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Channel: idées liquides & solides
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Chefs d'œuvre en péril !

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Vous connaissez Rémy Bousquet ? C'est un petit gars de Montauban, dessinateur, humoriste, qui exerce son talent dans le monde du vin. Son métier consiste à créer des T-shirts, des affiches, des cartes postales, des tabliers, et même des housses de téléphone. Tous ces objets ont un point commun: ils parlent de vin, avec bonne humeur, et l'envie d'en boire.


Le problème, c'est que je viens de parcourir les grandes lignes du Projet de Loi Santé de Marisol Touraine, et je me demande bien si Rémy ne va pas avoir chaud aux fesses. La ministre explique en effet clairement son intention de lutter contre l'ivresse. Celle des jeunes, où il s'agit de réprimer l'incitation au binge-drinking, mais pas que. Une infraction plus générale sur la provocation à la consommation excessive d'alcool serait également envisagée dans le projet de loi.
Et, fidèle à sa devise selon laquelle à défaut de changer la vie, autant nous la pourrir, Marisol Touraine a donné quelques pistes, notamment lors d'une interview sur Europe 1 où elle précise "qu'il sera désormais interdit de vendre des produits qui rendent sympathique l'alcool". Parmi les produits visés, elle mentionne les "protections pour les téléphones portables ou des tee-shirts avec des scènes un peu amusantes autour de l'ivresse".


Moi, je sais pas vous, mais je crois qu'il y a urgence à filer sur le site de Rémy Bousquet pour le dévaliser! Parce que dans cette France moraliste, dans cette France triste où, de décrets en règlements, cela prend beaucoup moins de temps de savoir ce qui reste autorisé que ce qui est désormais interdit, voilà de véritables chefs d'œuvres en péril !





Les vendanges ? Du vécu, Coco ! Du vécu !

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Pour l'œnophile, c'est un privilège que d'avoir vécu des vendanges de l'intérieur. J'ai même un petit peu l'impression qu'on ne comprend pas grand chose au vin tant qu'on n'a pas connu cette ambiance. Que ce soit à la vigne ou au chai (peut-être encore un peu plus au chai), on ressent, on vit le millésime. Et l'on comprend assez vite que faire du vin, c'est à la fois très simple, et un rien compliqué parfois.


Plutôt que de nous vendre, à l'ancienne, du "tout va très bien, madame la marquise", sport au charme suranné mais qui demeure néanmoins très en vogue dans certaines interprofessions viticoles, plusieurs vignerons 2.0 ont décidé de nous faire partager de l'intérieur leurs vendanges 2014. C'est évidemment le Web qui sert de canal à ce striptease automnal. Via les réseaux sociaux, principalement, où, en matière d'iconographie, la mode cette année était justement aux cuisses nues, pour cause de pigeage "à la bourguignonne" (légère perte de vitesse en revanche de l'amphore).


Si vous êtes inscrit sur Facebook, je vous conseille les photos percutantes de Fredi Fresquito Torres de Catalogne en Galice, d'Isabelle Perraud* en Beaujolais, de la diabolique (private joke) Dany Rollandà Bordeaux ou encore de Jean-Pascal Sarnin et Nicolas Rossignol en Bourgogne. À cela s'ajoute les images de "visiteurs de la vigne", comme les marchands de vin genevois Jacques et Clio Perrin qui nous entraînent dans les pinots et les humagnes vertigineux. Ou le couteau suisse de la com' liquide & solide, Natacha Billet, qui abandonne les belles tables parisiennes et troque ses escarpins à talon pour des bottes de caoutchouc.
Bref, sur Facebook, les vendanges, on s'y croirait !


Plus détaillé, plus technique, plus intime aussi, le blog demeure bien sûr le média idéal pour ce genre d'exercice, surtout quand on souhaite sortir du folklore, et donner de vraies infos. Des blogueurs-vendangeurs, des "blogueurs de l'intérieur", j'en retiendrai deux qui ont fait cette année un boulot incroyable. Je me demande même comment ils trouvent le temps de dormir, entre travail intellectuel et physique!


Le premier, c'est Nicolas Lesaint, le chef d'orchestre de Château Reignac, à Saint-Loubès dans le Bordelais, auquel on doit notamment la superbe photo ci-dessus, ce chai attendant les beaux raisins de 2014. Je vous ai déjà parlé de son blog, De la vigne au vin, un des plus intéressants Web pinardier français. À l'ambiance des vendanges, aux anecdotes s'ajoute un propos technique, une façon de parler de la viticulture calme et sereine, qui évite soigneusement les discours préfabriqués.
Nicolas Lesaint est un observateur amoureux, un "contemplatif professionnel" de la vigne et de son environnement. Il nous raconte en images les aubes mouillées de la Dordogne mais, vigilant, il fait ainsi partie des premiers à avoir alerté, il y a deux ans, alors que les fonctionnaires dormaient encore, du danger de la mouche Suzukii pour cette culture, vous savez cette espèce de petit diptère à tête rouge qui fait des ravages en perforant les grains de raisins, atteints ensuite par la pourriture acide.


Cette vacherie de Suzukii, un autre blogueur de l'intérieur a fait sa connaissance cette année, c'est Hervé Bizeul. Tenant jour après jour un méticuleux et passionnant carnet de vendanges, l'homme du Clos des Fées a raconté à la première personne du singulier ses espoirs et ses envies, mais aussi ses angoisses, ses doutes et ses nuits blanches devant un millésime pourtant plutôt bien parti.
Car, comme Nicolas Lesaint à des cinq cents kilomètres de Vingrau, Hervé Bizeul s'est penché sur sa vigne, s'est interrogé, essayant de voir les choses derrière les choses. Pendant que certains de ses voisins du sud des Corbières et du nord-Roussillon, coopérateurs surtout, rentraient, sourire aux lèvres, des tombereaux de raisins tantôt verts tantôt aigres, il a fait son métier en tentant de trouver des solutions, faisant des choix, triant, écartant, tranchant dans le vif. Surtout après les trombes d'eau qu'ont reçues les terroirs tardifs de son secteur, mieux valait prendre le taureau par les cornes que de cacher la poussière sous le tapis.


Dans ce carnet de vendanges, il a tout raconté, donc. Ce qui va, et ce qui ne va pas. Il s'est mis à poil, à tel point qu'il m'a fait peur, que je me suis demandé s'il était courageux ou inconscient, tellement à l'opposé des vendeurs de "millésime du siècle"à l'optimisme digne de la Pravda. Il a ainsi raconté les ravages de la mouche Suzukii qui lui a volé quelques tonnes de carignan, la joie de rentrer des cabernet-francs parfaits, le déluge qui détrempe les sols, un blanc qui le ravit, des perdreaux qui tombent à pic, la Tramontane qui ne viendra pas faire le sèche-cheveux, son admiration devant le chasselas de Moissac, les pizzas surgelées et la musique qui fait du bien. Jusqu'à la panne de son tapis de vendange, le dernier jour…
Hervé Bizeul pourra-t-il sortir en 2014 toutes ses grandes cuvées? Peut-être pas. Mais, assurément, pour tous ceux qui l'auront lu, son vin aura un goût humain.


Au delà des joies et des peines, au delà de ce millésime 2014 dont la vendange n'est d'ailleurs pas encore terminée, qui sera formidable pour certains, un peu moins pour d'autres, je me réjouis de voir vivre les vendanges sur la Toile. C'est un signe de bonne santé.
Bravo à tous ceux, vignerons connectés ou amateurs branchés, qui, tant que ce n'est pas interdit en France**, profitent d'Internet pour parler et faire parler du vin, pour montrer, décrire, raconter, célébrer, râler, délirer… La liberté ne s'use que quand on se s'en sert pas.






* Il faut d'ailleurs absolument soutenir Isabelle Perraud et son mari qui à l'occasion du beaujolais-nouveau se sont lancés dans une très jolie et très bonne action, pour aider un petit garçon qui en a grand besoin. Allez-y, c'est ici, soutenez Téo !
** Cf. ma chronique de jeudi.

La force de l'habitude est une faiblesse.

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Je regardais l'autre soir ce film qui raconte l'histoire (vraie) d'une équipe de rugby uruguayenne, les Old Christians, oubliée dans la Cordillère des Andes après le crash de son avion. Alive, Les survivants en VF; le film date de 1993, le fait-divers de 1972. Autant je connaissais cette histoire, à la fois admirable, puissante et horrible, notamment pour en avoir longuement parlé avec une des proches d'un des survivants, je ne l'avais en vérité jamais vu.
En résumé, pour ceux qui ne connaissent ni le film, ni les livres tirés de ce drame, ils montrent comment un groupe d'hommes, une équipe au sens fort du terme, arrive à trouver la force d'échapper à l'inéluctable et à dépasser leurs limites. Une des limites, un des tabous évoqués par ce film, c'est l'anthropophagie car, pour ne pas mourir de faim, une fois épuisées leurs maigres provisions, les jeunes rugbymen se résolvent à se nourrir de la chair de leurs compagnons décédés. Et à en faire, durant plusieurs semaines, leur quotidien alimentaire.


Dans tout cela, au delà de l'aventure humaine, il est bien sûr question de transgression, et plus encore dans une Amérique du Sud au catholicisme voyant. Un des aspects qui m'a interrogé, c'est le mécanisme qui fait que par la force des choses, progressivement, la transgression finit par se banaliser, et devient presque une habitude.
Cette question est récurrente quand on évoque la survie humaine. Comment un formidable appétit de vivre permet à des individus ou à un groupe de surmonter les pires épreuves, la famine, la maladie, la guerre, les camps? Et de faire ce qui, de prime abord, semblait impossible à supporter une sorte de quotidien? De s'y habituer? Je me souviens des conversations de marche bordelaises ou languedociennes avec Jean-Paul Kauffmann, racontant son interminable combat contre la nuit, soutenu par le Classement de 1855, dans les caves de Beyrouth.


Pour justement en revenir à un sujet plus léger, plus terre-à-terre aussi, le vin, je me suis beaucoup interrogé sur cette notion d'habitude, de force de l'habitude. Et ce, à propos d'un vigneron dont je connais la production depuis belle lurette. Excusez-moi, mais je n'ai pas envie de citer son nom ou celui de son domaine ici. Pas par protection, en souvenir du passé, plutôt en fait pour éviter de retomber dans la sempiternelle guerre de tranchées entre adulateurs et contempteurs de ses vins, ou du style de ses vins, ce qui immanquablement nous éloignerait du fond du débat. Sachez seulement, pour ne pas parler dans le vide, qu'il produit des crus très très "nature", et ce en France.
Cet homme, qui s'est toujours situé dans une mouvance alternative, de Gauche bien à gauche, est devenu vigneron sur le tard, par choix. Installé sur un beau terroir (beau mais compliqué), différent de celui qu'il cultive aujourd'hui, a assez vite élaboré des jus que nous étions pas mal à bien aimer; il vendait ça de façon un peu parallèle, dans le cercle de ses amis, loin en tout cas du Mondovino de l'époque (la fin des 80's), de ses arbitres des élégances et de ses commissaires politiques. Dans les années 90, j'ai continué à goûter, et à boire ses vins qui avaient gagné en précision et en pureté; de beau souvenirs! Pour diverses raisons, il a alors émigré vers une autre appellation de la même région, et je me tombé amoureux de ses blancs au style si particulier, toujours sur le fil, entre chair et oxydation; je me souviens avoir comparé l'un d'eux, un 97 je crois, à un mélange de meursault et de jerez.


J'aimais aussi les rouges qu'il produisait, sur lesquels j'ai écrit, et dont j'ai pensé du bien. La vie aidant, les liens se sont distendus, et j'ai un peu moins goûté ses vins. Je me souviens d'une surprise, il y a six-sept ans, face à une nouvelle cuvée: "du bizarre", encore un peu dans le style d'avant, mais avec une forte exacerbation des déviances, un côté acétique un peu trop marqué à mon goût; j'avais eu du mal à me resservir un second verre. Problème de bouteille m'étais-je dit…
Ce vigneron devenant de plus en plus à la mode dans les milieux branchés du NovoMondoVino depuis quelques années, de nombreux professionnels ou amateurs ont voulu me le faire "découvrir". Et là, je me suis retrouvé confronté à des bouteilles dont j'avais du mal à avaler le moindre verre, parfois même la moindre gorgée. Tordu, tordu, tordu. Des odeurs répugnantes, limite boule puante, des notes vinaigrées, un bouche lourde et dure, rien de tout ce qui m'avait séduit dans les vins de ce domaine. Le vigneron, je l'ai croisé depuis, il était fatigué ce jour-là, moi aussi, il y avait du monde, je n'ai pas eu le courage de lui dire ouvertement ce que je pensais de mes dernières rencontres avec ses vins, d'autant que même si je crois qu'il y a un problème en cave, j'ai un immense respect pour son travail viticole. Ce n'est pas glorieux, je sais, mais c'est ainsi. Passons.


Le cas de ce cru me ramène, je le disais plus haut, à mes interrogations sur la force de l'habitude. Ce vigneron, j'ai déjà bu avec lui, dégusté aussi, on a déjà parlé de vin, partagé les mêmes avis et les mêmes bouteilles. Et je sais que ce n'est pas un tricheur, qu'il ne va pas vendre un jus qu'il ne peut pas boire. Qu'il y croit.
Alors, je me pose la question de savoir comment il en est arrivé à produire ce genres de trucs, à les accepter, à les signer. Et je me dis que tout simplement il s'y est habitué. Parce que, de proche en proche, on s'accoutume à tout. Que d'une certaine façon, aromatiquement, gustativement parlant, on finit par se mithridatiser.
Cette constatation ne vaut évidemment pas que pour les odeurs d'acétate d'éthyle, de vinaigre que l'on remarque assez aisément dans des vins nature ratés, ni mêmes pour les doux effluves de chou-fleur, d'orange ou d'œuf pourri, de vieille chaussette, de poulailler, de pomme blette qui peuvent parfois égayer la dégustation*. Le même phénomène d'accoutumance se crée tout aussi aisément avec des déviances conventionnelles. Certains dégustateurs, certains buveurs vont trouver parfaitement "normal", voire délicieux, un vin rendu totalement imbuvable par l'excès de bois, l'abus d'anhydride sulfureux, par l'emploi d'additifs grossiers, de technologies qui l'endommagent de façon irrémédiable. Question d'habitude…


Ce qui m'amuse avec ces histoires d'habitudes, c'est que non seulement l'exclusif de telle ou telle chapelle devient très tolérant à certaines déviances amies, à certaines particularités du vin, mais en plus il finit par trouver bizarre (pour ne pas dire suspect) de ne pas les retrouver dans tel ou tel vin qu'il va goûter ensuite. Cela vaut plus encore avec un néophyte, sans grande culture de la bouteille, qui sera rapidement perdu, désarçonné de ne plus pouvoir se situer grâce aux repères simples (bois, acétate, etc…), rapidement perceptibles, qui jalonnent généralement sa dégustation, et le rassurent. L'absence de ces défauts deviendra pour lui, par ignorance, un défaut en soi.
Vue sous cette angle-là, l'habitude est évidemment terriblement réductrice. Ennemie de l'ouverture d'esprit, elle fait vivre comme un problème ce qui est différent de ce que l'on boit d'ordinaire. Et, du coup, cloître, enferme, au lieu de laisser le champ libre à la découverte, à la nouveauté.
En cela, oui, la force de l'habitude est une faiblesse. Une grosse faiblesse. Quel dommage en effet de ne pas laisser à son nez et à son palais le loisir de jouir de la merveilleuse diversité de la production viticole. Car, entre le vinaigre et le jus de planche, il reste un sacré terrain de jeu!




* Sachant que (tous les dégustateurs honnêtes le reconnaissent) certains de ces défauts, à dose raisonnable, avec d'autres arômes peuvent créer des cocktails formidables dont se nourrissent souvent les bons vins. Sachant également que ce qui sent "mauvais" pour l'un peut sentit "bon" pour un autre, que certains préfèrent, par exemple, l'odeur de la colle ou de l'essence à celle de la rose ou du cochon grillé.

Le vin de l'été indien ? Un rosé 'couillu'.

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Au Café du Commerce comme à la télé (ce qui revient au même), tout le monde ne parle que de ça: la météo. Et bien sûr de cette vague de chaleur automnale qui s'abat sur une partie de l'Europe. Sale temps pour les vendeurs de parapluie! J'étais même inquiet pour cette fin de semaine: nous devons partir à Londres, et je me voyais mal troquer mon mac (qui ne me sert pas à grand chose en Espagne) contre une veste de lin. BBC News m'a rassuré, il devrait bien pleuvoir le week-end prochain sur Farringdon Without où nous résidons. Tant mieux, je ne m'imaginais pas les poutrelles métalliques de Smitfield Market sans quelques gouttes d'eau.


En attendant, si l'été indien surprend à Paris ou ailleurs dans le Nord, il n'a rien d'exceptionnel ici à Barcelone. En octobre, la mer est chaude, bien plus qu'en mai, et il faut vraiment attendre janvier pour que l'hiver commence à vaguement ressembler à quelque chose. On continue de vivre les fenêtres ouvertes, sur la terrasse.
Pour le vin, c'est pareil, les beaux jours sont toujours dans le verre. À cet égard, cela fait plusieurs mois que je suis un peu handicapé: je n'aime plus le rosé. Je ne sais pas pourquoi. Ça ne m'intéresse plus, j'en ai peut-être trop bu de mauvais, va savoir… Ça vaut en tout cas pour les rosés pâles, les gris, les "blancs tachés", comme vous voulez; vous m'en servez un verre, je le goûte poliment mais je ne le finis pas.


En revanche, dès qu'on monte en couleur, que l'églantine rutile, que le vermillon pointe le bout de son nez, tout refonctionne. À moi les tavels généreux, les Anglore capiteux, tous ces rouges clairs au goût de soleil! À moi les bouches charnues où l'ébauche des tanins vient me remettre d'équerre!
Durant l'été, je me suis aussi régalé de l'Outre Rouge marmandais d'Élian Da Ros (dont je viens de me rendre compte que je ne vous avais pas parlé), de ce jus qui lui aussi hésite entre le rosé foncé et le rouge clair. Toujours en Sud-Ouest, j'attends qu'on me refasse quelques négrettes bien fruitées, histoire de se rincer le gosier en passant par Toulouse.


En plus de Tavel, le Languedoc-Roussillon possède d'autre irréductibles qui n'ont pas délavé leur rosé (qui a parlé de noir animal?…), qui les aiment couillus, de couleur tout du moins. Il y avait la grande tradition du Rosé d'Antan du Mas Julien, de celui des Estanillesà l'époque de Louison, des vins qui ont tenu la route.
À l'autre bout de la région perdure, je crois, le rosé franc, excellent, du Domaine de La Casenove, à Trouillas, dans les Pyrénées-Orientales. Il faudrait que j'y passe tant qu'il fait beau.
Dans les autres hits sudistes de cet été qui dure, nous reste une bouteille (épargnée par Isabelle dont c'est le chouchou) de celui de Borie de Maurel, une syrah épaulée par le mourvèdre si ma mémoire est bonne. Encore un vin de saison! D'autant plus que ce genre de rosé tient très bien dans le temps, il est meilleur maintenant qu'au printemps, et ne fait que s'améliorer les mois et les années passant. Hier, il était impérial sur un de ces curries doucement violents dont j'ai le secret.


À propos de garde, sur la seconde partie du curry, j'ai sorti un OVNI: un rosé foncé de 2008, un rosé de Galice, cette sacrée Galice dont la cote n'en finit pas de monter*. La soucoupe volante s'appelle Nital, est composée de bastardo, de grenache et de mencía et a été élaborée par un des maître-vignerons de cette région espagnole, José Luis Mateo (cf. ici et ici).
La robe de ce Nistal 2008 évoque irrésistiblement celle d'un pinot noir. Le nez étonne, plus floral, avec une pointe d'épices, un reste de poivre. En bouche, c'est volumineux, suave, mais sans excès; long. Là, encore, il se passe un truc avec le curry. On a peur que le piment fasse des dégâts, même pas! Il faudra que je l'essaye sur un cap i pota, un plats canaille, emblématique de la cuisine catalane, du pied et de la tête de veau, taillés en dés, mijotés, bien relevés, servis avec des pois chiches. Parce que, franchement, ces rosés-là, ces rouges rosés, ce n'est pas fait pour la piscine, mais pour manger!




* J'ai appris la semaine dernière qu'un rouge de Galice à 9€ avait débarqué sur la table de Barack Obama ! Un vin de Ribeira Sacra, région que j'ai évoquée ici.


Le blanc de l'île déserte…

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C'est une question que l'on vous pose souvent quand on croit que vous vous y connaissez un peu en vin, une question-bateau*, quoi: "quel vin emporteriez-vous sur une île déserte?"Évidemment, à chaque fois, on se creuse la tête poliment, on rame un peu, parce que, franchement, ça revient souvent (dans la tête de votre de votre interlocuteur) à répondre à une autre question: "quel est pour vous le meilleur vin du Monde?" Bref, ça n'a pas beaucoup de sens…
Il n'empêche que, sous réserves de modifications ultérieures (et peut-être aussi en fonction de la localisation géographique de l'île, de son climat, et donc de ce que l'on y trouve à manger), une bouteille me vient à l'esprit. Pour au moins quelque temps, je crois qu'il répondrait bien à la question "quel vin blanc sec emporteriez-vous sur une île déserte?"


Ce blanc sec est un grand cru discret, sans tambour ni trompette, ni carillon télécommandé. Pas de chardonnay, ni même de palomino, de riesling, de vermentinu, de chenin, de savagnin ou de maccabeu. Juste du gros manseng escorté de petit manseng et relevé "d'un zeste" de petit courbu. Des raisins propres nés de deux parcelles de grès et de schistes.
Mais, laissons tomber la fiche technique, vous ne voulez pas non plus les pourcentages et l'âge du capitaine? Ça va finir par faire marchand de vin qui n'a rien à dire! Allez, buvons!
L'essentiel, comme toujours, est dans le verre, ces notes beurrées, briochées au nez, puis le souvenir du cédrat du Cap corse. La bouche, malgré la jeunesse (c'est un 2010!) peut sembler presque trop gourmande avec ses nuances d'abricot, mais très vite, grâce à un jeu incessant entre l'amer et l'acide, elle s'allonge sur une pointe de mélisse, de verveine citronnée. Tout cela est riche et subtil. Luxueux. Droit. Altier.
Thérèse et Michel Riouspeyrous, désormais épaulés par leur fils, sont de grands vignerons. Pas de la catégorie que vénère la claque assermentée du Mondovino, juste de consciencieux, de méticuleux paysans de la vigne. Leurs jus, cristallins, concentré de la généreuse sobriété de la Basse-Navarre, d'une pureté sans faille, sont à leur image. Et racontent, au travers de leurs irouléguys, les Pyrénées.


Ce vin profond, sur l'Isla Más Atierra (désormais Isla Robinsón Crusoe en hommage au naufragé Alexandre Selkirk et au romancier Daniel Defoe), je le boirais, rafraîchi dans les Aguas Buenas réputées chez les navigateurs, sur la sucrosité marine d'une langouste. Évidemment, car je serais contraint à une alimentation "kilomètre zéro", une langouste de l'espèce Jasus frontalis, endémique à l'archipel Juan Fernández où se situe mon île, en plein Océan Pacifique, à six cents kilomètres au large des côtes chiliennes.
Pour égayer ce festin, j'aurais sûrement un vieux Teppaz, ou plutôt un vieux gramophone à manivelle (parce que l'électricité…) sur lequel vibrerait, comme dans une fête de village espagnol, l'accordéon et la clarinette de l'Orquesta Pinha.
Là, je sais que, pour me réconforter et meubler ma solitude**, le blanc de grès et de schistes d'Arretxea me prendrait tendrement mais fermement dans ses bras. Et que dans mes beaux rêves de Robinson, il me ferait voyager jusqu'au bout de la Terre.





* Bateau / île, facile !…
** N'oublions pas Vendredi même si nous sommes plutôt face à un vin du dimanche. Un vin assez coûteux, donc (dans les 30-40€), mais d'un formidable rapport qualité/prix. Un vin rare aussi. Merci à Philippe Catusse et à son précieux  Chameau Ivre biterrois d'en avoir embarqué quelques bouteilles dans sa camionnette de bougnat.




La photo qui ne ment pas.

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Nous somme juste après la Seconde Guerre Mondiale, en 1945, à Cavignac, à l'est du vignoble de Blaye, sur la route des Charentes. Cet homme est un vigneron nous dit la notice. Nous sommes apparemment aux beaux jours, peut-être aux vendanges de ce millésime historique pour le Bordelais. De la jeune fille à la chevelure noire ornée de fleurs qui lui sert le vin (dans une bouteille bourguignonne), je ne sais rien. Pas plus que de son voisin de table, rigolard. Ils rient, sourient,  rescapés qu'ils sont des cendres de l'Europe.
Cette photo sent le travail, la sueur, la terre. La terre qui "ne ment pas" pour reprendre les mots d'un militaire déchu dans le procès doit se dérouler à peu près à la même époque. Cette photo non plus ne ment pas. Elle nous dit juste la subjectivité de celui qui a appuyé sur le déclencheur, cette tendresse sans mollesse, cet humanisme qui caractérise l'œuvre de Willy Ronis.


Par parenthèse, il ne s'agit pas de l'unique travail de Willy Ronis sur le monde de la viticulture*. On lui doit également une série prise par hasard à Eguisheim, au Domaine Émile-Beyer. Il illustra même le catalogue d'un négociant jurassien de Lons-le-Saunier, Sagravin. Et comme son copain et collègue de chez Rapho, Robert Doisneau (auquel on doit le tête-à-tête ci-dessous dans un café de la rue de Seine), il immortalisa les bistrots parisiens d'après-guerre, quand les deux seules unités de mesure connues étaient le ballon de rouge et le demi.


Fils d'un émigré juif d'Odessa et d'une pianiste lituanienne, juive elle aussi, Willy Ronis fut un des plus remarquables photographes français du XXe siècle, une légende discrète. Il nous a quitté** il y a cinq ans. Ce cliché du vigneron de Cavignac, comme tant d'autres, celui du gamin de Paris, des amoureux de la Maison Mestreà Ménilmontant, dit, témoigne. Et remplace aisément de longs discours.


Juste un mot cependant pour que nous n'oublions pas, au delà de cet hommage et du vigneron de Cavignac, qu'à notre époque vivent (survivent ?) les enfants de Willy Ronis. Chaque jour, ils créent (tentent de créer). Pas facile en des temps où la photo est devenu gratuite. Où l'on confond l'instané numérique sorti de l'iPhone et un travail fouillé. Où le droit d'auteur est décrit, moqué comme une faribole passéiste, désuète, par un drôle d'attelage composé d'ultra-capitalistes cupides et d'alterno-gauchistes inconséquents.
Ce sont pourtant eux, les auteurs d'aujourd'hui, les enfants de Willy Ronis, artistes ou reporters ou les deux à la fois, qui, je l'espère, offriront aux générations futures ces photos qui ne mentent pas. Ces photos dont l'aura est telle que nous, Français, continuons d'en toucher les dividendes.
Les photographes d'aujourd'hui, bourrés de talent, il faut les faire travailler! Quand je vois par exemple la piètre qualité, la médiocrité, pour ne pas dire la ringardise, de l'iconographie proposée pour sa communication par l'immense majorité des propriétés viticoles, je me dis que, dans ce domaine notamment, il y a de la place pour la qualité et la créativité! Il suffit de le décider et de s'en donner les moyens.




* Si le sujet vous intéresse, sachez qu'une autre photographe, Janine Niepce, complice elle aussi de Willy Ronis chez Rapho, a consacré de nombreux reportages au vendanges. On peut voir une partie de son travail dans ce livre, Les Vendanges, paru en 2000 chez HOËBEKE, dont est extraite la photo ci-dessous.
** Un triste hasard veut que cette chronique, écrite depuis un bout de temps sorte alors qu'on apprend la disparition d'un autre grand photographe, le Suisse René Burri. Né à Zurich en 1933, cet ancien de Magnumétait, comme le rappelle Le Monde, "connu pour ses reportages d'actualité, couvrant notamment les guerres de Six Jours, du Kippour, du Vietnam ou encore la crise de Cuba, ainsi que pour ses portraits, dont les plus connus sont ceux de « Che » Guevara et de Pablo Picasso".




Au feu les pompiers !

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Il y a le feu à Bordeaux ! Pontet-Canet, le symbole du renouveau des Grands Crus Classés, un des premiers châteaux à s'être convertis au bio, puis à la biodynamie vient de se faire déclasser son second vin en 2012. Bien qu'annoncée très officiellement par Sud-Ouest, j'ai cru au début que cette information était un gag, tendance Gorafi. Pas du tout. C'est à la dégustation que Hauts de Pontet-Canet 2012 a été retoqué. Considéré, éternel argument, comme "atypique"* par le "jury d'experts" de Quali-Sud, l'entreprise missionnée par l'ODG** de l'appellation Pauillac pour analyser les vins présentés à l'agrément. Ce millésime sera donc vendu en Vin de France, la dénomination contemporaine des anciens Vins de Table***.
Alfred Tesseron aimait à dire au début de sa conversion (je m'en souviens lors d'une visite en 2008, alors qu'il me montrait ses chevaux et ses vieux tracteurs) qu'il ne savait pas vraiment si ça changerait le goût du vin; là, il a la réponse…


Vous me direz à juste titre que ce n'est pas une première, mais là, c'est le pompon. S'en prendre à un domaine symbolique, chouchouté par la Presse internationale, il fallait y penser. L'AOP Pauillac, et au travers d'elle tout Bordeaux, s'offre ainsi un superbe coup de pub, un opération de communication négative qu'aucun budget, y compris celui du CIVB, n'aurait pu financer. C'était bien la peine de présenter une campagne de promotion aux faux-airs naturistes il y a quelques jours pour tout foutre parterre en moins de deux!
Cela pose aussi une nouvelle fois le problème de la ringardise de l'INAO, l'Institut national de l'origine et de la qualité, dont les ronds-de-cuirs, au lieu de défendre un système formidable, avant-gardiste, le laissent péricliter en sombrant dans des travers administratifs d'un soviétisme, d'un bureaucratisme désuets (un autre exemple ici). J'aimerais savoir ce qu'en pense le président de son comité régional, Hubert de Bouard, si attaché paraît-il au prestige des crus de son département. Quant au ministre de tutelle de l'INAO, Stéphane Le Foll, il serait bien inspiré d'y jeter un œil et d'éteindre l'incendie quand il aura fini de gérer les guéguerres politiciennes du Parti Socialiste. Les appellations d'origine françaises, les vins français méritent mieux que d'être ridiculisées à la face du Monde!




* Je n'ai pas goûté personnellement ce vin, mais une source fiable m'a indiqué qu'il était très bon.
** l'ODG, un sigle récent qui signifie Organisme de Défense et de Gestion, le nouveau nom des syndicats d'appellations viticoles.
*** Il rejoindra ainsi l'excellent Planquette de Didier Michaud (ci-dessous), vigneron sinistré qu'il ne faut pas oublier de soutenir. Le site de son domaine est ici, il comporte une liste de distributeurs. Vous avez compris le coup?




Hauts-de-Pontet-Canet 2012: la 'vraie' raison du déclassement?

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Ma chronique d'hier, et plus généralement l'information du déclassement du second vin de Pontet-Canet, a suscité un flot de réactions. Oh, pas de bruyantes réactions ! Nous sommes à Bordeaux, sur la Rive gauche, dans un univers discret, bien élevé, où l'on évite le déballage public. En revanche, j'ai reçu de nombreux messages, dont quatre très intéressants en ce sens qu'ils remettent en perspective cette affaire. Car ne nous y trompons pas, pour le vignoble girondin et son image, c'est bien d'une affaire dont il s'agit; du point de vue de la communication, il n'y a aucun doute, et les anglo-saxons sauront nous le rappeler.
Le domaine ne s'est pas étendu sur les raisons de ce déclassement. On a évoqué la sacro-sainte "typicité" que les dégustateurs n'auraient pas retrouvée dans ce vin. Ce qui est étonnant, alors, face à cette appréciation aisément contestable (des domaines ont déjà obtenu gain de cause sur ce point), c'est que le château n'ait pas décidé comme c'est son droit, de représenter son assemblage au jury*. Sur ce point, Éric Bernardin, fin connaisseur du Mondovino bordelais, affirme que s'il ne l'a pas fait, c'est parce qu'il redoutait un problème de stockage, ou de bouchage, d'échantillon. Et qu'en cas de seconde dégustation, elle se ferait avec la bouteille jumelle de la première**. Étonnant.
En revanche, en cas de déclassement (imposé) et non de repli (choisi par le vigneron), le vin ne peut pas revendiquer l'AOC Haut-Médoc, ni même devenir un simple bordeaux, il est automatiquement rétrogradé en Vin de France.


Les langues se déliant, une autre source fiable, technique, œnologique, m'a donné ce qui serait la vraie raison de l'ajournement des Hauts-de-Pontet-Canet 2012: "excès d'acidité volatile". Liée au stockage prolongé (deux mois) d'un échantillon dont ce n'était pas la destination? Endémique au lot concerné?
Si l'excès d'acidité volatile est bien la cause de ce déclassement, elle doit de toute façon rester dans les limites légales autorisées en Vin de France, c'est-à-dire 20 milliéquivalents par litre (voire un peu plus sur dérogation car il s'agit d'un vin ayant subi un élevage). Cela donne en tout cas un peu de marge par rapport au décret de l'AOP Pauillac qui établi le plafond à "16,33 milliéquivalents par litre, soit 0,98 gramme par litre exprimé en acide acétique (0, 80 gramme par litre de H2SO4)". 


Cette hypothèse d'un excès d'acidité volatile dans Hauts-de-Pontet-Canet 2012 est-elle crédible? Oui, pourquoi pas. Nous sommes en Médoc, dans un millésime "compliqué". Au delà de l'euphémisme, cela signifie que nous sommes dans une année où (après une printemps humide et un été très sec) les vendanges sont une course contre-la-montre: la pourriture grise menace, notamment pour les cépages tardifs comme le cabernet-sauvignon (qui représente près des deux-tiers de l'assemblage à Pontet-Canet). Fraîchement certifié bio, le domaine tout en disposant de moyens humains considérables ne dispose pas des armes synthétiques de ses voisins, face à l'ennemi, il doit faire, tel que le dit joliment son régisseur Jean-Michel Comme, "avec des arcs et des flèches".
Et la pourriture grise, on le sait, conjuguée à certaines levures parasites, peut générer une montée d'acidité volatile dans les moûts. Poussée de fièvre face à laquelle la vinification en bio offre moins de médicaments qu'en conventionnel (cf. ci-dessous).


Tout ça, c'est de la chimie, mais dans le verre? Encore une fois, je n'ai pas goûté ce vin. Je ne vous cache pas (preuve que le coup de pub fonctionne) qu'il me tarde de le faire! Si c'est bien la raison, une acidité volatile "trop élevée", notion ô combien subjective et aléatoire, rend elle le vin "moins bon"? Ça dépend répondrais-je sur l'air du "ça dépend" de Fernand Raynaud.
Le goût, la typicité sont un formatage (lire ou relire cette chronique récente), et il est évident que pour des palais formatés d'une certaine façon, y compris professionnels, habitués à des vins plus policés, une volatile un peu plus élevée, un "style bio" peuvent déranger, choquer et, éventuellement, susciter le rejet. D'autant plus que d'un autre côté, Pontet-Canet a affiché sa volonté de moins boiser les vins, notamment par l'utilisation d'amphores, ce qui gomme moins les aspérités et peut, comme précisé en notes, faire monter la volatile (0,2g/l en moyenne) . Des choix qui ne peuvent que détonner dans une série, au milieu d'une dégustation à l'aveugle***.


Pourtant, si l'on en revient à la "typicité" des grands bordeaux, quelle est-elle vraiment? Celles des vins moyens (au sens de médian, pas médiocres), parfaitement dans les clous, œnologiquement corrects, réglementaires? Ou bien celle des bouteilles exceptionnelles qui ont forgé la légende de ce vignoble? Pour simplifier: la "typicité" bordelaise, c'est Malesan ou Cheval-Blanc 47?
"Un peu des deux" me répondra-t-on très diplomatiquement aux Chartrons. Je persiste quand même à croire, et je suis loin d'être le seul, que des crus comme Cheval-Blanc 47 font partie de ceux qui ont vendu Bordeaux. Mais au fait, vous voulez qu'on parle du taux d'acidité volatile Cheval-Blanc 47? Je ne peux pas vous donner les chiffres, secret d'État, sachez juste que le très sérieux Decanterévoque des niveaux stratosphériques de volatile. Pendant que d'autres parlent d'une volatile intolérable pour les œnologues modernes… Aurait-on du déclasser ce vin assurément défectueux?
Nous sommes bien évidemment là dans l'exception, peut-être même dans l'excès (et alors?). Jean-Michel Comme, dans La Passion du Vin, estime que "cette aventure crée néanmoins un précédent qui fait que demain ne ressemblera plus à hier. Mais notre travail d’aujourd’hui ressemble-t-il encore à celui d’hier ? Alors que dire de notre travail de demain ?...
Et si finalement, à leur façon, ce que tentent de mettre en œuvre les propriétaires et l'équipe du Château Pontet-Canet, n'était qu'un retour à la typicité de Bordeaux? À ce qu'étaient les saint-émilions, les pauillacs, les grands crus historiques, ceux d'avant le bois neuf et du body-building?



* Sauf s'il considère bien sûr que le fait d'être vendu en Vin de France lui offre l'opportunité d'un coup de projecteur bénéfique en terme de communication, car soulignant sa singularité, et ses choix culturaux (bio, biodynamie) distincts de ceux de ses voisins.
** Voici très précisément ce qu'écrit Éric Bernardin, sur le forum La Passion du Vin.
"En fait, l'échantillon a été dégusté deux mois après le prélèvement sur cuve, et bouché avec un bouchon fait pour du très provisoire. J'imagine pas dans quelle condition il a été conservé durant ces deux mois. Si tu demandes un recours, ils dégustent la bouteille jumelle prélevée le même jour. C'est donc même pas la peine de le demander." 
*** L'atypicité des vins de Pontet-Canet, chez les rares qui ont l'honnêteté de goûter à l'aveugle a déjà été relevée par plusieurs commentateurs, comme ici, pour le 2011, chez Jacques Perrin, grand défenseur de ce cru. Il faut également lire cet intéressant papier qui évoque les amphores et le fait qu'elles peuvent faire monter la volatile dans le vin.




Le vin 'nature', d'accord, mais la cuisine 'nature' ?

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Certains, comme moi, boivent beaucoup. Et essayent donc de ne pas boire n'importe quoi, de boire "plus propre". Vous me direz que c'est un peu illusoire, que le "principe actif" du vin, ou en tout cas son composant le plus dommageable pour la santé*, son poison, celui qui fait mal aux cheveux, c'est l'éthanol. À des années-lumière avant les autres. Ce n'est pas faux, mais bon, si, en plus d'ingurgiter des quantités d'alcool honteuses aux yeux des médecins, on peut éviter de se foutre dans les veines une pincée d'autres saloperies, pourquoi pas?


Toujours est-il que même les poivrots comme moi, tous ceux qui sont enclins à lever le verre davantage que de raison, mangent plus souvent qu'ils ne boivent. Du petit-déjeuner au souper, c'est du solide que nous ingérons, pas du liquide (si l'on excepte l'eau ou, dans mon cas, le thé vert). Et là, dans le MondoGastro, contrairement au MondoVino, aucun cri d'orfraie, pas d'inquiétudes ni de militantisme pour une cuisine "plus propre". Omerta absolue.
Au contraire, on voit même (ce qui est un comble!) des ultra-naturistes pinardiers, chantres d'une pureté quasi religieuse, vénérer des chefs dont on connait trop bien le penchant pour l'interventionnisme forcené et l'intrant d'origine incontrôlée. Plus que le paradoxe, ça frise la schizophrénie!


Vous l'avez compris, je ne parle pas du tout-venant, du Mc Do et du Davigel, c'est de gastronomie qu'il est question. La gastronomie, sous sa définition contemporaine. Une espèce de sport-spectacle qui oscille entre patinage artistique (pour les costumes pailletés et le tulle rose, pas pour les grosses cuisses des championnes), cyclisme (pour le dopage) et football (pour l'aspect financier). Un sport médiatisé, internationalisé, avec ses vedettes, ses coaches, ses drôles de préparateurs physiques, ses pharmaciens, ses clubs de supporters, ses attachées de Presse et même quelques pom-pom girls chargées de la claque. Un sport qui n'est pas non plus sans rappeler certaines caricatures spéculatives, certaines dérives de l'art contemporain ou de la mode. Un sport qui a définitivement tourné le dos à la Nature et à ses repères, visuels notamment, qui l'a déstructurée.
Car, soyons réalistes: des grands restaurants où l'on peut encore tourner le dos au bling-bling et s'adonner à ce qu'il faudrait bien un jour qualifier de "cuisine nature" sont devenus une rareté. Ce qu'on nous vend aujourd'hui comme le luxe est avant tout synthétique, inculte et prétentieux. Et nous prouve, si nécessaire, que La cuisine paléolithique n'est pas enseignée dans les écoles hôtelières…


Il y a bien, ici et là dans les campagnes françaises, quelques dingues de "cuisine nature", des Fred Ménager, des Serge François, d'autres encore auxquels il faudra ériger des statues. Des types qui préfèrent la poignée de main du fermier au lecteur de code-barres du pousse-caddie, le fond de sauce à la poudre de perlimpinpin, leur piano à la télé. Des irréductibles qui généralement en payent le prix fort, entre opprobre de leurs collègues et leçons de morale de leur banquier.
En ville, malgré les discours repeints en vert vif, pas évident de dénicher ce genre de perles rares. Ça existe pourtant. Tenez, il suffit de traverser le Channel. Oui, oui, vous avez bien lu, je parle de passer à l'ennemi, au pays de la jelly et du porridge. De filer manger chez l'Anglais, dans sa capitale, même, à Londres, à portée de fusil des tours glacées de la City.


L'adresse dont je vous parle, le St. John, est mondialement connue (sauf peut-être en France?…). J'étais justement à Londres pour fêter dans le rock n'roll, les bulles, le corail d'oursin, la tête de cochon… le vingtième anniversaire de son ouverture. Swinging London, vous vous en doutez**! Il est vrai que la singularité du St. John attire une clientèle toujours étonnante, so british, bobo haut-de-gamme dirait-on à Paris.
C'est en priorité à ce restaurant, installé à moins de cinquante mètres du marché de la viande de Smithfield, que je demande l'asile gastronomique lors de mes séjours au bord de la Tamise. Pourquoi? Parce qu'on n'y mange pas de la cuisine française, ou italienne, ou indienne, ou espagnole, ou chinoise, ou mexicaine, on y mange des recettes anglaises, cuisinée à partir de produits locaux de grande qualité, arrosée de bière artisanales et de vins uniquement français. Des abats, de la viande, du gibier mais aussi de beaux poissons, des crustacés, des coquillages et, j'insiste sur ce point, des légumes d'une saveur tout à fait remarquable. Dont, par parenthèse, j'aimerais tant trouver les équivalents en Espagne!


En revanche, le lendemain de la nuit d'anniversaire, d'un coup de vélo, c'est de l'autre côté de la City, à Spitafields Market (la fripe et la fringue), pas à Smithfield, que nous avons longuement déjeuné. Au Bread & Wine de St. John, autre adresse ouverte il y a quelques années par Trevor Gulliver et Fergus Henderson. Comme son nom l'indique, il s'agit d'une boulangerie qui vend du vin, tout en demeurant un restaurant, aux manières un poil plus "bistrot" que la maison-mère. Pas de nappes sur les tables, mais toujours ce look black, wood & white, chic et sobre, qui a fait tant d'émules depuis, bien au-delà de Londres. Assez loin en tout cas de la déco de femme d'étoilé français…


Dois-je vous préciser que j'ai adoré ce déjeuner impromptu? Ce n'était pas ma première au Bread & Wine (tu te souviens, Joëlle, des bouteilles de touriga nacional du Minervois et des chaussures de daim vert pomme à la sortie?). Sous la houlette du jeune Tristram Bowden (ci-dessous), nous y avons d'ailleurs eu droit à un mix de la carte du lieu et de celle de St. John Smithfield.
Grand repas, d'une exquise simplicité, terrien, virgilien. Avec cette élégance naturelle de ceux qui n'ont pas besoin de forcer le trait. Avec le goût de la saison, ces châtaignes grillées sublimées par un beurre salé d'exception, arrosées de saint-nicolas-de-bourgueil (L'Hurluberlu de Sébastien David). Avec la gourmandise, cette fournée d'os à moelle tartinant le pain de la maison, rafraîchie d'une évidente salade de persil, ces beansà l'encre de seiche, une galantine de foie exceptionnelle, l'alternance des crudités, une caille goûtue sur sa sauce à l'estragon


Les foodistes vont évidemment trouver que tous ces plats "n'ont pas d'allure", "qu'ils "ne ressemblent à rien". Peut-être. Le truc, c'est qu'on ne vient pas à St. John pour photographier son assiette mais pour manger***. Il y a d'ailleurs très peu de service à l'assiette, ici, pas de dressage. Une catastrophe pour les précieuses ridicules qui se régalent devant ces travaux manuels pour écoliers attardés, ces œuvres d'art que le kitch, souvent, n'effraie pas.
Les autres, ceux qui viennent pour le goût, s'en tapent comme de leur premier stew. Et sont rassurés de voir un restaurant où, à défaut d'être haché, émulsionné, liquéfié, un poulet ressemble à un poulet, où un poisson atterrit sur table entier, où l'arrivée notre plat de résistance, orgiaque, transforme les convives en enfants émerveillés.


La tête de cochon rôtie, acmé du repas, est un des plats emblématiques (un "plat-signature" comme disent les pom-pom girls de la foodisterie) de la cuisine de Fergus Henderson. Pour ne rien vous cacher, c'est en fait la seconde à laquelle j'ai droit en moins de vingt-quatre heures, une autre, de porcelet, étant venue égayer la nuit précédente.
Laquée comme une cousine occidentale du babi guling balinais, "crispy"à l'extérieur et fondante intérieurement, elle appelle les doigts, ce que nous ne tardons pas à faire. On se dispute les joues, l'œil, peu à peu les os sont curés. L'opération doit longtemps puisque déjà le jour tombe, mais le temps, à cet instant précis n'existe plus. En passant, on se divertit avec son escorte de fenouils au jus. Superbes!
Dans ce plat de roi, s'exprime toute la noblesse du rôtisseur, de celui qui cuit, du cuisinier. C'est-à-dire quelqu'un d'assez différent de celui qui bricole le sous-vide avec du plastique, des faux-goûts d'usine et des sondes. Quelqu'un qui respecte l'origine et la façon. Qui fait confiance à la Nature.


On se lèche les doigts, on ne saute pas le fromage, parce que c'est dimanche. Et l'on commande un des desserts fétiches de la maison, les madeleines, envoyées au moment.
Le dessert me fait penser au sucre. Le sucre, parlons du sucre. C'est, en tant qu'additif, un des diables de la cuisine d'aujourd'hui. Dans ce que nous partageons autour de cette table, il existe parfois, vient même, impromptu, jouer des contrastes au travers d'un chutney, mais reste à sa place. En aucun cas, il ne devient "un bruit de fond", un bruit de fond sournois comme chez les cuistots élevés au Caca-Cola ou au Nutella. On ne nage pas dans le douçâtre, le sucrailleux, goût de ralliement des enfants de la malbouffe industrielle.
Les madeleines sont cuites, trop pressé, on se brûle. Un peu de farine, du beurre, du miel, du sucre, des œufs, un miracle sans cesse renouvelé. Dire qu'on m'a raconté quelques jours auparavant que le pâtissier d'un restaurant barcelonais avait démissionné parce que son nouveau chef lui interdisait de continuer à utiliser, "comme c'est la règle", la chimie lourde de Sosa& compagnie, toute cette merde qu'Adrià et ses suiveurs ont tenté de nous faire passer pour normal…


Bizarrement, les jurés des World best 50 Restaurants, ont rendu un important hommage aux valeurs du St. John et de Fergus Henderson. Car, avec son vieux comparse Trevor Gulliver, ce sont bien des valeurs qu'ils défendent, un certain humanisme. Si cette cuisine écologique, "sans plume dans le cul", vous intéresse, je vous conseille vraiment le livre The complete nose to tail, écrit avec Justin Piers Gellatly et édité il y a deux ans. Le titre est un hommage à ces recettes trop oubliées qui savent que d'un animal, notamment le cochon, on doit tout utiliser, de la tête aux pieds, parce que tout est bon. Et en plus le bouquin est beau, limpide, drôle. On se nourrit autant qu'on lit.
Se nourrir, la nourriture, de si beaux mots. Tellement loin des trucages, des compromissions, de la clinquante boustifaille du showbiz gastronomique. En fait, plus encore que les cocottes qui la vantent, la "gastronomie internationale", profondément encouragée, sponsorisée même****, par l'industrie agro-chimique de la Malbouffe m'emmerde. Ça ne m'intéresse plus du tout, j'ai tiré un trait, je ne veux plus ingurgiter ça.
Allez, pour ne fâcher personne, on va dire que je n'ai pas le palais assez éduqué, assez raffiné. Que je suis mal habitué. Que je ne peux pas comprendre. Que je suis trop nature?




* J'avais d'ailleurs mis en garde certains amis ultra-naturistes sur le danger d'un "marketing hygiéniste" pour promouvoir les vins qu'ils aiment, une arme à double-tranchant avais-je écrit ici. N'oublions pas oublieux de CH3-CH2-OH avant de jouer les Monsieur Propre.
** Voilà peut-être une des différences entre la cuisine que symbolise le St. John et la gastronomie soit-disant créative mais follement compassée des chasseurs d'étoile: l'énergie, le swing, le rock n'roll. Qui vous rendent un peu vieillots, un peu province, les "bonne dégustation, madame-monsieur" boutonneux et coincés des chouchous français du Guide des pneus. Juste pour l'ambiance, je vous offre ici, au bout de ce lien, quelques images de la nuit des vingt ans du restaurant de Trevor Gulliver et Fergus Henderson.
*** Merci d'ailleurs à Kat de m'avoir envoyé ses photos de plats, parce que moi, j'étais trop occupé à manger!
**** Cf. par exemple El Celler de Can Roca, nouvelle version, et ses liens coupables, interactifs, nauséabonds (comme on dit aujourd'hui pour se donner bonne conscience) avec les plus grands empoisonneurs de la planète (lire ici). Mais ce serait trop facile de croire que cette partouze entre la "gastronomie" moderne et l'industrie de la malbouffe, les Nestlé, Givaudan, Monsanto, s'arrête à cet exemple-là; au delà de l'Espagne, parlons aussi de ça ou ça, de ce quotidien de la défaite de la nourriture saine.


À quand la traçabilité de l'assiette ?

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Bien sûr, pour choisir un restaurant, il y a le bouche-à-oreille. Ça ne marche pas trop mal. Enfin pas tout le temps; je me suis retrouvé comme ça embarqué dans de grosses galères. Y compris en terres amies, des histoires de pintades bouillies dont on ne va pas reparler ici.
Car le problème, en fait, c'est surtout quand on arrive dans une ville inconnue. "Vis avec ton temps, file sur Internet" me hurle le coryphée. Trip Advisor ou les machins de ce genre? Allons, allons, un peu de sérieux, mon cher. Vous voulez que je vous raconte encore une fois cette fantastique table de la côte anglaise, vénérée par les visiteurs de Trip Advisor, et qui finalement n'était qu'une chimère? Vous ne vous souvenez pas de l'histoire? C'est ici.
Restent les guides. Ah, les guides… Celui des Pneus, peut-être ? Merci bien ! Je sais que j'ai des cheveux gris, mais je ne suis pas encore assez gâteux pour ça ! Attendons le déambulateur. Remarquez, ce n'est pas une question d'âge: en Espagne où il se la joue jeune et fou, coke et Cola, il vous envoie vous faire intoxiquer chez d'inquiétants apprenti-sorciers. Ou dans des fast-foods. Pour faire franco-français, il y a Gault-Millau. Je viens de découvrir leur chef de l'année: circulez y'a rien à voir! Et je ne vous parle pas du Nestlé World's Best 50 Restaurants
Bref, entre copinage, collusions, intérêts commerciaux, la crédibilité n'est pas vraiment au rendez-vous.


Pas simple donc, de savoir à l'avance ce que l'on va manger. Ou même si l'on va être dévoré tout cru par un restaurateur peu scrupuleux. Car, toute la question est là, à laquelle tous les auxiliaires de sélection ne répondent pas, ou de manière évasive: que va-t-on mettre dans notre assiette?
Et ce ne sont pas non plus les fadaises pseudo-réglementaires du "fait maison"franchouillard, à peine né déjà enterré, qui vont répondre à cette question. Mais peut-être prend-on le problème à l'envers. En effet, plutôt que de s'appuyer sur des critères subjectifs, aléatoires, voire sur des petits arrangements entre amis, pourquoi ne pas juger objectivement les restaurants? Comment? En partant de leur matière première.
L'idée m'est venue hier, alors que je demandais à un blogueur toulousain d'essayer de me dresser une liste des rares restaurants de sa ville dont les cuistots ne se fournissent pas, au pousse-caddie, chez Métro, Promocash ou en usine, chez les industriels de la malbouffe type Davigel ou Brake. Voilà la solution. Imparable. Et finalement assez simple à mettre en œuvre.


Car, pour que ce guide d'un nouveau genre soit fiable, il faut évidemment qu'il fasse ce que ne fait aucun autre, qu'il procède à des vérifications. Plutôt que du blabla, des bons sentiments et des roucoulements parfumés terroir, on demande au restaurateur de montrer ses factures. Et ainsi, on connait ses sources d'approvisionnement*. On sait de façon transparente qu'il se fournit chez tel boucher, tel éleveur, tel poissonnier, tel pêcheur, tel fermier, tel cultivateur, tel fromager, etc, etc… Des fournisseurs que rien ne lui interdit de faire figurer sur sa carte. En cas de doute, excusez-moi du procédé (mais ce qu'on perd en poésie, on le gagne en efficacité), il suffit de jeter discrètement un coup d'œil à ses poubelles: les emballages vides sont bavards, surtout ceux du pousse-caddie…


Certains objecteront qu'il s'agit d'une façon de fliquer le restaurateur. Non, je ne crois pas. Il ne s'agit pas d'ailleurs de dénoncer, cette démarche n'est que positive, ne seront listés que ceux qui souscrivent aux critères pré-définis. Le but est d'informer objectivement, ou en tout cas de façon factuelle, le consommateur sur ce qu'il va réellement trouver dans son assiette**. Car lui aussi (et encore plus dans une restauration française tendance L'aile ou la cuisse) a droit à la transparence. Tenez, par exemple, quand il achète un chandail, on lui dit si c'est du cashmere des Borders, du lambswool, de la laine des Pyrénées ou de la vulgaire acrylique. Pourquoi n'en serait-il pas de même avec ce qu'il va ingérer?
Je pense d'ailleurs que ce sont des cuisiniers qui peuvent initier le mouvement. Je sais que certains d'entre eux ne demandent que ça, pour enfin se démarquer des vilains petits canards. Dans un premier temps, la liste des restaurants risque d'être un peu courte, mais au moins, en attendant qu'elle s'étoffe, on saura où l'on met les pieds. Et, allez savoir, ça redonnera peut-être l'envie à certains de se remettre aux fourneaux!
Pour le reste, il suffit de quelques bonnes volontés, pourquoi pas en associant cette idée à un projet plus vaste comme celui de CriteeQ dont vous entendrez bientôt parler. Car, plutôt que de couper des arbres et de gâcher du papier, Internet, sa mobilité et son interactivité constituent évidemment un formidable support pour ce premier guide transparent. Le premier où il serait enfin question de traçabilité de l'assiette.



* Il faut définir un une règle, en admettant l'exception, l'accident, pour que le système ne soit pas trop rigide. Style 10% des achats alimentaires en grande distribution.
** Et la patte du cuisinier? Le type de cuisine pourra être décrit, accessoirement, sa virtuosité, éventuellement, mais tout cela est tellement subjectif. L'idée, dans une restauration rongée par la malbouffe, moquée à l'étranger, est de revenir au fondamentaux.




La Boqueria de Londres ?

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Difficile si l'on s'intéresse à ce qui se mange de ne pas avoir entendu parler de Borough Market. D'abord parce que c'est un des plus anciens marchés répertoriés; son origine, dans ce quartier de Southwark, à quelques mètres du London Bridge, remonte au XIe siècle, et que depuis, de façon quasi ininterrompue, on y a nourri le sud de la ville. Ensuite (et surtout?), parce qu'il est devenu un point de ralliement des foodies et des fêtards des environs, ainsi qu'un des nouveaux sites touristiques des week-ends londoniens.


De Borough Market, avec une pointe de dédain, on dit désormais que c'est devenu "La Boqueria de Londres", en référence au célèbre Mercat de Sant Josep des Ramblas de Barcelone. Je comprends la comparaison, elle vaut effectivement sur un point: la foule. Plus crowded qu'un samedi midi sur Middle Road ou Three Crown Square, c'est effectivement difficile à imaginer, sauf à se noyer un week-end de vacances scolaires françaises dans la partie avant de La Boqueria! Ambiance Victoria Station aux heures de pointe, le côté festif en plus.


Car Borough Market est beaucoup plus latin que La Boqueria, plus fiesta! On doit y déboucher au moins autant de bouteilles qu'on en met dans le panier. Bien sûr, comme à Barcelone, le déferlement des gobelets de jus de fruits pour touristes (origine incontrôlée garantie) se poursuit. Mais on ne vient pas seulement ici prendre des photos avec maman et le sac-à-dos Décathlon, en faisant la gueule et en comparant les prix avec le Leclerc de Créteil. La bouteille de Veuve-Cliquot sous le bras, une bière non filtrée du Sussex ou un verre de vin italien en main, on boit sec sur les terrasses et dans les allées. L'heure avançant, l'ambiance est évidemment au diapason.
On boit et on mange, tout et n'importe quoi. La plupart du temps debout, tendance street-food, dans un incroyable mélange d'odeurs. On peut critiquer, ne pas aimer, mais voir cette foule qui se régale, tous ces jeunes qui mangent, boivent, essayent aussi d'en savoir plus, cette appétit, cette soif, cette envie me ravissent En ça, Borough Market me semble beaucoup plus proche du très festif Mercado San Miguel de Madrid, beaucoup moins pépère que La Boqueria.


L'autre grande différence avec La Boqueria, c'est qu'à Borough Market, on achète. On achète même beaucoup. Même si, dans la cohue, il n'est pas toujours facile de se frayer un passage, ses sacs à provision à la main. Comme je l'écrivais plus haut, on ne vient pas juste visiter et prendre des photos.
Pourtant, cette question de l'invasion touristique, c'est évident, risque à terme de se poser. Comment trouver l'équilibre? Comment continuer d'accueillir des visiteurs occasionnels sans faire fuir sa clientèle habituelle? Et sans perdre son âme?
On est loin, je sais, de la problématique de tant de marchés français aux allées désertes, mais c'est un vrai débat auquel sont confrontés les gestionnaires de halles de ce type. J'en avait longuement parlé avec Salvador Capdevila, le président des commerçants de La Boqueria qui cherche des solutions pour inventer l'avenir de son merveilleux marché que grignote inexorablement le tourisme (bas-de-gamme qui plus est) au détriment des loges, des activités traditionnelles, identitaires.


À Borough Market, la clientèle (ceux qui achètent pas les promeneurs) est mélangée: des Anglais, mais aussi beaucoup d'expatriés, témoins vivants, remuants, de ce Londres bigarré qui bouge et se bouge, de ce Londres insouciant qui a déjà oublié la Crise. Pas mal de Français, vous vous en doutez, et pas les plus mauvais. En tant que clients, mais aussi comme vendeurs.
Parce qu'heureusement, malgré la perte de vitesse médiatique de notre aura gastronomique, pour vendre du pain, du fromage, du vin, l'arrogant Frog a toujours la cote. Comme ci-dessous, chez l'excellent crémier Neal's Yard Dairy, qui possède là une de ses plus jolies succursales, où je suis allé, en bon bobo, faire provision de cet inoubliable bleu au lait cru qu'est le Stichelton. Quoi, vous ne vous souvenez pas du Stichelton? Pour la petite révision, c'est ici.


Alors, surfait ou pas, Borough Market ? Un peu convenu, dirais-je. Ce qui n'empêche qu'on peut y dénicher de superbes produits: du beau fromage, de la belle viande, du gibier intéressant, du pain plus qu'acceptable, des champignons sympathiques. J'y ai vu aussi une camelote indigne, des légumes auxquels il ne manquait qu'un emballage de supermarché, dignes des mauvais jours de La Boqueria. Je me suis apitoyé devant des bancs de poisson ordinaires (là, en revanche, l'Espagne mène au score!). Mais que voulez-vous, c'est ça un marché, c'est la vie, il n'y a pas de garantie absolue, il faut chercher. Et parfois on trouve.
Me revient toujours cette phrase que me citait Lucien Vanel aux halles Victor-Hugo de Toulouse, une phrase que Pagnol fait dire à Panisse dans Fanny: "Si vous voulez aller sur la mer, sans aucun risque de chavirer, alors n'achetez pas un bateau: achetez une île!" Tout est dit.


Il est difficile, donc, de ne pas avoir une tendresse pour cet immense foire d'empoigne. Ce n'est pas une raison pour commettre un impair: ne dites jamais à un vrai Londonien que vous êtes allé à Borough Market. Ça fait piche*! Parce que ce n'est plus là qu'on va.
Il faut changer de pont, quitter London Bridge pour Tower Bridge. Désormais, c'est du côté de Maltby Street que ça se passe. Là où continuent d'exercer des menuisiers à l'ancienne, mélangés aux restaurateurs de voitures, où on chine, on trafique.


Planqué sous les arches noires de la voie ferrée, Ropewalk vous a un petit air voyou, punk, juste ce qu'il faut. Tous les samedi et dimanche, des marchands un peu plus pointus que ceux de Borough Market viennent y vendre leur production. À leurs côtés, de plus grosses cylindrées ont rejoint Maltby Market pour en faire le rendez-vous des samedi et dimanche matins: Neal's Yard Dairy (pour ceux qui en ont marre de faire la queue à la boutique de Park Street), le vendeur de produits naturels Natoora ou encore les deux allumés du St. John dont je vous parlais avant-hier qui y ont ouvert une boulangerie-restaurant. Bref, the (new) place to eat.
N'empêche que, malgré toute l'attirance que j'ai pour cette ville, si on m'avait dit il y a vint ans que je me régalerais à faire le marché à Londres…




* Blaireau, beauf, ringard en Français d'Occitanie.
 

Sujet-Verbe-Compliment.

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Je me souviens d'une époque pas si lointaine où, quand on était journaliste, on n'avait que mépris pour les lèche-bottes. Ces plumitifs de complaisance, considérés comme des handicapés moteurs du sens critique, exerçaient leur (petit) métier dans de nombreuses spécialités. Il s'en trouvait bien sûr dans la Presse normale, généraliste, la langue usée par les Richelieu du ministre,  meurtrie par les Derby du préfet, rapée par les mocassins du sénateur-maire. C'était souvent pire chez les journalistes sportifs, dont la menteuse finissait déchirée par les crampons de l'entraîneur de foot local. Et je ne vous parle pas de ceux qui officiaient dans les rubriques gastronomie, tourisme, beauté, ceux-là de lèche-bottes risquaient carrément l'ablation.
Loin de la langue agile de ces brebis galeuses, il arrivait toutefois, même aux plus vertueux, de faire une légère entorse à la déontologie, d'accepter des ménages: l'animation d'une conférence, la rédaction d'un publi-reportage. Mais dans ce dernier cas, les choses étaient claires, une mention légale (publi-reportage, publi-information, communiqué) l'indiquait sur la publication concernée. D'ailleurs, le plus souvent, pour ce genre d'acrobaties, le journaliste ne signait pas de son nom et s'inventait un pseudonyme*.


Il faut croire que le mélange des genres est devenu la norme. À cause de l'arrivée d'Internet disent les vieux, je n'en suis pas convaincu à 100%; je crois que la décadence de la Presse (débutée avant l'arrivée du Web), qui ne paye plus ceux qui travaillent pour elle, en est la raison majeure.
Avec cette nouvelle norme, surgissent parfois des propos qui vous mettent mal à l'aise comme ceux de cette blogueuse-mode il y a quelques jours. En la lisant, on comprend bien que le problème pour elle n'est pas de se vendre, de prostituer ses écrits mais le prix auquel on le fait. Bref, ce ne sont pas les putes qui manquent, c'est l'argent…
Vous me direz que ce n'est pas grand chose, un petit blog dans l'immensité de la Toile. Peut-être. Pourtant, là où l'on se dit que les temps ont changé, c'est quand on lit un article comme celui d'Harpers cet après-midi: "un panel d'experts a analysé l'avenir du rôle des blogueurs-vin". Là, ça ne rigole plus!


Vous avez le texte en lien, dont je ne vais pas vous l'infliger deux fois, mais si je le résume, on nous explique donc que pour ne pas disparaître (comme les dinosaures), les blogueurs doivent "se professionnaliser". Et en fait, "se professionnaliser", dans le langage des experts, ça signifie être bien polis, faire là où on leur dit, et arrêter d'emmerder un Mondovino qui se portait très bien avant eux, quand des journalistesà la botte relayaient sans poser de questions les légendes commerciales qui consolidait l'ordre établi.
À la décharge des experts, un Public Relation**, une attachée de Presse, et une media consultant, tous formatés par la guilde pinardière londonienne, ils s'exprimaient depuis un endroit, Montreux, où, ces jours-ci, on trouve au mètre carré une des plus impressionnantes concentrations au Monde de lèche-culs, un jamboree des caniches. Ils participent en effet à la Digital Wine Communications Conference***, une réunion internationale de pique-assiettes, d'opportunistes, de communicants déguisés en influenceurs et de blogueurs qui n'écrivent pas. Ils étaient dans l'ambiance, quoi.
J'ai donc bien retenu la leçon, pour être un blogueur d'avenir, il me faudra désormais mettre de l'eau dans mon vin, ressembler un peu plus à ce lèches-bottes qu'on m'a tant appris à mépriser, utiliser davantage le "sujet-verbe-compliment" qui est soit-disant la règle désormais.


Cette étrange conception de l'information, pour le moins révérencieuse, à côté de laquelle Léon Zitrone ou David Pujadas passeraient pour de dangereux anarchistes, ne semble pas d'ailleurs s'appliquer qu'au Mondovino. J'ai pris une autre "leçon de journalisme" aujourd'hui, solide, cette fois, liée au Mondogastro.
Un des collaborateurs de l'organisateur de spectacle Omnivore, filiale du groupe GL Events, me reprochait mon "ironie" par rapport à cette jeune cuisine qu'il vénère et qui le fait vivre. Face à "un mouvement planétaire" me précisait-il, et à la dynamique, aux valeurs qu'il véhicule. Bref, moi le petit scribouillard, face à cette grande œuvre, je n'avais qu'à fermer ma gueule. Ou, j'imagine, me joindre au concert parisien du "sujet-verbe-compliment" sur Omnivore.
Très bien, nous revoilà dans le même schéma qu'avec les experts de Montreux. On lèche ou on s'écrase. Sauf que moi, je ne m'écrase pas.


Parce que ce "mouvement planétaire", à part des exhibitions comme sait en organiser le groupe GL Events dans pas mal de secteurs d'activité, c'est quoi? Omnivore existe depuis dix ans, et qu'est-ce qui a changé dans la gastronomie française depuis dix ans? Qu'est ce qui a changé en mieux, à part des chefs qui passent plus longtemps devant leur miroir qu'en cuisine?
Les filières se sont raccourcies? Les restaurateurs ont arrêté de se servir en grande distribution ou dans les usines? On mange de meilleurs produits, plus sains? L'agriculture industrielle a reculé, au profit des petits producteurs?
Rien de tout cela, évidemment. Vous voulez voir des chiffres? Les trois principaux livreurs de surgelés et de cuisine moderne, Davigel-Nestlé, Brake et Transgourmet revendiquent désormais 174000 clients en France, c'est-à-dire autant qu'il y a de restaurants dans ce pays. Et je vous fais grâce du pousse-caddie, de Métro et de Promocash… Et depuis dix ans, depuis le lancement du fameux "mouvement planétaire", leur chiffre d'affaires n'a fait que croître. Beau résultat, belle dynamique!
Il est vrai que les amis de la "jeune cuisine", qui ont pris de la bouteille, ont de drôle de fréquentations, de drôles de partenaires. Et, en tant que pros de l'évènementiel, c'est même le cœur de leur business. Tous les gros de l'agro-alimentaire sont là, sûrement pour rendre encore plus "nature", plus "ébouriffant", plus "engagé, le "mouvement planétaire".
Pour le plaisir, je vous en ai juste sélectionné un, entre Unilever et les eaux minérales du Groupe Danone. Un petit comme ça en passant, parce  que je trouve frais, amusant, porteur de valeurs. De "jeunes" tomates, cultivées dans un "jeune"jardin (hors sol, en hydroponie), présentées évidemment lors du dernier Salon Omnivore.



Je sais qu'on va m'expliquer que je n'y comprends rien, que ces "jeunes" tomates d'usines sont là pour soutenir en secret le "mouvement planétaire", la grande œuvre… 
Bon, assez rigolé. Évacuons cette casuistique à deux balles, il va de soi que si l'on veut conserver un minimum d'intégrité et donc de crédibilité, si l'on défend un minimum de valeurs, on ne peut pas bouffer à tous les râteliers. Et se compromettre ainsi. Défendre la gastronomie, fut-elle d'école de Commerce, et cautionner ce genre d'agriculture est impossible.
Alors, pour en revenir aux leçons de journalisme, il est évident que face à de dérangeantes réalités de ce genre, moins "d'ironie", plus de "professionnalisme", feraient l'affaire. Une information plus plane, linéaire, huilée comme le tapis-roulant d'une caisse de supermarché. Ce serait chouette, oui, tellement plus positif. Ça favoriserait le progrès, "pour le bien de tous". Malheureusement, pour informer, il ne faut pas que des langues qui lèchent, il faut aussi ce que les experts vont qualifier de "langues de putes". Des langues libres, qui connaissent autre chose que le sujet-verbe-compliment.




* De mes pseudos, il y en a un qui me fait toujours rire, je le dois à mon copain Ulrich Lebeuf. Ce n'était pas d'ailleurs pour un publi-reportage mais pour un vrai reportage, un texte et une série de clichés pour Gault-Millau. Ulrich m'avait dit, "le mieux, c'est de faire comme dans le porno: un prénom italien, et un nom américain". Allez, va pour Roberto Russell…
** Je pense là à Robert Joseph, commentateur des choses du vin, négociant de vin du Languedoc, cheval de Troie d'un certain progrès vinicole à l'anglo-saxonne, mais qui a parfois du mal à voir arriver le changement. Comme, par exemple (excuse-moi, Robert, mais encore une fois tu t'y es mis tout seul), dans la malheureuse affaire Pancho Campo / Jay Miller qui a considérablement affecté l'image de Robert Parker, où il était de l'ultime poche de résistance, de ceux qui se refusaient à voir la sale vérité en face.
*** Digital Wine Communications Conference organisée par un ancien collaborateur et admirateur du Pancho Campo dont on parle ci-dessus.



Le test cochon.

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Voici un gadget coûteux, mais ingénieux, au moins d'un point de vue commercial, parfaitement ciblé en tout cas. Une jeune entreprise française met sur le marché un test (dans le style des tests de grossesse) qui si l'on en croit sa marque permet de vérifier si un plat est conforme ou non aux règles alimentaires édictées par le clergé musulman. Bon, en vérité, la marque est un peu "coquine", le test en question n'est pas en mesure d'indiquer si la viande contenue dans le plat a été abattue suivant les règles Halal, il permet juste d'identifier l'éventuelle présence de porc.


L'idée, révélée par Le Nouvel Obs, a germé dans la tête de deux condisciples d'école de commerce, Abderrahmane Chaoui et Vital Julien. Leur société, Capital Biotech, fondée avec le soutien d'un chercheur en biologie, le docteur Thomas Nenninger, propose donc d'acheter, pour 6,90€ pièce des bandelettes qui réagissent au contact de viande porcine.
Le site de l'entreprise explique précisément le mode de fonctionnement du HalalTest ® – viandes cuisinées et transformées– qui "est basé sur le principe de l’immunochromatographie et de la réaction anticorps-antigène. Il permet la détermination qualitative de l’antigène spécifique de la viande de porc traitée, une glycoprotéine musculaire ultra résistante à la chaleur, dans tous types d’aliments cuisinés et/ou transformés, la vaisselle mal lavée et les matériels de production, transport et stockage des denrées alimentaires."


En ces temps où les lasagnes de bœuf surgelées hennissent, on peut comprendre que certains aient des doutes. D'autant que depuis l'histoire Findus, on a vu que l'industrie de la malbouffe n'était pas très regardante non plus avec la porc. Cela étant, vu le prix du test, on pourrait se demander si le plus efficace ne serait pas d'arrêter les barquettes, d'acheter chez un vrai boucher de la bonne viande (qu'on aurait appris à reconnaître) et la cuisiner soi-même? Je précise "un vrai boucher", parce que sans être ultra-méfiant, on peut subodorer qu'il y a peut-être des chances que le halal de grande surface soit aussi fiable que le bio de supermarché…


Connaître le contenu de ce que l'on mange est effectivement devenu un leitmotiv dans les sociétés coupées de la Nature; vous vous souvenez sûrement de l'histoire des (nouvelles) lunettes qui déshabillent. Halal Test ne se contente pas d'ailleurs de traquer les présence de porc dans les plats cuisinés, un autre de leurs produits détecte les traces de viande ou de graisse de cochon dans les aliments crus. Un troisième permet même de vérifier qu'une boisson ne contienne pas d'alcool, et un quatrième, de sang humain.


Même si Halal Test est présenté comme une nouveauté, il ne s'agit en fait que d'une nouveauté française, une batterie de test du même genre, mis au point par un laboratoire russe, a été mis sur le marché depuis plusieurs années en Asie du Sud-Est, en Malaisie, Indonésie, au Sultanat de Brunei, à Singapour. Comme vous pouvez vous en doutez, il coûte deux fois moins cher, dans les quinze dollars malaisiens l'unité.
Quant au détecteur d'alcool, demandez à tout bon gendarme qui se respecte, il connait ça lui aussi depuis des lustres. Par parenthèse, je ne sais pas concernant ce dernier point ce que disent les théologiens diététiques musulmans sur l'utilisation du vin en cuisine: sachant que l'alcool s'évapore à la cuisson, le Coran interdit-il la daube ou le bœuf bourguignon* longuement mijotés?


Tant pis si je me fais taper sur les doigts, mais, avec tout le respect que l'on doit avoir pour la foi des autres, cette interdiction de consommer de la viande de porc, aussi bien chez les musulmans que les juifs, me fait, alors que nous sommes en 2014, un effet bizarre. Comme tout le monde (même si elle sont contestée et si la trichinose n'a été découverte qu'au XIXe siècle), il me semble en percevoir assez clairement les racines historiques, empiriquement sanitaires. Et j'imagine même le nombre de maladies que cela a peut-être permis d'éviter sous des climats chauds. Mais, compte tenu de l'avancée des connaissances, je me demande aussi si ces religions, comme tous les autres, ne pourraient pas procéder à un aggiornamento sur cette question.
Ne serait-il pas plus efficace, plutôt que de perpétuer des croyances médiévales, de promouvoir l'hygiène et l'utilisation du réfrigérateur?  Mais c'est un autre débat.


Tant qu'à faire des coqs-à-l'âne (excellent, l'âne d'ailleurs en saucisson, à la place ou en complément du porc), mais tout en restant dans ce sujet cochon, parce que ce n'est pas parce que certains ne l'aiment pas qu'on doit en dégoûter les autres, j'en profite pour vous glisser l'adresse d'un restaurant qui ne sert que la viande de cet animal. C'est marqué dessus, on ne peut pas se tromper: Pork!
Pork est installé à Barcelone à la lisière d'El Born, côté Port Vell. L'établissement est le fruit de l'association du cuisinier catalan Oriol Rovira avec le groupe de restauration basque Sagardi. On y sert, mais pas exclusivement, du cochon en provenance des Pyrénées, de la grosse ferme de la famille Rovira.


Pork est un joli lieu, clair, un peu brut comme le veut la tendance. On y mange, éventuellement avec les doigts, de gentils plats qui célèbre la bête singulière. Notamment d'excellents coustelous grillé, d'agréables haricots aux couennes et une bonne saucisse grillée, ce qui est rarissime en Espagne où elle est systématiquement hachée très fin, trop fin, comme les chipolatas industrielles, histoire de noyer le poisson…
Noyer le poisson, ça me fait justement penser à cette vieille histoire de porc et de religion qui remonte au Moyen-Âge, une histoire qui montre l'attachement religieux des Espagnols au cochon. Il est vrai qu'avec la Reconquista, par opposition au Judaïsme et à l'Islam, consommer cette viande était devenu, parfois même de façon ostentatoire, la preuve de leur pureté catholique. L'histoire donc, racontée par Xavier Domingo, se passait en Castille, du côté de Salamanque, alors qu'arrivait la rigueur du Carême. Pour contourner le jeûne, des moines avaient tout simplement eu l'idée de jeter des porcs dans l'eau d'une petite rivière qui traversait leur logis, et de les remonter avec une corde, de les pêcher ce qui leur permettait d'en manger sans pécher.


Pour en revenir à notre Pork barcelonais, quand j'y ai mangé, tout n'était pas encore parfaitement calé, on m'a dit que ça s'était affiné depuis. Évitez peut-être les plats épicés, pseudo-orientaux, qui ne sont peut-être pas ce que la maison a de mieux à offrir. Concentrez-vous sur la grillade. Je me dis d'ailleurs qu'ils devraient penser à rôtir des têtes de cochon de lait entières, comme celles, sublimes, de ce fameux St. John londonien dont je vous parlais récemment. Mais je ne sais pas si c'est très raccord avec l'américanisation des consommateurs espagnols d'aujourd'hui…
Au niveau des vins (parce que ce n'est pas le moindre des vices de ce sacré cochon que de faire boire!), la carte a pris un parti qui peut étonner: mis à part quelques vins tranquilles insignifiants, elle se concentre sur les effervescents, forte de l'idée sommelière que la bulle constitue un excellent rince-cochon. C'est amusant, d'autant qu'en plus des mousseux locaux, on y trouve, de Boulard à Selosse en passant par Salon ou Brochet, des champagnes de haut vol, à des prix relativement accessibles, largement inférieurs en tout cas à ceux pratiqués en France. Reste que moi, avec mon cochon, un bon petit coup de rouquin…



* Sans couennes pour la daube, mais avec un bon bouillon de pieds de veau, ça fonctionne admirablement, et, là, c'est plus embêtant, sans lardons fumés pour le bœuf bourguignon. Le bœuf bourguignon, d'ailleurs, je ne sais pas pourquoi, mais la tisane que j'ai bue hier soir avant d'aller au lit m'en a donné une furieuse envie. Une tisane (ci-dessous) qui est l'occasion de rendre hommage à un autre grand disparu bourguignon.




Le poids de l'alcool.

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Vytenis Andrutakitis, le Commissaire européen à la Santé a jusqu'à la fin de l'année pour trancher: les étiquettes des boissons alcoolisées devront-elles ou non comporter une mise en garde nutritionnelle? C'est, depuis Londres, la Royal Society for Public Health qui lui met la pression. L'organisme britannique entend ainsi rappeler le rôle des "calories cachées de l'alcool" dans l'augmentation de l'obésité. Et souligne qu'en plus de l'éthanol, le vin ou la bière peuvent également contenir du sucre dont la valeur nutritionnelle s'ajoute au 56 calories que compte chaque centilitre d'alcool pur. Ce qui représente environ 160 calories pour un verre (175 ml) de vin à 13% vol.
Simple à mettre en œuvre pour les fabricants de boissons industrielles, cette contrainte risque d'être un peu plus complexe à appliquer pour les vignerons, surtout dans des domaines de petite taille. Suivant les recommandations de la Royal Society for Public Health, ilsdevraient modifier leurs étiquettes en fonction du degré réel de leur cuvée, ce qui représente une variable de plus lors des préparations de mises en bouteille. À suivre…



Qu'est-ce que tu nous mijotes, TopChef ?

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On m'a fait la leçon, ces temps-ci, jusque chez les pom-pom girls du MondoGastro: "TopChef, MasterChef, tu n'as rien compris! C'est super! Arrête de faire le grincheux, c'est positif, ça fait venir les gens, les jeunes à la cuisine!" Ben oui, je reconnais que la gastro-télé-réalité, ça me révulse. Quant à ce genre d'arguments, c'est un peu comme si l'on m'expliquait que le fait de se taper des binouses devant la boîte à cons, pendant Barça-PSG, amenait Mimile et Gégé à jouer au foot.
En France, bien sûr, on essaye de sauver les apparences, les TopMasterChefs, on les invite dans des "festivals gastronomiques", ils nous parlent de Terroir, de Nature, bref de tout ce qui est marqué en vert sur les fromages ou les yaourts du "rayon frais". Les Espagnols, un peu moins précautionneux, plus à l'aise aussi avec leur américanité tendance Caca-Cola/SérieB, nous remettent les pendules à l'heure.
"À quoi ça sert un MasterChef ?" m'interrogeais-je il y a quelques semaines. Eh bien, qu'il soit Master ou Top, la réponse est simple, limpide: à vendre de la merde.
Regardez, là, c'est le Chef qu'on appelle par son prénom, c'est Peña, il a du gagner un concours de gastro-télé-réalité puisqu'il est barbu, gominé et tatoué. Sa grande recette de champion porte un superbe nom, Grand McExtrem™, ça se passe dans les célèbres restaurants gastronomiques McDonald et bien sûr, c'est vu à la télé. Bon appétit !




Le client est Roi…

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Quand on élabore un vin, on est responsable de lui jusqu'au moment où il quitte la boutique de celui qui l'a vendu. Mais, sa vie de produit, ce qu'il devient, ce qu'on en fait, ça vous échappe. Le client est Roi, il a le droit de le boire à la bouteille, avec des glaçons, en remplir sa baignoire*, d'arroser ses plantes avec ou même, s'il ne lui convient pas, de le foutre à l'évier.
Les responsables de la maison de champagne Louis-Roederer s'étaient ainsi brouillés avec un de leurs célèbres clients, Jay-Z. Le rappeur américain avait trouvé raciste leur façon de se pincer un peu le nez vis à vis de sa tapageuse clientèle pour ce qui était jusqu'alors sa bulle favorite, leur célèbre Cristal. De cette fâcherie étaient nées les très élégantes cuvées Ace of Spades et Ace Midas lancées par une marque réveillée pour l'occasion chez les concurrents de Cattier, Armand de Brignac. Je vous avais raconté l'histoire ici, il y a longtemps.


N'être que client-roi ne suffisait pas visiblement à Jay-Z qui a décidé de devenir le patron de cette marque distinguée (qui, qu'on le veuille ou non, ouvre de nouveaux horizons commerciaux à la bulle française). Comme l'explique The Drinks Business qui annonce la nouvelle, le rappeur a fait aux ancien propriétaires, Sovereign Brands, une "proposition qu'ils ne pouvaient pas refuser". Il faut dire que la fortune de Jay-Z est estimée à 520 millions de dollars par le magazine Forbes. À ce tarif-là, effectivement, le client est Roi…



* Ainsi ce basketteur new-yorkais, Amar’e Stoudemire, qui lui se baigne dans le zinfandel


Envie de Bordeaux. De bordeaux aussi.

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Il y a au moins deux façons de boire du vin. Avec sa tête ou avec son ventre. Oui, je sais, je déraille. C'est toujours, toujours la tête, le cerveau qui commande. Mais vous savez, quand la tête est assez maline pour vous faire croire que ça vient des tripes (si proches de la tête!), qu'on est dans l'envie brute. Que ça devient pavlovien…
Là, c'est Bordeaux. Bordeaux, la ville, dont je ne me lasse pas, cette métropole qui a su grandir, évoluer avec une certaine harmonie, sans trop de mocheté, sans s'enferrer, comme certaines de ses voisines, dans le style province. Oh, le Bordeaux sale, couleur suie, de la fin du règne de Chaban avait son charme, cette ambiance décatie, un décor de roman noir, port de l'angoisse parfumé à la morue et au gaz d'échappement. Mais il faut bien reconnaître que celui d'aujourd'hui a de la gueule.


Bordeaux, et le bordeaux, évidemment. Je sais, c'est cyclique, ce n'est pas la première fois, je me répète, je radote, je rapapège comme on dit dans le Sud-Ouest. Que voulez-vous, on n'échappe pas à son éducation… Ça remonte à la surface depuis deux ou trois ans, j'ai envie d'en boire. Même si c'est devenu compliqué, si je mesure bien les conséquence d'une telle envie, et surtout de pareille déclaration publique. Parce que dans le monde branché du vin, oser affirmer qu'on a soif de bordeaux, cela peut valoir l'excommunication. "Tu ne rends pas compte! Ces tanins! Ça ne peut pas être naturel, ça, les tanins…"
J'ai envie des vins de Gironde, donc. Sans le décorum si possible, sans qu'obligatoirement la silhouette du grand Théâtre ne vienne projeter son ombre (majestueuse certes) sur mon modeste verre. j'ai envie des angles des cabernets et des rondeurs des merlots. De la sensualité aussi du petit-verdot bien mûr. J'ai soif et faim de vin gascon. Je rêve de tricandilles et de grenier, de tables sans nappes, du croustet bien aillé dans la sauce de la lamproie, de volailles dans la cheminée, de verres qui s'entrechoquent. Pavlovien, vous disais-je, j'en salive.


Ici, à Barcelone, le stock-maison de bordeaux (et de vins du Sud-Ouest) étant épuisé, notamment ceux de Xavier Landeau qui nous ont régalés tout l'été, c'est le caviste du quartier qui vient de me sauver. D'habitude, il a le petit rouge d'un domaine longtemps réputé pour ses blancs, Château Sainte-Marie; c'est juteux, gourmand et d'un rapport qualité/prix remarquable. Tant et si bien qu'il était en rupture. Sainte-Marie, je ne sais pas si vous voyez où ça se trouve, j'adore ce coin-là, dans l'Entre-Deux-Mers, vers Targon, Haux, Capian, La Sauve. Sans parler du marché de Créon, sous les arcades, dont les images de ma mémoire ont pris une légère teinte sépia…

Dans l'océan des bordeaux-sup' (qui chez le caviste en question se résume à deux vins), je me suis donc tourné vers l'autre bouteille du présentoir. J'aurais pu tomber plus mal. Croix-Mouton 2011, un des merlots profonds que Jean-Philippe Janoueix (ci-dessous sur une image de François Mouriès) concocte sur des graves de bord de Dordogne, à Lugon, un terroir qu'on pourrait de prime abord croire mineur.
Janoueix, ce n'est pas un inconnu. Sa famille d'abord, un des trusts corréziens, de ces intégristes de l'effort qui règnent sur Pomerol. Jean-Philippe, lui-même, qui a donné un coup de fouet à ce vieil attelage, et quelque peu bousculé l'ordre établi. Ajoutant ce qu'il faut d'inspiration à la sueur.


Sur l'onglet de bœuf, son Croix-Mouton 2011, en bon Corrézien, en bon montagnol, fait plus que le job. J'avais des envies de soiffard, il me pousse à m'y pencher tel un esthète. Tempère mon ardeur tout en me donnant envie d'y replonger. C'est le vin multi-tâches, hédoniste et cérébral. Un bordeaux, quoi, un vin à boire et à manger. Ça tombe bien, c'est exactement de ça dont j'avais envie.



La volatile du second vin de Pontet-Canet.

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Bien que poliment négligée par la Presse pinardière française, l'affaire du second vin de Pontet-Canet continue d'intriguer les journalistes étrangers. Il sont plusieurs, et non des moindres, à évoquer les raisons supposées de ce déclassement de fait. The Drinks Business, reprenant les informations d'Idées liquides & solides titre sur le "mystère" des Hauts-de-Pontet-Canet 2012. D'autres parlent d'énigme, bref, on cherche, on fouille, mais les confirmations tardent à arriver.


Un élément nouveau vient pourtant de s'ajouter au dossier. Il nous arrive de Hong Kong, du South China Morning Post dont la correspondante à Bordeaux, Jane Anson, affirme avoir pu goûter le vin incriminé. "MélanieTesseron [la copropriétaire] m'a envoyéune bouteille du second vinde Pontet-Canet cette semaine, explique-t-elle,etilgoûtait de façonassezatypique. Des niveaux d'acidité volatile plus élevésque ceux auxquels je m'attendais et,même s'il n'était pas franchement défectueux, il était plus légeretplus frais (sic) qu'unPauillacclassique."
D'autres dégustations (comme tant d'autres, il me tarde d'y mettre le nez) confirmeront ou infirmeront ce jugement. L'auteure de ces lignes, qui n'est pas une débutante, semble en tout cas confirmer les informations œnologiques publiées ici, à savoir que ce Hauts-de-Pontet-Canet 2012 est marqué par une acidité volatile importante, dont la perception amené le jury de dégustateurs à trancher en sa défaveur. À suivre…




Berlin, avant.

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Toujours beaucoup d'émotion en repensant au Berlin de ces années-là. Une pointe de nostalgie que j'ai sans cesse essayé de réprimer car quelque peu obscène quand on sait dans quelle misère vivait une moitié de cette ville. Pas en tout cas la tristesse, la mélancolie du Where are we now? de Bowie.
Plus encore que le légendaire Check Point Charlie des films d'espionnage, je garde gravé en mémoire le 'poste frontière' de Friedrichstraße. Dans un univers bizarre, le métro se faisait machine à remonter le temps. On allait visiter le Communisme comme d'autres un zoo, si loin des singeries et des bonnes blagues de Georges Marchais à la télé française. Sauf que pour nous, coup de bol, notre ticket vers la dictature comportait le voyage retour. À Schöneberg, Kreuzberg, ou même à la UFA-Fabrik de Tempelhof, des nuits de lumière artificielle nous attendaient. On posait devant l'apfelstrudel du Cafe Einstein après l'obligatoire visite aux archives du Bauhaus, on faisait la queue au Dschungel. Parfois même, à midi, au petit déjeuner, on croisait Nina Hagen, planquée derrière les langues de belle-mère de ce café jaune un peu ringard dont j'ai perdu le nom, sur le Ku'Damm.


Drôle d'époque, drôle de ville, drôle de contrastes. Entre un Ouest déjanté, survolté, avec ses recoins glauques, et un Est triste comme la casquette post-nazie des VoPos. Tout se mélangeait, on parlait de musique et de politique, déjà dans les cantines des squats (excellente école de design…), en écoutant Lou Reed, on apprenait à ne pas boire de Caca-Cola et à penser différemment. À Prenzlauer Berg, un magazine occidental valait presque aussi cher qu'une cartouche de blondes ou un jeans Levi's. Les filles étaient compliquées, parfois faciles, la drogue était là, omniprésente. À Tegel, la fanfare militaire accueillait en musique un drôle de train aux stores baissés où il arrivait que le caviar et la vodka animent le voyage.
C'était Berlin, une autre ville. Une autre vie. Heureusement, de ce mur, il ne reste que des reliques. Pour ne pas oublier. Comment oublier?






La Catalogne qui tranche.

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C'est d'abord l'histoire d'une petite ville préservée, Solsona, à six sept cents mètres d'altitude, au pied des Pyrénées. Je ne sais pas si vous connaissez le versant sud des Pyrénées, dans ce coin-là, la Nature est superbe, les paysages parfois à couper le souffle, mais les villes ont souvent été défigurées. Je me souviens ainsi d'une visite à Gironella, plus a l'est, que nous avions élue la ville la plus laide d'Espagne.
Solsona, donc, n'a pas connu cette malchance. À une heure et demie de Barcelone, sur la vieille route de l'Andorre qui a vu passer tant de valises de billets, la vieille cité est largement préservée, agglutinée derrière ses remparts, sur une butte, collée à sa cathédrale dont l'architecture agréablement hétéroclite sent très fort le sud.


Si je vous parle de Solsona aujourd'hui, ce n'est pas pour repomper la documentation du syndicat d'initiative; les moines copistes ont heureusement disparu, un lien hypertexte suffira, vivons avec notre temps, nous sommes en 2014. Solsona, ce n'est pas le tourisme mais une histoire de couteaux qui m'y a amené. Si vous connaissez la région, ces couteaux, vous les avez sûrement rencontrés, en tout cas leur version la plus populaire. On les vend pour quelques piécettes sur les marchés ou dans les stations service, des petits canifs au manche en plastique couleur corne et à la lame arrondie, sorte "d'Opinels pyrénéens", rustiques mais efficaces.


La marque, éponyme de la famille qui a fondé la coutellerie en 1917, c'est Pallarès. Et c'est toujours un Pallarès, David, qui dirige l'entreprise, désormais installée en périphérie, sur la route de Manresa. David Pallarès, le type même de l'artisan catalan dynamique, ouvert, fier de ce qu'il produit.
Je n'allais pas à Solsona acheter des canifs, mais des couteaux de table et de cuisine. Car, à côté de ses nouvelles gammes, dans la lignée des outils agricoles qui ont fait sa réputation, la maison Pallarès continue de produire de belles lames au carbone, tendres, "à l'ancienne", celles dont je me régale d'écouter la musique sur la pierre ou le fusil, celles qui tranchent comme un rasoir. 


Facilement reconnaissables, en plus de la forme des lames, à leur manches de buis, les petits Pallarès excellent à table. D'épatants couteaux à steak, guère plus chers que des saloperies d'IKEA (dans les 6-7 euros pièce, moins en quantités). Pour les âmes sensibles, il en existe au même tarif une version inox; on perd en tranchant ce qu'on gagne en brillance, et ça ferait un modèle idéal, identitaire en plus, pour la restauration catalane. Pour ma part, je reste au classique, bien conscient qu'il s'agit là de chefs d'œuvres en péril que les réglementations idiotes feront tôt ou tard disparaître.
Pour le coup, j'ai embarqué une espèce de grand tranchelard et un désosseur qui n'ont pas du me coûter à eux deux plus de 27 euros! La lame carbone demande bien sûr un minimum de soin, mais quel plaisir en cuisine! Pour ce qui est du manche, vérifiez juste à l'achat que le buis ne soit pas fendu*. Après, ça tient. Tenez, en allant acheter un magnifique poulet (sûrement le meilleur que j'ai mangé à ce jour en Catalogne) dans une boucherie de Solsona, la commerçante m'a montré un vieux Pallarès hérité de son père, dont la lame noircie ne tenait plus qu'au fil alors que le manche ne montrait aucun signe de fatigue.


Maintenant que vous avez des couteaux, reste à les utiliser. Une ou deux adresses donc à Solsona pour tester leur tranchant. La boucherie dont je vous parlais plus haut d'abord, pour les poulets, chez Tarrallo, calle Castell, dans la vieille ville. Sachez aussi que certains agriculteurs des environs vendent leurs volailles directement au particulier (David Pallarès se fera un plaisir de vous donner son adresse favorite, j'ai essayé et je suis reparti avec une bestiole de sept livres!). Les marchés aussi, notamment celui du vendredi, avec des légumes intéressants. Et un restaurant, tout simple, et souvent bondé, Mare de la Font, dans un parc public. On y mange correctement, local. En prime, on y sert dans la bonne humeur un vin que j'adore, Exibis, né dans le vignoble voisin du Pla de Bages, un vin tranchant lui aussi.





* Il existe aussi des modèles en bakélite.


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