De la même façon qu'il est très tendance dans le Mondovino de critiquer des vins qu'on n'a pas bus, le dernier chic consiste visiblement à commenter des textes qu'on n'a pas lus. J'écris ça parce que j'ai les oreilles qui sifflent: me reviennent ici et là des avis, parfois péremptoires, sur un article que j'aurais signé dans la revue suisse Viniferaà propos d'une des grands sujets tabous de l'époque, le vin "naturel". D'abord, ceux qui comme moi ont eu cette publication en main le savent, il ne s'agit pas à proprement parler d'un article mais en réalité d'une interview. Interview à plusieurs en fait puisque nous sommes six à avoir répondu aux trois mêmes questions. Les six sont le journaliste anglais David Cobbold, l'œnologue Stephane Derenoncourt, le vigneron saint-émilionnais François Mitjavile, son confrère alsacien André Ostertag, le terroiriste bourguignon Jacky Rigaux et moi-même. À cela s'ajoute une dissertation du critique français Michel Bettane, pourfendeur assermenté du naturisme, pourtant plus pondéré que jamais sur la question (peut-être l'ambiance helvétique?…). Sans vouloir révéler l'intégralité de son propos dans Vinifera n°49 (que vous pouvez vous procurer ici), sachez qu'il évoque même les résultats "magnifiques" de blancs dont "l'oxydation a été intelligemment ménagée dans des contenants comme les amphores en terre ou les 'œufs' en béton". Après, je ne comprends pas toujours sa volonté de zigzag entre le "bio" et le "nature", mais peu importe, on est très loin des outrances de certains papiers antérieurs, il donne son avis, et comme tout avis, il mérite d'être respecté. N'oubliez pas non plus, dès que vous lirez ce dossier de vous attarder sur l'avant-propos de Jacques Perrin, le maître des lieux, toujours une des plumes les fines, les plus éclairées du monde du vin.
Revenons-en aux faits, aux écrits, en tout cas. Trois questions, donc, deux sur les vins "naturels", une sur les vins "bio":
1°) On parle beaucoup aujourd’hui de vins naturels, de vins vivants, de vins sans soufre, de vins sans soufre ajouté, etc. Ce débat tourne la plupart du temps au pugilat verbal et aux attaques personnelles. À votre avis, pourquoi ce sujet suscite-t-il autant de passion ?
2°) Pouvez-vous définir en quelques lignes votre approche du sujet ?
3°) Depuis février 2012, le législateur européen a adopté le projet de label “vin bio” qui certifie également les vinifications, en plus de la culture des raisins. Que pensez-vous de cette évolution ? Le consommateur va-t-il gagner ? Et le vigneron ?
À ces trois questions, voici mes trois réponses .
1°) Tout simplement parce que plus encore que de vin, c'est de politique dont il s'agit. Le vin sans-soufre représente pour beaucoup une lutte contre l'establishment, un refus de l'agriculture traditionnelle, la manifestation d'une foi alternative, voire alter-mondialiste. Généralement, pour prendre un exemple français, on vote pour lui comme on voterait pour Mélanchon ou un parti d'extrême gauche. En tout cas en ce qui concerne les penseurs, les idéologues sincères de cette mouvance. Ensuite, s'appliquent les règles purement liées au commerce et aux effets de mode de la Société de Consommation.
2°) Dans sa manifestation concrète, c'est-à-dire le vin, je trouve que cette vague a vraiment apporté du bon. Non pas que tous les vins qui en sont issus soient tous des chefs d'œuvre, loin s'en faut (cela étant, on pourrait dire pareil des vins normaux), mais parce que l'engouement suscité a conduit beaucoup de vignerons extérieurs à la mouvance sinon à une remise en question, au moins à un début de questionnement. Sur le sulfitage et les intrants, certes, mais aussi sur l'usage massif du bois tel que nous l'avons connu dans les années 90/2000, et sur la possibilité de faire des vins plus gouleyants.
Pour ce qui est des vins « naturels », si l'on excepte les approximations (à la vigne comme à la cave) de certains néos, les vignerons sérieux, paysans, ont montré qu'on pouvait élaborer de superbes bouteilles, des vins complexes, loin des macération carboniques systématiques et à fort pouvoir banalisant. Parmi les incontournables, je citerais Thomas Pico à Chablis (qui sulfite raisonnablement et travaille également sur l'oxygène dissous), Patrick Corbineau à Chinon avec des cabernet-francs d'une grande profondeur, Francis Boulard et ses champagnes aériens. Il va de soi qu'il est plus facile de produire ce genre de vins dans des appellations septentrionales, avec des vendanges aux acidités plus marquées ; Jules Chauvet, le pape des vinifications sans soufre, chimiste averti, l'avait déjà remarquer en son temps, qui n'hésitait pas à tartriquer assez régulièrement ses moûts
3°) J'ai l'impression que ça ne va pas changer grand chose. Les doses retenus pour le sulfitage sont bien supérieures à celles qu'utilisent la plupart des vignerons précis, qu'ils soient « natures », « bio » ou « normaux ». On peut s'étonner du fait, en revanche, qu'on continue d'autoriser des procédés comme la flash pasteurisation qui est un bon moyen de « tuer » les vins.
Pour ce qui est des vins « naturels », si l'on excepte les approximations (à la vigne comme à la cave) de certains néos, les vignerons sérieux, paysans, ont montré qu'on pouvait élaborer de superbes bouteilles, des vins complexes, loin des macération carboniques systématiques et à fort pouvoir banalisant. Parmi les incontournables, je citerais Thomas Pico à Chablis (qui sulfite raisonnablement et travaille également sur l'oxygène dissous), Patrick Corbineau à Chinon avec des cabernet-francs d'une grande profondeur, Francis Boulard et ses champagnes aériens. Il va de soi qu'il est plus facile de produire ce genre de vins dans des appellations septentrionales, avec des vendanges aux acidités plus marquées ; Jules Chauvet, le pape des vinifications sans soufre, chimiste averti, l'avait déjà remarquer en son temps, qui n'hésitait pas à tartriquer assez régulièrement ses moûts
3°) J'ai l'impression que ça ne va pas changer grand chose. Les doses retenus pour le sulfitage sont bien supérieures à celles qu'utilisent la plupart des vignerons précis, qu'ils soient « natures », « bio » ou « normaux ». On peut s'étonner du fait, en revanche, qu'on continue d'autoriser des procédés comme la flash pasteurisation qui est un bon moyen de « tuer » les vins.
Maintenant, chacun sait, me concernant, de quoi on parle.