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Channel: idées liquides & solides
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Toute honte bue.

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C'est en lisant une chronique d'Éric Bernardin, marchand de vin numérique et écrivin, que ce souvenir est remonté à la surface. Une bouteille ouverte il y a deux ou trois ans, en compagnie d'un grand vigneron français, connaisseur de l'Alsace du riesling. Sous sa capsule à vis, ce blanc de dix ans était parfait, complexe, "cristallin" comme le note justement Éric Bernardin à propos de sa propre bouteille, issue de la même contrée. Nous, la nôtre, nous l'avons descendue d'un trait, dans son évidence.


Ne faisons pas durer le mystère, la bouteille, c'était bien celle de ce riesling australien photographié ci-dessus. On l'oublie parfois, mais Oz demeure un des grands pays producteurs de ce cépage au Monde. Loin derrière son Allemagne natale (qui produit les deux tiers du riesling mondial), derrière les États-Unis, mais devant la France, l'Ukraine, l'Autriche et la Moldavie*.


En l'occurrence, ce riesling provenait d'un des grands terroirs reconnus comme tels en Australie, Clare Valley. Clare Valley, on est en South Australia, pas très loin de la Barossa, à cent kilomètres au nord d'Adelaide, une cinquantaine du golfe St. Vincent, c'est-à-dire de l'Océan. On est même dans une subdivision, la Watervale; les vignes de Grosset , enherbées, non amendées, travaillées en bio, sont plantées entre 4 et 500 mètres d'altitude sur des calcaires et des argiles de décalcification. Un endroit où l'on affirme que les premiers rieslings ont été plantés dès 1860.


Il se trouve que je me suis intéressé de plus près, grâce à un insider, à la maison qui produit cette grande bouteille. Pas pour espionner, juste pour savoir, pour tenter de comprendre comment on élaborait une aussi belle chose. D'abord, pas de mystère, les vignes. Impeccables. Et un climat réputé frais (autant que la région de Colmar en été…), offrant la particularité d'un début d'automne exempt de ces poussées d'humidité dont, euphémisme, le riesling n'est pas friand. Par ailleurs, les parcelles sont orientées sud (on dirait nord dans notre hémisphère), ce qui évite de cuire, et permet, grâce à la particularité climatique évoquée plus haut et à une bonne alimentation en eau (parfois artificielle), de pousser les maturités.


Et évidemment, on aussi parlé de technique, de la cave. Avec d'abord un sujet d'étonnement: les raisins sont pressés à froid puis logés dans des cuves isolées et descendus à une température oscillant entre -5°C et -10°C. La fermentation, on verra plus tard, au calme, quand les vendanges seront terminées. Ce procédé permet également de concentrer les moûts, puisqu'au débourbage, plusieurs semaines après, on retire du jus de glaçons (principalement composés d'eau).
Les fermentations démarrent donc à froid, les cuves sont ensemencées, avec des levures sélectionnées mais vraisemblablement neutres, et contrôlées au degré près. J'entends d'ici hurler ceux qui vont se régaler ce soir, pour le beaujolais, de vins naturels issus de macération carbonique, qui demeure, qu'on le veuille ou non, une méthode de vinification sinon industrielle au moins technologique…


Mais, ce n'est pas tout. Sans complexes, comme dans pas mal de pays (et comme l'a parfois préconisé Jules Chauvet), les vins sont souvent acidifiés. À l'arrivée de la vendange parfois, "à la française", mais pas forcément. L'acidité peut être réajustée à tout moment, pas nécessairement en tartriquant, mais avec des "cocktails" dans lesquels entrent 'acide malique ou citrique, toujours en prenant garde de ne pas durcir les vins. 
Je sais, nombreux parmi vous sont horrifiés, abasourdis devant ce rationalisme, ce pragmatisme anglo-saxons, pire, devant ces manières brutales, de "descendants de convicts". Pourtant, ce riesling est délicieux, d'un équilibre exquis, d'une finesse remarquable, "cristallin". Et avec mon compagnon de table, fin dégustateur, si nous en avions eu deux bouteilles, nous les aurions sifflées.


La question est: de toute cette technique, de tous ces procédés physico-chimiques, doit-on, tel Ponce Pilate, se laver les mains? Peut-on jouir sans entraves de cette bouteille qui, décrite ainsi, a posteriori, fera pour beaucoup d'entre vous, en France singulièrement, l'effet de l'ail ou d'un crucifix sur des vampires? A-t-on le droit de se contenter d'un "quand c'est bon, c'est bon"?
Si l'on raisonne le vin d'un point de vue politique, assurément non. Pour ma part, je n'ai pas la réponse. Dois-je aller chercher le cilice, le fouet et me mortifier? Cela mérite-t-il l'excommunication? Je ne sais pas. Mais si un autre vieux riesling de Jeffrey Grosset se présente à moi, je pense que je m'en servirai. Et s'il est du même niveau, je m'en régalerai. Toute honte bue.





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