'Automne 2013, mais aussi des vins d'ailleurs: le corbières de Philippe Courrian venu en voisin avec son collègue Michel Péresse ou L'Azerolle (en verticale pour la soirée carignan) de Raymond Julien; du Braucol de Plageoles, grand rescapé des vendanges 2013, ou le rioja d'Olivier Rivière; un sancerre de la famille Vacheron ou l'Outre-Rouge d'Élian Da Ros (quelle émotion il y a quelques jours en voyant cette bouteille dans les mains d'un Soulages ravi!); du jerez andalou ou du minervois du Viala… Ça, et plein d'autres choses encore, ce qu'on veut, on vous dit!

 

Cette liberté (consubstantielle de l'âme de Charivari), cette ouverture d'esprit, cette générosité ne sont malheureusement pas à la portée de tout le monde; un échec récent nous l'a prouvé. Elle nécessite de l'intelligence, de la volonté, de l'envie, sans compter un indéfectible respect du produit et un sincère amour du vin. Pour tout ça, malgré les écueils, merci, Michel!
Merci de nous avoir aidés à transformer une nouvelle fois cette vieille Borie de Maurel, cette maison que tu as remontée pierre par pierre, où j'ai passé tant de temps, en un incroyable club de rencontres****, à l'opposé de ce Languedoc, viticole notamment, dont on aimerait qu'il fasse preuve d'un peu plus d'ambition et de vista, qu'il "pense un peu moins pantacourt".
Oui, le Charivari a de l'avenir, il suffit d'avoir le pied marin…




* Parce que je sais bien que quelques esprits chagrins, alliés parfois même sans le savoir de l'Internationale de la Malbouffe, vont m'accuser de faire étalage de tant de richesses, ce à quoi je leur rétorquerai que je ne rêve que de restaurants (je l'ai notamment expliqué ici) où, comme à L'Horloge, les premières pages de la carte sont occupés par la liste exhaustive des fournisseurs de la maison. Ça vaudrait bien le ridicule décret fait-maison qui visiblement n'a pas passé l'été…
** À cet égard, les chiffres de l'été qui s'achève ne sont pas brillants semble-t-il. Peut-être faudrait-il éviter de se réfugier derrière l'excuse météo. La France devient triste, grise, les étrangers nous le disent, il faut en prendre conscience!
*** Si des abstèmes s'étaient présentés, nous avions pour eux du jus de carignan du Minervois, le jus de pommes de Citou, la limonade roussillonaise et l'Alter-Cola assorti. Ça n'a pas beaucoup servi, à part pour les petit-déjeuners…
**** Quel bonheur de voir mélangés des gens si différents, connus ou inconnus, Le Gosse (qui est passé de l'autre côté du bar), Xavier (X2), Hassina, Olivier (X2), Florence, Aurélien, Pascal, John, Nicola, Philippa, Charlotte, Gilles, Jean-Baptiste, Jean-Luc, Fredo, Mathilde, Bruno, James, Simone, Toni, Clément, Gaetane, Sophie, Leïla, Patrick, Valérie, Albert, Benoît, et tous les autres que j'oublie ici. Merci à vous tous de m'avoir offert parmi les plus belles vacances de ma vie, fucking working holidays!


Le vade mecum de l'acheteur de picrate.

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Ça y est, les cartables invendus sont envoyés à la casse ou chez les soldeurs. Les fournitures scolaires, c'est plié! Il faut faire de la place dans les rayons, et comme les vendanges approchent*, collons à l'actu, coco, on va vendre du pinard. Vous l'avez compris, c'est de ces fameux vins foireux dont je parle, des vins de foire, de ceux qu'on achète au pousse-caddie. Les boîtes-à-lettres (pas ici en Espagne, ouf…) vont se remplir d'épais catalogues en quadrichromie qui permettront de poursuivre l'éducation esthétique des masses tandis qu'à la télé, à la radio, dans la Presse, en photocopiant plus qu'en enquêtant, on va assister à un véritable bombardement informatif, une escadrille d'experts** va nous expliquer comment réaliser l'affaire du siècle, comment dégoter sous les néons la bouteille qui va faire de vous le Bébert Parker Sr des prochains repas de famille***. Du coup, marronnier pour marronnier, m'est venue l'idée de torcher vite fait bien fait un petit vade mecum de l'acheteur de picrate.


Comme le veut la "déontologie journalistique", commençons par le pousse-caddie. Puisque, soyons francs, c'est là que ça se passe: 85% du vin vendu en France, pays de la Pieuvre de la distribution, grâce notamment à des putains politiques qui se feraient gerber, pour amoralité, de n'importe quel bordel.
Si vous supportez cette ambiance (qui personnellement me donne des spasmes), vous y trouverez des bordeaux de grande série, généralement vendus moins chers que deux plus tôt, au moment de la mascarade des primeurs, mais conservés on ne sait où. Attention, là, je parle de quelques crus classés et assimilés, pour les bons petits bordeaux, ceux dont on se régale, il faudra voir ailleurs; en GD, dans cette catégorie-là, on se concentre sur le six au prix de cinq. La règle s'applique également aux champagnes industriels, vous savez, ceux que boivent les Russes sur la Côte.


Pour le reste du Monde, passez votre chemin. Sachez que si d'aventure, vous trouviez au pousse-caddie un vin artisanal, il sera forcément plus cher qu'au domaine ou que chez un caviste. Pourquoi? Tout simplement parce que ces vins-là ne sont sur les catalogues (et éventuellement en rayon) que pour servir d'attrape-couillons. Le distributeur se l'est en général procuré en seconde main, par des moyens détournés, via des intermédiaires filous, donc, sauf à être vendu à la limite de la perte, vous devrez payer le prix de cette double transaction. Pour ne rien vous cacher, je suis aller faire l'espion il y a quelques jours à Carcassonne, dans un entrepôt Leclerc, s'y trouvaient bien en évidencequelques bouteilles de mon copain Michel Escande de Borie de Maurel: il y en avait peu mais elles étaient vendues entre 25 et 35% plus cher que dans le réseau normal. En revanche, si j'étais cruel, je vous donnerais le nom d'un gros faiseur des environs, "grand ami des cavistes", dont les nombreuses bouteilles présentes juste à côté étaient affichées pile-poil au tarif-caveau…
Bref, sachez-le, en GD, le vin de vigneron, le vin haute-couture, le vrai, pas celui des tricheurs, vous le payerez toujours plus cher que chez le caviste.


Si l'on est citadin et si l'on excepte la visite au domaine ou la VPC****, l'autre façon d'acheter du vin de vigneron coule de source: il suffit d'aller pousser la porte d'un caviste, voire même d'aller lui serrer la main. Entre ça et le pousse-caddie, vous savez où mon cœur balance. Même, soyons lucides, si les cavistes ne sont pas exempts de reproches.
Laissons de côté la catégorie des imposteurs; il y a six mois, ils bricolaient dans l'immobilier, dans un an, ils vendront des pizzas surgelées; le vin, ils ont lu quelque part que c'était un bon créneau mais s'en tapent comme de leur premier bilan. Oublions-les…
Je suis moins indulgent en revanche avec les directeurs de conscience, les commissaires politiques, bref, ceux qui jugent et méprisent la façon de boire du client à l'aune de leur idéologie pinardière, idéologie souvent aussi succincte que brouillonne. S'ajoute en général chez ces oiseaux-là un petit côté "marchand de fringues" qui leur fait conspuer avec véhémence ce qu'il adoraient deux vendanges auparavant. Une version liquide de l'obsolescence programmée…


À l'opposé de ces demi-mondainvineux (qui à mon sens précipitent la jeunesse dans les bras des brasseurs et des alcooliers), l'archétype du caviste que je vous conseille saura faire preuve d'ouverture d'esprit. Ne serait-ce parce que lui, de l'esprit, il en a. Cette qualité majeure se manifestera bien évidemment par la diversité des crus qu'il vous proposera de rapporter à la maison. Chez lui, pas de total-look, (il laisse ça aux fashionistas excités sus-cité), mais souvent des bouteilles qu'on ne voit pas ailleurs, vieilleries ou trouvailles qui prouvent juste qu'il est curieux, qu'il fait son métier au lieu de suivre comme un mouton les diktats de la mode.
De cette catégorie de cavistes, je vous donne deux exemples, dans la Capitale, histoire de faire plaisir à mes amis parisiens qui en ont marre de servir de têtes-de-Turcs. Deux cavistes, deux types de Gauche, peut-être parce que la Gauche, ça devient aussi rare que le caviar sauvage, surtout en ce jour où l'on a eu la confirmation que le gros mou était surtout un petit enculé.
Le premier, c'est un Aveyronnais, ce qui dans le pinard ne fait pas tache. Philippe Cuq (ci-dessus photographié par l'angevin Jérôme Paressant) que j'ai croisé avant qu'il n'embrasse cette noble carrière. Il a ouvert Le Lieu du Vin, à deux pas du Père Lachaise et n'est pas responsable des tags qui ornent son rideau de fer. Par rapport à ce que j'écrivais plus haut, je me contenterai d'ajouter qu'il est capable de prendre autant de plaisir à goûter l'étoffe du fronsac de Dany Rolland (il a bien raison!) que de se régaler des jus frétillants de Jeff Coutelou (bis!). En plus, il aime le braucol, pardon, le mansoi…


Le second, c'est un Républicain espagnol. Dans ses veines coule un peu du sang du Levante. Paco Mora, le tenancier de la Cave d'Ivry, dans la cité éponyme, cité que je ne pense pas avoir visitée depuis une courte nuit d'amour sur canapé consécutive à France-Écosse 1987. Je connais donc pas son bouclard, mais je sais ce qu'il boit. Et ce qu'il vend. Pas que des macérations carboniques simplettes, "pas que des vins de bobo" serais-je tenté d'écrire si je ne craignais les foudres de la police de la pensée pinardière, foudres au moins aussi ravageuses (en apparence) que la grêle qui a fait pleurer tant d'amis vignerons cet été.
Alors, chez ces deux-là, et pas mal d'autres, bonnes foires aux vins. Et tenez-vous à l'abri des caddies…







* En fait, je viens d'apprendre que les vendanges 2015 étaient déjà terminées dans certains endroits, comme à Calce, en Pyrénées-Orientales. Les rouges, hein?…
** Je ne vais pas me moquer, il m'arrive d'en être mais pour dire de ne pas aller au pousse-caddie, ce qui fait toujours son effet…
*** Je vous recommande, à propos des Français et du vin, le sondage que le magazine Terre de Vins s'est offert pour le cinquième anniversaire de sa renaissance et où l'on apprend que, désormais, nos compatriotes avouent qu'il n'y connaissent plus rien. Tenez, c'est ici.
**** Il existe, en dehors des escroqueries connues, style 1855.com, et de trop nombreux guignols amateurs, de sérieux vendeurs par correspondance. Un exemple: vins-étonnants.com, allez y sans crainte pour votre foire aux vins pas foireux!




Vite, facteur, le vin n'attend pas !

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Acheter son vin par correspondance, je l'évoquais en filigrane, hier, dans mon billet sur les tristounettes foires au vin organisées dans les pousse-caddies. Oui, à distance, comme autrefois les draps sur La Redoute et les soutien-gorges aux 3 Suisses (c'était chouette, les pages lingerie des 3 Suisses…). Ce n'est pas une nouveauté, d'ailleurs, les gros faiseurs s'y intéressent depuis un bout de temps.
En France, pourtant, on conserve un a priori négatif vis-à-vis de ce mode de distribution: de trop nombreux amateurs ont été échaudés par la mauvaise expérience 1855.com. N'y revenons pas, je pense que les plus malins d'entre eux ont compris la leçon. Pour autant, le vin, en VPC, ça fonctionne. Je citais hier l'exemple de vins-etonnants.com, mais les exemples sont désormais nombreux d'entreprises qui proposent un service sérieux, fiables, loin des affres de 1855.com. En vrac, je pense à lavinia.fr, devenu le classique du genre grâce notamment à l'expertise de Marie-Louise Banyols, à dubecq.com et millesima.fr pour les bordelistes purs et durs, ainsi qu'à vin-malin.fr (que je trouve cependant un peu moins pointu qu'avant mais auquel je dois un délicieux lot de Perruches 2009 de Gérald Vallée). Pour ce qui est des naturistes purs et durs, fiez-vous, en regardant les tarifs car certains bastonnent et en vérifiant la compétence logistique, à la liste dressée il y a un an par le camarade Antonin Iommi-Amunategui pour Rue89. Le vin en VPC n'est évidemment pas que franco-français, bien au contraire: comment ne pas évoquer une des plus belles réussites du secteur, nakedwines.com, auquel j'avais consacré il y a longtemps ce billet.


Mais bon, on ne va pas parler que de vieilles choses, si j'écris sur la VPC aujourd'hui, c'est pour vous présenter une nouveauté, pas en France ni en Angleterre, mais en Espagne. Normalement, je devrais d'ailleurs garder ça pour moi, car le projet, d'ores et déjà opérationnel, ne sera officiellement lancé qu'à la fin du mois de septembre.
Ça s'appelle, monvinicstore.com. Eh oui, comme Monvínic, le restaurant-bar-à-vin-espace-culturel-etc de Barcelone (qui est en train de s'offrir un sacré lifting pour fêter ses six années d'existence). MonvínicStore est donc tout simplement une excroissance du précédent lieu, excroissance entièrement consacrée à la vente de vin par correspondance aux particuliers et au professionnels. Toutes les références ne sont pas encore en ligne, mais on peut déjà se faire une petite idée du catalogue en cliquant sur monvinicstore.com.


Les bureaux de monvinicstore.com sont donc eux aussi installés dans la capitale catalane, sur la Ronda de Sant Pere, entre Arc de Triomf et Urquinanona, dans ce quartier arboré qui conserve encore son côté Sentier barcelonais. Le bâtiment, au look post-industriel, abritait d'ailleurs précédemment un grossiste en textile, d'où les surfaces importantes et un profond sous-sol idéal pour le stockage du vin (la climatisation aidant car ne l'oublions pas, nous ne sommes pas à Copenhague…).
Car, vu l'ampleur du projet et les moyens mis en œuvre, mieux vaut en avoir de la place! À terme, monvinicstore.com devrait disposer de plusieurs milliers de références, tout comme la maison-mère, Monvínic, qui totalise jusqu'à cinq mille étiquettes venues du Monde entier.


Oui, ne l'oublions pas, en catalan, Monvínic, ça signifie "Monde vinicole". Donc, pas question de n'y trouver que des vins locaux! La sélection est et sera planétaire.
À ce propos, ça me ramène à mon billet d'hier et aux quelques reproches à faire aux cavistes français: le premier d'entre eux est sûrement le manque de curiosité. Désolé de le dire d'une façon aussi abrupte, mais en matière de vins étrangers, hispaniques notamment, la plupart sont nuls! Les plus téméraires ont fait une visite en Priorat, sorte de tarte à la crème de la culture œnologique franchouillarde qui décerne automatiquement à ceux qui depuis Salou ont grimpé à Falset un diplôme de Master of Spanish Wine en chocolat; certains, suivisme oblige, réduisent la péninsule aux jus étranges, "brumeux, avec de belles éclaircies", de Laureano Serres Montagut (tout en oubliant son inventeur, Benoît Valée); le reste, une immense majorité, en est resté au Marqués de Cáceres, à la sangria en bidon et au Sangre de Toro. Bref, peut (beaucoup) mieux faire!


Des crus catalans, espagnols, on en trouve évidemment beaucoup dans cette caverne d'Ali-Baba barcelonaise. C'est notamment l'occasion pour nous, pauvres buveurs Français, de mettre la main sur ces vins de Jerez et de Montilla-Moriles si difficile à se procurer dans l'Hexagone (et malgré le port, à des prix très corrects); je sais que ça fera plaisir à tous les gentlemen du genre de Michel Smith, incorrigible fino lover, si dépités de manquer de sherry. On pourra également mettre le nez sur les dernières nouveautés du Nord-Ouest espagnol, galiciennes notamment, nouvel eldorado des amateurs avertis.
Mais, l'hispanité ne s'arrête pas à l'Océan, monvinicstore.com a l'ambition de faire également découvrir ce qui se produit désormais, en dehors de la grosse cavalerie, dans des pays comme le Chili. C'est ainsi que nous avons goûté ce midi un carignan assez déroutant, aux notes végétales, camphrées, évoquant presque certaines syrah de terroirs frais; ça s'appelle Villalobos, c'est vendangé dans de vieilles vignes (1940) cultivées en biodynamie dans la vallée de Colchagua.


À monvinicstore.com se mêlent des anciens de Monvínic (Delia Garcia Rodriguez) et de Vila Viniteca (comme mon pote basque Nacho Pistacho). Mais c'est d'abord le caprice de Sergi Ferrer-Salat, pharmacien de métier (les laboratoires Ferrer) et bodeguero en Priorat. Un élégant caprice, un peu dingo dans un pays où la vente en ligne peine à décoller; cela étant, on pourra en profiter au delà des frontières espagnoles, puisque si les Barcelonais peuvent venir sur place retirer leurs commandes, la livraison est assurée dans toute l'Europe. De quoi s'ouvrir un tantinet l'esprit…
Facteur, à vous de jouer!



20 sur Vin !

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Tous les amateurs de vin un rien chevronnés le savent: les bouteilles, quelles qu'elles soient, offrent souvent de grands plaisirs mais parfois d'immenses déceptions. Quand (c'est le pire!), elles ne suscitent pas l'indifférence. Le vin n'est pas une science exacte. Cela vaut pour les "petits vins" (qui est la dénomination académico-commerciale du vin pas cher) mais aussi et surtout pour les grands crus et assimilés où la déception œnologique se mêle, vue la hausse de la bourse pinardière depuis vingt ans, à la désagréable sensation d'avoir jeté son argent par les fenêtres et de s'être fait rouler dans la farine.


Dans ces mauvais moments, répétons-le, le vin n'est toujours pas le seul en cause. Certes, il peut pâtir de la lune, du vent, de la pression atmosphérique, du transport, de sa conservation, de sa température de service… mais nous aussi pouvons nous trouver dans un mauvais jour. Là encore, à cause du vent, de la pression atmosphérique, de la lune, etc ou tout simplement parce que la conversation de notre voisin(e) de table nous les brise menues, où qu'il(elle) pue le sent-bon de synthèse.


La déception peut naître aussi du fait que l'on avait par rapport à tel ou tel vin une attente démesurée. C'est le double-tranchant du marketing, actif ou passif, celui de la pub ou du publi-reportage, qui fait rêver le néophyte mais qui souvent tente de faire passer des vessies pour des lanternes. Malheureusement, ça ne marche que jusqu'au moment où l'on se retrouve face à la réalité, bien après l'acte d'achat, au moment de consommer le produit.


Demeurent à l'abri (heureux les pauvres en esprit…), les buveurs d'étiquettes. Pour eux, évidemment, c'est forcément bon: il ne lampent pas du vin mais dégustent des noms, des images, un statut. Leur snobisme leur interdit donc de remettre en cause "l'Ordre établi"*. Pour les autres qui, comme mes amis ou moi, préfèrent découvrir les crus à l'aveugle, c'est un poil différent. Quand le Roi est nu, il est nu. Vraiment.


Et puis, heureusement, il y a les instants de grâce. Les amateurs de tauromachie ou de flamenco connaissent ça. El duende. Tout s'emboîte parfaitement? la mer s'ouvre devant Moïse, des pétales de roses tombent du ciel: non seulement ce que vous avez dans le verre est superbe, mais en plus ça vous procure une jouissance inouïe, phénomène encore plus rare, une jouissance partagée par les autres convives. Bref, 20 sur Vin au tableau noir!


Cet instant de grâce autour du vin, il m'a semblé en vivre un le week-end dernier, autour d'un repas (vous aurez un aperçu du menu en bas de la page) et des deux qui ont suivi. L'ambiance était là bien sûr, pour fêter la rentrée, les amis aussi, mais pas seulement. Nous avons eu droit à une étonnante série de grandes bouteilles, très différentes les une des autres, mais qui chacune à leur façon nous a délivré un message pur et clair.


En attendant que l'avion des derniers convives se pose au Prat (le ciel de la mer des Baléares était orageux), nous nous sommes juste agacés avec un rassérénant mauzac vert 2012 de Plageoles et un mousseux espagnol, Tres Lustros de la maison Gramona,  une grosse fabrique dont je ne suis pas fan, mais ce 2005 était très correct, pas lourd, un peu moins intéressant cependant que le Celler Battle GR 2001 goûté une semaine plus tôt.


Pour ce qui est de cette étonnante série, la voici, dans le désordre.
Jacques Selosse, Blanc de Blancs, champagne (dégorgé le 19 septembre 2003): ah, cette pointe élégamment oxydative, rassie, qui m'évoque irrésistiblement la chère et tendre Joséphine limouxine. Un mariage de rêve avec l'Ibérico de bellota lustré aux œufs de caille. Selosse sera toujours Selosse, ce n'est qu'une confirmation, nous nous en étions déjà rendu compte dix jours auparavant à Roquetaillade alors qu'un autre vieux vin de cette belle maison avait étrillé un frétillant Fidèle de Vouette & Sorbée et sérieusement bougé une DeMarne-Frison dont les amers rêches sentaient la sous-maturité.
Jo Landron, Le Fief du Breil, muscadet-de-sèvre-et-maine 2006: qu'il est agréable de boire de grands bourgognes blancs alors que s'approche avec majesté leur apogée… "Ah, quoi? Ce n'est pas du chardonnay? Quoi? C'est un melon de Bourgogne? Du Muscadet? Non…"
Equipo Navazos N°20Bota Punta, manzanilla pasada: oui, c'est immense, à la fois tendu et ample, d'une incroyable richesse et tellement facile à boire. De la noisette, de la figue, du cèdre, tout est là, de façon majuscule. Époustouflant! Eh, les Andalous, vous le faites en magnum plutôt qu'en mignonnettes?


Jose Luis Mateo, prueba de variedades ancestrales 2010, vin de Galice non agréé (échantillon): un OVNI, issu de très vieilles vignes, parfois non répertoriées, des montagnes pentues qui entourent Verín (j'avais évoqué ce travail ici et ). Difficile de ne pas penser à l'équilibre d'un grand bourgogne en buvant ce trésor dont on espère qu'il sera un jour disponible dans le commerce. Il faut continuer d'explorer cette voie, Jose Luis! Merci et bravo!
Jean-Louis Chave, L'Hermitage 2010, hermitage: nez solaire, pas vraiment marqué syrah, infiniment moins variétal par exemple qu'une Chapelle de Jaboulet. C'est évidemment un infanticide, mais aussi charmant que celui d'un agneau de lait de Castille: délicatesse et profondeur. Aurait du être carafé la veille pour le lendemain (heureusement, on en a conservé une goutte pour le lendemain…).


Wildcroft Estate, Wild One 2008, Mornington Penninsula: "une grande côte-rôtie s'interroge un des convives?" Non, ce n'est pas français, je vous promets, pas suisse non plus, mais australien. De l'extrême sud du continent, Mornington Penninsula, sur des terroirs assez humides, battus par les vents glacés de l'Antarctique. Derrière cette syrah déliée, on trouve Philip Jones, le sorcier du pinot noir des antipodes et sa fidèle œnologue Shashi Singh (qui désormais vinifie elle aussi ses propres vins).
Élian Da Ros, Chantecoucou 2010 côtes-du-marmandais: Là encore, comme avec Chave, c'est un crime de boire ce vin aussi jeune. Mais c'est tellement bon, bon comme un bordeaux solaire. Rendez-vous dans dix ans? Bien sûr!


Salvo Foti, Vinupetra I Vigneri 2008: je ne vais pas vous embêter encore avec ce vin, je vous en ai parlé ici, ici aussi et , je vais juste le résumer en un mot: tellurique! (merci encore Jacques et Clio)
La Croix des Marchands, 2011, gaillac: quoi, un vin à 5,20€ TTC (c'est le prix que je l'ai payé chez un caviste albigeois) au milieu de cet aréopage? Oui. Si je veux. Et je veux, parce que je trouve que ce vin possède un charme fou, une élégance rare. Vous en doutez? Trouvez une bouteille de ce 2011, décantez la deux heures et servez-là à 13°C, à l'aveugle. On en reparle?


Famille Plageoles, Ondenc 2012, gaillac doux: douceur et fraîcheur, quel bon contrepoint des figues au Pedro Ximénez (je pense que le PX aurait lui été trop lourd sur ce dessert). Comme souvent chez Plageoles, la bouteille est finie avant qu'on ait eu le temps d'en parler…
Chambers Rosewood vineyards, Rare Tokay, Rutherglen: l'Australie à nouveau*, Victoria. Ça aussi, c'est un OVNI. De la muscadelle qui ressemble à du PX ou à une liqueur de moka. Moi, je l'aimais bien avec les figues, d'autres ont estimé que ça manquait de "contraste" et que ce jus noir était un dessert en soi. Pourquoi pas?





* Encore un vin étranger qui me confirme dans ce que j'écrivais récemment sur le manque de curiosité des cavistes et donc des œnophiles français. Et donc sur la nécessité de regarder ailleurs.


* Des couillons de ce genre, tendance mouton de Panurge, on en trouve malheureusement dans tous les compartiments du jeu, aussi bien dans le monde du grand cru que dans celui du vin nature. "Génial, forcément génial" puisque c'est marqué sur la bouteille. Surtout, jamais de remise en cause, laquelle impliquerait une introspection malvenue. Et, éventuellement, quelques embarras commerciaux…

Le bonheur est dans le près.

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Juste une image, ce matin à Toulouse, une photo chipée sur le net grâce à Rodolphe Lafarge, un blogueur local spécialisé dans la restauration branchée. La vitrine d'un caviste de la Ville rose, Lacrima Vini*, place Saint-Georges, un de ces petits commerçants (race en voie de disparition), qui continuent, malgré les taxes, les impôts et tous les emmerdements qu'on leur fait, d'animer les rues des cités françaises. Saluons au passage les tauliers, deux jeunes, Margaux Menet et François-Xavier d'Arras, qui ont monté ce couple de caves, la première place Saint-Georges et la seconde avenue Étiennes-Billières, il y a deux ans. Comme vous pouvez le voir en illustration de ce billet, les "dictons du jour", c'est leur affaire…


Oui, le bonheur est dans le près, dans la proximité. Oui, en ville, il est dans le fait de ne pas avoir à prendre sa voiture pour courir des banlieues sordides dès qu'on besoin d'une salade, d'un beau poisson ou d'une boîte d'allumettes. Vivant à Barcelone (ville qui compte plus de vingt marchés couverts et où l'on peut grâce à la loi espagnole ouvrir une boutique en moins de vingt-quatre heures*), j'ai la chance de profiter quotidiennement de cette proximité, d'aller faire mes commissions à pied ou à vélo, de vivre le frigo vide. Cette chance, malheureusement, La Pieuvre de la grande distribution (en grande partie française) tente de l'anéantir, et singulièrement dans l'Hexagone, ravagé par le culte mensonger du moins-disant, du "moins cher que moins cher. Amis français, pensez à la devanture de ce caviste si, puisqu'il paraît que c'est de saison, vous songez à aller visiter une de ces fabuleuses"foires aux vins" que vantent les moutons médiatiques***. Dites-vous bien que si vous le faites, vous collaborerez à la grande œuvre de La Pieuvre, à la fin de la proximité urbaine, à la désertification commerciale des villes****.


Le bonheur est dans le près, il est aussi dans le vin. C'est la leçon que nous donnent ces deux jeunes gens qui abordent leur métier de caviste avec entrain et bonne humeur. Un peu comme d'autres jeunes qui désormais, tels des évangélistes, lancent des wine-trucks sur les routes de France, ils ne considèrent pas le client comme un ennemi.
Pourquoi j'écris ça? Parce que j'ai été choqué par la violence de paroles prononcées ces derniers temps par de vieux professionnels de la profession, des cavistes-inquisiteurs qui veulent, "avec des tenailles", extirper le mal de l'esprit du consommateur, coupable de pas boire "ce qu'il faut boire". Mais foutez-lui la paix au client! Laissez le même parfois jouir de son goût de chiottes!
Je ne crois pas que ce soit en se comportant comme les chanteurs de MJC des années 70 pour lesquels le public n'avait rien compris que l'on fasse progresser la cause du vin. Au contraire, je trouve un rien indigeste, méprisant et doctrinaire, ce cocktail de pensée soixante-huitarde et d'oukases fashionistas. Un cocktail moralisto-hygiéniste qui explique en partie pourquoi de nombreux clients "ont peur" de pousser la porte du caviste (ou du libraire, cf. ci-dessous), qui va les juger, les toiser, les moquer au lieu de se mettre à leur portée. Ce que tous (et moi le premier!), nous devrions faire plus souvent.





* Un caviste digne d'intérêt d'ailleurs, au delà de son talent littéraire, puisqu'il vend les bouteilles de grands vignerons comme Cros, Plageoles, Navarre, Trapet. En plus, Margaux Menet et François-Xavier d'Arras ont l'air, comme moi, d'adorer le restaurant qui fait figure pour les amateurs de meilleure table toulousaine du moment: La (nouvelle) Pente douce d'Hamid Miss, une oasis au pays de la cuisine techno-Métro-bobo.
** Rien que dans mon quartier, j'ai par exemple dénombré une dizaine de poissonneries !
*** Dans son billet matutinal, le camarade Jacques Berthomeau se pose la question (rhétorique?) de savoir s'il faut parler de ces foires ovins au risque de leur faire de la pub. Personnellement, j'estime que oui: dans le concert médiatique, nous sommes les rares voix discordantes, les rares à ne pas aller sucer le mammouth, donc, exprimons-nous, existons, même de façon minuscule.
**** La Nature ayant horreur du vide, La Pieuvre, après avoir fait son sale boulot, installe en centre-ville de fausses épiceries, de faux marchés où elle vend, cher évidemment, les mêmes merdes Nestlé-Monsanto& Cie que dans les banlieues. T'as compris la combine?

Qui va gagner, la Nature ou El Bulli ?

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Vous avez peut-être entendu parler de ce scandale discret qui agace pas mal de Catalans. Non pas celui de Monsieur 3%, Jordi Pujol, la statue vivante du nationalisme déboulonnée après que l'on a découvert qu'il n'était qu'un médiocre julot casse-croûte, celui de la future "fondation El Bulli". Pour ceux qui ont raté les épisodes précédents, Ferran Adrià a décidé pour installer confortablement ce "lieu de savoir"* d'agrandir son ancien restaurant de la cala Montjoi. Concrètement les bâtiments doivent s'étendre sur 5400 mètres carré, le projet affectant au total 20000 mètres carré. Le seul léger problème, c'est que le site est ultra protégé, il se trouve dans un des joyaux de la région, le Parc naturel du Cap de Creus où toute construction est strictement prohibée. Ni une ni deux, le cuisinier-phare de la dream-team Nestlé-Monsanto-Givaudan** a monté une tambouille avec les nationalistes au pouvoir pour se faire mitonner une loi sur-mesure lui permettant, avec l'aide de deniers publics, de bétonner l'endroit.


Colère, immense colère de beaucoup d'habitants du nord de la Catalogne et des écologistes locaux qui vivent ce projet comme une profanation. Et mise en place d'une pétition en ligne, les médias régionaux restant plutôt taiseux sur l'affaire. Eh bien, cette pétition a tranquillement fait son chemin puisqu'au moment où je vous écrit, elle a recueilli 78098 signatures. Comme vous pouvez vous en douter, elle réclame la suppression du passe-droit dont bénéficie El Bulli Foundation, pour sauver le Parc naturel du Cap de Creus. La présidente du parlament de Catalogne, Núria de Gispert, vient officiellement d'en prendre acte. Si vous êtes un tant soit peu amoureux de la Nature, vous savez ce qu'il vous reste à faire…




* Qui sera également un restaurant pour happy fews et entreprises.
** Récemment greenwashé, toutefois, et reconverti en apôtre du terroir…



Saint-&-Millions Business.

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Vino Business, si vous suivez de près les choses (franco-françaises) du vin, vous en avez entendu parler. Depuis un bout de temps, on nous vend ça, et notamment dans le mundillo du picrate alternatif, comme l'évènement médiatique de la rentrée 2014: "Vous allez voir ce que vous allez voir!"
Chez "ceux d'en face", on fait mieux que fourbir ses armes en décochant déjà quelques flèches, dénonçant à l'avance des inexactitudes et des contre-vérités, parfois même à base de citations tronquées.
L'intox, la pub, ça va bien un moment, j'ai donc voulu me faire une idée précise de ce qui se racontait dans le (long) documentaire d'Isabelle Saporta* qui sera diffusé lundi 15 septembre sur France 3. Je l'ai donc visionné en intégralité hier. En avant-première, je vous livre mes notes et mes impressions, j'y ai ajouté l'index des citations, pour plus de transparence.


Le décor est rapidement planté. On comprend que ce n'est pas du vin dans son ensemble dont on va parler ici, même pas du vin français, ni du bordeaux comme c'est annoncé, mais spécifiquement de Saint-&-Millions, le Disneyland pinardier. Durant une heure dix-neuf minutes et vingt-deux secondes, le film aura bien du mal a sortir de cette appellation et de ses célèbres querelles de clochers qui animèrent tant les cafés-croissants du bistrot de la rue Guadet.
C'est à mon sens un peu réducteur, microcosmique, et ce Saint-&-Millions Business (ce titre semble plus adapté) nous ramène à l'époque du vin de grand-papa, avant que l'on ne découvre qu'il y avait des centaines de vignobles en France et dans le Monde…


Alors, compte tenu des états de services de la demoiselle, pourfendeuse du grand capital pinardier local, ce qu'on attend, évidemment, c'est le clash avec Hubert Déboires, le James Bond de Saint-&-Millions (même si en l'occurrence, c'est lui qui joue le rôle du méchant). Et là, franchement, les amateurs de castagne en seront pour leurs frais. Les avocats, eux aussi, seront déçus, il n'y a pas vraiment matière à procès, sauf peut-être plus tard dans le documentaire (47'51") quand les déchus du nouveau (et suspect…) classement des Crus de l'appellation insinuent sans citer de nom qu'ils sont victimes d'un complot foncier international dont double-zéro pourrait être complice.
"Serein sur ses barriques", Cousin Hub'évacue avec le sourire le fait d'avoir été juge et partie dans le classement des crus, déroule, prend la pause, joue les champions du Monde… Rien de bien excitant. Pas de combat, pas de faute, morne plaine (comme à Angélus), on "joue à toucher"*, c'est poli et mollasson.


Comme dans le Mondovino de Jonathan Nossiter (Saint-&-Millions Business en est un peu le remake hexagonal et télévisuel), on insiste bien sûr sur le contraste entre les méchants et les gentils.
Le premier d'entre eux, des gentils, c'est Dominique Techer, bon vigneron du village voisin dont le pomerol, Gombaude-Guillot, est produit en bio. Un discours rustique, clair, au goût du jour, qu'il est agréable d'entendre. Notamment quand à son tour il se moque de "la comédie des primeurs" pour reprendre le terme de Michel Smith au printemps 2010. "Les primeurs, explique Dominique Techer (37'15"), c'est le concours de beauté. Et c'est comme dans tous les concours de beauté, quand on voit la lauréate, on se demande s'il y a une pièce d'origine". Rassérénant, mais maintes fois décrit.


Au chapitre des gentils, on admirera le positionnement marketing sans faille de Stéphane Derenoncourt (excellent mouvement de tête sur le dernier plan, très Actor's Studio). À la taille dans ses pauvres vignes, comme un brave paysan, lui le petit vigneron devenu consultant international campe une sorte de Caliméro humble, de Droopy néo-indignado (un rien influencé au niveau de la gestuelle par James Dean dans Rebel without a cause). Les dialogues sont également excellents. Exemple quand, attentif à la ménagère de moins de cinquante ans, il dénonce la hausse des prix des grands crus (6'12"): "y'a peu d'gens sur la planète qui peuvent se permettre d'inviter toute la famille et de dire, tiens, on va s'prendre une cuite au Lafite, ou au Latour!" Ou quand lui, le consultant international pratique l'autodérision: "on a fait du vin avant de faire des œnologues". Difficile de ne pas lui donner raison, nous sommes déjà des milliers à l'avoir écrit (et même avant qu'il n'y pense). Pour autant, Stéphane Derenoncourt est bon, excellent casting, il n'est pas sans rappeler avec son côté résistant sincère le rôle d'Aimé Guibert de la Vayssière dans Mondovino. Très crédible, bravo!


Mais, comme dans Mondovino, pour bien montrer la différence entre les vrais gentils et les autres gentils, il faut évidemment en contrepoint un indigène bourguignon. Avec accent assorti si possible. Ce cher Hubert de Montilleétant déjà pris, Isabelle Saporta est allée boire le coup chez l'Dom Derain (pensez à l'accent…). Le naturiste de Saint-Aubin est parfaitement en place, "un bon client" comme on dit dans les rédactions: discours bien rôdé, axé sur le terroir et le respect du sol, intéressant passage sur "les peurs" (qui effectivement sont un des grands arguments marketing de l'époque, y compris dans ce documentaire). Ajoutez à cela la séquence photogénique de la bouse dans les cornes de vaches et un pigeage aux pieds, le téléspectateur de base va adorer. Rien à dire!
Justement, d'ailleurs, comme l'écrit très Jacques Dupont dans Le Point, "le problème d'Isabelle Saporta, c'est qu'elle parle…" De fait, on aurait pu se passer de commentaires infantiles ou infantilisant, tel celui sur les traitements de la vigne chez Dominique Derain (28'19"). "En Bourgogne, comme dans toute la France viticole (il y a des exceptions NDLR), la météo au printemps 2013 a été catastrophique. Mais même dans ces circonstances, Dominique Derain refuse de pulvériser des pesticides sur ses vignes. Il préfère faire confiance à ses bouses de vache si savamment préparées…" Ou quand elle nous explique qu'à Volnay (26'49"), "les produits chimiques sont proscrits"…
Ben voyons, c'est vrai qu'au printemps 2013, la bouse de vache avait réponse à tout! Surtout en Côte de Beaune! Le cuivre et le soufre, surtout en bio, les fongicides, on n'en avait pas besoin…
Mais, pour forcer le trait, les commentaires d'Isabelle Saporta englobent tous les produits de traitement de la vigne sous le vocable honni de "pesticides", d'où ce genre de phrases caricaturales qui ne font pas vraiment avancer le débat.


L'œnologue girondin Pascal Chatonnet le souligne justement (24'18"), "ce n'est pas en niant un problème qu'on le solutionne, les pesticides en général sont un problème, il faut les aborder franchement avant que ça ne devienne un problème". Et c'est un des intérêts de Saint-&-Millions Business que d'ouvrir à son tour le débat sur l'usage excessif des produits phyto-sanitaires à la vigne. Mais, d'une façon tellement outrancière, tellement dirigée, surtout. Le propos est à peu près aussi objectif, en creux, que quand les revues professionnelles viticoles, sponsorisées par l'industrie pétro-chimique, évoquent le sujet…
Dans les commentaires, une phrase d'Isabelle Saporta (17'09") est assez révélatrice de son état d'esprit et de sa vision du vigneron bordelais, du viticulteur comme elle dit: "quand la météo est peu clémente, les viticulteurs ont une excuse toute trouvée pour utiliser massivement des pesticides". C'est vrai qu'au prix que coûtent les produits, ils ne rêvent que d'une chose, en consommer plus!
À cet égard, la comparaison entre Bordeaux et la Bourgogne est d'une malhonnêteté intellectuelle de compétition, à montrer dans les écoles de journalisme. Les milliardaires d'un coté, tout de béton, d'or et d'inox parés, pollueurs et avides. Les bons sauvages de l'autre, pauvres, modestes, beaux "comme avant", comme dans une étiquette seventies de Patriarche ou de Chaussée aux Moines. Pétainisme de gauche? Ce serait excessif et insultant de l'écrire. Folklore militant, et exploitation d'un fond de commerce? Oui, sûrement.
Pour info (et pour revenir dans le monde réel), rappelons que les surfaces de vignes cultivées en bio en Gironde et en Côte d'Or sont quantitativement comparables, légèrement à l'avantage des Bourguignons en pourcentage, très en faveur des Bordelais en valeur absolue.


Pourtant, Dieu sait s'il faut le poser, ce débat des "pesticides". Sur la façon de les faire évoluer, eux et leur usage. Pour ce qu'il en reste dans le verre (même si on le sait, le premier "poison" du vin, et de loin, létal, c'est l'alcool) mais aussi et surtout pour protéger les agriculteurs eux-même ainsi que les riverains de leurs exploitations. C'est un débat grave, bien au delà de la Gironde, et encore plus dans certaines régions frontalières de pays plus laxistes avec la chimie lourde.
La douleur de Marie Lys Bibeyran (20'17"), dont le frère, tractoriste, est mort à 47 ans d'un cancer foudroyant des voies biliaires intra-hépathiques fait évidemment partie des pièces à verser au dossier. Et se passe de commentaires.


Plus drolatique, mais assez remarquable de diabolisation puérile, ce moment, juste après un passage en Bourgogne "où l'on fait confiance à la Nature en toutes circonstances" (30'24"), quand Saint-&-Millions Business, pour suggérer le vice des vignerons bordelais, montre une séance d'assemblage. Nous sommes dans un labo (beurk! c'est propre!), sur la paillasse, Valandraud de Jean-Luc Thunevin (un de ceux qui s'en sortent le mieux dans le film). Là encore, c'est la voix-off qui vaut son pesant de cacahuètes (30'44"). "À Bordeaux, les enjeux économiques sont tels qu'il n'est pas possible de laisser [la Nature] décider seule. Pendant que la vigne pousse, les propriétaires s'affairent à créer de toutes pièces le vin issu des vendanges de l'année précédente. Jean-Luc Thunevin a accepté de me montrer comment sont fabriqués les grands crus. Il m'a révélé (sic!) qu'ici, chaque bouteille de vin est composée du mélange de différents types de raisins, ce qu'on appelle les cépages". Sacré scoop!
"Formule magique", "alchimiste", le commentaire force encore un peu le trait afin de prouver que tout cela n'est pas naturel.


Comme le veut l'usage mondovinien, on nous remet évidemment une gorgée de Parker (sans son chien) et une lampée de Michel Rolland. Ça ne mange pas de pain. Uncle Bob, échaudé, se tait et Michel Rolland, lui, fait une courte apparition. Gasconnant, sympathique, il s'en sort bien mieux que dans le film de Jonathan Nossiter, dont le montage il est vrai ne lui avait pas été formidablement favorable (euphémisme). Sauf sur un éclat de rire bien placé à 42'42"…



Michel Rolland permet en revanche d'introduire un des mot-clés (avec "pesticides") de Saint-&-Millions Business: "consultants". Je n'ai pas relevé le nombre d'occurrences de ce terme, mais ça en fait. Tout au long du documentaires, "les consultants", ces mages noirs inquiètent. J'ai juste envie de rappeler que des "consultants", il y en a de toutes sortes, et beaucoup grâce auxquels on fait un peu moins de bêtises au chai et dans les vignes. L'intervention de certains, tels les Bourguignon, Pacalet, Néauport ou Chauvet a d'ailleurs permis de rendre les vins plus "naturels"…


Tant qu'à reprendre la trame de Mondovino, Isabelle Saporta nous ressort l'ineffable Sucker, pardon Suckling, James Suckling. Il est égal à lui même, un peu moins bon peut-être que chez Nossiter, mais un champion reste un champion…
En revanche, le passage sur les critiques est l'occasion de nous révéler un autre gros scoop (32'30"). "Ce qui se murmure dans ce petit milieu, c'est que certains de ces consultants feraient désormais des échantillons conçus sur mesure pour plaire aux journalistes". Ah, ça, comme secret de Polichinelle! Je me souviens, à l'aube des années 90, de Jean-Pierre Nony au Château Grand Mayne qui, en bon Corrézien, avait dans son chai une barrique marqué RP et l'autre MB. Il m'en avait même offert une ou deux bouteilles, pour comparer les palais des uns et des autres…


Sinon, quoi d'autre dans ce remake? Pas grand chose, on a du mal à sortir du village: des images de pince-fesses, avec tous ces mondainvineux qui ont désormais envahi tous l'univers pinardier, quelques images de ces Chinois qui sont à nos portes, madame Michu, la Fête de la Fleur, des femmes à hauts talons, la Jurade de Saint-&-Millions, le miracle des cloches d'Angélus et ses membres enrubannés comme des volailles de concours, peu de chiffres (on survole toutefois le problème du foncier agricole). Bref, rien qu'on n'ait déjà vu ailleurs.


Ah si! On parle des vendanges qui, à Bordeaux, "sont érigées en science exacte, explique la voix-off. Selon les consultants, l'avenir d'un grand cru se jouerait à quelques jours." Ben oui, pas qu'à Saint-&-Millions d'ailleurs, pas qu'à Bordeaux, et pas que dans des grands crus: la date des vendanges, un peu partout dans le Monde où l'on s'intéresse à la qualité du vin que l'on va produire, c'est un des choix majeurs de l'année du vigneron.
Et au passage, Saint-&-Millions Business nous montre le laboratoire Rolland où l'on croit (1h6'42") "dur comme fer dans le génie de la Science. Dans leurs locaux aux allures de laboratoires médicaux, une kyrielle de machines capables selon eux de corriger toutes les erreurs de la Nature". Si ce n'est que ce sont uniquement des instruments de mesure…


Bref, apprend-on quelque chose durant ces une heure vingt de télé? Non. Mais vous me direz que c'est normal, c'est de la télé. Pas faux, si on apprenait quelque chose qui ne soit ni simpliste ni caricatural devant la boîte à cons, ça se saurait.
Est-ce qu'on n'y dit que des bêtises? Non. Certains propos, comme la mise en doute de la méthodologie du nouveau classement de Saint-&-Millions, sur la nécessité de lutter contre l'excès de produits phytosanitaires sont plus que fondés.
Y pratique-t-on l'amalgame? Oui. En mettant dans le même sac tous les vignerons bordelais. Et surtout au travers de la fallacieuse "comparaison" avec la Bourgogne.
Quoi de neuf depuis Mondovino? Pas grand chose. D'autant que dans ce remake manichéen contrairement à l'original, on ne rentre pas dans le produit, Loi Évin oblige.
Ce que je voudrais noter, en conclusion, au pays des Shadoks comme aiment le dire nos voisins, c'est qu'il est quand même assez formidable de constater que l'une des très très rares fois où l'on va parler à la télévison (publique qui plus est) de notre trésor national, le vin, ce sera pour en dire du mal. Maso? Vous avez dit maso?



* Isabelle Saporta qui s'était faite connaître il y a un an lorsqu'elle avait annoncé que les vins français du millésime 2013 auraient "le goût de grêle".
** Terme rugbystique qui signifie qu'on ne plaque pas, qu'il n'y a pas de contact réel.


Cochon d'Amour, pas Cochon Business, Jacques.

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C'est Jacques Berthomeau, blogueur impénitent et ancien bras droit de Michel Rocard*, qui m'a interpellé ce matin sur un réseau social, se demandant (question rhétorique), si je réalisais un documentaire sur le cochon, à quoi il ressemblerait. Son interpellation n'était d'ailleurs pas tout à fait innocente, la bête singulière servant de prétexte à une éventuelle conversation sur l'exégèse du remake hexagonal et télévisuel de Mondovino que j'ai publiée hier.
Mais, dans la touffeur de cette après-midi barcelonaise, alors qu'en cave quelques bouteilles (dont un poison bordelais, Jacques…) ne rêvent que de filer en terrasse rafraîchir les invités du dîner, j'ai envie de me prendre au jeu. Et, malgré mon peu d'attirance pour la boîte à cons, de répondre à la question.
Un documentaire sur le porc? Alors, bien sûr (on ne peut pas ignorer la réalité de la consommation de masse), que j'attaquerais** par quelques images sordides, celles de ces cochons d'usine qui quand ils meurent vont au Paradis parce que c'est en Enfer qu'ils ont passé leur vie. Nous irions, vite fait en Bretagne, en Catalogne, en Hollande, en Roumanie, au Mexique, en Chine… Chez Shuanghui, les repreneurs des délicieux Américains de Smithfield Foods qui se cachent derrière tant de marques bien franchouillardes. On parlerait de pollution et de dopage et, au passage, je dirais aux animalistes de tout poil de réserver en priorité leurs larmes de Disneylandà ces pauvres bêtes plutôt que de faire de la sensiblerie sur le séjour terrestre cinq étoiles du toro brave.
Tant qu'à y être, pour monter en gamme, j'évoquerais à nouveau l'escroquerie du Cerdo ibérico de denominación incontrôlée (jusqu'à 60% de contrefaçon!), celui-là même qui fait les délices des jeunes chefs créatifs français tendance Métro-bobo-gastro.


Et, alors, passée cette visite au musée des horreurs, nous partirions au pays si proche de ce qui fait rêver, de ce qui tire vers le haut, de ce qu'on ne trouve pas au pousse-caddie. Ça me fait d'ailleurs penser qu'il faudrait que j'en remette un petit coup sur le pousse-caddie. Parce que, tant qu'à se bagarrer, autant le faire avec des gros, ces gros avec lesquels la bonne Presse a, à mon goût, un peu trop tendance à passer et repasser la langue, surtout en ces périodes de foires aux vins.
Normalement, à ce point du documentaire (20'à peu près), je devrais filer directement à Lascabanes, chez Patrick Duler, pour forcer le contraste. Car je sais que la télévision, malgré l'apparition assez ancienne de la couleur, préfère le simplisme du noir et blanc. En plus, ça me vaudrait les acclamations, à Paris, des foodistes de la Gauche-jambon (le caviar, c'est has-been…). Eh ben non, désolé! Certes, je resterais dans le Sud-Ouest (il paraît que c'est tendance chez les cathodiques, l'accent est vendeur) mais direction le Gers, à la ferme de la Payroulère, chez Arlette et Michel Grangeon, paysans engagés, bio et pragmatiques. Et là, on irait visiter les parcs et les maisons des cochons avant de se régaler de leur inoubliable saucisson.
Tant qu'à se balader dans le coin, on monterais en Ariège, dans le Couserans, trancher dans la chair de ces noirs gascons de compétition dont je servais le boudin, le pâté de tête et les coustelous cet été en Minervois. Plus modestement, nous irions dans le Tarn, tout en haut des Monts de Lacaune, à Moulin-Mage, saluer le charcutier arabe de mon papa, Akim Zerouali, et voir s'il ne lui resterait pas un peu de melsat et un jambon de coche.
Des adresses, il faudrait en donner, en donner beaucoup, montrer que ça existe encore, que ce n'est pas si loin de chez soi, en Loir-et-Cher, dans le Massif central, et même en Corse, où les joues de porcs nustrales sorties du séchoir-fumoir de François Albertini, à Loretu-di-Casinca demeurent un de mes grands souvenirs gourmands insulaires.


Et bien sûr, car c'est aussi par le luxe, par la haute-couture la France continuera éventuellement de briller, j'irais dans le Lot, au Domaine de Saint-Géry, chez Pascale et Patrick Duler. Et là encore, nous parlerions d'écologie positive, de développement durable, nous montrerions aux gamins autre chose que des nuages noirs, nous leur prouverions qu'il y a un avenir, fait d'ambition et de labeur. Patrick Duler qui me parlerait inlassablement de viande mais aussi de sel, de la pureté du sel, de la nécessité de se méfier du sel nitrité et du salpêtre, et des efforts que ça implique.
Puis, il évoquerait, lui qui vend peut-être les jambons les plus chers du Monde, le nécessaire élitisme*** de ce genre de production. Le fait que la qualité, ça se paye, et que l'argent n'est pas obligatoirement mauvais. À cet égard, il expliquerait aussi aux téléspectateurs qu'on peut regarder ce documentaire autrement que sur un écran plasma géant qui coûte le prix d'un jambon de luxe mais nourrit moins efficacement l'âme et le corps. Et pour conclure, tous les deux, nous nous lancerions dans un couplet, couteau en main, avec une de ses vieilles ventrêches en arrière-plan, sur le bonheur de cuisiner les "bas-morceaux", sur le besoin de revenir à des modes de consommation plus réalistes, plus respectueux de nous-même et de ce qui nous entoure.
Oui, Jacques, dans Cochon d'Amour (c'est comme ça en fait que je l'intitulerai le documentaire), je tenterais d'abord de faire rêver, pas de dégoûter. D'inciter. Parce que le cochon, comme le vin, je l'aime, je l'aime d'amour. Parce que le cochon, ce "prince de janvier, tant de nos ancêtres ont vécu, survécu grâce à sa mort. Parce qu'il est en nous, il est notre culture, et que cette culture nous devons la transmettre.
Et, on verrait des ripailles. Des types en train de manger du cochon, se régaler, gaiement, en buvant du vin à grosses gorgées (ah non, merde, la Loi Évin, on en est en France…). On verrait vraiment que dans le cochon tout est bon, des oreilles aux andouillettes (fais-moi d'ailleurs penser à te donner l'adresse des andouillettes presque vendéennes de Bressuire, la Rolls!).
Et puis, dans ce documentaire, j'essayerais aussi d'être un peu précis sur la technique, d'éviter de trop proférer d'âneries à heure de grande écoute, j'éviterais de prendre un ton entendu pour "révéler" au grand public qu'avant de le transformer en jambon, le cochon doit être sacrifié


Car, tu t'en doutes, je montrerais une tuerie. Oui, je sais, Jacques, les normes, etc, etc… On flouterais les visages, comme quand on filme des vendeurs de drogue. Je la montrerais parce que c'est beau, parce que je le répète, cette mort est la vie. Je la montrerais pour enseigner au plus jeunes, à ceux qui n'ont connu que des frigos pleins, la valeur de la viande. Je leur montrerais cette bête si proche de nous (plongez votre lame à l'intérieur, vous verrez la leçon d'anatomie), saoulée aux patates et au vin pour moins gueuler, estourbie, maintenue, sacrifiée sur l'autel de nos besoins. Je montrerais le geste du saigneur, tous le rituel, le rasoir, les tripes qui tombent fumantes dans les torchons immaculés, le charcutage, la fête.
Là encore, on parlerait de respect de la nature et de ses ressources, bien plus qu'avec des coups de pub un peu convenus comme celui de Ducasse expliquant aux moutons médiatiques qu'il ne servirait plus de viande au Plaza Athénée (ce qui est inexact). Par parenthèse, c'est du cochon, animal écologique, qu'il devrait servir dans son restaurant. C'eut été de plus une belle preuve d'indépendance dans ce palace détenu, via Dorchester Collection, par le très islamiste Sultan de Bruneï


Enfin, tu vois, Jacques, c'est juste un petit synopsis, comme ça, sur le coin de la table, en buvant un coup de blanc (excellent, d'ailleurs, c'est le fond de manzanilla pasada dont je parlais ). Mais, je le sens bien, ce Cochon d'Amour. Et en plus, à la fin, je me dirais, avec une certaine satisfaction, que j'aurai peut-être donné envie au téléspectateur lambda de se taper un sauciflard ou un pied pané. Que j'aurai sauvé quelques éleveurs, quelques charcutiers de qualité. Que, pour reprendre ton expression à propos du vin, j'aurai peut-être contribué à l'extension du domaine du cochon. Plutôt que de le réduire encore.


Les images qui illustrent cet article sont tirées d'une série réalisée lors d'une des tue-cochons auxquelles j'ai participé, dans le Sud du Tarn (mon record personnel est de 246 kg vif, je peux vous dire, ça bouge!). J'ai égaré les tirages, ce ne sont que des scans de planche-contact, de qualité médiocre mais qui permettent de retranscrire ce moment sacré, ce moment où l'on tue pour vivre.
Le cochon n'était qu'un large-white, un large-white de ferme toutefois, élevé et fini comme il se doit; je préfère à un porc noir du pousse-caddie, dont la chair fraîche sent l'urine.



* Je n'oublierai jamais que c'est avec son soutien que j'ai commencé à faire le nettoyage dans les écuries d'Uncle Bob, avant qu'ensuite Jim Budd n'entre à son tour dans la mêlée.
** J'éviterais en revanche, contrairement au remake de Mondovino, de réutiliser la technique parfaitement mise en œuvre par Jonathan Nossiter, ces aller-retours fréquents entre le"beau" et le "moche".
*** Pour en revenir encore une fois, Jacques, à Saint-&-Millions Business, les "pauvres gens" n'ont pas plus les moyens (et parfois aussi l'envie) de se payer des vins de Dominique Derain que d'Hubert Déboires.
À propos d'élite, toi qui en fais partie, tu sais bien qu'on a besoin de cette élite, mais aussi qu'elle doit représenter la diversité de la société. Alors, s'il te plaît, si tu peux, touche un mot à tes amis du Gouvernement de la France du scandale de la suppression des bourses pour les élèves de prépas. Merci, Jacques. 

C'était mieux avant…

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Une des ces soirées où l'on boit un peu trop sur la terrasse. À Barcelone aussi, septembre est le mois le plus tendre… On boit, on mange et l'on discute. Puisqu'il y a un amateur de vin, un vrai connaisseur discret, ami intime des Roulot et de Maxime Magnon, on s'esclaffe évidemment au sujet des âneries (mensonges ou ignorance?) que la télévision publique française va diffuser lundi soir à propos des vignerons français. José, cet œnophile est un esprit cartésien, il se pose une question simple, évidente: "mais il n'y a pas un rédacteur en chef pour contrôler ça?" Oui, tout cela est assez étrange…


Le repas suit son cours, excellents anchois de L'Escala, pour une fois. Fondants, pas trop salés. Pourtant la marque la plus banale. Étonnant. Pour dire la vérité, la conserve est un peu vieille, périmée de deux mois, ça aide! Combinaison classique avec le pain de Baluard amb tomàquet, bien aillé, beau contraste avec la petite burrata des Italiens du quartier, le poivre vient du Kérala (grâce à Inde, deux, trois), l'huile d'olive arrive directement du Priorat. Mais l'accord superbe c'est avec cette bouteille offerte par ma copine Malena Fabregat, Uruguayenne tombée amoureuse des vignobles de l'Ouest de la péninsule ibérique. Tenez vous bien, c'est un vinho verde, vous savez, le vin que les carreleurs portugais buvaient au goulot (non, Georges, pas la tête!). Ce blanc issu du cépage loureiro est d'une vivacité idéale en début de repas, 11% vol. au compteur, ça se boit comme de l'eau, mais en plus, ça a de l'esprit. Et sans ce côté entêtant, exubérant de la plupart des albariños voisins. Aphros Ten, ça s'appelle, et en prime, c'est bio!


Alors là, je repense à un des leitmotivs de Saint-&-Millions Business, ce c'était-mieux-avant lancinant, ces appels incessants à une tradition rêvée, à cette pensée finalement réactionnaire, assez franchouillarde, qui, je le disais, m'évoque une étiquette seventies de Patriarche ou de Chaussée aux Moines. Ou une pub Cochonou (bien d'chez nous, mais un peu chinois sur les bords, lisez ce que j'écrivais hier). Une pensée, qui, peut-être pour faire carburer un fond de commerce, à la façon du communisme des années cinquante, a des trous de mémoire. Et oublie par exemple qu'à la vigne aussi, les surfaces bio sont en augmentation constante. À Bordeaux y compris*.
Oui, c'était mieux avant… Tiens, prenons le vinho verde: vous voulez en reboire, vous, du vinho verde"comme avant", du "traditionnel", dans ses bouteilles style basquaise que les pauvres Portugais essayaient de nous fourguer par l'intermédiaire du pousse-caddie. À part de grands sentimentaux (insensibles en revanche au mal de crâne), peu de consommateurs s'y laissaient prendre à deux fois!


Tiens, et en Galice (la bouteille suivante), c'était mieux avant? Mieux ces "blancs à coquillages" dont on se régalait sous Franco. Tiens, en Espagne aussi, c'était mieux avant?
Alanda 2011, du grand Jose Luis Mateo, un des défricheurs de cette nouvelle Galice où se ruent les jeunes loups du vin européen. Impérial sur les rougets vendangeurs (pas vidés évidemment), juste grillés, tourne et retourne, à la plantxa. Bien sûr qu'on a du jadis trouver de jolis jus au Royaume de Galice, le patrimoine ampélographique y est formidable, la terre rude mais bonne, le climat favorable à la fraîcheur. Mais allez donc voir ce qu'on y fait depuis une poignée d'années. Et ce qui arrive! Ce sera mieux demain…


Peut-être pour nous mithridatiser, j'ai eu la diabolique idée, sur les côtes de vache de Galice**, de servir à mes amis du Bordeaux. Oui, vous savez, ce vin maudit, ce poison industriel dont on parle dans Saint-&-Millions Business. Papin, P-A-P-IN. Du 2011, jeune, pour que tous les résidus de "pesticides" soient encore bien actifs, qu'un cancer moraliste, vengeur, nous tombe vite sur le coin de la tronche!
Xavier Landeau, qui nous sort chaque année un jus sublime de ses petit-verdots, je l'ai regardé travailler sa terre. Avec sa force et son intelligence. Je l'ai admiré. Et je ne sais vraiment pas si dans ses vignes de Saint-Vincent-de-Paul et d'Yvrac, c'était mieux avant. C'est en tout cas sublime aujourd'hui. Et dans ses bouteilles aussi.


Comme on avait quelques kilos de viande (la vache, ça fait des petites côtes, donc il a fallu en tailler plusieurs), on a ouvert d'autres bouteilles de rouge. Et j'ai continué au presque-poison. Du coteaux-du-marmandais de Cocumont, mitoyen de la Gironde, du Chante-Coucou 2010. Madame Saporta, vous voulez en re-goûter des vins du Marmandais bons comme avant? Comme avant Élian Da Ros? Bon courage, mes chéris! Au passage, même s'il n'est pas viticulteur à Volnay, cette oasis de pureté du vignoble français, allez lui en parler à Élian, des produits chimiques à la vigne…


"C'était mieux avant", Emmanuel Reynaud, ça, ça a du lui siffler dans les oreilles. À Rayas en tout cas. Je l'ai moi-même pensé à la sortie de ses premiers millésimes à Châteauneuf-du-Pape. Oubliant au passage que le vieux, s'il avait sorti quelques grandissimes bouteilles tels ses 78 et 89, il nous avait aussi offert de sacré rossignols!
En revanche, ce côtes-du-rhône 2010 de Château des Tours est un délice. Ne faites pas comme moi hier, donnez-lui de l'air beaucoup d'air, et surtout attendez-le cinq ou six ans: quelle délicatesse! Quel équilibre! C'est peut-être parce que chez Reynaud, il y a un truc qui est encore "comme avant" (humour), le terminal carte-bleue est toujours en panne…





* Pour en voir, en dénoncer de l'horreur chimique, des "sagouins" comme le dit Jean-Luc Thunevin dans Saint-&-Millions Business, des types qui rament à contre-courant, peut-être eût-il fallu aller chercher ailleurs, aller notamment fouiller les puantes entrailles du kolkhoze, le monde de la coopération où, généralement, le coopérateur de base se tape comme de son premier bidon de Round Up de la finalité du raisin. Mais, politiquement, c'était moins correct que de balancer sur les riches…
** 23€ le kilo, à la boucherie Cinta, au Mercat de la Concepció, bravo José! Et puis, ça fait français, parisien, chic, de manger de la viande de Galice. Remarquez, ici,c'est ça ou de la merde locale, ou du bœuf du Nebraska, donc…


La France a peur…

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Vous vous souvenez de ce grand moment de télévision? Nous sommes le 18 février 1976, à vingt heures. "La France a peur" répète à quatre reprises Roger Gicquel, le présentateur vedette du journal de TF1, une anaphore qui marqua l'époque, montrant, précédant ou suscitant (selon les avis) la vague sécuritaire qui suivit cet odieux fait-divers.
Dans un tout autre domaine, la peur constitue le ressort principal d'un autre grand moment de télévision qui sera diffusé ce soir sur une des chaînes du service public. Vous, vous en doutez, je parle là de Vino Business, cette caricature de reportage qui à force d'amalgames, de parti-pris et de contre vérités nous fait croire que le vin se résume aux guéguerres de pognon et d'influence, à Saint-&-Millions et alentours, de quelques ultra-privilégiés de la viticulture (lire ici, ici et ici). La peur du monde qui change, la peur de l'étranger, du Chinois, de l'Américain, la peur de demain. Et, inévitablement, dans un pays hypocondriaque, tout le long de ce documentaireà charge, la peur du poison, du chimique, de la maladie. La peur des "pesticides" qui vont tuer ceux qui boivent du vin.
Pour bien ancrer cette peur dans la tête du téléspectateur de base, montrer à quel point les paysans sont diaboliques, il y a, au début du documentaire sus-cité, cette phrase-choc qui introduit le problème: "quand la météo est peu clémente, les viticulteurs ont une excuse toute trouvée pour utiliser massivement des pesticides". Ben oui, quand il pleut des cordes, tu as une excuse toute trouvée pour utiliser un parapluie…


Donc, c'est entendu, le vin est un poison. Et les vignerons des sagouins qui utilisent de plus en plus de "pesticides". C'est comme ça en tout cas que beaucoup l'entendront ce soir sur France 3. Le problème, c'est que "cette mutation" vers une viticulture chimique, assassine, dénoncée par Isabelle Saporta, c'est un énorme, un gigantesque mensonge!
Comme le souligne, chiffres en main, Le Monde du 29 janvier dernier (organe de Presse peu suspect de complaisance pour ce secteur d'activité), "la viticulture est la filière agricole qui a le plus vite embrassé le bio". Car, oui, au delà des peurs, des épouvantails, les chiffres existent, comme le montre le graphique ci-dessus*. Et, dès qu'on prend un peu de hauteur, on le constate: la tendance est nette, de plus en plus de vignerons français marchent dans la bonne direction!


Au passage, l'Agence Bio qui publie ces chiffres sur l'avancée d'une viticulture plus propre en France, nous donne un descriptif département par département de la situation. Et (comme c'est bizarre!), je n'arrive pas à retrouver les noires révélations que j'avais entendues durant mes visionnages du remake télévisuel de Mondovino. On m'y confirme que la terre promise du bio dans l'Hexagone, ce n'est ni la Côte d'Or ni la Gironde, mais, comme de bien entendu, le pourtour méditerranéen. On peut toutefois comprendre qu'il soit plus aisé de mettre en œuvre cette façon de travailler sous le climat de La Livinière ou de Maury qu'à Volnay ou Pauillac…


Afin de voir si les vignerons français, comme c'est induit, sont de mauvais élèves qui se chauffent tranquillement contre le radiateur au fond de la classe, faisons un petit tour à l'étranger, écartons nos œillères. Eh bien, là encore, ce n'est pas si mal. En Europe, la France pointe en seconde position devant l'Italie, très loin devant la Grèce, l'Allemagne (pourtant si concernée) mais derrière l'Espagne. Dommage pour les idées reçues…


Les chiffres sont incontestables, il y a du mieux, mais est-ce suffisant? Bien sûr que non! Peut (beaucoup) mieux faire! Comme je l'ai maintes fois expliqué, au delà même de toute philosophie, de toute prise de conscience économique, du respect des travailleurs de la vigne, c'est de marketing dont il s'agit: dans les années à venir, il y a pas mal de pays où ce sera de plus en plus difficile, voire impossible, de vendre du vin qui ne sera pas bio (avec obligation de résultats, pas de moyens). Cela impliquera d'ailleurs tout un travail sur la chimie du bio, sur la façon de le rendre encore plus respectueux de l'environnement, notamment au sujet de l'impact du cuivre dans le sol et de la consommation d'énergie. Nul doute que l'on trouvera des solutions. Il n'y a pas le choix.


J'en profite au passage pour répondre à une remarque faite par un lecteur au sujet d'une note, dans mon dernier billet, où j'évoquais le gros retard des coopératives dans la conversion au bio. Là encore, je préfère répondre par des chiffres. Le schéma ci-dessus est publié par la les Vignerons-Coopérateurs de France. Il en ressort que ces structures, qui produisent 51% de l'ensemble du vin de ce pays, ne produisent que 20% du vin bio français.
Que voulez-vous, il est quasiment impossible de sensibiliser à ça un viticulteur kolhozien qui comme je l'écrivais se fout comme son premier bidon de Round Up de la finalité du raisin ou même qui n'a jamais acheté une bouteille d'un autre vin que le sien. Je parle d'expérience, dans les Corbières, en tentant d'en faire avancer à cette question (et pas que le type de base), je suis généralement tombé sur un mur. Ça amenait même parfois au résultat inverse, à des provocations, où, par bêtise, on se faisait encore plus chimique que chimique!


Comme il se doit, la claque est convoquée. Saint-&-Millions Business est et sera accueilli avec enthousiasme par une certaine France médiatique, un peu nullasse sur le vin mais tellement experte en bons sentiments. Par cette France médiatique qui méprise et horripile la "vieille France". Par cette France médiatique qui, à l'abri du périphérique, flanquée de ses moralistes et de sa police de la pensée, renforce, propulse, nourrit tout ce qu'elle prétend combattre bruyamment. Là, elle est à la fête, les codes sont respectés: caresses dans le sens du poil, marketing politique opportun, mots qui collent à ce que l'on attend. Et en plus on casse du riche! Car visiblement ce documentaire, comme François Hollande, n'aime pas les riches… Enfin, vous imaginez, des vignerons! Bordelais de surcroît! Si ça, ça ne pue pas le riche!
Bref, on tient la bonne occase** de "rendre justice", puisque ça va être dit, vu à la télé (dans la boîte à cons où comme chacun sait on ne dit que la vérité, toute la vérité…), en prime time.



La haine du riche, donc, mais aussi finalement assez peu d'amour du vin. Vous me direz qu'il y a cette satanée Loi Évin qui musèle, qui au petit écran censure cet amour-là, mais quand même! Tenez, comparons avec Mondovino dont Saint-&-Millions Business n'est que le pâle remake franchouillard: malgré ses engagement, ses parti-pris, ses erreurs***, on sentait tout le long une profonde, une sincère intimité entre Jonathan Nossiter et le vin, du désir, une culture. Sans parler de cet humour souvent corrosif, de ce dynamisme. Face à cette inventivité, avec son style propagande est-allemande, la copie, courte sur pattes, se montre bien en dessous de l'original. Ne lui reste donc que la peur pour marquer les esprits, ce message, stupide, oublieux, qui restera: le vin, c'est dangereux.








* Un graphique de l'Agence Bio française qui intègre également les raisins de table, ce qui concernant la Bourgogne et en Gironde représente peanuts.
** Il faut reconnaître que dans le rôle du repoussoir, Hubert Déboires, le Monsieur Plus de Saint-&-Millions, est aussi performant pour Bordeaux que Nicolas Sarkozy pour la Droite aux dernières élections présidentielles…
*** Aimé Guibert de Daumas Gassac, rebelle dans Mondovino, ça valait mille: "le vin est mort! Le vin est mort".


Le vin 'naturel', c'est interdit.

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C'est une de ces petites histoires bien de chez nous qui font le quotidien de ceux qui ont le mauvais goût de se démener pour que le pays ne meure pas en silence. Rien de bien méchant, de la tracasserie administrative made in France, mais en la matière, c'est souvent l'accumulation qui agace.
Nous sommes en pleine campagne du Pas-de-Calais, à Bermicourt. Dans une ferme dépendant de la maison familiale, Sébastien de La Borde a ouvert en 2005 un néobistrot rural, La Cour de Rémi, dans la lignée de ce qu'il a appris chez Stéphane Jego. Du produit, donc, d'ici et d'ailleurs, arrosé comme il se doit de vins "décontractés du gland": Plageoles, Reynaud, Puzelat ou encore Lapierre. Et c'est justement à cause d'une citation de feu Marcel Lapierre, inscrite sur une ardoise (ci-dessous) que Sébastien de La Borde vient de recevoir un courrier comminatoire du Directeur Départemental par intérim de la Protection des populations. Cette citation, beaucoup d'entre vous la connaissent, elle figure ici sur le site du domaine et donne la définition que ce vigneron avait du "vin naturel".


Mais, ce terme "vin naturel" a visiblement déplu aux vigilants contrôleurs du Directeur Départemental par intérim etc… Et il ressort le texte selon lequel "le terme naturel ne peut être appliqué qu'à un produit que l'on trouve dans la Nature ou aussi proche que possible de son milieu naturel, non traité, et ne comportant que des constituants normaux sans additifs". Ajoute que "les vins, au regard notamment de leur mode d'élaboration et l'ajout en règle générale d'anhydride sulfureux, ne peuvent être qualifiés de naturel ou de tout terme équivalent". Et conclut en rappelant que selon l'article L121-1 du Code de la Consommation, il s'agit là d'une pratique commerciale trompeuse.
Bref, Sébastien a intérêt à virer l'ardoise avant la contre-visite!


Ce truc-là, ce n'est pas nouveau, ça dépend juste du QI et du degré de tolérance du fonctionnaire. Je me suis moi même déjà fait prendre par la patrouille il y a près de quinze ans pour avoir tenté d'utiliser ce terme sur une étiquette. Interdiction également d'utiliser le qualificatif "pur" ou même d'évoquer de trop près le raisin. J'avais ainsi été retoqué en 2002 en tentant de baptiser une cuvée "jus de raisin"; je m'en étais sorti avec "envie de raisin". Bref, entre la multiplications des textes réglementaires (vous en voulez, vous du millefeuilles administratif?) et la lecture qu'en ont les ronds-de-cuir plus ou moins vétilleux chargés de les appliquer, on est loin de pouvoir écrire ce que l'on veut, même si c'est vrai, sur une étiquette, une carte ou une publicité de vin.


La question que je me pose, concernant ce cas précis des "vins naturels", c'est de savoir s'il n'est pas temps de combler le vide juridique, réglementaire qui les entoure. Dans une affaire comme celle de La Cour de Rémi, cela résoudrait le problème, le fonctionnaire aurait de la paperasse à se mettre sous la dent, et n'importe quel restaurateur, bistrotier ou caviste pourrait sur sa carte ou son tarif indiquer le style de vin dont il est question. Au passage, j'ai la faiblesse de penser que le consommateur s'y retrouverait: de la même façon que pour le bio ou la biodynamie, il sait que le label implique une charte et les contrôles afférents, il aurait l'impression qu'on lui donne ainsi une certaine garantie, susceptible de décourager d'éventuels tricheurs.
Je sais que cette idée ne sera pas du tout du goût d'une bonne partie des producteurs de "vins naturels" (surtout ceux de la mouvance néo-soixante-huitarde) qui devront alors se mettre d'accord sur une définition précise, et, surtout, commune! Il n'empêche qu'il faudra bien y passer un jour ou l'autre, et pas seulement à cause des réglementations françaises. Restera à trouver un nom. Vin "nature" ou "naturel, apparemment, ce sera compliqué. Vin "nu", comme on me le souffle ici et là, ça ne marchera pas dans tous les pays (c'est déposé en Grande Bretagne et aux USA par nakedwines.com), vin "pur" non plus, vin "libre", c'est déjà fait. Il est temps d'ouvrir un concours d'idées.




Les photos de La Cour de Rémi sont signées Franck Hamel, merci à lui.


Provinciaux, têtes de veau !

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Ça, c'est le luxe que j'adore. Sur le feu, dans la marmite, une tête de veau est en train d'achever sa cuisson. Nous sommes en Haut-Poitou, du côté de Parthenay, jadis grande plaque tournante du marché de la viande bovine, à une portée de fusil des grands canons de la Loire. La tête de veau en question, roulée de façon un rien rustique, n'est pas passée par le circuit, tantôt ultra-professionnel (il faut que je soigne mon divin boucher si je veux de la bonne viande!), tantôt opaque, aussi opaque que les mouvements de fonds d'un ministre de l'économie lot-et-garonnais*. Il ne s'agit pas bête issue d'une race "noble", c'est une mixte, une normande, mi-laitière mi-bouchère. Pas la plus glorieuse, je le concède, mais elle provient de la ferme d'un cousin, à quelques kilomètres de là, à Beaulieu-sous-Parthenay. La tête est arrivée escortée de ses pieds (ça peut servir) et d'un beau morceau de quasi.


Il fait un temps d'été sur le bocage, jusqu'à cette petite averse qui vient embrumer les prés. Juste le temps pour le troupeau du voisin, de venir se réfugier sous le grand chêne. Lui, mêle ses parthenaises, vaches arabes comme l'aubrac, filles du rameau brun apportée par le Maure, à des limousines. On en mangera bien un bout à l'occasion. L'été dernier, j'avais adoré un bout de paleron bien noir, juste jeté dans une poêle que le beurre de la laiterie d'à-côté, La Viette, faisait chanter.
Pas de parthenaise donc, au menu, la normande l'a emporté, comme souvent. Mais quelle normande!


À défaut de tête de veau, le voisin, Coco, a lui livré dix-huit œufs de ses poules de collection, donc quelques Marans. Six d'entre eux seront au cœur de la gribiche. Enfin, la gribiche… Pas plus gribiche que ça, puisque j'y ajoute du bon vinaigre de vin. Pas ravigote non plus à cause des œufs. Juste une bâtarde (voilà un joli nom, la sauce bâtarde**) qui, à mon goût, va bien au teint de la tête de veau.


Comme il se doit, les patates sont du jardin. Des charlottes, une variété créée de toutes pièces à la fin des années soixante-dix mais qui cultivée proprement, sans poudre de perlimpinpin, fonctionne bien. Oui, cultivée proprement, pour la pomme de terre, ce n'est pas une parole en l'air: savez-vous qu'il s'agit d'un des produits agricoles les plus "en pointe" dans la consommation de produits phytopharmaceutiques? Moins que les fruits, très gourmands en chimie, mais loin devant la viticulture (qui elle en plus utilise plus de pesticides bio)..


L'assiette est forcément très "graphique". Je crois d'ailleurs que la tête de veau est sûrement un des plats qui s'accommodent le mieux du dressage qui fait fureur aujourd'hui chez les foodistas de Paris (et pire, ceux qui les singent en Province!): immense assiette sombre, deux ou trois bouchées d'un aliment indéfinissable dans un recoin et quelques poussières, quelques scories de matériaux plus ou moins naturels autour. Graphique, on vous dit…


En revanche, et c'est sûrement un défaut par rapport à ce dont les précieuses ridicules de la becquetance se délectent à certaines tables branchées, ça a du goût, le goût de que c'est, le goût de la Nature. Et il y a de la matière, des textures, l'envie de revenir.


Et de quoi l'arrose-t-on cette tête de veau? De plein de choses différentes, qui fonctionnent plus ou moins bien, car elles correspondent plus à des envies de débouchage qu'à des tentatives d'accords. Le vin, idéal, c'est un gamay de terroir et d'intelligence, un fringant côte-roannaise de chez Sérol***. Les Millerands 2012, ça pète le fruit, ça appelle la ripaille. C'est en soi une publicité pour le vin!





* Et bientôt encore davantage grâce aux collègues de monsieur Cahuzac qui ont pondu cette nouvelle réglementation stupide sur la viande de supermarché.
** Le seul problème, c'est que le nom est déjà pris. J'ai vérifié.
*** Goûtez aussi leur étonnant gamay à bulles, le Turbullent!

La "lamentable" communication du vin.

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En Languedoc, c'est John, toujours prêt à blaguer avec les copains, comme l'été dernier à Charivari. Adepte du négligé chic, pieds nus dans ses Tod's, lin impeccablement froissé, chemises fleuries: en fait, on a souvent l'impression qu'il descend d'un voilier. J'ai même vu un jour à Barcelone des serveurs s'y laisser prendre, trop cool pour être vrai…
Le reste du temps, à Londres, c'est Sir John Hegarty. De Saatchi & Saatchià BBH en passant par TBWA, son incroyable CV dans la pub, long comme le bras, lui a valu d'être anobli par la Reine. Avec son sourire qui doit pouvoir devenir carnassier, il a vendu des jeans avec Brad Pitt et des voitures qui parlaient allemand. Bref, John, Sir John est une voix qui compte dans la publicité et le marketing.


Mais, Sir John Hegarty, le publicitaire londonien n'oublie pas que désormais, il est également John, le "petit" vigneron du Minervois. Le vin, le produit, il s'y est intéressé, il s'y est mis, avec beaucoup d'humilité. Et peu à peu, son beau Domaine de Chamans, à Trausse, trouve sa voie. Mais, ce n'est pas un secret, le marketing, la communication du vin l'horripilent. À sa décharge, je reconnais qu'il est installé dans une région qui, en la matière "se cherche un peu". Vous souvenez de ces réclames un peu aériennes dont nous avions rigolé l'an dernier?


Toujours est-il que dans la dernière livraison d'Harpers, Sir John Hegarty n' y va pas avec le dos de la cuiller. Il n'est pas spécifiquement question de sa région d'adoption mais de l'industrie du vin en général, une industrie dont il explique que de toute sa carrière, il n'a jamais rencontré un secteur d'activité où l'on travaille de façon aussi lamentable. Il souligne ainsi qu'on s'adresse de façon "débile" au consommateur, à un consommateur qui, compte tenu de ses connaissances ne peut de toute façon pas comprendre ce qu'on veut lui raconter.
"C'est pathétique, lamentable" tranche le publicitaire-vigneron. Selon lui, cette communication, qui devrait se mettre dans la peau du client, doit absolument être simplifiée afin de pouvoir toucher le plus grand nombre. Moins hautaine en tout cas: croyez-vous dit-il que faire ressentir au gents qu'ils sont stupides, inférieurs soit une bonne accroche commerciale?"
Il y a bien sûr une forte philosophie anglo-saxonne dans ces propos que je vous invite à lire dans leur intégralité ici sur le site d'Harpers. Il n'empêche que quand on songe aux parts de marché que le vin perd chaque année et au réel complexe de supériorité de tant d'acteurs du Monde du Vin, petits ou grands*…






Pour payer plus cher ? C'est à Leclerc !

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C'est un peu anecdotique, mais finalement assez représentatif d'un état d'esprit, et de la connerie humaine. Juste une photo, prise cet après-midi au pousse-caddie. Nous sommes à l'hypermarché Leclerc du centre commercial So-Ouest de Levallois-Perret, la "foire aux vins" bat son plein. Je n'y reviens pas, je vous ai redit récemment ici ce que je pensais de cet attrape-couillons destiné, comme le disait encore récemment Michel-Édouard Leclerc, à "anoblir l'image de sa profession"…
Attrape-couillons, justement, parlons-en. Paillettes en toc et poudre aux yeux. Pour faire bander le chaland, entre la bouteille de bordeaux à un euro et le champagne tendance diabolo-betterave, on lui fait péter le pinard de milliardaire: de l'historique, du lourd, Château Mouton-Rothschild 1945, vin ô combien symbolique. Plus fort encore que les vacances à Saint-Trop' des peoples photographiées par Voici et les photos de grosses bagnoles dans Auto-Plus!


Le seul problème, c'est qu'outre le fait d'aller zoner en banlieue, de chercher une place une heure au milieu des Mégane et des Picasso, l'œnophile qui serait déterminé d'aller quérir sous les néons la précieuse bouteille serait en fait condamné à une double peine, à acquitter en tout cas un léger supplément. Mouton-Rothschild 1945, comme beaucoup de vins, a une cote, consultable entre autres sur le site wine-searcher.com, et cette cote moyenne, tout pays confondus, s'établit à 12172€ HT, c'est-à-dire entre trois et quatre fois moins cher qu'à Leclerc. Pire encore, à ce tarif incroyable de 39000€, ils se situent et de loin en tête du classement mondial*, il s'agit du Mouton-Rothschild 1945 le plus cher de la planète, un record!
Bref, comme pour les tomates (vous vous souvenez de ce comparatif?), en plus de ne pas être éthique et généralement beaucoup moins bon, le pousse-caddie, c'est la certitude de l'avoir dans le kiki**. Et de ne pas boire de merveilles (surtout ce grandissime beaujolais et ce splendide Italien!) comme celles que nous avons eues à midi…




* Et encore, le chef du rayon aurait voulu faire mieux si l'on en croit ce magazine (qui nous apprend au passage que ces bouteilles traînent là depuis deux ans…).
** À propos de l'avoir dans le kiki, j'ai une pensée émue pour les cavistes qui continuent à vendre des bouteilles de Castelmaure. Le virage Round-Up/pousse-caddie de l'ancienne coopérative alternative des Corbières se confirme: adossé au service commercial du groupe Jeanjean, sa nouvelle philosophie consiste visiblement à inonder les hypermarchés des gammes que les petits détaillants indépendant avaient contribué à mettre en lumière. Tiens, la photo ci-dessous, prise par le blogueur Rodolphe Lafarge, c'était cet après-midi, au Leclerc de Saint-Orens, dans la banlieue de Toulouse.


Bientôt au rayon-con !

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Les nouvelles se suivent et se ressemblent qui nous expliquent que, parfois même avec la complicité des gouvernements, des cuistots, on va "simplifier la vie des consommateurs"*. Et c'est vrai qu'on se pose trop de questions. Qu'on ferait mieux de profiter de tous les bienfaits qui s'offrent à nous, de jouir sans entraves de ce monde merveilleux, parfais, normé, que nous concoctent les multinationales de la malbouffe.
D'où ces nouveaux packagings, inspirés par le Net, qui devraient très prochainement garnir les rayons de votre pousse-caddie préféré. Bon appétit si vous êtes à table!



* Un des beaux exemples de l'été fut ce magnifique cadeau fait par le gouvernement français aux "rayons boucherie" des grandes surfaces (et à tous les trafiquants de viande de la planète)…



Le pain de campagne ? Quelle plaisanterie !

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J'ai rencontré Roland Feuillas il y a un bout de temps. Nous étions à la recherche d'un boulanger en Corbières, recherche qui s'apparente à celle d'une aiguille dans une botte de foin. Car, dans ce coin de France, dans ce coin du Languedoc, comme dans tant d'autres désormais, le pain est devenu un cauchemar. L'usage local consiste à prendre sa voiture, parcourir vingt, trente ou quarante kilomètres pour aller, éventuellement au pousse-caddie, acheter une baguette de merde, sucrailleuse, décorée de graines ou autres artifices marketing, issue généralement d'un  pâton congelé arrivé en trente-huit tonnes de l'autre bout du pays ou du continent. Au passage, merci pour la planète, où (regardez ce clip de l'ONU), grâceà chacun de nous, il va bientôt faire plus chaud que dans un four de boulanger.
Bref, quand vous vivez vraiment en milieu rural, la vision idéalisée du "pain de campagne" en prend souvent un sérieux coup* dans les gencives. Avec même parfois cette aberration qui fait que l'on demande aux citadins qui viennent vous visiter de vous apporter le "pain de campagne" de la ville!


Ne vous fiez pas au décor, sous le moulin de Cucugnan, ce n'est pas de folklore que vous parle Roland Feuillas, mais de technique. Du blé, d'abord. Des blés, en fait. Car, comme dans tant d'autres compartiments du jeu, solides & liquides, les multinationales de la malbouffe ont ravagé tout ce qui faisait la diversité, la spécificité, la durabilité des semences d'ici et d'ailleurs.
Le premier boulot, colossal, du meunier corbiérenc (il est en fait originaire de Fontvielle, le pays de Daudet et des Lettres de mon moulin), fut donc de recenser, et de remettre en culture des variétés anciennes, autochtones, identitaires. Et aujourd'hui, il peut donc se vanter de travailler ses propres blés, tel le Barbu du Roussillon, moissonnés en Corbières ou en Minervois. Mais là encore, pas de folklore: Roland Feuillas a également expérimenté du côté de Peyrepertuse des variétés rustiques venues d'ailleurs susceptibles de s'adapter au terroir, comme un blé originaire d'Iran et d'Arménie, le Khorasan.


À l'instar d'un authentique vigneron, le boulanger "moderne", qui n'a rien d'un baba-cool, maîtrise son produit du début à la fin, du champ au fournil. En n'oubliant pas une étape essentielle, la mouture, qui n'est pas semble-t-il un moment innocent de la vie du pain. Celle pratiquée à Cucugnan est une mouture languedocienne, sur meules de pierre, "en longueur" qui nettoie en douceur le blé des particules de son, abrasives pour l'estomac humain. Le vieux moulin du village a repris de l'activité, mais surtout, Roland Feuillas a mis au point juste en dessous de bâtisse médiévale un moulin d'aujourd'hui, électrique, qui calque sa façon de moudre sur l'ancienne méthode, afin d'obtenir des farines de qualité équivalente, vivantes, riches mais débarrassées de leurs impuretés.


Reste bien sûr le travail du levain, qu'en bon ingénieur, Roland Feuillas a du adapter à ces farines hors-normes, et le fournil, un bon vieux fournil catalan, à bois. Il a également fallu tenir compte de la situation géographique de Cucugnan, village "perdu au trou du cul du Monde", trouver des solutions économiques d'expédition: pas évident d'aller y chercher son pain quotidien. Grâce à un système de congélation sous-vide, les miches cuites peuvent être livrées à la semaine à des restaurants des environs, en gardant intactes la saveur et les qualités du produit.
Les Maîtres de mon Moulin vend également ses farines, des viennoiseries, ainsi que des pâtes épatantes à faire pâlir de jalousie un Italien.



Alors ce pain, quel goût a-t-il? Parce qu'au-delà des vertus de la démarche, c'est l'essentiel! Eh bien, comme vous pouvez vous en douter, il est bien différent de ce que vous proposent la plupart des boulangers dont les farines sont gorgées d'additifs, d'exhausteurs, d'améliorateurs…
Il est donc moins sucré, ce qui est une bénédiction: quoi de pire que ces pains d'usine évoqués au début, maquillés, fardés, aussi doux qu'une brioche ou, pire, qu'un pain de McDo? Il est aussi moins salé, car Roland Feuillas est revenu à un dosage de sel des années cinquante, avant que l'industrie agro-alimentaire ne saupoudre notre régime alimentaire de quantités effarantes de chlorure de sodium**. En revanche, pour le reste, tout est plus. Plus d'arômes, plus de mâche, plus de sensations! On retrouve le goût du pain.


Comme le bon vin, la bonne viande, tout cela a évidemment un coût, lequel induit un prix. Chez Roland Feuillas, à Cucugnan, pour un kilo de pain, il faut compter entre sept et huit euros. Ce n'est pas donné, mais pourquoi donner ce qui a de la valeur? Pourquoi ne pas payer le travail, et rendre ainsi l'œuvre durable? Pourquoi ne pas rappeler aussi qu'acheter son pain est un acte politique, un acte qui par parenthèse à peut-être plus de valeur que de voter pour certains guignols qui s'agitent dans la boîte à cons. Et rappeler enfin (ce n'est pas vain en cette époque égoïste, schizophrène et hypocondriaque où l'on sort sa grosse voiture gourmande pour foncer acheter sa bouteille de vin "nature"…), que manger du pain sain, sans additifs inutiles, est un acte de santé. Que la vie est faite de choix, à chacun les siens.


Nul doute que les défenseurs du pousse-caddie "moins cher que moins cher" et du Métro-resto-bobo***, ménagères de moins de cinquante ans fans d'émissions de gastro-réalité ou cuistots arrivistes, vont trouver ça exorbitant, jugeant une nouvelle fois que s'intéresser ainsi à la provenance de ce que l'on mange, à son origine et l'éthique qui y est liée n'est qu'un "sport de bobo"…
Je vais d'autant plus me faire traiter de bobo que Roland Feuillas qui doit ouvrir deux boulangeries à Paris****, doit en installer une dans le Marais, au sein du projet désormais controversé de La jeune Rue, qualifié même de"pays d'Idéalbobo" dans Le Monde. Je suis pour autant lucide, je sais que ce meunier des Corbières n'est pas le seul "dernier des Mohicans". Oui, d'autres essayent de travailler proprement. Mais là, on ne parle pas d'intentions, il s'agit de réalisations. Et j'ai rarement vu une démarche aussi construite, aussi intelligente, qui prenne ce métier dans sa globalité, encore une fois du champ jusqu'au fournil. Et qui redore enfin le blason du "pain de campagne".



* Il existe, je le sais de formidables exceptions qui confirment la règle. Je l'ai vu cet été encore pas très loin des Corbières, en Minervois, où dans un rayon de dix kilomètres trois ou quatre boulangers avaient encore le goût du (vrai) pain.
** Autant l'excès de sel ne présente que des défauts, sanitaires ou gastronomiques, autant j'ai été effaré récemment de voir une nouvelle mode foodiste, une nouvelle mode des "Monsieur-Moins", qui consiste à se dispenser de chlorure de sodium, lequel "dénaturerait le goût". Ah, les précieuses ridicules…
***  Il existe d'ailleurs un formidable catalogue Métro spécial boulangerie, où l'on propose aux "artisans" tout ce qu'il faut pour vendre de la merde.
**** La première de ces boulangeries qui travailleront les farines de Roland Feuillas sera installée dans le cinquième arrondissement, à l'angle de la rue de Poissy et de la rue Cochin. La seconde donc, vers le 15, rue de Vertbois, dans le troisième arrondissement.




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