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Channel: idées liquides & solides
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Surprise sur prise…

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Ça fait du bien quand la Presse sort du rôle de lèche-cul que lui ont assigné les régies publicitaires et les actionnaires sourcilleux. Ce n'est pas tous les jours, et encore moins dans des domaines comme le pinard ou la bouffe, apparemment plus "légers" mais éminemment commerciaux, donc fermement muselés.
En la matière, le grand quotidien hispanique El País* vient de nous offrir une belle tranche de rigolade. C'est Mikel López Iturriaga qui organise le spectacle, un spectacle télévisé façon Surprise sur prise! Ou, pour plus les anciens, La caméra invisible de l'ORTF. Son idée, c'est de voir si tous ceux qui parlent du vin, les "experts", s'y connaissent vraiment. Il s'est donc livré à un petit test aussi amusant qu'irrévérencieux.


Nous ne sommes pas à la capitale, mais à Barcelone. Mikel López Iturriaga a choisi comme décor un superbe salon, Renaissance, qui se tenait fin avril (et dont je parlais ici). Mais avant de s'y rendre, il est allé dans la bodeguita du quartier se faire remplir de vrac, de vi a granel comme on dit en catalan, une bouteille ensuite ornée d'une étiquette imaginaire: un rouge régional à un euro le litre, "le velours de l'estomac"… L'idée, vous l'avez vu venir, est de faire goûter ce "nectar"** aux experts qu'il rencontrera dans les allées du salon Renaissance.


Et là, forcément, on se régale. Les airs inspirés, les commentaires surtout: "fruité", "frais, agréable"; "gouleyant, fluide"; "très élégant en bouche, rond"; "un style vin naturel, sans soufre, ouvert, sans lourdeur, actuel"; "un grenache du Sud de la France avec une pointe d'oxydation", "assez floral"… 


À part Joan Gómez Pallares (a-t-il vu venir le coup?***), les "experts Barcelone" tombent tous avec allégresse dans le panneau, heureux de découvrir cette nouvelle cuvée qui tombe pourtant un peu comme un cheveu sur la soupe au milieu de cette réunion de vins naturels ou biodynamiques, ou les deux à la fois.


Alors, oui, je sais, c'est facile de se moquer. Et plus encore de ces experts élevés au Caca-Cola et à la "pipe-à-Pinocchio", récemment convertis, après une très brève transición, à la naturalité. Mais ce gag télévisé a le mérite de nous rappeler quelques fondamentaux que les impératifs boutiquiers font souvent oublier. 
Et d'abord, qu'on le veuille ou non, un axiome: goûter un vin en regardant l'étiquette (boire l'étiquette donc d'une certaine façon), ça s'appelle prendre l'apéro avec des potes. La dégustation, de préférence, c'est à l'aveugle, sans a-priori ni préjugé (positif ou négatif). On s'intéresse alors plus au contenu qu'au contenant, au produit plus qu'à sa marque. Quitte à se vautrer lamentablement, ce qui arrive même aux meilleurs, et constitue une formidable leçon d'humilité face aux mystères du vin. 
Merci en tout cas à Mikel López Iturriaga de nous le rappeler à tous. Parce que le gag avait pour cadre Barcelone, mais on aurait autant ri à Paris ou à Londres, là où l'on boit davantage de concepts, de tendances, que de jus de raisin fermenté.



* Pour ceux qui ne le pratiquent pas, disons que c'est un peu l'équivalent espagnol du Monde.
** J'adore ce mot devenu pinardier, "nectar" qui rime forcément avec ringard, souvent aussi avec connard.
*** Non pas que je ne lui fasse pas confiance, mais je le trouve bien plus affirmatif que d'habitude, moins poli quand il décrit se vin, presque "engagé". A-t-il reconnu Mikel López Iturriagga? Ou a-t-il eu vent du test précédent que le chroniqueur d'El País avait réalisé avec des "experts" de la bière? Je lui poserai la question, mais pour autant, accordons lui le bénéfice du doute.



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